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21/07/2015 | FRANCE | N°12VE03966

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 21 juillet 2015, 12VE03966


Vu la requête, enregistrée le 29 novembre 2012, présentée pour la SAS SN APAGEO, dont le siège est ZA de Gomberville rue Salvador Allende à Magny-les Hameaux (78114), par Me Dubault, avocat ;

La SAS SN APAGEO demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n°s 1004605, 1004720 du 2 octobre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2001 et 2002 ;

2° de

prononcer la décharge de ces impositions ;

3° de mettre à la charge de l'Etat une somm...

Vu la requête, enregistrée le 29 novembre 2012, présentée pour la SAS SN APAGEO, dont le siège est ZA de Gomberville rue Salvador Allende à Magny-les Hameaux (78114), par Me Dubault, avocat ;

La SAS SN APAGEO demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n°s 1004605, 1004720 du 2 octobre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2001 et 2002 ;

2° de prononcer la décharge de ces impositions ;

3° de mettre à la charge de l'Etat une somme de 400 000 euros au titre des préjudices subis ;

4° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

S'agissant de la décharge de la somme correspondant au titre de perception :

- elle a été exonérée de l'impôt sur les sociétés au titre des années 2001 et 2002 en application de l'article 44 septies du code général des impôts issu de l'article 14 A de la loi n° 88-1149 du 23 décembre 1988 portant loi de finances pour 1989 et elle s'est vu notifier un titre de perception en date du 27 novembre 2009 pour un montant de 672 559 euros, au titre d'une créance étrangère à l'impôt et aux domaines, relevant de l'article 80 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ; elle a contesté ce titre de perception par réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement en date du 13 janvier 2010, qu'elle considère comme ayant été rejetée par la lettre en date du 31 mai 2010 par laquelle le directeur départemental du Trésor public l'a menacée d'une procédure de recouvrement forcé ;

- le titre de perception attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il ne mentionne pas l'arrêt du 13 novembre 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes ;

- cet arrêt ne peut fonder la demande de remboursement, dès lors qu'il se borne à constater un manquement de l'Etat ; l'administration française fait une mauvaise application de la décision du 16 décembre 2003 de la Commission européenne, dans la mesure où l'aide dont il est demandé le remboursement correspond aux montants exonérés d'impôt sur les sociétés et ne peut se rattacher, en conséquence, à une créance étrangère à l'impôt ; cette décision n'a pas d'effet direct au regard de la situation des bénéficiaires des aides octroyées et, en vertu du principe de l'autonomie procédurale des Etats membres, en l'absence de toute réglementation communautaire de récupération des aides illégales et de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, cette récupération est régie par le droit procédural interne des Etats membres, qui dépend de la nature et de l'origine fiscale de l'aide litigieuse ;

- en se bornant à envoyer un titre de perception, l'administration a méconnu les dispositions de l'article 44 septies du code général des impôts dans sa version en vigueur au titre des années d'imposition litigieuses, qui n'ont pas été retirées rétroactivement ; la liquidation de la créance n'entre pas dans le champ des prévisions des sections 2 et 3 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962, lesquelles visent les créances domaniales et les amendes et autres condamnations pécuniaires ;

- elle a méconnu les garanties légales de la procédure de reprise relative à l'assiette de l'impôt, et, en conséquence le titre II du livre des procédures fiscales et notamment ses articles L. 57, L. 80-A et L. 169 ainsi que l'instruction 4 H-2-89 du 12 avril 1988 et la documentation administrative 4H-1394 § 1 à 81 ;

- l'administration ne peut se prévaloir de l'article 15 du règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 prévoyant une prescription de dix ans en ce qui concerne la récupération des aides illégales, qui n'a pas d'effet à l'égard des bénéficiaires des aides alors qu'en outre il n'existe pas de procédure communautaire de récupération ;

- la loi fiscale interne dont a bénéficié la requérante a été remise en cause par la décision de la Commission européenne n° 2004/343/CE du 16 décembre 2003 du fait de la légèreté coupable de l'Etat de nature à porter atteinte au principe général de sécurité juridique et de confiance légitime ;

- le principe général de l'intelligibilité du texte de droit a été violé ; ce principe a son fondement dans les articles 2 et 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et dans l'article 6 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne de 2000 ; c'est aussi un des fondements premiers de l'ordre démocratique selon la Cour européenne des droits de l'homme et un objectif à valeur constitutionnelle ;

