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20/05/2014 | FRANCE | N°12VE02134

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 20 mai 2014, 12VE02134


Vu la requête, enregistrée le 12 juin 2012, présentée pour Mme G...E..., demeurant au ce service, en l'absence de signe inquiétant et pour

M. D...demeurant au..., agissant tant en leur nom qu'au nom de leurs enfants mineurs, par Me Rousseau, avocat ;

Mme E...et M. D...demandent à la Cour :

1° d'annuler le jugement n°1102768 du 12 avril 2012 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 29 avril 2011 par laquelle le Garde des Sceaux ministre de la justice et des libertés a rejeté leur demande

préalable d'indemnisation des préjudices résultant du décès de leur fils M. B....

Vu la requête, enregistrée le 12 juin 2012, présentée pour Mme G...E..., demeurant au ce service, en l'absence de signe inquiétant et pour

M. D...demeurant au..., agissant tant en leur nom qu'au nom de leurs enfants mineurs, par Me Rousseau, avocat ;

Mme E...et M. D...demandent à la Cour :

1° d'annuler le jugement n°1102768 du 12 avril 2012 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 29 avril 2011 par laquelle le Garde des Sceaux ministre de la justice et des libertés a rejeté leur demande préalable d'indemnisation des préjudices résultant du décès de leur fils M. B...D... ;

2° de condamner l'Etat à leur verser la somme de 120 000 euros soit 30 000 euros pour chacun des parents et chacun de leurs enfants mineurs ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que l'administration pénitentiaire a commis des fautes simples de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard des ayants-droit de la victime ; qu'en premier lieu le geste de désespoir de la victime était prévisible ; qu'il a été signalé à l'administration pénitentiaire, à un moment non déterminé, le suicide de ses deux parents biologiques ; que son amie Mlle A...et un codétenu ont également mentionné ce point lors de l'enquête ; que le rapport du directeur du 24 décembre 2009 note que son milieu cumule les difficultés familiales et psychologiques ; que l'audition d'un autre codétenu, MC..., établit son profond malaise vis-à-vis de la tentative de suicide de sa petite amie MlleA..., elle-aussi incarcérée ; que les services pénitentiaires ne pouvaient ignorer qu'il avait été très affecté par le suicide de ses parents et par la tentative récente de sa petite amie ; que la dépression est une composante héréditaire et familiale ; qu'il était instable puisqu'il a changé plusieurs fois de cellule ; que si l'administration soutient qu'à son arrivée il a fait l'objet de dix jours de surveillance renforcée, elle ne l'établit pas, en ne procédant pas à la description de la nature de cette surveillance ; que toutes les fiches ne sont pas remplies ; qu'en deuxième lieu, les services pénitentiaires, qui connaissaient les antécédents familiaux du détenu, ne se sont pas assurés, par une fouille approfondie de sa cellule, que M. E...D...n'était pas en possession d'objets de nature à favoriser son passage à l'acte ou d'objets permettant d'y procéder ; qu'il était en possession d'un drap et d'une chaise mobile ; qu'en troisième lieu son encellulement individuel est la résultante de quatre périodes de cohabitation ; que cette dernière demande a été acceptée sans faire l'objet d'une demande écrite alors qu'il était isolé dans un quartier difficile ; que sa demande de formation en mécanique automobile et celle de suivre une activité sportive de musculation n'ont pas abouti ; qu'en quatrième lieu, il n'a pas bénéficié d'une surveillance médicale renforcée ; que seule la production du dossier pénitentiaire prévue par l'article D. 155 du code de procédure pénale pourrait renseigner sur les démarches faites à ce titre ; que les fiches des premiers jours de surveillance rapprochée ont été mal remplies ; que si deux jours à peine avant son passage à l'acte il a été examiné par un psychiatre l'administration se retranche derrière le fait que le psychiatre n'a pas observé de tendance suicidaire ; que si sa fragilité apparaît dans le rapport du lieutenant pénitentiaire, elle n'est pas reprise lors de la Commission pluridisciplinaire unique (CPU) du 12 novembre 2009 les documents n'ayant pas été remplis avec la rigueur nécessaire par les services pénitentiaires ; que l'absence d'évaluation du risque suicidaire du détenu, et l'absence de mise en place consécutive d'un suivi de l'intéressé, caractérisent une faute dans sa prise en charge, compte tenu de l'obligation de sécurité qui incombe à l'administration pénitentiaire ; qu'en cinquième lieu l'enquête présente des carences ; que sans ces carences le risque suicidaire aurait été démontré ; qu'en sixième lieu il existe un lien de causalité particulier entre ces manquements et le suicide ; que les services pénitentiaires étaient tenus à une obligation de surveillance particulière, inhérente à la détention et à l'incarcération ; que les services n'ignoraient pas le suicide de la mère du détenu aussi en détention ; que les requérants sont donc bien fondés à demander pour eux-mêmes et chacun de leurs enfant la somme de 30 000 euros, au titre de leur préjudice moral ;

............................................................................................................ce service, en l'absence de signe inquiétant

