Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E...D...a demandé au Tribunal administratif de Versailles, d'une part, de condamner la commune d'Igny à lui verser une indemnité de 10 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il a subi du fait des agissements de harcèlement moral dont il a été victime, d'autre part, d'enjoindre à la commune d'Igny de procéder, sur ses bulletins de paie, à la modification du nom du service dans lequel il est affecté depuis le mois de juin 2014 ;
Par un jugement n° 1304008, 1502627 du 24 novembre 2015, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le
28 janvier 2016 et le 13 novembre 2017, M.D..., représenté par Me Pitti-Ferrandi, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de condamner la commune d'Igny à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
3° d'enjoindre à la commune de procéder à la rectification du service sur ses bulletins de paie ;
4° de mettre à la charge de la commune d'Igny une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. D...soutient que :
- il est en butte au harcèlement moral de la commune depuis le 10 août 2010, date de son accident de service, et depuis la création de la direction de l'aménagement urbain et des services techniques ;
- à l'automne 2011, on a réduit ses tâches et on lui a retiré de facto l'encadrement des agents d'entretien ;
- la suppression apparente du poste de responsable de la division nettoyage n'a eu d'autre objet que de l'inciter à demander sa mutation, comme il ressort des organigrammes ultérieurs et d'une attestation d'un agent d'entretien ;
- il a été orienté vers des postes sans rapport avec son grade, en méconnaissance des articles 1er et 2 du décret du 6 mai 1988 portant statut particulier du cadre d'emplois des agents de maîtrise territoriaux, comme l'a jugé le Tribunal administratif de Versailles le
24 novembre 2015 ;
- son évaluation pour l'année 2011 ne reflète pas sa manière de servir et est intervenue dans des conditions irrégulières ;
- sa hiérarchie a révélé sa malveillance dans la manière dont elle lui a refusé des congés ou lui a imposé de les prendre à certaines dates ;
- elle a procédé irrégulièrement à la retenue sur traitement pour la période du 6 au
9 janvier 2012, mesure annulée par jugement du Tribunal administratif de Versailles en date du 24 novembre 2015 ;
- les autorités communales n'ont apporté aucune réponse concrète à ses difficultés ;
- ce harcèlement moral a entraîné une dégradation de sa santé psychique et une tentative de suicide ;
- la commune d'Igny a tardé à modifier ses bulletins de paie et continué à le faire apparaître comme rattaché au service de la crèche collective.
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Vu les autres pièces du dossier, notamment celles produites par M. D...le
29 décembre 2017.
Vu :
- loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n°88-547 du 6 mai 1988 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Soyez,
- les conclusions de M. Toutain, rapporteur public,
- les observations de Me Pitti-Ferrandi, avocat, pour M.D..., et de
Me Sautereau, avocat, substituant à MeH..., pour la commune d'Igny.
Une note en délibéré présentée par la commune d'Igny a été enregistrée le
8 janvier 2018.
1. Considérant que M.D..., agent de maîtrise, recruté par la commune d'Igny depuis le 16 juillet 2007, relève appel du jugement n° 1304008, 1502627 du 24 novembre 2015 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté, d'une part, son recours tendant à la condamnation de la commune à lui verser une indemnité de 10 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi en raison de harcèlement moral exercé à son encontre depuis 2010, d'autre part, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de modifier l'intitulé, sur ses fiches de salaire, du service où il est affecté;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la responsabilité :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) " ;
3. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ; que, d'autre part, pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ;
4. Considérant, d'autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;
5. Considérant que M.D..., responsable du service nettoyage de la commune d'Igny depuis 2007, soutient que, depuis la nomination de M. F...en qualité de directeur de l'aménagement urbain et des services techniques, en février 2010, ses relations de travail se sont dégradées avec sa hiérarchie ; qu'il a été laissé sans activité et privé de ses tâches d'encadrement des agents d'entretien ; que, toutefois, il résulte de l'instruction, qu'il a reçu des commandes précises par notes de service du 8 août, du 18 août et du 9 septembre 2011, en vue de préparer le budget 2012 du service, les inventaires, les tableaux de présence et des congés des personnels ; qu'en revanche, ces notes de service lui enjoignent expressément de se consacrer à temps plein à la réalisation des commandes qu'elles