- le titre de perception est intervenu en violation manifeste du principe général de motivation de tout acte administratif, il porte atteinte aux droits de la défense, il ne comporte pas de précisions suffisantes au regard du calcul de l'impôt et de son annualisation ;

- le titre de perception est contraire aux articles 14, 15 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et au respect du droit de propriété à valeur constitutionnelle, également protégé par l'article 1 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

S'agissant de la demande de condamnation de l'Etat à lui verser 700 000 euros au titre du préjudice subi :

- elle est recevable à présenter une demande d'indemnisation pour la faute commise par l'Etat ; l'exonération a été déclarée incompatible avec le droit communautaire par décision du 16 décembre 2003 de la Commission européenne et cette déclaration lui cause un préjudice qui découle directement des manquements de l'administration, qui a présenté et fait adopter une loi méconnaissant les engagements internationaux de la France ; son action est recevable tant au regard du droit communautaire, eu égard au point 56 de l'arrêt du 5 octobre 2006, affaire 368/04 de la Cour de Justice des Communautés Européennes, qui énonce qu'une juridiction nationale peut avoir à statuer sur une demande d'indemnisation du dommage causé en raison du caractère illégal de la mesure d'aide, qu'au regard du droit interne et notamment de l'arrêt d'Assemblée du 8 février 2007 du Conseil d'Etat n° 279522 qui prévoit que la responsabilité de l'Etat du fait des lois peut être engagée si la loi n'a pas entendu exclure toute indemnisation et si le préjudice dont il est demandé réparation revêt un caractère grave et spécial et d'autre part pour assurer le respect des conventions internationales et réparer les préjudices résultant de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ;

- l'administration a commis plusieurs manquements, en omettant d'abord de notifier préalablement à la Commission européenne la mise en oeuvre du régime de l'article 44 septies du code général des impôts, en méconnaissance de l'article 88 §3 du Traité instituant la Communauté économique européenne ;

- ce défaut de notification rend en lui-même illégale la mesure fiscale adoptée et fait obstacle à ce qu'elle soit amendée ; la déclaration d'illégalité et d'incompatibilité aurait pu être évitée si la République française n'avait pas délibérément méconnu les obligations mises à sa charge par ses engagements internationaux ;

- l'administration a également méconnu ses obligations d'information vis-à-vis des contribuables, en s'abstenant de les avertir des conséquences financières rétroactives de la décision du 16 décembre 2003 et en n'évoquant aucun risque de demande de remboursement dans l'instruction administrative du 4 mars 2004 4H-2-04 prise après l'adoption de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, modifiant pour l'avenir le dispositif de l'article 44 septies, conformément aux recommandations de la Commission européenne, et pouvant être légitimement interprétée par les contribuables comme signifiant que l'injonction faite à la France de récupérer sans délai auprès des bénéficiaires les aides illégalement octroyées n'avait pas d'effet contraignant ; dans ces conditions, elle n'avait aucune raison de constituer les provisions nécessaires pour faire face à des impositions supplémentaires, qui étaient d'autant plus imprévues qu'elles se rapportaient à des exercices prescrits ;

- elle a ainsi subi un préjudice égal au montant de l'impôt qui lui est réclamé, soit en l'espèce 510 252 euros, ainsi qu'un préjudice moral résultant de l'absence d'exécution de la décision de la Commission européenne, cette inertie entraînant le paiement d'intérêts financiers supplémentaires, de 162 307 euros ramenés à 95 055 euros ;

- il existe un lien de causalité entre la faute et le préjudice ; le montant des préjudices chiffrés ci-dessus est la conséquence directe de la faute de l'Etat qui a négligé de communiquer à la Commission européenne, préalablement à sa mise en oeuvre, le dispositif institué par l'article 44 septies du code général des impôts ; sans cette faute la société aurait été exonérée de l'obligation de payer l'impôt sur les sociétés ; ainsi le raisonnement tenu par le Tribunal administratif de Versailles est critiquable car la société a eu une confiance légitime dans les autorités étatiques et on ne peut lui opposer qu'elle aurait dû s'assurer que le dispositif avait bien fait l'objet d'une notification à la Commission ;

