Vu les procédures suivantes :
Procédures contentieuses antérieures :
I - M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté n° 2023-Asile-34-67 du 21 mars 2023 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a interdit de retour sur le territoire français pendant une durée de quatre mois.
Par un jugement n° 2302162 du 6 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.
II - Mme E... C... a demandé au même tribunal administratif d'annuler l'arrêté n° 2023-Asile-34-68 du 21 mars 2023 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a interdite de retour sur le territoire français pendant une durée de quatre mois.
Par un jugement n° 2302163 du 6 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 novembre 2023, Mme et M. C..., représentés par Me Mazas, demandent à la cour :
1°) d'annuler les deux jugements du 6 juin 2023 ;
2°) d'annuler les deux arrêtés pris par le préfet de l'Hérault le 21 mars 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de réexaminer leur situation et, dans l'attente, de leur délivrer des autorisations provisoires de séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
Sur la régularité des jugements :
- les jugements attaqués sont insuffisamment motivés en tant qu'ils se prononcent sur les moyens tirés de ce que les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- ils sont également insuffisamment motivés en tant qu'ils se prononcent sur les moyens tirés de ce que les décisions portant obligation de quitter le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et procèdent d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Sur le bien-fondé des jugements :
- les arrêtés attaqués ont été signés par une autorité incompétente ;
- les décisions portant obligation de quitter le territoire français méconnaissent tant l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que l'article 3-1 de la convention internationale pour les droits de l'enfant ; les mêmes décisions sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de leur situation personnelle et notamment de leurs attaches privées et familiales en France ;
- les décisions fixant le pays de renvoi sont entachées d'une erreur d'appréciation au regard des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français pendant quatre mois sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2024, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par une ordonnance en date du 11 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 décembre 2024.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 4 octobre 2023.
La demande d'aide juridictionnelle de M. C... a été rejetée le même jour comme faisant double emploi avec celle de Mme C....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jazeron, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme et M. C..., ressortissants ouzbeks, nés respectivement les 26 janvier 1987 et 10 février 1980, mariés depuis 2011, sont entrés sur le territoire français le 18 juin 2017 avec leurs deux premiers enfants sous couvert de visas de court séjour et ont sollicité le bénéfice de l'asile. Les autorités françaises ont initié une procédure de transfert des intéressés aux autorités tchèques, mais, cette procédure n'ayant pas abouti, leurs demandes d'asile ont été enregistrées en France le 29 janvier 2020. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté lesdites demandes par deux décisions rendues le 30 mars 2021, lesquelles ont été confirmées par la Cour nationale du droit d'asile le 12 septembre 2022. Par deux arrêtés pris le 21 mars 2023, le préfet de l'Hérault a obligé les intéressés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et les a interdits de retour sur ce territoire pour une durée de quatre mois. Par leur requête, Mme et M. C... relèvent appel des deux jugements du 6 juin 2023 par lesquels le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes respectives tendant à l'annulation de ces deux arrêtés préfectoraux.
Sur la régularité des jugements :
2. L'article L. 9 du code de justice administrative mentionne que : " Les jugements sont motivés. ".
3. D'une part, il ressort des termes des jugements attaqués et, plus particulièrement de leurs points 4 et 6, que, pour répondre aux moyens soulevés par les requérants tirés de ce que les décisions portant obligation de quitter le territoire français méconnaissaient l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et procédaient d'une erreur manifeste d'appréciation, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rappelé la date de leur entrée en France avec leurs deux premiers enfants et a relevé qu'ils n'établissaient pas être dépourvus d'attaches familiales dans leur pays d'origine. Le premier juge n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par les intéressés et a ainsi suffisamment énoncé les raisons pour lesquelles il a écarté les moyens susmentionnés. Il s'ensuit que les jugements critiqués sont suffisamment motivés en tant qu'ils statuent sur les décisions portant obligation de quitter le territoire français.
