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27/09/2011 | FRANCE | N°09VE03102

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 27 septembre 2011, 09VE03102


Vu la requête, enregistrée le 9 septembre 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour M. Jean-Louis A, demeurant ..., par la SELAFA cabinet Cassel, avocat à la Cour ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0609175 en date du 30 juin 2009 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation, à hauteur de 70 000 euros, des préjudices subis du fait de fautes commises par les services du Trésor public ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 70 000 euros en raiso

n des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de ...

Vu la requête, enregistrée le 9 septembre 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour M. Jean-Louis A, demeurant ..., par la SELAFA cabinet Cassel, avocat à la Cour ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0609175 en date du 30 juin 2009 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation, à hauteur de 70 000 euros, des préjudices subis du fait de fautes commises par les services du Trésor public ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 70 000 euros en raison des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il n'a ni visé ni répondu aux moyens opérants soulevés dans son mémoire en réplique enregistré par le greffe du tribunal le 26 mai 2009 alors que l'audience a eu lieu le 16 juin 2009 ; qu'un avis à tiers détenteur irrégulier a été émis et signifié le 3 décembre 2004 à l'établissement bancaire détenteur de son compte ; que ces comptes bancaires ont alors été vidés ; que le fait d'avoir été privé de ses liquidités la veille d'un voyage professionnel au Liban l'a alors contraint à annuler la prestation promise à son client, la société Qunitiles, consistant en une mission d'expertise technique concernant l'équipement d'un hôpital militaire en projet à Beyrouth ; que le Trésor public a commis plusieurs fautes dans la mise en oeuvre de la procédure d'avis à tiers détenteur dès lors que cet avis n'a pas été précédé d'une lettre de rappel et qu'il ne l'a pas dénoncé régulièrement au débiteur ; que l'absence de réalisation du prélèvement automatique à échéance à l'origine de l'émission d'avis à tiers détenteur résulte d'un dysfonctionnement interne reconnu par le Trésor public ; que les préjudices subis consistent en un préjudice financier, né de la perte des revenus professionnels évalués à 60 000 euros, en des préjudices moraux évalués à 5 000 euros nés, notamment, de la situation humiliante qu'il a connue en étant contraint d'emprunter des liquidités à des amis et en la réparation du pretium doloris et des troubles dans ses conditions d'existence liés aux conséquences des traitements médicaux qu'il a dû subir, évalués à 5 000 euros ;

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Vu les autres pièces du dossier et notamment la demande indemnitaire en date du 26 janvier 2005 adressée par M. A au trésorier principal de Saint-Ouen ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le décret n° 92- 755 du 31 juillet 1992 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 septembre 2011 :

- le rapport de M. Bresse, président assesseur,

- et les conclusions de M. Brunelli, rapporteur public ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que le jugement attaqué ne vise pas le mémoire du requérant, enregistré le 26 mai 2009 au greffe du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise et ne répond pas au moyen soulevé dans ledit mémoire tiré de l'absence d'envoi d'une lettre de rappel ; qu'ainsi le jugement est entaché d'une omission à statuer et doit donc être annulé pour ce motif ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le défendeur à la demande de première instance :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la lettre de rejet de la demande d'indemnisation du 24 mars 2005 présentée par M. A aux services fiscaux n'indiquait pas au requérant les voies et délais de recours ; qu'ainsi la saisine du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 10 octobre 2006 n'était donc pas tardive ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le défendeur doit être écartée ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant que M. A recherche la responsabilité fautive de l'Etat au motif que l'émission illégale d'avis à tiers détenteur le 24 novembre 2004 par le trésorier de Saint-Ouen, signifié à la Banque postale le 3 décembre 2004, lui aurait causé divers préjudices professionnels et personnels ;

Considérant, en premier lieu, qu'une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice ; qu'un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie ; que toutefois, l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur en indemnité pour atténuer ou s'exonérer de sa responsabilité ;

Considérant, en l'espèce, qu'il résulte de l'instruction que le comptable du trésor de Saint-Ouen a émis le 24 novembre 2004 deux avis à tiers détenteur pour avoir paiement du solde de l' impôt sur le revenu de M. A au titre de l'année 2003 ; que l'envoi des avis à tiers détenteur litigieux fait suite à une double émission injustifiée au cours d'une même année de deux rôles d'impôt sur le revenu assortie de deux codifications informatiques différentes concernant la situation familiale de M. A, à l'origine de l'absence de prélèvement automatique du solde de l'impôt sur le revenu 2003, alors que, comme l'établissent les mentions portées sur les deux premiers acomptes provisionnels de 2004, la situation de veuvage de M. A était déjà connue des services ; que d'ailleurs, le receveur des finances de Saint-Denis a explicitement reconnu un dysfonctionnement interne du département informatique régional dans ses courriers adressés au contribuable le 13 décembre 2004 et le 24 mars 2005 ; qu'ainsi, en décidant d'engager des poursuites par voie d'émission d'avis à tiers détenteur, l'administration fiscale à commis une faute de matière à engager la responsabilité de l'Etat ;

