Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Electricité de France a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution de la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant une installation soumise à quotas d'émission de gaz à effet de serre à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012, pour un montant de 21 813 865 euros.
Par un jugement n° 1705976 du 11 octobre 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a décidé la restitution à cette société de la taxe sur le chiffre d'affaires mentionnée plus haut.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2018, LE MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° d'ordonner le remboursement par la société Electricité de France de la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant une installation soumise à quotas d'émission de gaz à effet de serre à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012, pour un montant de 21 813 865 euros ;
Il soutient que :
- le simple fait que les entreprises sous " ETS " (Emission Trade Scheme) soient soumises à une taxation sur le chiffre d'affaires ne suffit pas à établir que le principe communautaire de gratuité dans l'allocation des quotas d'émission de gaz à effet de serre ait été méconnu ; s'il existe un lien entre cette taxe et l'allocation de quotas, cette taxe reste assise sur le chiffre d'affaires des entreprises et non sur la valeur des quotas délivrés gratuitement, le mécanisme de plafonnement mis en place venant simplement corriger les effets d'une taxation en limitant la contribution des petits allocataires ;
- l'objectif de cette taxe était de ne pas alourdir le déficit budgétaire et de respecter le droit communautaire en ne modifiant pas la répartition des quotas déjà alloués et en ne revenant pas sur le choix fait par la France d'allouer ces quotas gratuitement.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté modifiant la directive 96/61/CE du Conseil ;
- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 ;
- le Plan national d'affectation de quotas d'émission de gaz à effet de serre pour la période 2008-2012 (PNAQ II) approuvé par décret n°2007-979 du 15 mai 2007 ;
- le code de l'environnement ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pilven,
- les conclusions de M. Errera, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour la société Electricité de France.
Considérant ce qui suit :
1. La société Electricité de France s'est acquittée au titre de 2012 d'une taxe sur le chiffre d'affaires instituée pour l'année 2012 par l'article 18 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 afin de permettre à l'Etat de financer l'achat de quotas d'émission de gaz à effet de serre pour les nouveaux arrivants sur ce marché. Elle a sollicité la décharge de cette taxe, pour un montant de 21 813 865 euros, en mettant en avant la non-conformité de la loi à la directive 2003/87/CE et au plan national d'affectation des quotas d'émission de gaz à effet de serre pour la période de 2008-2012 (PNAQ II) approuvé par la commission européenne. Par jugement du 11 octobre 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a accordé la restitution sollicitée par cette société. Le ministre forme appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article 9 de la directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003 : " 1. Pour chaque période visée à l'article 11, paragraphes 1 et 2, chaque État membre élabore un plan national précisant la quantité totale de quotas qu'il a l'intention d'allouer pour la période considérée et la manière dont il se propose de les attribuer. Ce plan est fondé sur des critères objectifs et transparents, incluant les critères énumérés à l'annexe III, en tenant dûment compte des observations formulées par le public. Sans préjudice des dispositions du traité, la Commission élabore des orientations pour la mise en oeuvre des critères qui figurent à l'annexe III pour le 31 décembre 2003 au plus tard. (...) / 3. Dans les trois mois qui suivent la notification d'un plan national d'allocation de quotas par un État membre conformément au paragraphe 1, la Commission peut rejeter ce plan ou tout aspect de celui-ci en cas d'incompatibilité avec les critères énoncés à l'annexe III ou avec les dispositions de l'article 10. L'État membre ne prend une décision au titre de l'article 11, paragraphes 1 ou 2, que si les modifications proposées ont été acceptées par la Commission. Toute décision de rejet adoptée par la Commission est motivée. ", aux termes de l'article 11 de la même directive : " (...) 2. Pour la période de cinq ans qui débute le 1er janvier 2008, et pour chaque période de cinq ans suivante, chaque État membre décide de la quantité totale de quotas qu'il allouera pour cette période et lance le processus d'attribution de ces quotas à l'exploitant de chaque installation. Il prend cette décision au moins douze mois avant le début de la période concernée, sur la base de son plan national d'allocation de quotas élaboré en application de l'article 9, et conformément à l'article 10, en tenant dûment compte des observations formulées par le public. / 3. Les décisions prises en application des paragraphes 1 ou 2 sont conformes aux exigences du traité, et notamment à celles de ses articles 87 et 88. Lorsqu'ils statuent sur l'allocation de quotas, les États membres tiennent compte de la nécessité d'ouvrir l'accès aux quotas aux nouveaux entrants. (...) ". L'article 10 de cette directive précise que pour la période de cinq ans qui débute le 1er janvier 2008, les États membres allouent au moins 90% des quotas à titre gratuit. En outre, le point 31 de l'arrêt de la CJUE, C-566/11, Iberdrola e.a., du 17 octobre 2013, précise que la notion de gratuité prévue à l'article 10 de la directive 2003/87 s'oppose non seulement à la fixation directe d'un prix pour l'allocation de quotas d'émission de gaz à effet de serre, mais également au prélèvement a posteriori d'une charge au titre de l'allocation desdits quotas.