lui assignent ; que, par ailleurs, l'évaluation du 1er février 2012 pour l'année 2011 mentionne que le requérant n'a plus assumé de responsabilités d'encadrement ; qu'ainsi, ces documents corroborent le retrait des fonctions d'encadrement dont fait état M. D...;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, à savoir l'organigramme des services municipaux, tant du mois de janvier 2012 que de celui de juin 2014, et de l'attestation en date du 16 novembre 2017, émanant de Mme B...G..., agent d'entretien en retraite, que le poste de responsable du service nettoyage n'a pas été supprimé après la mutation de M.D..., malgré la disparition, annoncée au comité technique paritaire le 27 janvier 2012, de ce service avec le rattachement de ses agents à d'autres chefs de service et décidée par le conseil municipal le 15 février 2012 ; qu'ainsi, l'annonce de cette restructuration et de la suppression du poste du requérant, l'une et l'autre motivées officiellement par la recherche d'une organisation plus efficace de l'entretien, n'a eu d'autre objet que de favoriser l'éviction de M. D...; que s'il est constant que celui-ci a sollicité, dès le 16 juin 2011, sa mutation sur un autre service, il établit avoir été incité à quitter son poste de responsable nettoyage par l'annonce d'une restructuration qui n'a finalement pas eu lieu, et par la réduction de ses attributions ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, jusqu'à la fin de l'année 2012,
M. D...a été affecté aux fonctions d'agent polyvalent de maintenance des bâtiments, puis d'agent polyvalent au sein de la structure multi-accueil Françoise Dolto, avant d'être nommé au poste de responsable de voierie le 30 juin 2014 ; qu'il n'est pas contesté que, dans le poste d'agent polyvalent de maintenance des bâtiments, le requérant n'exerçait aucune tâche d'encadrement, était placé sous l'autorité d'un adjoint technique, et était occasionnellement chargé des fonctions de chauffeur pour l'épicerie sociale et de coursier ; qu'il s'ensuit que, malgré le fléchage de ce poste sur la fiche correspondante en poste relevant du cadre d'emploi d'agent de maîtrise territorial, M. D...a reçu une affectation sans rapport avec sa qualité d'agent de maîtrise qui portait atteinte aux prérogatives qu'il tenait du décret du
6 mai 1988 portant statut particulier du cadre d'emplois des agents de maîtrise territoriaux ; que, de même, le poste d'agent polyvalent au sein de la structure multi-accueil Françoise Dolto qui comportait notamment des tâches ressortissant à la cuisine et à la lingerie, a été jugé par le Tribunal administratif de Versailles, le 24 novembre 2015, sans rapport avec le grade de
M. D...; que cette dernière affectation confirme, alors même qu'elle faisait suite au refus systématique de M. D...de rejoindre son poste d'agent polyvalent de maintenance des bâtiments, l'attribution à l'agent de fonctions dévalorisantes, eu égard à son grade, au sein de l'administration communale ;
8. Considérant que, dans l'exercice normal de son pouvoir hiérarchique, un supérieur est fondé à refuser, pour des motifs tenant à l'intérêt et à la continuité du service, les congés sollicités par un agent public ; qu'en l'espèce, si M. F...a refusé de vive voix, puis, par écrit à M.D..., ses congés posés pour les 24 au 28 novembre 2011, en raison, semble-t-il, de l'inachèvement des tâches prescrites par les notes de service mentionnées au point 5, il est constant que l'agent avait présenté sa demande le 13 octobre 2011 et que M. F...n'a fait connaître son refus que le 23 novembre 2011, quarante minutes avant la fin du service de
M. D...; que, compte tenu des relations entre les deux agents et des dates respectives de demande de congé et du refus d'autorisation, M. D...est fondé à soutenir que son supérieur a usé de son pouvoir hiérarchique de manière vexatoire et malveillante ; que, par ailleurs, lorsque le requérant s'est entretenu avec M.F..., le 30 juin 2014, lors de son affectation au poste de responsable voirie, il allègue sans être contredit que ce directeur lui a enjoint de prendre ses congés au mois d'août, au motif que la structure multi-accueil
Françoise Dolto fermait alors ; que cette injonction, alors que M. D...n'était plus affecté à cette structure depuis le 30 juin 2014, témoigne d'un manque d'égards certain pour lui alors qu'il a été placé en arrêt de maladie à de nombreuses reprises pour syndrome anxio-dépressif, et notamment jusqu'au 18 juin 2014 ;
