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01/10/2009 | FRANCE | N°08VE01115

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 01 octobre 2009, 08VE01115


Vu la requête, enregistrée le 21 avril 2008 en télécopie et le 22 avril 2008 en original au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour M. Jérôme X, demeurant ... et pour M. Didier X, demeurant ..., par Me Labetoule ; les consorts X demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0508717 en date du 13 mars 2008 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Ouen à leur verser la somme de 797 360 euros, portant intérêts au taux légal et capitalisation de ces inté

rêts, en réparation du préjudice subi en raison d'une préemption illéga...

Vu la requête, enregistrée le 21 avril 2008 en télécopie et le 22 avril 2008 en original au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour M. Jérôme X, demeurant ... et pour M. Didier X, demeurant ..., par Me Labetoule ; les consorts X demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0508717 en date du 13 mars 2008 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Ouen à leur verser la somme de 797 360 euros, portant intérêts au taux légal et capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice subi en raison d'une préemption illégale ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commune de Saint-Ouen a rejeté leur demande indemnitaire et de condamner ladite commune à leur verser cette somme ;

3°) de nommer un expert afin d'évaluer le préjudice subi par eux ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Ouen le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent, sur la régularité du jugement attaqué, que leur demande était recevable, dès lors qu'ils ont subi personnellement et directement un préjudice résultant de la décision de préemption illégale ; que la société civile immobilière acquéreur était en cours de formation et qu'en signant la promesse de vente dont s'agit, M. Jérôme X n'a pu s'engager que pour lui-même et pour le compte de son frère, qui lui avait donné mandat pour ce faire, comme indiqué dans la promesse de vente, et non pour le compte de la SCI du Sacré-Coeur alors en cours de formation, nonobstant la mention de cette société dans la déclaration d'intention d'aliéner ; que les requérants étaient libres de réaliser l'opération projetée, soit sous leur nom propre, soit sous celui de la société dont ils prévoyaient de détenir l'intégralité des parts sociales ; qu'à la suite de la décision de préemption, l'acte constitutif de la société n'est jamais intervenu ; que le fait qu'à la date de la préemption, la société n'ait pas encore été créée, mais que cette création était seulement envisagée, ne fait pas obstacle à l'intérêt pour agir des requérants, un requérant ayant toujours intérêt pour agir pour demander l'annulation d'un refus opposé à sa demande par l'administration ; que les fondateurs de la société ont intérêt pour agir, même si les actes constitutifs de celle-ci ne sont pas intervenus ; sur la légalité de la décision de préemption, qu'elle est dépourvue de base légale à défaut de délibération exécutoire instaurant le droit de préemption urbain ; qu'il n'existe pas de projet urbain justifiant la préemption ; qu'il n'y a pas d'information sur sa nature ; que la délibération du 19 janvier 2004 visée par la décision ne saurait constituer une motivation par référence valable ; que la commune se borne à évoquer des études , alors qu'aucune étude n'a été réalisée ; que la délibération ne fait mention ni du droit de préemption, ni même de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ; que la commune n'avait aucun projet précis puisqu'elle a vendu quelques mois plus tard le terrain à un promoteur ; qu'il y a détournement de pouvoir en ce que la commune utilise le droit de préemption pour gérer sa population ; sur le préjudice, qu'il consiste, en premier lieu, dans le manque à gagner résultant de l'abandon forcé du projet, qui s'élève à 600 000 euros ; qu'en deuxième lieu, les frais engagés pour la réalisation du projet s'élèvent à 71 760 euros TTC correspondant à l'établissement du permis de construire ; que le préjudice moral résultant de l'attitude inacceptable de la commune s'élève à 8 000 euros ; qu'à toutes fins utiles, il y a lieu d'ordonner la désignation d'un expert pour évaluer le préjudice ; que le lien de causalité est établi ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 septembre 2009 :

- le rapport de Mme Agier-Cabanes, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Kermorgant, rapporteur public,

- les observations de Me Crochemore, de CLL avocats, pour M. Jérôme X et M. Didier X,

- et les observations de Me Février, substituant Me Salaün, pour la commune de Saint-Ouen ;

Considérant que les consorts X ont signé, le 30 décembre 2003, une promesse de vente pour la SCI du Sacré-Coeur, non encore créée à cette date, concernant une parcelle d'une superficie de 516 mètres, sise 98, rue du docteur Bauer, à Saint-Ouen ; que, le 10 mars 2004, ils ont présenté une demande de permis de construire sur ladite parcelle ; que, par décision du 30 mars 2004, notifiée le jour même, la commune de Saint-Ouen a décidé d'exercer son droit de préemption sur cette parcelle ; que, par jugement en date du 13 mars 2008, dont les consorts X relèvent appel, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté comme irrecevable leur demande tendant à la réparation du préjudice subi en raison de cette préemption qu'ils estiment illégale ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant que les consorts X font valoir qu'ils ont qualité leur donnant intérêt à agir en leur nom personnel et en tant que membres fondateurs de la SCI du Sacré-Coeur, pour demander réparation du préjudice résultant de l'impossibilité de réaliser l'opération projetée ; qu'il résulte de l'instruction que M. Jérôme X a signé la promesse de vente en son nom propre et au nom de son frère Didier, en vertu d'un mandat donné par celui-ci ; que, dès lors, nonobstant le fait qu'ils ont agi pour le compte d'une société en formation qui n'a finalement pas été créée, les requérants se sont engagés à titre personnel dans le projet de construction d'un immeuble à usage d'habitation pour lequel la S.C.I du Sacré-Coeur devait être créée ; que, dès lors, ils doivent être regardés comme ayant personnellement qualité donnant intérêt à agir en vue de la réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi en raison de l'illégalité de la décision de préemption ; que, dès lors, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, leur demande était recevable ; qu'ainsi, le jugement en date du 13 mai 2008 doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par les consorts X devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

