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03/10/2013 | FRANCE | N°11VE01434

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 03 octobre 2013, 11VE01434


Vu la requête, enregistrée le 20 avril 2011, présentée pour la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT, dont le siège social est 24, avenue Marmix à Bruxelles (B-1000, Belgique), par Me Allard de Waal, avocat ; la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 0914185 du 4 février 2011 du Tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à obtenir le paiement d'intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales en prenant pour point de départ les dates de versemen

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Vu la requête, enregistrée le 20 avril 2011, présentée pour la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT, dont le siège social est 24, avenue Marmix à Bruxelles (B-1000, Belgique), par Me Allard de Waal, avocat ; la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 0914185 du 4 février 2011 du Tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à obtenir le paiement d'intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales en prenant pour point de départ les dates de versement des dividendes nets de retenues à la source par l'établissement payeur, ainsi que des intérêts moratoires calculés sur la créance d'intérêts moratoires ;

2° d'ordonner le versement par l'administration des intérêts moratoires en prenant pour point de départ les dates de versement des dividendes nets de retenues à la source par l'établissement payeur, soit 463 974 euros ;

3° d'ordonner le versement par l'administration d'intérêts sur la créance d'intérêts moratoires, conformément à l'article 1153 du code civil ;

4° à titre subsidiaire, de solliciter l'avis du Conseil d'Etat ;

5° à titre plus subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

6° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le point de départ à retenir pour le paiement d'intérêts moratoires est la date de paiement par le contribuable ;

- dans le cas d'une retenue à la source, le contribuable doit être regardé comme s'étant libéré de sa dette vis-à-vis de l'Etat dès le versement, par l'établissement payeur, des dividendes amputés de la retenue à la sourceretenue à... ;

- la circonstance que le législateur ait laissé un délai supplémentaire à l'établissement payeur pour reverser la retenue à... ;

- outre la lettre de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, le tribunal a également méconnu la finalité de ces dispositions, dès lors que ces dernières ont pour objet de réparer le préjudice subi par le contribuable du fait du versement de sommes indues ;

- la solution retenue par le tribunal pour déterminer le point d'arrêt des intérêts moratoires est incohérente avec ce qu'il a jugé en ce qui concerne le point de départ ;

- le tribunal a admis les dates de versement retenues par l'administration, sans rechercher si les calculs effectués étaient corrects, et n'a pas suffisamment motivé son jugement ;

- la solution retenue par le tribunal présente un caractère inéquitable dès lors que le contribuable ne connaît pas la date de versement des intérêts moratoires et n'a aucun moyen de s'assurer du versement effectif des sommes, ce dernier dépendant de la seule volonté de l'établissement payeur ; en l'espèce les dates communiquées par l'administration montrent d'ailleurs que les retenues à la source ont été payées au Trésor public au-delà des délais prévus par les dispositions de l'article 381 A de l'annexe III au code général des impôts ;

- la position de l'administration, confirmée par le tribunal, est contraire à la jurisprudence communautaire relative à l'obligation d'indemniser les particuliers des préjudices subis à la suite de la violation du droit de l'Union européenne ;

- le fait de retenir pour point de départ des intérêts moratoires la date du paiement des retenues à la source à l'Etat par l'établissement payeur créerait une discrimination dès lors que les sociétés sises en France et redevables de l'impôt sur les sociétés perçoivent des intérêts moratoires à partir du paiement de l'impôt, et sont traitées plus favorablement ; cette restriction n'est pas justifiée dès lors qu'elle n'est pas proportionnée à l'objectif de bonne collecte de l'impôt recherché par le législateur ; le délai laissé à l'établissement payeur constitue une avance de trésorerie en l'échange de laquelle il assure pour le compte de l'Etat la collecte de l'impôt ;

- le tribunal confère implicitement à l'établissement payeur la qualité de mandataire du contribuable non-résident, alors qu'il est le mandataire de l'Etat ;

- elle est fondée à solliciter le paiement d'intérêts sur les intérêts moratoires dus en application des dispositions de l'article 1153 du code civil ;

.........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 septembre 2013 :

- le rapport de Mlle Rudeaux, premier conseiller,

- les conclusions de M. Soyez, rapporteur public,

- et les observations de Me Allard de Waal pour la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT ;

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT, société de droit belge, a perçu des dividendes en sa qualité d'actionnaire des sociétés françaises Lafarge et Suez au titre des années 2003 à 2006 ; que ces dividendes ont donné lieu au versement de retenues à la source au taux de 15 % en application des dispositions de l'article 119 bis du code général des impôts et des stipulations de l'article 15-2 de la convention franco-belge ; que, par trois réclamations, la requérante a sollicité la restitution de ces retenues à la source ; que l'administration a partiellement admis deux réclamations les 8 juin 2009 et 29 juin 2009, et a assorti les restitutions d'intérêts moratoires ; qu'elle a partiellement admis la dernière réclamation le 16 novembre 2009 sans verser d'intérêts moratoires ; que, par une réclamation du 5 novembre 2009, la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT a sollicité le paiement d'intérêts moratoires complémentaires au titre de ses deux premières réclamations, et le paiement d'intérêts moratoires pour sa troisième réclamation ; qu'elle relève appel du jugement du 4 février 2011 du Tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à obtenir le versement de ces intérêts moratoires ;