Considérant, en deuxième lieu, que si le ministre fait valoir qu'il a expédié dès le 7 décembre 2004 une télécopie à la Banque Postale pour ordonner la mainlevée des avis à tiers détenteur notifiés le 24 novembre 2004 sur le compte courant postal de M. A et sur son compte d'épargne, il résulte toutefois de l'instruction que, ce document n'était pas signé et ne comportait que les références de l'un des deux comptes détenus par M. A ; que la banque a indiqué dans un courrier du 27 janvier 2005 qu'elle n'avait pas encore reçu, à cette date, l'original de la mainlevée ; que nonobstant ces circonstances et alors que, La Poste devait, en application des dispositions des articles 73 et 74 du décret du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution, rendre indisponible pendant 15 jours la totalité des fonds se trouvant sur les comptes de M. A visés dans l'avis à tiers détenteur, elle a néanmoins rendu les sommes disponibles les 10 et 14 décembre 2004, délais qui ne sont pas anormalement longs dans les circonstances de l'espèce ; qu'ainsi, le ministre ne saurait, pour s'exonérer de ses fautes ou les atténuer, invoquer les lenteurs de la Banque Postale ;

Considérant, en troisième lieu, que si le ministre fait valoir que le requérant a commis une faute en n'acceptant pas le nouveau contrat de prélèvement automatique de son impôt sur le revenu qui lui aurait été proposé, à la suite du décès de son épouse, la souscription d'un tel contrat ne constituait pas une obligation pour le contribuable ; qu'en outre, le ministre ne justifie pas que le requérant aurait effectivement opposé un tel refus ; qu'ainsi, le ministre n'est pas fondé, pour s'exonérer de ses fautes ou les atténuer, à invoquer une faute du requérant ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre, du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat doit être déclaré entièrement responsable des préjudices subis par M. A ;

Sur les préjudices :

Considérant que M. A est fondé à obtenir l'indemnisation de ses préjudices à la double condition d'établir, d'une part, leur caractère certain et, d'autre part, leur lien de causalité direct avec l'émission de l'avis à tiers détenteur et le blocage de ses comptes bancaires ;

Considérant, en premier lieu, que M. A demande l'indemnisation du préjudice résultant de l'annulation du contrat de prestation de service qu'il aurait dû exécuter au Liban entre le 8 et le 22 décembre 2004 au profit de la société Quintiles, consécutive à l'impossibilité pour lui de disposer de fonds bancaires à l'étranger dès lors que la mainlevée n'a été rendue effective sur son compte courant que le 14 décembre 2004 ; que compte tenu de l'imminence, établie par les pièces du dossier, de ces prestations qui étaient dès lors certaines dans leur principe et leur montant, la perte de la rémunération afférente à ce contrat d'un montant de 5 000 euros doit être intégralement indemnisée ; qu'en revanche, le préjudice financier allégué par le requérant tenant à la perte de l'opportunité d'effectuer d'autres vacations d'expertise technique pendant cinq ans pour la même société présente un caractère éventuel dans la mesure où la concrétisation de ces missions était subordonnée, selon les termes mêmes du courrier de la société Quintiles du 2 septembre 2004, tant au bon déroulement de la première mission qu'à l'existence de projets de la société dans la zone géographique concernée ; qu'il en va de même pour les rémunérations attendues de missions de senior technical advisor seulement susceptibles, selon le même courrier, de lui être confiées à la demande et selon des modalités et conditions à définir au cas par cas ;

Considérant, en second lieu, que M. A demande, en outre, l'indemnisation du préjudice moral, du pretium doloris et des troubles dans ces conditions d'existence découlant des fautes commises par les services du recouvrement ; qu'il sera fait une juste évaluation des conséquences des fautes commises par l'Etat en fixant le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence à la somme de 1 500 euros chacun ; qu'en revanche, il n'y a pas matière, dans les circonstances de l'espèce, à indemnisation d'un pretium doloris ; qu'ainsi, le préjudice total indemnisable s'élève à 8 000 euros ; qu'il y a donc lieu de condamner l'Etat à verser cette somme à M. A et de rejeter le surplus des prétentions du requérant ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 0609175 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A une somme de huit mille euros (8 000 euros).

Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel et de la demande de M. A devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejeté.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 09VE03102
Date de la décision : 27/09/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Services économiques. Services fiscaux.


Composition du Tribunal
Président : Mme COËNT-BOCHARD
Rapporteur ?: M. Patrick BRESSE
Rapporteur public ?: M. BRUNELLI
Avocat(s) : S.E.L.A.F.A. CABINET CASSEL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2011-09-27;09ve03102 ?
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