3. Par ailleurs, aux termes de l'article L.229-8 du code de l'environnement : " Les dispositions du présent article s'appliquent aux installations mentionnées à l'article L. 229-5. / I.-Les quotas d'émission de gaz à effet de serre sont affectés par l'Etat pour une durée de trois ans à compter du 1er janvier 2005, puis par périodes de cinq ans, dans le cadre d'un plan national établi pour chaque période. / II.-Ce plan fixe la quantité maximale de quotas d'émission affectés par l'Etat au cours d'une période hors ceux qu'il acquiert en application du II de l'article L. 229-15, les critères de répartition de ces quotas et la liste des installations bénéficiaires. / III.-La quantité maximale de quotas d'émission affectés au cours d'une période est déterminée en fonction :/ 1° Des engagements internationaux de la France en matière d'émissions de gaz à effet de serre ; / 2° De la part des émissions des installations soumises aux dispositions de la présente section dans l'ensemble des émissions estimées en France ; / 3° Des prévisions d'évolution tendancielle des émissions dans l'ensemble des secteurs d'activité et de la production des activités relevant des catégories visées à l'article L. 229-5 ; / 4° Des possibilités techniques et économiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l'ensemble des secteurs d'activité ; / 5° Des prévisions de création, d'extension et de fermeture d'installations entrant dans le champ d'application de la présente section. / IV.-Le plan répartit les quotas d'émission entre les différentes installations mentionnées à l'article L. 229-5. Cette répartition tient compte des possibilités techniques et économiques de réduction des émissions des activités bénéficiaires, des prévisions d'évolution de la production de ces activités, des mesures prises en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre avant l'établissement du système d'échange de quotas ainsi, le cas échéant, que de la concurrence d'activités situées dans des pays extérieurs à la Communauté européenne. / V.-Le plan met en réserve des quotas d'émission destinés à être affectés : / 1° Aux exploitants d'installations autorisées, ou dont l'autorisation a été modifiée, après la notification initiale à la Commission européenne du projet de plan pour une période donnée et avant le début de sa mise en oeuvre ; / 2° Aux exploitants d'installations autorisées, ainsi qu'à ceux dont l'autorisation viendrait à être modifiée, au cours de la durée du plan. / L'Etat peut se porter acquéreur de quotas en application du II de l'article L. 229-15 pour compléter cette réserve. / VI.-Pour chaque période de cinq ans visée au I, le plan fixe, sous forme d'un pourcentage du total des quotas affectés à chaque installation, la quantité maximale de celles des unités visées par l'article L. 229-22 que les exploitants peuvent utiliser conformément au dernier alinéa de l'article L. 229-7. ", et aux termes de l'article L229-9 de ce code : " Sous réserve du respect du secret industriel et du secret des affaires, le projet de plan national d'affectation des quotas d'émission de gaz à effet de serre fait l'objet d'une consultation du public selon des modalités fixées par décret. Il est publié et notifié à la Commission européenne. Le plan est approuvé par décret en Conseil d'Etat. ". Il ressort en outre du point 7.2 du Plan national d'affectation de quotas d'émission de gaz à effet de serre pour la période 2008-2012 (PNAQ II), qui a été approuvé par décret n°2007-979 du 15 mai 2007, que les quotas affectés selon ce plan sont délivrés aux exploitants de façon gratuite.
