Vu, enregistrée le 5 septembre 2008, l'ordonnance en date du 27 août 2008 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat renvoyant à la Cour administrative d'appel de Versailles le jugement de la requête présentée pour la SOCIETE GENERALE, dont le siège social est situé 29, boulevard Haussmann à Paris (75009), par Me Chahid-Nouraï ;
Vu ladite requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Paris le 16 mai 2008, par laquelle la SOCIETE GENERALE demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0214155 et 0214160 en date du 19 mars 2008 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de retenue à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1992 et 1993 ;
2°) à titre principal, de prononcer la décharge sollicitée ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire le taux de la retenue à la source de 25 % à 15 % et de prononcer la réduction du montant d'imposition correspondante ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que le jugement du Tribunal administratif de Paris est irrégulier en tant qu'il a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que les aides consenties à la société BSG Stockholm, sa filiale suédoise, étaient normales à la date à laquelle elles avaient été consenties ; que les abandons de créances consentis en 1992 à la société BSG Stockholm ne sont pas constitutifs d'un acte anormal de gestion ; que, si l'abandon a eu un caractère financier et non commercial, cette circonstance est sans influence sur le quantum déductible en raison de la situation négative de sa filiale ; que les dispositions de l'article 209 du code général des impôts relatives à la territorialité de l'impôt sur les sociétés ne s'opposent pas à la déduction de l'abandon de créances consenti à une filiale étrangère dès lors que cet abandon est justifié par une gestion commerciale de l'ensemble des intérêts propres de l'entreprise exploitée en France, notamment le souci de préserver le crédit ou le renom de la société mère en France ; qu'en l'espèce, l'abandon de créances correspondait à son intérêt propre en ce que la faillite de sa filiale suédoise, qui n'aurait pas permis de désintéresser l'ensemble des créanciers, aurait eu un retentissement négatif sur son renom, y compris en France, la confiance étant essentielle dans le secteur bancaire ; que c'est à tort que le service lui a opposé que les difficultés de sa filiale résultaient d'un contexte économique général et non de son propre fait, une telle restriction ne figurant pas dans la jurisprudence et n'étant pas économiquement pertinente ; que la référence à la pérennité des ressources constituées par les intérêts attachés aux prêts financiers n'est pas pertinente ; que, s'agissant de l'année 1993, les abandons de créances consentis sont déductibles des résultats pour les mêmes motifs ; qu'en outre, la position adoptée par l'administration sur le funding marc conduit nécessairement à considérer les pertes subies lors de la liquidation comme déductibles comme se rattachant à celui-ci ; que les redressements étant infondés en matière d'impôt sur les sociétés, la décharge des cotisations supplémentaires de retenue à la source doit être accordée par voie de conséquence ; qu'à titre subsidiaire, le taux de la retenue à la source doit être ramené de 25 % à 15% en application de l'article 10-2 de la convention fiscale signée entre la France et la Suède le 27 novembre 1990 ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée à Stockholm le 27 novembre 1990, complétée par un échange de lettres des 14 et 18 mars 1991 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 mai 2010 :
- le rapport de M. Bresse, président assesseur,
- les conclusions de M. Brunelli, rapporteur public,