- la faute n'a pas été commise par la société ; le Conseil Constitutionnel avait validé le dispositif ; le jugement ne peut se fonder sur le principe d'irresponsabilité des agents de l'Etat pour les actes qu'ils ont commis et celui de la responsabilité des contribuables pour les actes qu'ils n'ont pas commis ; le principe de confiance légitime trouve à s'appliquer pour un projet de loi déposé régulièrement devant le parlement et déclaré conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel commenté par l'administration fiscale dans son instruction fiscale sans allusion au risque éventuel, ce qui exclut toute diminution ou réduction de la responsabilité de l'Etat ; ainsi la société subit un double préjudice matériel et moral ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu le Traité instituant la Communauté économique européenne, devenu le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu le règlement n° 659/1999 du 22 mars 1999 du Conseil de l'Union Européenne ;

Vu la décision 2004/343/CE du 16 décembre 2003 de la Commission européenne ;

Vu l'arrêt aff. 214/07 du 13 novembre 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes ;

Vu l'ordonnance du 4 décembre 2014 de la neuvième chambre de la Cour de Justice de l'Union européenne rejetant la demande de décision préjudicielle introduite par la Cour administrative d'appel de Nantes et jugeant que le régime d'exonération fiscale de l'article 44 septies du code général des impôts dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'article 41 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 ne saurait être considéré comme un régime d'aide existant au sens de l'article 1er sous b) 1 du règlement n° 659/1999 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique modifié par le décret n° 92-1369 du 29 décembre 1992 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 juillet 2015 :

- le rapport de Mme Belle, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Rudeaux, rapporteur public,

- et les observations de Me Nerrant, avocat, pour la SAS SN APAGEO ;

1. Considérant que la SAS SN APAGEO a bénéficié du régime d'exonération de l'impôt sur les sociétés pour la reprise des entreprises en difficulté, prévu par les dispositions de l'article 44 septies du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 14 A de la loi du 23 décembre 1988 alors applicable et a, en conséquence, été exonérée de l'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2001 et 2002 ; que, par une décision du 16 décembre 2003 2004/343/CE, la Commission européenne a déclaré ce régime d'aide incompatible avec l'article 87 du Traité instituant la Communauté économique européenne et illégal pour n'avoir pas respecté l'obligation de notification préalable prévue par l'article 88 § 3 de ce Traité et demandé en conséquence à la France de mettre fin à ce régime et, selon l'article 5 de cette décision, de prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer les aides octroyées auprès de leurs bénéficiaires ; que si la France a satisfait à la première de ces obligations par la loi de finances du 30 décembre 2004, qui a modifié l'article 44 septies, elle n'a pas procédé à la récupération des aides, de sorte que la Commission a engagé un recours en manquement au terme duquel la Cour de Justice des Communautés Européennes a jugé, le 13 novembre 2008, que la France avait manqué aux obligations prévues à l'article 5 de la décision de la Commission ; qu'en conséquence, la Trésorerie générale des Yvelines a, le 27 novembre 2009, émis à l'encontre de la SAS SN APAGEO un titre de perception exigeant le reversement d'une somme de 672 559 euros, réduit par la suite à la somme de 400 849 euros, intérêts communautaires compris ; que la société requérante a alors introduit une première requête devant le Tribunal administratif de Versailles tendant à la décharge de l'obligation de payer et au sursis de paiement résultant de ce titre exécutoire puis, après avoir réglé cette somme, une seconde requête tendant au versement d'une indemnité de 700 000 euros pour obtenir la réparation des préjudices qui lui ont été causés du fait de cette restitution ; que la SAS SN APAGEO demande l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Versailles qui, après avoir joint ces deux requêtes, les a rejetées et présente des conclusions qui doivent être regardées comme tendant d'une part à l'annulation du titre de perception et la restitution du montant figurant sur le titre de perception et, d'autre part, à l'indemnisation de ces préjudices pour un montant qu'elle chiffre, dans le dernier état de ses écritures, à 700 000 euros ;

Sur la recevabilité des conclusions d'appel :

2. Considérant que la requête présente des moyens d'appels précisément formulés ; qu'il y a lieu dès lors de rejeter l'irrecevabilité opposée par le ministre des finances et des comptes publics à cette requête au motif qu'elle en serait dépourvue ; que, par suite, cette fin de non-recevoir ne peut qu'être écartée ;