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 mai 2014 :

- le rapport de Mme Belle, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Dioux-Moebs, rapporteur public ;

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. E...-D..., âgé de 21 ans, incarcéré pour la première fois le 7 novembre 2009 à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy à la suite d'un jugement en comparution immédiate, a été retrouvé le 23 décembre 2009 à 15h40 pendu à l'aide du drap de son lit à la cloison des toilettes de sa cellule et est décédé à 16h25 malgré les soins qui lui ont été prodigués ; que Mme E...et M.D..., parents adoptifs de M. B...E...D..., demandent l'indemnisation du préjudice moral qu'il ont subi et viennent également aux droits de leurs deux enfants mineurs, du fait du suicide en détention de leur fils M. E...-D... ; qu'ils relèvent régulièrement appel du jugement du 12 avril 2012 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande tendant à l'indemnisation du préjudice résultant pour eux de ce décès ;

2. Considérant, en premier lieu, que M. E...-D... a été placé sous mandat de dépôt le 7 novembre 2009 par le juge délégué au tribunal de grande instance de Versailles pour récidive de vol en réunion, l'affaire ayant été renvoyée au 9 novembre 2009 ; que le 9 novembre 2009 il a été condamné à dix mois d'emprisonnement mais a obtenu le 20 novembre un crédit de réduction de peine de 50 jours ; que les requérants soutiennent que le geste de désespoir de leur fils détenu, intervenu moins de deux mois après le début de la détention était prévisible et que l'administration pénitentiaire a commis une faute en n'y faisant pas obstacle ; que s'il résulte de l'instruction qu'il a été signalé à l'administration pénitentiaire par une mention sur son dossier le 12 novembre 2009, devant la commission pluridisciplinaire unique, le suicide des deux parents biologiques du détenu, celui-ci a refusé un entretien d'accueil avec l'infirmier psychiatrique à son arrivée ; que lors de l'entretien d'arrivée le 10 novembre 2009, il a été prolixe et n'a laissé apparaître aucun signe inquiétant ; que la commission pluridisciplinaire unique qui s'est tenue le 12 novembre 2009 a estimé qu'il ne présentait pas de risque suicidaire et ne nécessitait pas d'être affecté en secteur protégé ; que si sa petite amie Mlle A...et un codétenu ont mentionné, lors de l'enquête judiciaire postérieure, qu'il a été affecté par l'allusion au suicide de sa mère lors de l'audience en comparution immédiate, ces informations n'étaient pas connues des services pénitentiaires ; que si, lors de l'enquête, un autre codétenu, M.C..., a signalé son profond malaise vis-à-vis de la tentative de suicide de sa petite amie, MlleA..., elle-aussi incarcérée, les requérants n'établissent pas, et cela est contesté par les services pénitentiaires, qu'ils en auraient été informés ; que les services soulignent que le suicide de sa mère en détention remontait à l'année 1994, alors qu'il avait six ans et qu'il ne connaissait pas son père ; que si les requérants font valoir que ce geste aurait été également prévisible au vu de l'instabilité du détenu qui a changé plusieurs fois de cellule à sa demande, le psychiatre qu'il a rencontré deux jours avant son décès et le lieutenant pénitentiaire qui encadrait son secteur ont toutefois noté que ces changements résultaient du comportement agressif de M. E...-D... qui rendait la cohabitation difficile, et n'ont pas perçu d'instabilité psychologique susceptible d'impliquer un risque suicidaire ; que, dans ces conditions, les requérants n'établissent pas que l'administration pénitentiaire aurait eu connaissance de ce que le requérant présentait des risques de passage à l'acte suicidaire ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que les requérants soutiennent que si l'administration pénitentiaire fait valoir qu'à son arrivée il a fait l'objet de dix jours de surveillance renforcée, elle ne l'établit pas en ne procédant pas à la description de cette surveillance, que les fiches d'observations ne sont pas entièrement remplies et que certaines sont manquantes ; qu'il résulte de l'instruction que lors de son arrivée à Bois d'Arcy le 7 novembre 2009, le requérant, âgé de vingt-et-un ans seulement, a fait l'objet d'une surveillance particulière et a été placé dans un quartier spécifique s'agissant d'une première incarcération ; qu'il a bénéficié de la surveillance obligatoire de droit commun, prescrite par les articles D. 271 et D. 272 du code de procédure pénale, et même d'une surveillance renforcée, consistant en des contrôles plus nombreux la nuit et le jour jusqu'au 17 novembre 2009 soit pendant dix jours ; que les jours non renseignés par les fiches d'observations s'expliquent, pour le premier jour, par son arrivée le soir, par son extraction pour son procès en comparution immédiate le 9 novembre et par son départ du quartier d'arrivée, le 12 novembre, pour un quartier de droit commun ; que ces fiches, qui sont destinées à signaler tout changement de comportement, sans délai, à la hiérarchie de la maison d'arrêt, ne font pas apparaître qu'il aurait été perturbé par son incarcération ; qu'il résulte des fiches d'observations qu'il se nourrissait convenablement et communiquait facilement avec les autres codétenus et avec le personnel ; que, compte-tenu de ces éléments, les services pénitentiaires ne peuvent être regardés comme ayant manqué à leur obligation de surveillance du détenu ;