4. Enfin, aux termes de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 : " I.-Il est institué au titre de 2012 une taxe due par les personnes qui exploitent une ou plusieurs installations dont l'activité relève de l'une des catégories prévues par l'annexe I à la directive 2003/87/ CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/ CE du Conseil, et qui ont reçu au titre de la période allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012, pour l'ensemble des installations exploitées, au moins 60 000 quotas d'émission de gaz à effet de serre au sens de l' article L. 229-7 du code de l'environnement dans le cadre du plan national d'affectation des quotas prévu à l'article L. 229-8 du même code. / II.-Cette taxe est perçue à un taux fixé par arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie et du budget dans des limites comprises entre 0,03 % et 0,07 % du montant total, hors taxe sur la valeur ajoutée, des livraisons de biens et services effectuées en 2011 par les personnes mentionnées au I. / III.-La taxe est exigible le 1er janvier 2012. / Le montant exigible ne peut excéder, pour chacune des personnes visées au I, le résultat du produit du nombre total des quotas d'émission de gaz à effet de serre alloué au titre de la période allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012, pour l'ensemble des installations exploitées, par 6,18 €. / IV.-Les redevables déclarent et liquident la taxe sur l'annexe à la déclaration mentionnée au 1 de l'article 287 du code général des impôts, déposée au titre du mois de mars ou du premier trimestre de l'année d'exigibilité. Elle est acquittée lors du dépôt de cette déclaration. / Les redevables qui, du fait d'affectations de quotas postérieures au 1er janvier 2012, excèdent le seuil mentionné au I du présent article, déclarent et liquident la taxe sur la déclaration mentionnée au premier alinéa du présent IV, déposée au titre du troisième mois qui suit la date d'affectation des quotas. / V.-La taxe est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. (...) ".
5. En application du PNAQ II, l'Etat a attribué gratuitement aux exploitants concernés par la directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003 des quotas d'émission de gaz à effet de serre pour une quantité totale de 129,69 Mt CO2 et a affecté à une réserve destinée aux nouveaux entrants des quotas d'émission pour une quantité totale de 2,74 Mt CO2. Cette quantité de quotas mise en réserve s'étant avérée insuffisante au regard des émissions réalisées par les nouveaux entrants, l'Etat a décidé de se porter acquéreur de quotas afin d'augmenter la réserve destinée à ces derniers et cette acquisition a été financée par la taxe créée par l'article 18 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.
6. Le ministre soutient que, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal administratif de Montreuil la taxe sur le chiffre d'affaires en litige ne méconnait pas le principe de gratuité dans l'allocation des quotas d'émission de gaz à effet de serre prévu par le PNAQ II pour la période 2008-2012 dès lors que cette taxe, due par les entreprises ayant reçu à titre gratuit au titre de la période allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012 au moins 60 000 quotas d'émission de gaz à effet de serre, n'est pas assise directement sur la valeur des quotas délivrés gratuitement, qu'elle n'est pas proportionnelle à la quantité de quotas alloués et que l'assiette de l'impôt n'est pas influencée par le nombre de ces quotas. Le ministre précise par ailleurs que cette taxe, destinée à attribuer des quotas aux nouveaux entrants, avait pour objet de ne pas alourdir le déficit budgétaire tout en respectant le droit communautaire. Toutefois, il n'est pas contesté que les entreprises entrant dans le champ d'application de la taxe en litige sont celles qui se sont vu allouer par le PNAQ II au moins 60 000 quotas d'émission de gaz à effet de serre. Il ressort aussi des débats parlementaires de la loi du 28 décembre 2011 que le dispositif mis en place a eu pour objet de financer l'attribution de quotas gratuits aux nouveaux entrants, pour lesquels la dotation initiale n'avait pas été prévue de manière suffisante par le gouvernement, en assujettissant les entreprises déjà bénéficiaires de quotas et ainsi à faire financer les quotas prévus pour les nouveaux entrants par les attributaires de quotas initiaux. Par ailleurs, s'il est exact que l'assiette de cette taxe n'est pas directement liée au nombre de quotas alloués à titre gratuit aux redevables de cette taxe dans le cadre du PNAQ II, le système de plafonnement mis en place par l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, par l'importance des corrections effectuées, constitue en fait le critère principal du calcul de cette taxe et établit ainsi un lien indirect entre le nombre de quotas alloués et le montant de la taxe due. Ce lien indirect provient du mécanisme de plafonnement de la taxe en fonction du prix des quotas, mécanisme qui introduit une corrélation entre le montant dû par le contribuable et le nombre de quotas qu'il s'est vu allouer. Il résulte ainsi de l'instruction que, pour un même chiffre d'affaires, les contribuables ont des charges fiscales dépendant directement du nombre de quotas attribués. Dans ces conditions, la taxe sur le chiffre d'affaires litigieuse doit être regardée comme un prélèvement effectué a posteriori au titre de l'allocation des quotas, en méconnaissance du caractère gratuit de cette allocation, prévu par le point 7.2 du PNAQ II.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a décidé de faire droit à la demande de la société Electricité de France de restitution de la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant une installation soumise à quotas d'émission de gaz à effet de serre à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012, pour un montant total de 21 813 865 euros.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Electricité de France en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la société Electricité de France en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 18VE04069