Sur la légalité du titre de perception :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 87 du Traité instituant la Communauté économique européenne devenu l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre les Etats membres, les aides accordées par les Etats au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (...). " ; qu'aux termes de l'article 88 de ce même Traité, devenu l'article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la commission constate qu'une aide est accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine. / Si l'Etat en cause ne se conforme pas à cette décision dans le délai imparti, la commission ou tout autre Etat intéressé peut saisir directement la cour de justice, par dérogation aux articles 226 et 227 (...) 3. la commission est informée en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. " ; qu'aux termes du paragraphe 3 de l'article 14 du règlement n° 659/1999 du 22 mars 1999 du Conseil de l'Union européenne : " La récupération s'effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l'Etat concerné, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission " ;

4. Considérant, en premier lieu, d'une part, que la créance que détenait l'Etat sur la SAS SN APAGEO trouve son origine dans la décision en date du 16 décembre 2003 de la Commission des Communautés européennes qualifiant d'aide incompatible avec le marché commun l'avantage dont avait bénéficié l'intéressée du fait de l'exonération d'impôt sur les sociétés prévue par l'article 44 septies du code général des impôts et ordonnant à l'Etat de récupérer cette aide auprès des bénéficiaires de ce régime ; que cette récupération n'a d'autre but que de rétablir la situation de concurrence qui avait été faussée par l'attribution de cette aide au profit de ses bénéficiaires, en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 87 du Traité ; que la créance dont disposait l'Etat vis-à-vis de la SAS SN APAGEO ne peut s'analyser, comme elle le soutient, comme une procédure de redressement portant sur l'impôt sur les sociétés et était dès lors dépourvue de caractère fiscal, quand bien même cette aide revêtait la forme d'une exonération prévue par les dispositions du code général des impôts ; que, d'autre part, le choix du titre de perception, pris en application du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, modifié par le décret n° 92-1369 du 29 décembre 1992, permettait de procéder à l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission, sans pour autant priver la société requérante du droit de se défendre, qu'elle a d'ailleurs exercé pour obtenir la réduction du montant des aides à reverser ; que, par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que l'administration a méconnu les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, ni se prévaloir de la garantie prévue par l'article L. 80 A du même livre ou même de l'expiration des délais de reprise prévus à l'article L. 169 de ce livre, qui ne lui sont pas applicables ; que, pour la même raison, elle n'est pas plus fondée à soutenir qu'en l'absence d'abrogation de l'article 44 septies par l'article 41 de la loi de finances du 30 décembre 2004 le titre de perception en litige est dépourvu de base légale et ne peut constituer un titre de perception au sens de l'article 252 A du livre des procédures fiscales ;

5. Considérant en deuxième lieu qu'aux termes de l'article 80 du décret du 29 décembre 1962 susvisé : " La liquidation des créances de l'Etat autres que celles mentionnées aux sections 1, 2 et 3 ci-dessus est opérée selon la nature des créances sur les bases fixées par la loi, les règlements, les décisions de justice ou les conventions " ; qu'aux termes de l'article 81 du même décret : " Tout ordre de recettes doit indiquer les bases de la liquidation " ; que comme l'ont rappelé les premiers juges, le titre de perception en litige désigne l'ordonnateur, le redevable, à savoir la société requérante comme débitrice d'une créance étrangère à l'impôt et aux domaines à l'égard de l'Etat, mentionne explicitement qu'il est fondé sur les dispositions susrappelées de l'article 80 du décret et sur la décision de la Commission européenne n° 2004/343/CE du 16 décembre 2003 et indique clairement que la créance de l'Etat est composée du montant de l'aide proprement dite et de celui des intérêts communautaires, qui sont détaillés dans une lettre d'accompagnement faisant état de l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 13 novembre 2008, cette lettre ne pouvant être regardée comme constituant une motivation par référence du titre de perception ; que la société requérante ne peut donc soutenir que ce titre ne précise pas quelles sont les décisions sur lesquelles il repose, ni que le renvoi opéré au titre de perception par la lettre d'accompagnement ne lui permettait pas de comprendre ce qui lui était demandé ; qu'elle ne saurait utilement se prévaloir de ce que ce titre ne répondait pas aux règles de motivation applicables au calcul et à l'annualisation de l'impôt, lesquelles relèvent d'une procédure de redressement qui, ainsi qu'il a été rappelé au point 4, ne lui est pas applicable ;