Sur la responsabilité de la commune :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors applicable : Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans la cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone. Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. Il en est de même lorsque la commune a délibéré pour délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine ; qu'aux termes de l'article L. 300-1 du même code : Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. ; qu'il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption ;

Considérant, d'une part, que la décision de préemption du 30 mars 2004 se borne à indiquer qu'elle a pour objet une parcelle située dans le périmètre élargi Curie-Rosiers-Michelet-Bauer et qu'elle intervient en vue de l'aménagement du secteur , sans faire aucunement apparaître la nature du projet poursuivi ; que, d'autre part, il ne résulte pas de l'instruction qu'à la date de cette décision, la commune de Saint-Ouen justifiait de la réalité d'un projet d'aménagement concernant cette parcelle ; que, dès lors, les consorts sont fondés à soutenir que la décision de préemption en date du 30 mars 2004 est entachée d'illégalité ; que cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ;

Sur le préjudice :

Considérant, en premier lieu, que, si les requérants demandent la réparation du dommage qu'ils ont subi du fait de la perte des bénéfices escomptés lors de la revente du bien immobilier qu'ils envisageaient de construire sur la parcelle illégalement préemptée et font valoir qu'ils auraient pu bénéficier du transfert d'un permis de construire un immeuble d'habitation et un commerce sur la parcelle en cause délivré le 16 avril 2003, ils n'établissent pas la réalité de ce transfert ; qu'ils n'établissent pas davantage qu'ils disposaient des financements nécessaires à la réalisation de l'opération ; qu'il ne résulte, ainsi, d'aucune des pièces qu'ils ont produites, tant devant le tribunal administratif qu'en appel, que le préjudice relatif au manque à gagner résultant de l'impossibilité de faire réaliser cet immeuble par la S.C.I du Sacré-Coeur présenterait un caractère, non pas éventuel, mais direct et certain ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que les requérants démontrent, par les documents qu'ils ont produits, avoir engagé, pour l'établissement du dossier de permis de construire, des frais concernant l'esquisse du projet, l'avant-projet sommaire, le dépôt du permis de construire et une étude de projet tenant compte d'une modification du coefficient d'occupation des sols pour un montant total de 71 760 euros TTC ; que, dans ces conditions, ils sont en droit de demander le remboursement de cette somme au titre des frais qu'ils ont exposés inutilement en raison de la décision illégale de préemption ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la commune de Saint-Ouen, en prenant la décision illégale de préemption du 30 mars 2004 concernant la parcelle dont les consorts X s'étaient portés acquéreurs, et alors qu'un autre promoteur privé, à qui la commune a ultérieurement cédé cette parcelle, a pu réaliser, sur cette parcelle, un projet similaire à celui envisagé par les requérants, a fait subir à ces derniers un préjudice moral dont ils sont en droit de demander réparation ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant aux consorts X la somme de 8 000 euros à ce titre ;

Sur les intérêts :

Considérant que les consorts X ont droit aux intérêts de la somme de 79 760 euros à compter du 7 juillet 2005, date de réception, par la commune de Saint-Ouen, de leur demande préalable d'indemnisation ;

Sur les intérêts des intérêts :

Considérant que la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que, s'agissant du présent litige, celle-ci a été demandée, pour la première fois, devant le tribunal administratif le 5 octobre 2005 ; qu'à cette date, une année n'était pas encore écoulée depuis la demande d'indemnisation ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande à compter du 7 juillet 2006, date anniversaire de cette demande d'indemnisation, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions à fin d'expertise :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, eu égard à son caractère frustratoire, d'ordonner l'expertise demandée par les consorts X ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Ouen le versement aux consorts X d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Considérant, en revanche, que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mis à la charge des consorts X, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la commune de Saint-Ouen de la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement en date du 13 mai 2008 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.

Article 2 : La commune de Saint-Ouen versera aux consorts X une somme de 79 760 euros qui portera intérêt au taux légal à compter du 7 juillet 2005. Les intérêts échus à la date du 7 juillet 2006, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : La commune de Saint-Ouen versera aux consorts X une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des consorts X est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la commune de Saint-Ouen présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N° 08VE01115 3


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 08VE01115
Date de la décision : 01/10/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme TANDONNET-TUROT
Rapporteur ?: Mme Isabelle AGIER-CABANES
Rapporteur public ?: Mme KERMORGANT
Avocat(s) : SALAUN

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2009-10-01;08ve01115 ?
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