Sur les conclusions relatives aux intérêts moratoires :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1672 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux revenus payés de 2003 à 2006 : " 1. La retenue à.la source, le contribuable doit être regardé comme s'étant libéré de sa dette vis-à-vis de l'Etat dès le versement, par l'établissement payeur, des dividendes amputés de la retenue à la source / 2. La retenue à.la source, le contribuable doit être regardé comme s'étant libéré de sa dette vis-à-vis de l'Etat dès le versement, par l'établissement payeur, des dividendes amputés de la retenue à la source / Un décret fixe les modalités et les conditions d'application de la présente disposition et, notamment, les obligations auxquelles doivent se soumettre les personnes chargées d'opérer la retenue " et qu'aux termes de l'article 381 A de l'annexe III au code général des impôts : " I. - La retenue à.la source, le contribuable doit être regardé comme s'étant libéré de sa dette vis-à-vis de l'Etat dès le versement, par l'établissement payeur, des dividendes amputés de la retenue à la source / II. Chaque versement est accompagné du dépôt d'une déclaration établie sur une formule délivrée par l'administration. (...). " ;

3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés. " et qu'aux termes de l'article 1153 du code civil : " Dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. / Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. / Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, ou d'un autre acte équivalent telle une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit. / Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance. " ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'administration, ayant admis partiellement les réclamations de la requérante, lui a restitué les retenues à la source acquittées à tort et lui a octroyé des intérêts moratoires en prenant pour point de départ la date à laquelle l'établissement payeur français a payé ces retenues au Trésor public ; que, dans le dernier état de ses écritures, la requérante demande le versement de 207 677 euros d'intérêts moratoires calculés à partir de la date à laquelle elle a perçu de l'établissement payeur les dividendes nets de retenues à la source, et la capitalisation de ces intérêts ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'en application des dispositions précitées de l'article 1672 du code général des impôts, l'établissement payeur de la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT a, au titre des années 2003 à 2006, prélevé sur les dividendes à percevoir par cette société en sa qualité d'actionnaire des sociétés françaises Lafarge et Suez le montant correspondant aux retenues à la source et a ensuite reversé ce montant à l'Etat ; que, dans ces conditions, la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT doit être regardée comme s'étant libérée de sa dette vis-à-vis de l'administration fiscale à la date à laquelle l'établissement payeur a déduit des dividendes qu'elle devait percevoir le montant des retenues à la source ;

6. Considérant qu'il suit de là que les intérêts moratoires en litige ont commencé à courir à partir de la date à laquelle la requérante a perçu de l'établissement payeur les dividendes nets de retenues à la source prélevées par ce dernier ; que la circonstance que l'Etat n'aurait récupéré le produit de ces retenues à la source qu'ultérieurement, lors de leur règlement par l'établissement payeur selon les modalités prévues par les dispositions précitées de l'article 381 A de l'annexe III au code général des impôts, est sans incidence sur le décompte de ces intérêts ;

7. Considérant, en second lieu, que les dispositions précitées de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales font obstacle à ce que les intérêts moratoires soient eux-mêmes capitalisés ; que, toutefois, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, l'Etat s'acquitte de sa dette en principal, interrompant ainsi le cours des intérêts, mais ne paie pas en même temps la somme des intérêts dont il est alors redevable, obligeant ainsi le créancier à former une nouvelle demande tendant au paiement de cette somme, les intérêts qui étaient dus au jour du paiement du principal forment eux-mêmes une créance productive d'intérêts dans les conditions de l'article 1153 du code civil selon lequel " les intérêts sont dus à compter du jour de la sommation de payer " ; qu'il suit de là que la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT est fondée à demander que les créances constituées des intérêts moratoires non versés soient également productives d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'administration de sa demande en ce sens ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande en ce qu'il a de contraire au présent arrêt ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Les intérêts moratoires dus à la suite des restitutions à la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT des retenues à la source prélevées sur les dividendes des sociétés Lafarge et Suez au titre des années 2003 à 2006 ont pour point de départ les dates de paiement par l'établissement payeur à la société requérante des dividendes nets de retenues à la source.

Article 2 : L'Etat versera à la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT les intérêts moratoires résultant de ce qui est ordonné à l'article 1er, sous déduction des intérêts moratoires qu'il a déjà versés, d'une part à l'issue de l'admission partielle des réclamations en date des 17 octobre 2007, 28 novembre 2008, 7 septembre 2009 et 27 janvier 2010 et, d'autre part, en exécution du jugement attaqué.

Article 3 : L'Etat versera des intérêts au taux légal, à compter de la réception par l'administration de demandes formées en ce sens par la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT, pour l'ensemble des créances en litige constituées des intérêts moratoires non versés et définies à l'article 2.

Article 4 : Le jugement n° 0914185 du 4 février 2011 du Tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de la société GROUPE BRUXELLES LAMBERT est rejeté.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 11VE01434
Date de la décision : 03/10/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-06 Contributions et taxes. Généralités. Divers.


Composition du Tribunal
Président : M. DEMOUVEAUX
Rapporteur ?: Melle Sandrine RUDEAUX
Rapporteur public ?: M. SOYEZ
Avocat(s) : ALLARD DE WAAL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2013-10-03;11ve01434 ?
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