6. Considérant, en troisième lieu, que la société requérante soutient que l'émission du titre de perception en litige a méconnu les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ; qu'il y a lieu de rejeter ces moyens par adoption des motifs retenus par les premiers juges sur ce point ;

7. Considérant, en quatrième lieu, que la requérante ne peut utilement invoquer les articles 14 et 15 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui sont relatifs à la contribution publique, s'agissant d'un titre de perception relatif à la récupération d'une aide incompatible avec le marché intérieur européen, ni la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui ne s'applique qu'aux droits des personnes dans leur rapport avec les institutions, organes et organismes de l'Union européenne ;

8. Considérant, en cinquième lieu, que la SAS SN APAGEO ne disposant d'aucun bien ni d'aucune créance liée à l'aide qui lui a été octroyée, elle n'est pas fondée à soutenir que le droit à la protection de sa propriété qu'elle tient de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme aurait été méconnu ; qu'elle ne peut utilement se prévaloir de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen à l'encontre d'une procédure de restitution d'aides incompatible avec le droit communautaire ni du délai de prescription prévue par l'article 15 du règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 qui prévoit une prescription de dix ans, lequel n'est opposable qu'à la Commission européenne pour la récupération de ces aides ;

9. Considérant, en dernier lieu, que le moyen tiré par la requérante de ce que l'article 44 septies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 14 A de la loi de finances pour 1989 n° 88-149 du 23 décembre 1988, aurait méconnu l'objectif constitutionnel d'intelligibilité du texte de droit, est sans incidence sur le présent litige dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la constitutionnalité des lois, en dehors de la saisine par un mémoire distinct d'une question prioritaire de constitutionnalité, ni sur leur conformité au droit communautaire ou aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAS SN APAGEO n'est pas fondée à soutenir que le titre de perception en litige est illégal et à demander, par suite, la restitution des sommes qu'elle a remboursées à l'Etat ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Sur l'exception de recours parallèle :

11. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à hauteur de la somme de 400 849 euros, les conclusions de la requête de la SAS SN APAGEO tendent au versement d'une indemnité d'un montant égal à celui qu'elle a versé pour exécuter le titre de perception du 27 novembre 2009 ; que ses conclusions en réparation du préjudice que sa charge a constitué pour elle, ont en réalité le même objet que celles aux fins de restitution des aides récupérées, correspondant au montant des aides et aux intérêts communautaires que la société requérante a, par ailleurs, présentées ; qu'elles sont en conséquence et dans cette mesure, irrecevables ;

Sur la responsabilité du fait de la loi non conforme au droit de l'Union:

12. Considérant que la SAS SN APAGEO invoque le principe de la responsabilité de l'Etat du fait des lois en raison de l'incompatibilité de l'article 44 septies du code général des impôts avec les stipulations de l'article 87 du Traité ; que, cependant, les préjudices qu'elle invoque ne résultent pas directement de la loi mais des décisions de l'administration que révèlent les exonérations d'impôt sur les sociétés accordées à la requérante ; qu'en tout état de cause ces exonérations sont insusceptibles de causer un préjudice à leur bénéficiaire ; que, par suite, la société requérante ne peut dès lors présenter sa demande d'indemnisation sur ce fondement ;

Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :

13. Considérant, en premier lieu, que si la SAS SN APAGEO soutient que l'administration a commis une faute, en omettant de notifier préalablement à la Commission européenne le régime d'aide de l'article 44 septies du code général des impôts, en méconnaissance de l'article 88 § 3 du Traité instituant la Communauté économique européenne, cette faute est relative à la méconnaissance par l'Etat de ses obligations vis à vis des institutions de l'Union européenne et ne peut être à l'origine des préjudices qu'elle invoque ;