- et les observations de Me Chaid-Nouraï, pour la SOCIETE GENERALE ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 mai 2010, présentée pour la SOCIETE GENERALE ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que la SOCIETE GENERALE soutient que le jugement attaqué est irrégulier du fait que le Tribunal administratif de Paris aurait omis de statuer sur le moyen tiré de ce que les aides consenties à la société BSG Stockholm, sa filiale suédoise, étaient normales à la date à laquelle elles avaient été consenties ; que, toutefois, dès lors qu'il a estimé que la SOCIETE GENERALE ne justifiait pas de l'intérêt qu'elle avait à consentir des abandons de créance aux dates auxquelles elle les avait opérés, le tribunal n'était pas tenu de répondre au moyen tiré du caractère normal des aides accordées à l'origine de ces abandons, qui était, de ce fait, inopérant ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toutes natures faites par l'entreprise à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale ; que, s'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'un abandon de créance consenti par une entreprise à un tiers constitue un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié, en retour, de contreparties ; que, lorsque l'abandon de créance est consenti à une filiale située à l'étranger, le contribuable doit démontrer que l'abandon est justifié par une gestion normale de l'ensemble des intérêts propres de l'entreprise exploitée en France ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SOCIETE GENERALE a consenti à sa filiale suédoise, dénommée BSG Stockholm, laquelle exerçait une activité bancaire au profit des petites et moyennes entreprises et du secteur immobilier, tout d'abord des avances sous forme de lignes de crédits appelées funding marc , lesquelles s'élevaient à 2 220 millions de francs au 31 décembre 1992 ; que, du fait de la persistance de la crise économique survenue durant le second trimestre de l'année 1990 en Suède et afin de satisfaire au ratio de fonds propres exigé par les autorités suédoises, lequel a été porté à 8,75 % à la fin de l'année 1991, elle a également accordé à sa filiale un prêt subordonné de 91 millions de francs au mois de décembre 1990 et des avances en compte courant en décembre 1990, février 1991 et octobre 1991 pour des montants respectifs de 91 millions de francs, 40 millions de francs et 155 millions de francs ; qu'ainsi, au 1er janvier 1992, les créances de la SOCIETE GENERALE sur cette filiale s'élevaient à 3 033 millions de francs au titre du funding marc , 91 millions de francs au titre du prêt subordonné et 286 millions de francs au titre des avances en compte courant, soit au total 3 410 millions de francs ; que la SOCIETE GENERALE, au vu de la dégradation du contexte économique et de la situation propre de sa filiale, a décidé en novembre 1991 de procéder à sa liquidation amiable et lui a consenti en 1992 et 1993 des abandons de créances ; que l'administration a notamment réintégré dans les résultats de la SOCIETE GENERALE ces abandons de créances ; que, toutefois, l'administration a admis, après l'entrevue avec l'interlocuteur départemental, la déductibilité des abandons de créance consentis en 1993 à hauteur de 800 millions de francs ;
Considérant, d'une part, qu'alors même que la situation de l'économie suédoise était fortement dégradée et que la société BSG Stockholm connaissait de graves difficultés, ainsi qu'il ressort notamment de la détérioration rapide de ses résultats et de l'augmentation des pertes cumulées telles qu'elles découlent de la note interne du 17 décembre 1991, du rapport de synthèse du 9 octobre 1991 établi par les inspecteurs généraux de la SOCIETE GENERALE et de la note du 28 février 1992, il ne résulte pas de l'instruction que la SOCIETE GENERALE, dont l'objectif était de procéder à une liquidation amiable de sa filiale afin d'éviter le retentissement négatif sur son renom qu'aurait pu avoir la faillite de celle-ci, aurait pris des risques excédant manifestement ceux qu'une entreprise peut être conduite à prendre en accordant les avances susrappelées à sa filiale en 1990 et 1991 ; qu'ainsi, l'administration, qui soutient par ailleurs que la situation de la filiale n'était pas suffisamment dégradée pour justifier les abandons de créances sur ces avances, n'est pas fondée à soutenir qu'en consentant lesdites avances, la SOCIETE GENERALE aurait commis un acte anormal de gestion ;
