Vu la requête, enregistrée le 4 septembre 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour Mme Fatoumata A, demeurant ..., par Me Piralian ; Mme A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0707166 du 10 juillet 2009 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 7 mai 2007 par laquelle le préfet de l'Essonne a refusé la demande de regroupement familial concernant ses enfants Alassane, El Hadji et Mamadou B ;
2°) d'annuler la décision du 7 mai 2007 ;
3°) de donner injonction au préfet de l'Essonne d'autoriser l'introduction en France au titre du regroupement familial des enfants Alassane, El Hadji Daouda et Mamadou B, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que le jugement est entaché d'omission à statuer et d'insuffisance de motivation sur le moyen tiré de ce que la violence ou l'absence de son mari peut conduire à autoriser le regroupement familial sans autorisation de celui-ci ; qu'il ne répond pas aux moyens de légalité externe de la demande de première instance et au moyen tiré d'une erreur formelle ; que le signataire de l'arrêté attaqué ne justifie pas d'une délégation de signature régulière et publiée ; que la décision est fondée sur des faits matériellement inexacts, une erreur ayant été commise sur le prénom du père des enfants ; qu'elle est entachée d'erreur de droit, dans la mesure où l'absence d'autorisation du père des enfants ou de jugement judiciaire lui confiant la garde des enfants ne pouvait justifier un refus de regroupement familial dans l'hypothèse particulière où le père n'a plus de rapport avec les enfants ou a fait preuve de violence à leur égard ou à l'égard de son conjoint ; que, par ailleurs, elle a produit des documents justifiant qu'elle a la garde des enfants ; que la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où ces enfants sont actuellement confiés à leurs grands-parents qui, en raison de leur âge, ne sont en mesure de pourvoir à leur éducation et à leur entretien ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 16 janvier 1990 ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 mai 2010 :
- le rapport de M. Morri premier conseiller,
- les conclusions de M. Brunelli, rapporteur public,
- et les observations de Me Piralian, pour Mme A ;
Considérant que par une décision en date du 7 mai 2007, le préfet de l'Essonne a refusé la demande de regroupement familial présentée par Mme A, de nationalité guinéenne, au profit de trois de ses enfants mineurs, Alassane, El Hadji Daouda et Mamadou nés d'une précédente union avec M. B, au motif qu'elle ne pouvait justifier d'un jugement judiciaire lui confiant la garde de ces enfants et de l'autorisation de leur père pour leur venue en France ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que le jugement attaqué a omis de statuer sur le moyen opérant tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte attaqué ; que Mme A est par suite fondée à soutenir que ce jugement est irrégulier et doit être annulé ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A devant le Tribunal administratif de Versailles ;
Sur la légalité de la décision contestée :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ; qu'aux termes de l'article L. 411-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser l'autre mineur venir en France. ;
Considérant que Mme A, de nationalité guinéenne, est entrée en France le 11 février 2000 en compagnie de deux de ses enfants, dans le cadre d'un regroupement familial partiel sollicité par son mari ; qu'à cette occasion, elle a été séparée de quatre de ses enfants mineurs, nés en 1987, 1989, 1991 et 1993 et qui n'ont pas bénéficié de ce regroupement ; que peu après la naissance d'un septième enfant sur le territoire français, en 2001, Mme A a été contrainte de contrainte de quitter le domicile conjugal, en raison du comportement violent de son époux à son égard et à celui de ses enfants ; que depuis cette séparation, Mme A n'a plus de contact avec le père de ses enfants, avec lequel un divorce a été prononcé par les juridictions guinéennes le 20 avril 2005 ; que Mme A élève seule ses enfants et que le père ne participe ni à leur entretien, ni à leur éducation ;
Considérant qu'après avoir retrouvé un logement et un emploi stable, Mme A a sollicité le 16 juillet 2006 l'introduction en France au titre du regroupement familial de ses trois enfants encore mineurs résidant en Guinée, Alassane né en 1989, El Hadji Daouda né en 1991 et Mamadou né en 1993 ; que par une décision du 7 mai 2007, le préfet de l'Essonne a rejeté cette demande au motif que Mme A, qui remplissait les conditions de ressources et de logement exigées par la législation en vigueur, ne pouvait cependant justifier, en application de l'article L. 411-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'un jugement lui confiant explicitement la garde de ses enfants et d'une autorisation du père de ceux-ci ;
Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A est dans l'impossibilité d'obtenir le consentement de son ex-mari, dans la mesure où la séparation est intervenue à la suite du comportement violent de celui-ci et où elle a perdu contact avec l'intéressé qui a rompu tout lien avec elle et avec ses enfants ; que le jugement de divorce du 20 avril 2005, s'il ne lui confie pas explicitement la garde de ses enfants, constate néanmoins qu'ils sont à sa charge ; que Mme A soutient, sans être contredite, que les grands-parents de ses enfants restés en Guinée sont désormais âgés et ne sont plus à même de les prendre en charge ; que les enfants vivent séparés de leur mère et de leurs frères et soeurs depuis 2000 et que compte tenu de leur âge, qui ne permettrait pas d'entreprendre utilement de nouvelles démarches avant leur majorité, le refus de permettre le regroupement familial aurait pour effet de conférer à cette séparation un caractère durable ; qu'ainsi, et dans les circonstances particulières de l'espèce, la décision du préfet de l'Essonne a porté une atteinte disproportionnée au droit de Mme A de mener une vie privée et familiale normale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A est fondée à demander l'annulation de la décision en date du 7 mai 2007 par laquelle le préfet de l'Essonne a rejeté sa demande de regroupement familial au profit des ses enfants Alassane, El Hadji Daouda et Mamadou ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ;
Considérant qu'eu égard au motif énoncé ci-dessus, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de l'Essonne délivre à Mme A l'autorisation de regroupement familial sollicitée ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de l'Essonne d'autoriser la venue en France, au titre du regroupement familial, des enfants Alassane, El Hadji Daouda et Mamadou , dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge à la charge de l'Etat, partie perdante, une somme de 2000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0707166 du Tribunal administratif de Versailles en date du 10 juillet 2009 est annulé.
Article 2 : La décision du préfet de l'Essonne en date du 7 mai 2007 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Essonne d'autoriser la venue en France au titre du regroupement familial des trois enfants Alassane, El Hadji Daouda et Mamadou mentionnés dans la décision du 7 mai 2007, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
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N° 09VE03035 2