4. Considérant, en troisième lieu, que les requérants reprochent au services pénitentiaires qui connaissaient les antécédents familiaux du détenu de ne pas s'être assurés, par une fouille approfondie de sa cellule, que le détenu n'était pas en possession d'objets de nature à favoriser son passage à l'acte ou permettant d'y procéder, comme le drap et la chaise dont il s'est servi pour mettre fin à ses jours ; que faute d'éléments permettant de suspecter des idées suicidaires ou l'imminence d'un passage à l'acte, les services pénitentiaires n'étaient pas tenus de prendre en urgence des mesures de protection et de retirer au détenu ces objets, qui sont les éléments de mobilier dont tout détenu doit disposer ; que, par suite, dans les circonstances de l'espèce, les services pénitentiaires n'ont pas commis de faute en les laissant à la disposition du détenu ;

5. Considérant, en quatrième lieu, que les requérants soutiennent qu'en procédant à son encellulement individuel qui a impliqué son isolement, les services pénitentiaires ont commis une faute ; que, toutefois, cet encellulement est l'aboutissement de quatre périodes de cohabitation infructueuses avec quatre codétenus différents ; que M. E...D...avait d'ailleurs demandé à être placé, à la suite de ses difficultés à cohabiter, en cellule individuelle ; que si ce placement a été accepté sans faire l'objet d'une demande écrite, le psychiatre a toutefois été consulté à la demande du lieutenant pénitentiaire et a rencontré le détenu deux jours avant le passage à l'acte ; que le détenu parlait avec ses codétenus et le personnel, que les services soulignent qu'il n'était pas isolé, recevait des courriers, de la visite et des colis de ses parents et de sa tante ; qu'aucun risque apparent de détresse n'a été signalé et qu'il ne présentait pas de risque de suicide décelable ; que, par suite, en donnant satisfaction à sa demande d'encellulement individuel les services pénitentiaires n'ont pas commis de faute ;

6. Considérant, en cinquième lieu, que si les demandes du détenu de formation en mécanique automobile ou de poursuivre une activité sportive de musculation n'avaient pas encore été satisfaites à la date du suicide, le 23 décembre 2009, ces circonstances ne révèlent aucune faute commise par les services pénitentiaires, le délai nécessaire pour les satisfaire au regard des contraintes particulières de la détention n'étant pas exagéré ni constitutif d'une faute ; qu'en tout état de cause il n'est pas établi que ce fait présenterait un lien avec le passage à l'acte du détenu ;

7. Considérant, en sixième lieu, que les requérants soulignent que M. E...-D... n'a pas bénéficié d'une surveillance médicale suffisante et que la production du dossier pénitentiaire prévu par l'article D. 155 du code de procédure pénale pourrait seule renseigner sur sa teneur ; que, toutefois, la charge de la preuve incombe aux demandeurs et la seule production de ce dossier ne saurait, en tout état de cause, suffire à établir l'existence d'une faute ; que le détenu a été reçu à l'unité de consultations et de soins ambulatoires les 10,13,16,18,19 novembre et les 17,18,20,21, et 23 décembre 2009 ; que deux jours après son arrivée, le 9 novembre 2009, l'infirmier psychiatrique a proposé au détenu un entretien d'accueil le 16 novembre et que celui-ci a refusé ; qu'il ressort des éléments médicaux versés au dossier que deux jours avant son passage à l'acte, il a été examiné par un psychiatre à la demande de l'officier pénitentiaire et que le psychiatre n'a pas observé de tendance suicidaire ni préconisé de soins particuliers ; que, par suite, l'existence d'une faute du service médical régional pénitentiaire n'est pas établie et qu'il n'est pas davantage établi que l'administration pénitentiaire aurait commis une faute en ne signalant pas l'état de santé du détenu à... ; que, par suite, le moyen doit être écarté ;

8. Considérant, en septième lieu, que les requérants font valoir que l'enquête judiciaire qui a suivi les faits présenterait des carences et, qu'en l'absence de ces carences, le risque suicidaire aurait été démontré ; que, toutefois, ces carences, à les supposer établies ne sont pas de la compétence de la juridiction administrative, qui ne peut se prononcer sur les actes diligentés dans le cadre d'une enquête judiciaire ; que, par suite, le moyen ne peut qu'être écarté ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme E...et M. D...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande ; que leurs conclusions tendant au versement des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme E...et M. D...est rejetée.

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N°12VE02134 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 12VE02134
Date de la décision : 20/05/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-02-02 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité pour faute. Application d'un régime de faute simple.


Composition du Tribunal
Président : M. BARBILLON
Rapporteur ?: Mme Laurence BELLE VANDERCRUYSSEN
Rapporteur public ?: Mme DIOUX-MOEBS
Avocat(s) : ROUSSEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2014-05-20;12ve02134 ?
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