14. Considérant que la SAS SN APAGEO soutient, en deuxième lieu, que l'administration fiscale a méconnu ses obligations d'information vis-à-vis des contribuables, en s'abstenant de les avertir de la nécessité d'une récupération des aides qui ressortait de la décision de la Commission du 16 décembre 2003, notamment dans l'instruction administrative du 4 mars 2004 4H-2-04, qui se borne à tirer les conséquences pour l'avenir de ce régime d'aide ; qu'il résulte cependant des écritures de la société requérante qu'elle avait pris connaissance de cette instruction qui faisait état de cette décision ; que, par ailleurs, ladite décision dont l'article 5 indiquait que la France devait prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer les aides illégales auprès de leurs bénéficiaires, a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes L. 108/38 du 16 avril 2004 ; que la société requérante était, dans ces conditions, en mesure de prendre connaissance des risques de récupération de ces aides et, comme tout opérateur économique diligent, de prendre les mesures adaptées pour s'en prémunir ; que, par suite, l'existence d'une faute commise par l'Etat en raison d'un défaut d'information n'est pas établie ;

15. Considérant, enfin, que la société requérante fait valoir qu'en s'abstenant jusqu'en 2009 de procéder à la récupération des aides en litige, l'Etat a fait preuve d'une inertie fautive à exécuter la décision de la Commission en date du 23 décembre 2003 ; que si le ministre se prévaut des difficultés de recensement des entreprises bénéficiaires du régime d'aide de l'article 44 septies pour les années 1991 à 1993, cette circonstance ne saurait s'appliquer à la SAS SN APAGEO, qui a bénéficié de ces aides au titre des années 2001 et 2002 ; que les difficultés que le ministre invoque pour calculer le montant des aides et la complexité en l'espèce de la procédure de recouvrement dont l'administration a fait part à la Commission le 12 avril 2006 ne suffisent pas à justifier un décalage de près de 6 ans entre la décision de la Commission et l'émission du titre de perception matérialisant la récupération de l'aide ; que ce décalage a valu à la France d'être jugée avoir manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 5 de cette décision par l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 13 novembre 2008 ; que, dans ces circonstances, la lenteur de l'Etat à procéder à cette récupération est constitutive d'un comportement fautif ;

Sur les préjudices :

16. Considérant que la SAS SN APAGEO fait valoir que la décision qu'elle avait prise de se porter acquéreur de l'entreprise Apageo Segelm reposait sur une analyse financière intégrant la possibilité d'une exonération d'impôt sur les bénéfices des exercices 2001 et 2002 et lui a permis de rééquilibrer ses comptes, d'augmenter le capital et d'investir ; que, cependant, ces circonstances, qui sont antérieures à la date de la récupération des aides, sont dépourvues de tout lien avec les préjudices financiers qu'elle aurait pu subir du fait de cette récupération ; que si la société requérante fait valoir qu'elle a dû verser des intérêts en raison de l'emprunt qu'elle a contracté pour rembourser ces aides, elle ne le justifie pas ; que si l'Etat a commis une faute en procédant tardivement à l'exécution de la décision de la Commission, la société ne se prévaut sur ce point que du paiement de la totalité des intérêts communautaires en raison du retard mis par l'Etat à récupérer les aides en litige, soit la somme de 95 055 euros, alors que cette demande a été rejetée comme irrecevable par la voie de l'exception de recours parallèle ainsi qu'il a été dit au point 11 ; que, par suite, sa demande à ce titre ne peut qu'être rejetée ;

17. Considérant que la société requérante invoque également le préjudice moral qu'elle aurait subi du fait de la récupération des aides et notamment la perte de crédibilité qu'elle a connue ; que ce préjudice est attesté par les documents de la Banque de France qu'elle produit et qui font état d'une dégradation de sa cotation auprès de cette dernière de F3 +++ à G3 entre 2009 et 2011; que la seule circonstance que ces données soient contemporaines de la période de remboursement des aides ne suffit pas toutefois à établir un lien direct entre ce préjudice et la faute de l'administration, la société reconnaissant d'ailleurs que cette évolution est aussi liée à la crise dite des " subprimes " ;

18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAS SN APAGEO n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande ; que ses conclusions tendant au versement du montant des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SAS SN APAGEO est rejetée.

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N° 12VE03966 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 12VE03966
Date de la décision : 21/07/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Comptabilité publique et budget - Règles de procédure contentieuse spéciales à la comptabilité publique - Recouvrement des créances.

Procédure - Introduction de l'instance - Exception de recours parallèle.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. BARBILLON
Rapporteur ?: Mme Laurence BELLE VANDERCRUYSSEN
Rapporteur public ?: Mme RUDEAUX
Avocat(s) : SELARL DUBAULT-BIRI et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2015-07-21;12ve03966 ?
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