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30/08/2018 | FRANCE | N°15VE01640

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 30 août 2018, 15VE01640


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SOCIETE OCOTEA HOLDINGS LIMITED, venant aux droits de la société Socoagri, elle-même venant aux droits de la société Socogefim, a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge ou, à défaut, la réduction de la retenue à la source assignée à la société Socogefim au titre de l'année 2006 ainsi que des pénalités correspondantes.

Par ordonnance en date du 15 septembre 2009, le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a transmis cette demande au Tri

bunal administratif de Montreuil.

Par un jugement n° 0904736 du 28 avril 2011, le Trib...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SOCIETE OCOTEA HOLDINGS LIMITED, venant aux droits de la société Socoagri, elle-même venant aux droits de la société Socogefim, a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge ou, à défaut, la réduction de la retenue à la source assignée à la société Socogefim au titre de l'année 2006 ainsi que des pénalités correspondantes.

Par ordonnance en date du 15 septembre 2009, le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a transmis cette demande au Tribunal administratif de Montreuil.

Par un jugement n° 0904736 du 28 avril 2011, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure initiale devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 juillet 2011 et 18 septembre 2012, la SOCIETE OCOTEA HOLDINGS LIMITED, représentée par Me Cormery, avocat, a demandé à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de prononcer la décharge sollicitée ;

3° de mettre à la charge de l'État, outre les dépens, la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SOCIETE OCOTEA HOLDINGS LIMITED soutenait que :

- les conditions fixées au 1 de l'article 119 ter du code général des impôts sont remplies pour bénéficier de l'exonération de retenue à la source ;

- l'administration n'apporte la preuve, ni de l'existence d'un montage artificiel constituant une fraude à la loi, ni de circonstances justifiant l'application des dispositions du 3 de l'article 119 ter du code général des impôts ;

- au demeurant, la clause anti-abus prévue par ces dispositions constitue une entrave non justifiée aux principes de liberté d'établissement et de circulation des capitaux posés par les articles 43 et 48 du traité instituant la Communauté européenne ;

- la distribution litigieuse, laquelle est une distribution exceptionnelle de réserves, ne peut, selon la jurisprudence et la documentation administrative de base référencée 4-J-2-01 du

28 décembre 2001 et 14 B-3-04 du 24 février 2004, être qualifiée de dividende au sens des articles 119 ter du code général des impôts et 8 de la convention franco-luxembourgeoise, dès lors qu'elle ne résulte ni d'une décision de l'assemblée générale des actionnaires réunie annuellement pour statuer sur les comptes ni d'une décision du gérant agissant au titre d'un acompte sur dividendes ; par suite, elle entre dans le champ d'application de l'article 18 de la convention franco-luxembourgeoise qui retire à la France le droit d'imposer sous quelque forme que ce soit une telle distribution ;

- subsidiairement, dans l'hypothèse où il serait considéré que la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du code général des impôts trouverait à s'appliquer, son taux devra être limité à 5% du montant des dividendes bruts, en application de l'article 8 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise et ce, alors même que les obligations déclaratives n'auraient pas été satisfaites.

Par un mémoire en date du 6 mars 2012, le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat a conclu au rejet de la requête.

Il faisait valoir que :

- la société Socogefim ne justifie pas qu'elle remplirait l'ensemble des conditions requises par le 2 de l'article 119 ter du code général des impôts pour bénéficier d'une exonération de retenue à la source sur le paiement des dividendes, faute notamment d'avoir produit l'engagement requis par l'article 46 quater 0 FB de l'annexe III au code général des impôts ;

- il n'a pas été justifié, contrairement aux prescriptions du 3 de l'article 119 ter du code général des impôts, et alors que le service a relevé des éléments concordants démontrant l'existence d'un montage artificiel, que l'interposition de la société luxembourgeoise dans la chaîne de participations contrôlée par des résidents d'un État non membre de la Communauté européenne, n'avait pas comme objet principal ou comme un de ses objectifs principaux de tirer avantage des dispositions du 1 de l'article 119 ter ;

- les dispositions du 3 de l'article 119 ter du code général des impôts instituent une clause anti-abus compatible avec le droit communautaire lorsqu'elle est appliquée, comme en l'espèce, aux montages artificiels définis par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- à défaut de production de l'attestation prévue par les stipulations de l'article 10 bis de la convention fiscale franco-luxembourgeoise, la requérante ne peut se prévaloir de l'article 8 de cette même convention prévoyant la limitation du taux de retenue à la source.