9. Considérant que, par lettre du 28 janvier 2012, M. D...a sollicité un entretien d'évaluation au titre de l'année 2011 ; que, par lettre du 10 février 2012, le maire d'Igny lui a répondu que cet entretien avait eu lieu le 23 novembre 2011, entretien auquel le requérant avait été convoqué le jour même sans en connaître la raison et au cours duquel sa hiérarchie l'avait engagé à prendre un poste d'agent du patrimoine bâti ; que, dans la même lettre, le maire déclarait son intention de reprendre personnellement l'évaluation, en tenant compte des remarques formulées par la hiérarchie directe de l'agent et par ce dernier ; qu'il est résulté de cette évaluation une appréciation défavorable de la manière de servir de l'agent, qui n'aurait pas su s'intégrer au nouvel environnement professionnel, et une baisse d'un point de sa note, passée de 16 à 15 ; qu'après avis défavorable, le 21 septembre 2015, de la commission administrative paritaire, cette évaluation a été annulée par le Tribunal administratif de Versailles le
24 novembre 2015 ; qu'ainsi, et alors même qu'elle a été révisée à la suite de cette annulation, cette évaluation révèle l'hostilité de sa hiérarchie à l'égard de M. D...;
10. Considérant que s'il résulte de l'instruction que M. D...a parfois manqué de souplesse et a posé de réels problèmes à la commune, notamment en n'occupant pratiquement pas le poste d'agent polyvalent de maintenance des bâtiments, cette attitude contestable ne retire pas aux agissements de sa hiérarchie leur caractère vexatoire, malveillant et parfois humiliant en 2011 et 2012 ; que, dans ces conditions, les faits rapportés par M. D...font présumer une situation de harcèlement au sens de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 ;
11. Considérant que si la commune d'Igny fait valoir qu'elle a créé un poste, lors de la suppression du poste de responsable nettoyage, qu'elle n'a eu de cesse d'affecter M.D..., malgré ses refus et ses nombreux arrêts de maladie, sur trois postes successivement, et qu'elle a répondu aux messages dans lesquels il exprimait sa souffrance au travail, l'intimée ne dément pas la succession, entre 2011 et 2014, d'agissements défavorables à l'égard de l'agent, parfois humiliants et la dégradation de ses conditions de travail ;
En ce qui concerne le préjudice :
12. Considérant que M. D...soutient que ce harcèlement moral est la cause d'un syndrome anxio-dépressif qui a entraîné de nombreux arrêts de travail et une crise grave sur son lieu de travail en août 2014; qu'à cet effet, il produit notamment le certificat du 19 février 2013 du Docteur Couroure, son médecin traitant, le certificat du 20 mai 2013 du docteur Macrez, psychologue clinicien, le rapport d'expertise du 30 mai 2013 de M.A..., psychiatre, celui du
25 février 2015 de M.C..., psychiatre ; que si certains des praticiens relèvent les tendances obsessionnelles et dépressives de M.D..., sa vulnérabilité psychique dans les relations interpersonnelles, traits corroborés par de précédents troubles dépressifs dans une autre collectivité territoriale, le lien entre les souffrances éprouvées depuis 2010 au service de la commune d'Igny et la pathologie qu'il a développée, n'est réellement contesté que par le docteur Ruimi dans son rapport du 27 mai 2013 ; que, partant, la souffrance psychique éprouvée par
M. D...depuis 2011 ne peut être réduite seulement à une perception négative de ses difficultés professionnelles ; qu'il résulte de ce qui été dit aux points 5 à 9 que les agissements réitérés de la commune ont contribué à exacerber les tendances mentionnées ci-dessus ; que, dans ces conditions, M. D...établit le préjudice qu'il invoque et son lien avec le harcèlement moral dont il a fait l'objet ;
13. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice infligé à
M.D..., en condamnant la commune d'Igny à lui verser une somme de 10 000 euros ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Considérant qu'en se bornant à soutenir en appel que les conclusions de sa demande en vue de se voir reconnaître sa qualité de chef de la voirie tendaient au prononcé d'une injonction d'exécuter la chose jugée par le tribunal, M. D...n'établit pas la recevabilité de ses conclusions tendant à ce que la commune d'Igny modifie le libellé de son poste sur ses bulletins de paie ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de régularité du jugement afférents à ses conclusions indemnitaires, que
M. D...est seulement fondé, d'une part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a refusé de reconnaître le harcèlement moral exercé contre lui et de condamner la commune d'Igny à lui verser une indemnité d'un montant de 10 000 euros en réparation du préjudice subi de ce fait, d'autre part, à obtenir le versement de cette indemnité ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Igny le versement à M. D...d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D...la somme que la commune d'Igny demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La commune d'Igny versera à M. D...une indemnité de 10 000 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1304008, 1502627 rendu le 24 novembre 2015 par le Tribunal administratif de Versailles est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune d'Igny versera à M. D...une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D...et les conclusions de la commune d'Igny sont rejetés.
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N°16VE00313