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21/10/2014 | FRANCE | N°13VE01910

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 21 octobre 2014, 13VE01910


Vu le recours, enregistré le 17 juin 2013, par lequel le MINISTRE DE LA DEFENSE, demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 1203979 en date du 11 avril 2013 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil, sur la demande de M. A...B..., d'une part, a annulé la décision du 16 mars 2012 rejetant sa demande tendant au bénéficie de la loi n°2010-2 du 5 janvier 2010 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et, d'autre part, lui a enjoint de saisir le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires afin qu'il

procède à l'évaluation des préjudices imputables à la pathologie de ...

Vu le recours, enregistré le 17 juin 2013, par lequel le MINISTRE DE LA DEFENSE, demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 1203979 en date du 11 avril 2013 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil, sur la demande de M. A...B..., d'une part, a annulé la décision du 16 mars 2012 rejetant sa demande tendant au bénéficie de la loi n°2010-2 du 5 janvier 2010 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et, d'autre part, lui a enjoint de saisir le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires afin qu'il procède à l'évaluation des préjudices imputables à la pathologie de M. B...;

2° de rejeter la demande présentée par M. B...devant le Tribunal administratif de Montreuil ;

Il soutient que :

- si la présomption de causalité prévue par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 trouve à s'appliquer, elle doit être écartée en raison du risque négligeable attribuable aux essais nucléaires dans la survenance de la maladie de M.B... au motif que cette maladie a été diagnostiquée trente-quatre années après sa participation aux essais nucléaires et que la probabilité d'une relation de causalité entre cette maladie et l'exposition a été évaluée selon les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique à 0,01% ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il a pris en compte l'ensemble des conditions d'exposition de M.B..., notamment la localisation du croiseur anti-aérien de Grasse sur lequel il était affecté, pour constater que le risque était négligeable ;

- la méthode de calcul de probabilité utilisée par le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires est conforme aux dispositions de la loi ;

- si M. B...n'a pas bénéficié d'une dosimétrie individuelle, cela était conforme aux dispositions du décret n° 67-228 du 15 mars 1967 portant règlement d'administration publique relatif à la protection des travailleurs contre les dangers des rayonnements ionisants ;

- considérer la présomption de causalité écartée seulement lorsque sont produites des mesures dosimétriques individuelles serait paradoxal puisque que cela reviendrait à rendre le renversement de la présomption plus difficile pour le personnel le moins exposé compte tenu de la surveillance imposée par les textes ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

Vu le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 octobre 2014 :

- le rapport de M. Meyer, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Rollet-Perraud, rapporteur public,

- et les observations de Me C...substituant MeD..., pour M. B...;

1. Considérant que M.B..., né en 1950, et qui avait été affecté pendant son service national en qualité de mécanicien à bord du croiseur anti-aérien de Grasse en Polynésie Française du 2 mars 1971 au 1er février 1972, a développé par la suite, à l'âge de cinquante-cinq ans un cancer du rectum ; qu'il a présenté le 13 décembre 2010, une demande d'indemnisation des préjudices subis auprès du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) sur le fondement de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que le MINISTRE DE LA DEFENSE a, par une décision du 16 mars 2012, suivant l'avis émis par le CIVEN lors de la séance du 13 décembre 2011, rejeté cette demande ;

2. Considérant d'abord que le MINISTRE DE LA DEFENSE soutient qu'en ne se prononçant pas sur le droit à réparation de M. B...E...administratif de Montreuil aurait méconnu son office de juge de plein contentieux ;

3. Considérant que M. B...a saisi le Tribunal administratif de Montreuil d'une requête tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 16 mars 2012 par laquelle le MINISTRE DE LA DEFENSE a rejeté sa demande d'indemnisation présentée sur le fondement des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au ministre de saisir le CIVEN afin que celui-ci se prononcer sur le montant des indemnités qui lui sont dues ; que, dans cette requête, M. B...a développé plusieurs moyens tendant à démontrer que c'était à tort que le ministre avait considéré que la présomption de responsabilité de l'Etat instituée par la loi du 5 janvier 2010 devait être écartée dans son cas ; qu'une telle requête revêt le caractère d'un recours de plein contentieux ; qu'en jugeant que " M. B...doit être regardé comme souffrant d'une maladie radio-induite résultat d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français ", et en enjoignant au MINISTRE DE LA DEFENSE de saisir le CIVEN afin que soit instruite la demande d'indemnisation de l'intéressé, le Tribunal administratif de Montreuil ne s'est pas borné à annuler la décision prise par le ministre mais s'est prononcé sur le droit à réparation de M.B... ; qu'il n'a par conséquent pas méconnu son office ;