Par un arrêt n° 11VE02468 du 18 avril 2013, la Cour a rejeté cette requête.

Procédure devant le Conseil d'État :

Par une décision n° 370968 du 12 mai 2015, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour, où elle a été réenregistrée sous le

n° 15VE01640.

Procédure après renvoi :

Par lettre en date du 10 juin 2015, les parties ont été invitées à produire d'éventuelles observations complémentaires.

Par un mémoire, enregistré le 10 septembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens.

Par un mémoire, enregistré le 29 septembre 2015 la SOCIETE OCOTEA HOLDINGS LIMITED, représentée par Me Galifer, avocat, conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens, tout en portant à 10 000 euros ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité instituant la Communauté européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Huon,

- les conclusions de M. Skzryerbak, rapporteur public,

- et les observations de Me Galifer, avocat de la SOCIETE OCOTEA HOLDINGS LIMITED.

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue d'une vérification de comptabilité de la société Socogefim, holding d'un groupe de sociétés intervenant dans le domaine de l'accueil des personnes âgées, et aux termes d'une proposition de rectification du 21 décembre 2007, le service a relevé que la société avait, en 2006, versé des dividendes s'élevant à 3 019 480 euros à sa société mère luxembourgeoise,

la SARL Socoagri, elle-même majoritairement détenue par M. et MmeA..., résidents uruguayens. En application des dispositions du 2. de l'article 119 bis du code général des impôts, ces dividendes ont, à hauteur de la participation des époux A...dans la SARL Socoagri,

été soumis à une retenue à la source, au taux de 25 % prévu à l'article 187 du même code. Par un arrêt n° 11VE02468 du 18 avril 2013, la Cour a rejeté l'appel formé par la SOCIETE OCOTEA HOLDINGS LIMITED - venant aux droits de la société Socoagri, elle-même venant aux droits de la société Socogefim qui a fait l'objet d'une dissolution amiable- contre le jugement du

28 avril 2011 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge ou, à défaut, à la réduction de cette retenue à la source et des pénalités correspondantes. Par une décision n° 370968 du 12 mai 2015, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour, où elle a été réenregistrée sous le n° 15VE01640.

2. Aux termes de l'article 119 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ". Aux termes de l'article 119 ter du même code : " 1. La retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis n'est pas applicable aux dividendes distribués à une personne morale qui remplit les conditions énumérées au 2 du présent article par une société ou un organisme soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal / 2 Pour bénéficier de l'exonération prévue au 1, la personne morale doit justifier auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ces revenus qu'elle est le bénéficiaire effectif des dividendes et qu'elle remplit les conditions suivantes : / a) Avoir son siège de direction effective dans un Etat membre de la Communauté européenne et n'être pas considérée, aux termes d'une convention en matière de double imposition conclue avec un Etat tiers, comme ayant sa résidence fiscale hors de la Communauté ; / b) Revêtir l'une des formes énumérées sur une liste établie par arrêté du ministre chargé de l'économie conformément à l'annexe à la directive du Conseil des communautés européennes n° 90-435 du 23 juillet 1990 modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003 ; / c) Détenir directement, de façon ininterrompue depuis deux ans ou plus, 25 p. 100 au moins du capital de la personne morale qui distribue les dividendes, ou prendre l'engagement de conserver cette participation de façon ininterrompue pendant un délai de deux ans au moins et désigner, comme en matière de taxes sur le chiffre d'affaires, un représentant qui est responsable du paiement de la retenue à la source visée au 1 en cas de non-respect de cet engagement ; / Le taux de participation prévu à l'alinéa précédent est ramené à 20 % pour les dividendes distribués entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2006 (...) / d) Etre passible, dans l'Etat membre où elle a son siège de direction effective, de l'impôt sur les sociétés de cet Etat, sans possibilité d'option et sans en être exonérée (...) / 3 Les dispositions du 1 ne s'appliquent pas lorsque les dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'Etats qui ne sont pas membres de la Communauté, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n'a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage des dispositions du 1. ". Enfin, aux termes de l'article 46 quater-0 FB de l'annexe III au code général des impôts : " L'engagement prévu au c du 2 de l'article 119 ter, au deuxième alinéa du 1 de l'article 119 quater et au 2 de l'article 182 B bis du code général des impôts doit faire l'objet d'une déclaration qui est adressée à la fois à l'établissement payeur en France des dividendes ou au débiteur ou à la personne qui assure le paiement des intérêts ou des redevances et à la direction des impôts des non-résidents (service des impôts des entreprises étrangères)...".