Considérant, d'autre part, qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, la société BSG Stockholm a connu une dégradation très rapide de sa situation financière ; que, notamment, à la suite de la constatation de résultats négatifs successifs, le montant cumulé de ses pertes est passé de 537 millions de couronnes suédoises, soit environ 499 millions de francs au 31 décembre 1991, à 1 478 millions de couronnes suédoises, soit environ 1 374 millions de francs au 31 juillet 1992 et, enfin, à 1 848 millions de couronnes suédoises, soit, compte tenu de la dégradation du taux de change de la couronne suédoise, environ 1 367 millions de francs au 30 juin 1993 ; qu'un pourcentage croissant de ces créances sur les emprunteurs était douteux, soit un quart au 30 juin 1991, un tiers au 1er avril 1992 et 52 % au 31 juillet 1992 ; que, dès lors, alors même que le rapport de l'inspection générale du 9 octobre 1991 n'excluait pas toute possibilité de poursuite d'activité et que la note interne du 28 février 1992 exposait certaines solutions afin d'améliorer le recouvrement des créances, la situation de BSG Stockholm était suffisamment difficile, quand bien même il n'est pas démontré que son actif net était négatif, pour que la SOCIETE GENERALE lui accorde, en 1992 et 1993, les abandons de créances susmentionnés afin de lui éviter le dépôt de bilan, de permettre sa dissolution dans de bonnes conditions et de sauvegarder le bon renom de la société mère en France, en raison du retentissement qu'aurait pu avoir la liquidation de sa filiale sur la confiance de ses partenaires en cas de divulgation de cette information, alors même que cette filiale était de taille modeste ; que, dans ces conditions, la circonstance que la liquidation a été décidée à titre amiable dès la fin de l'année 1991, avant même l'octroi des abandons de créances consentis en 1992 et 1993, est sans incidence sur le droit à déduction de ces derniers ; qu'est également sans incidence à cet égard le fait que la situation déficitaire de la société BSG Stockholm proviendrait essentiellement de la dégradation générale de la situation de l'économie suédoise à partir du second semestre de l'année 1990 plutôt que de la gestion propre de cette filiale ; que, par suite, la SOCIETE GENERALE est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a estimé qu'il n'y avait aucun risque d'atteinte à son renom en France et c'est également à tort que l'administration a estimé que les abandons de créances en cause étaient constitutifs d'un acte anormal de gestion ;
Considérant, toutefois, qu'il convient de vérifier si l'aide financière apportée par la société mère à sa filiale n'a pas valorisé sa participation au sein de cette filiale ; que, pour apporter la preuve que la valeur de sa participation dans le capital de sa filiale n'a pas augmenté, il appartient à la société qui consent une aide financière à cette filiale d'apporter tous éléments de nature à justifier de la situation nette réelle de cette dernière à la clôture des exercices au cours desquels l'aide a été apportée ;
Considérant que l'état du dossier ne permet pas de s'assurer que les pertes cumulées de la société BSG Stockholm avaient atteint un niveau tel que le montant des créances des tiers, y compris celles de la société mère, fût supérieur à la valeur de réalisation de l'actif social, après les abandons de créances consentis, à la clôture des exercices 1992 et 1993 de la SOCIETE GENERALE, compte tenu notamment des 800 millions de francs déjà admis en déduction par l'administration au titre de l'exercice clos en 1993, et donc que l'intégralité des abandons de créances consentis était déductible ; que, si la SOCIETE GENERALE a produit de nouveaux documents à l'appui de la note en délibéré enregistrée le 11 mai 2010, il y a lieu de communiquer ceux-ci, auxquels pourraient d'ailleurs être utilement adjoints des éléments d'information ou pièces complémentaires, au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat afin d'assurer le respect du caractère contradictoire de la procédure ; qu'il y a donc lieu d'ordonner avant dire droit un supplément d'instruction contradictoire à l'effet d'inviter la SOCIETE GENERALE à fournir tous éléments complémentaires sur ce point dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt et de permettre à l'administration fiscale de se prononcer sur l'ensemble des éléments produits ou à produire par la requérante ;
D E C I D E
Article 1er : Avant de statuer sur la requête de la SOCIETE GENERALE, il sera procédé, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, au contradictoire du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, à un supplément d'instruction dont l'objet est défini dans les motifs du présent arrêt.
Article 2 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
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N° 08VE02846 2