4. Considérant ensuite qu'aux termes de l'article 1er du décret du 11 juin 2010 susvisé : " La liste des maladies mentionnées à l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée est annexée au présent décret " ; qu'aux termes de l'article 7 du même décret : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants. / Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. / La documentation relative aux méthodes retenues par le comité d'indemnisation est tenue à la disposition des demandeurs " ;

5. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le législateur a posé le principe d'une présomption de causalité entre l'exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français d'une personne qui a séjourné, au cours d'une période et dans une zone déterminées par lesdites dispositions, et la maladie

radio-induite dont elle souffre ou a souffert, lorsqu'elle figure sur la liste établie par le décret susvisé du 11 juin 2010 ; que ladite présomption peut être renversée lorsqu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable ;

6. Considérant qu'il est constant que M. B... a été affecté, ainsi qu'il a été dit au point 1, sur le croiseur anti-aérien de Grasse qui naviguait alors en Polynésie française, durant une période comprise entre le 2 mars 1971 et le 1er février 1972, et qu'il a ainsi séjourné dans un lieu et durant une période fixés par les dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 ; qu'il est également constant qu'il a été atteint d'un cancer du rectum et qu'il a ainsi souffert de l'une des pathologies figurant sur la liste des maladies annexée au décret du 11 juin 2010 ; que, pour rejeter sa demande d'indemnisation, le MINISTRE DE LA DEFENSE s'est fondé sur le motif tiré de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires français dans la survenance de la maladie dont l'intéressé a été atteint était négligeable, conformément à la recommandation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, qui indique, d'une part, que la maladie de M. B...a été diagnostiquée trente-quatre années après sa participation aux essais nucléaires français et, d'autre part, que compte tenu du niveau de l'exposition aux rayonnements ionisants de celui-ci lors de sa présence sur le site, la probabilité, évaluée selon les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), d'une relation de causalité entre cette exposition et ladite maladie était très inférieure à 1 % ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, d'une part, la méthode utilisée par le CIVEN pour évaluer l'imputabilité de la maladie présentée par une personne demandant à être indemnisée sur le fondement des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 susvisée est conforme aux recommandations de l'AIEA ; que, d'autre part, si cette méthode prend en compte le niveau d'exposition de l'intéressé aux rayonnements ionisants, cet élément est rapproché d'autres critères tels que l'âge atteint par le demandeur lors de l'apparition de la maladie, son sexe, les circonstances précises de son exposition ; qu'elle est par conséquent conforme aux dispositions de la loi du 5 janvier 2010 ;

8. Considérant toutefois que si pour émettre, lors de sa séance du 13 décembre 2011, sa recommandation selon laquelle le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de M. B... pouvait être considéré comme négligeable, le CIVEN s'est notamment fondé sur les mesures d'exposition de M. B...aux rayonnements ionisants, résultant de deux dosimétries d'ambiance effectuées sur le croiseur anti-aérien de Grasse aux mois de juillet et août 1971 et évaluées à 0 mSv, et sur la position du croiseur au moment des tirs, il résulte de l'instruction que le CIVEN ne disposait d'aucune mesure de dosimétrie d'ambiance ou individuelle pour le mois de juin 1971 alors que deux tirs ont eu lieu durant cette période ; que la circonstance que la dosimétrie d'ambiance réalisée en zone Kathie au mois de juin 1971 était nulle ne suffit pas à établir qu'au cours de ce mois, le croiseur anti-aérien de Grasse n'a été exposé à aucun rayonnement ionisant ; que même si, en l'absence de données dosimétriques, le CIVEN intègre dans son calcul une valeur d'exposition forfaitaire égale au niveau minimal de détection des appareils dosimétriques, ce calcul ne peut, en l'espèce, être regardé comme fiable ; que le CIVEN n'a pas davantage intégré dans son calcul la dose de rayonnement enregistrée dans la zone Kathie suite au tir du 14 août 1971 qui n'était pas nulle ; que dès lors qu'il est établi que M. B...a été exposé à des retombées ionisantes environnementales, et en l'absence de tout examen de contrôle pratique à l'époque, il ne peut être exclu qu'il ait fait l'objet d'une contamination interne par inhalation ou ingestion de produits ou matières contaminés alors que l'intéressé est demeuré sur place jusqu'au 1er février 1972 ; que dans ces conditions, le ministre ne pouvait, en se fondant sur l'avis rendu par le CIVEN, considérer que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenance de la maladie de M. B...était négligeable ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE LA DEFENSE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé sa décision du 16 mars 2012 par laquelle il a rejeté la demande d'indemnisation de M.B... ;

10. Considérant qu'en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B...et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le recours du MINISTRE DE LA DEFENSE est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à M. B...la somme de 1 500 euros au titre de l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 13VE01910


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 13VE01910
Date de la décision : 21/10/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-02-08 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: M. Emmanuel MEYER
Rapporteur public ?: Mme ROLLET-PERRAUD
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2014-10-21;13ve01910 ?
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