3. En premier lieu, dans l'arrêt du 7 septembre 2017 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'État, statuant au contentieux l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, d'une part, que dans la mesure où l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, qui reconnaît uniquement aux États membres le pouvoir d'appliquer des dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d'éviter les fraudes et les abus, n'opère pas une harmonisation exhaustive, la législation nationale adoptée afin de mettre en oeuvre ces dispositions peut également être appréciée au regard des dispositions du droit primaire et, d'autre part, que l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435/CEE et l'article 49 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation fiscale nationale qui subordonne l'octroi de l'avantage fiscal prévu à l'article 5, paragraphe 1, de cette directive - à savoir l'exonération de retenue à la source des bénéfices distribués par une filiale résidente à une société mère

non-résidente, lorsque cette société mère est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'États tiers - à la condition que celle-ci établisse que la chaîne de participation n'a pas comme objet principal ou comme l'un de ses objets principaux de tirer avantage de cette exonération. Il en résulte que l'administration ne pouvait se fonder sur les dispositions du 3 de l'article 119 ter du code général des impôts pour procéder à la rectification en litige.

4. En deuxième lieu, le ministre souligne que la requérante " ne justifie pas que la société Socoagri, bénéficiaire des distributions, remplissait les conditions d'exonération prévues par le paragraphe 2 de l'article 119 ter ". Toutefois, il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que la société Socoagri, qui revêt une des formes énumérées par ce texte, est l'actionnaire unique de la société distributrice dont elle détenait les titres depuis plus de deux ans et avait son siège de direction effective au Luxembourg, où, ainsi qu'il ressort de l'attestation émanant des autorités fiscales de ce pays, elle était passible de l'impôt sur le revenu des collectivités équivalent de l'impôt sur les sociétés, sans possibilité d'option et sans en être exonérée. La société justifie ainsi remplir l'ensemble des conditions de fond lui permettant de bénéficier du régime de faveur de l'article 119 ter, sans que l'administration ne puisse utilement lui opposer l'absence de production de la déclaration prévue par l'article 46 quater-0 FB de l'annexe III à ce code, laquelle, de surcroît, ne concerne que l'engagement de détention des titres pendant deux ans prévu au c du 2 de l'article 119 ter. Par suite, en soumettant à la retenue à la source une fraction des dividendes versés à sa société mère par la société Socogefim, l'administration a fait une inexacte application des dispositions de cet article.

5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que la SOCIETE OCOTEA HOLDINGS LIMITED est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 0904736 du 28 avril 2011 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : La SOCIETE OCOTEA HOLDINGS LIMITED est déchargée des cotisations de retenue à la source assignées à la société Socogefim au titre de l'année 2006 ainsi que des pénalités correspondantes.

Article 3 : L'État versera à la SOCIETE OCOTEA HOLDINGS LIMITED une somme de

2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la SOCIETE OCOTEA HOLDINGS LIMITED sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

2

N° 15VE01640


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 15VE01640
Date de la décision : 30/08/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02-06-01 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur le revenu. Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers. Retenues à la source.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: M. Christophe HUON
Rapporteur public ?: M. SKZRYERBAK
Avocat(s) : CABINET FAIRWAY

Origine de la décision
Date de l'import : 11/09/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2018-08-30;15ve01640 ?
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