Vu la requête, enregistrée le 18 juillet 2013, présentée pour la société
GRAPHNET FRANCE, dont le siège est 154 boulevard Haussmann à Paris (75008), par Me Vacher, avocate ;
La société GRAPHNET FRANCE demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement nos 1008885,1103829 du 15 mai 2013 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 10 septembre 2010 par laquelle l'inspecteur du travail de la sixième section des
Hauts-de-Seine a refusé d'autoriser le licenciement de M.D..., salarié protégé, et de la décision du 21 mars 2011 par laquelle le ministre chargé du travail a confirmé la décision du
10 septembre 2010 ;
2° d'annuler, pour excès de pouvoir, ces décisions ;
3° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- l'inspecteur et le ministre se sont appuyés sur des informations qui ne lui ont pas été communiquées et qu'elle ne connaissait pas ; elle n'a pas pu défendre son point de vue alors qu'elle avait demandé à connaître les informations communiquées ; l'administration ne justifie pas en quoi ces informations auraient pu porter préjudice à leurs auteurs ;
- le tribunal indique à tort qu'elle ne conteste pas ne pas avoir eu communication de certaines informations ; elle ne dénonce pas seulement l'absence de confrontation mais également le fait de n'avoir pas été correctement entendue et que des informations importantes lui ont été cachées ;
- l'administration et le tribunal ont fait preuve de partialité ;
- ni le tribunal ni l'administration ne contestent que la lettre anonyme existe, qu'elle a bien été distribuée à l'accueil de l'immeuble à l'heure où M. D...s'y trouvait, qu'elle est injurieuse, qu'on y retrouve des propos analogues sur le fond à ceux contenus dans un tract CFDT, une lettre envoyée par M. D...et M. E...et les courriels usurpant l'identité de M.A... ; ni le tribunal ni l'administration ne contestent le fait que M. D...soit proche de l'ancienne gérante de fait licenciée pour insubordination et déloyauté ; les faits et les griefs sont établis ; il y a erreur manifeste d'appréciation des faits et erreur de qualification juridique des faits ;
- le tribunal ne répond pas au considérant 11 à plusieurs arguments et notamment au fait qu'elle démontre que M. D...a participé à l'écriture de la lettre, grief qui lui est également reproché et au fait que l'atteinte à la réputation de la société est particulièrement grave ;
- M. D...a induit l'entreprise, l'administration et le tribunal en erreur sur le périmètre de sa protection ; la fausse qualité de délégué syndical a été prouvée ; les agissements de M. D...n'entraient pas dans le cadre de son mandat de délégué du personnel ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 septembre 2014 :
- le rapport de Mme Orio, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Rollet-Perraud, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., substituant MeB..., pour M.D... ;
Sur la régularité :
1. Considérant que le moyen tiré de ce que le tribunal aurait dénaturé les écritures de la société en jugeant qu'elle se serait bornée à contester la procédure contradictoire en invoquant le défaut de confrontation manque en fait et ne peut qu'être écarté ;
2. Considérant qu'il ressort des motifs mêmes du jugement que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par la société requérante ; qu'en particulier, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties et notamment à ceux qui tendaient à établir des griefs qui n'étaient pas invoqués dans la lettre de demande d'autorisation de licenciement, n'a pas omis de répondre aux moyens tirés de l'erreur de fait et de l'erreur manifeste d'appréciation des faits ; que, par suite, la société GRAPHNET FRANCE n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité ;
Sur le bien-fondé :
3. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ;
4. Considérant qu'aux termes des articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat " ; que le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris les témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation ; que toutefois, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur ;
5. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et, en particulier, des termes de la décision en litige, que, pour estimer que la matérialité des faits reprochés à M. D...dans la lettre de demande d'autorisation de licenciement n'était pas établie, l'inspecteur du travail de la sixième section des Hauts-de-Seine se serait fondé sur des pièces produites par M. D...et dont il n'aurait pas mis la société à même de demander communication ; que la partialité alléguée n'est pas établie ;
6. Considérant que, par lettre du 20 août 2010, la société GRAPHNET FRANCE a sollicité de l'inspecteur du travail de la sixième section des Hauts-de-Seine l'autorisation de licencier M. D..., salarié protégé, au motif que ce dernier aurait " activement participé à la diffusion " d'une lettre anonyme, le 15 juillet 2010, et de tracts distribués le 20 juillet 2010, que ces éléments sont injurieux, diffamatoires, que la lettre est empreinte de relents antisémites et menaçants, et que ces actes participent d'une tentative de déstabilisation de la gouvernance de la société et d'instauration d'un climat délétère ; que s'il n'est pas contesté que M. D...s'est rendu au siège de la société le 15 juillet 2010 pour y remettre une enveloppe, il n'est pas établi que l'enveloppe remise contenait la lettre anonyme en litige ; que, par ailleurs, le contenu du tract distribué le 20 juillet 2010 ne dépassait pas les limites de la polémique syndicale ; que, par suite, les moyens tirés de ce que les faits et les griefs seraient établis et que la décision serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation des faits et d'erreur de qualification juridique des faits ne peuvent qu'être écartés ;
7. Considérant, d'une part, que les faits fautifs invoqués à l'encontre de M. D...n'étant pas établis ainsi que précédemment énoncé au point 6., la société ne peut utilement invoquer de détournement du mandat de délégué du personnel constitutif d'une faute d'une gravité suffisante de nature à justifier son licenciement, grief qui n'est, en tout état de cause, pas invoqué dans sa lettre de demande d'autorisation de licenciement ; que, d'autre part, la circonstance que M. D...n'aurait pas été régulièrement désigné délégué syndical à la date de la décision en litige est sans influence sur sa légalité, dès lors que M. D...bénéficiait également de la qualité de salarié protégé en sa qualité d'ancien délégué syndical ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner la communication de l'entier dossier de l'administration ou tout autre mesure d'instruction, que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement nos 1008885,1103829 du 15 mai 2013 le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société GRAPHNET FRANCE, demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société GRAPHNET FRANCE une somme de 1 000 euros à verser, sur le fondement de ces mêmes dispositions, à M. D..., qui, s'il n'est plus salarié de la société depuis le 17 décembre 2013, a dû recourir aux services d'un avocat pour assurer sa défense dans la présente instance enregistrée le 18 juillet 2013 ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société GRAPHNET FRANCE est rejetée.
Article 2 : La société GRAPHNET FRANCE versera à M. D...une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
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N° 13VE02370