4. D'autre part et en revanche, il ressort des points 9 des deux mêmes jugements que, pour écarter les moyens soulevés par les requérants tenant à ce que les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français procédaient d'une erreur manifeste d'appréciation, le magistrat désigné s'est borné à relever que le préfet de l'Hérault avait apprécié la situation des intéressés au regard des quatre critères prévus par l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, puis à mentionner, sans autre précision, qu'il ne ressortait pas des pièces des dossiers que l'autorité préfectorale aurait commis, ce faisant, une erreur manifeste d'appréciation. En se prononçant ainsi, sans indiquer les éléments de fait retenus pour forger son appréciation, le premier juge ne peut être regardé comme ayant suffisamment motivé le rejet des conclusions dirigées contre les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français et les jugements sont donc irréguliers en tant qu'ils statuent sur ces décisions.
5. Il résulte de ce qui précède que les deux jugements du 21 mars 2023 doivent être annulés comme irréguliers en tant qu'ils statuent sur les conclusions de Mme et M. C... tendant à l'annulation des décisions portant interdiction de retour sur le territoire français. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour la cour de se prononcer, par la voie de l'évocation, sur lesdites conclusions et, par la voie de l'effet dévolutif, sur les conclusions tendant à l'annulation des autres décisions contenues dans les deux arrêtés préfectoraux en litige.
Sur les conclusions en annulation :
6. En premier lieu, les arrêtés en litige ont été signés, pour le préfet de l'Hérault, par Mme A... B..., cheffe de bureau de l'asile, de l'éloignement et du contentieux, laquelle bénéficiait d'une délégation à cet effet aux termes d'un arrêté préfectoral du 28 février 2023, publié au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture le jour même. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des arrêtés doit ainsi être écarté comme manquant en fait.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Selon le point 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
8. Il ressort des pièces du dossier que, si Mme et M. C... étaient présents depuis plus de cinq ans en France à la date des arrêtés contestés, ils n'ont été autorisés à y séjourner que pour le temps de l'examen de leurs demandes d'asile, lesquelles ont été définitivement rejetées le 12 septembre 2022 comme il a été exposé au point 1 du présent arrêt. Les intéressés n'ont pas de logement propre et bénéficient d'un hébergement social où ils vivent avec leurs quatre enfants mineurs, les deux premiers nés en Ouzbékistan et les deux suivants en France. Les décisions en litige n'ont pas pour effet de séparer les enfants de leurs parents et aucun élément du dossier ne permet de supposer que ces enfants ne pourraient pas poursuivre une scolarité normale en cas de retour dans le pays d'origine des parents. Si les appelants se prévalent par ailleurs de la présence sur le territoire national de deux sœurs de M. C..., toutes deux en situation régulière, ils n'établissent, ni même au demeurant n'allèguent, qu'ils seraient sans attaches en Ouzbékistan où ils ont passé l'essentiel de leur vie jusqu'à leur arrivée aux âges de 30 et 37 ans. Les requérants ne peuvent enfin justifier d'aucune intégration sociale ou professionnelle particulière en France. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, les mesures d'éloignement litigieuses ne portent pas une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale et ne portent pas non plus atteinte à l'intérêt supérieur de leurs quatre enfants. Il s'ensuit que les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations citées au point précédent doivent être écartés. Pour les mêmes motifs, Mme et M. C... ne sont pas fondés à soutenir qu'en les obligeant à quitter le territoire français, le préfet aurait porté une appréciation manifestement erronée sur leur situation.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". L'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " (...) / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (...). ".
10. Les requérants soutiennent qu'ils craignent pour leur sécurité en cas de retour dans leur pays d'origine au motif qu'ils seraient menacés par les autorités locales en raison du refus de M. C... de révéler aux services de police la localisation de son père recherché pour avoir été témoin d'un meurtre commis par des policiers. Il ressort toutefois des pièces du dossier, d'une part, que la demande de protection internationale présentée par le père du requérant à raison des faits ainsi allégués a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en 2017 et par la Cour nationale du droit d'asile en 2020 et, d'autre part, que, par leurs décisions rappelées au point 1 du présent arrêt, ces deux mêmes instances ont à nouveau considéré que les faits en cause n'étaient pas établis et que les craintes des appelants n'étaient pas fondées. Les intéressés n'apportent pas plus en première instance qu'en appel le moindre élément de nature à justifier de la réalité et de l'actualité des risques de mauvais traitements auxquels ils pourraient se trouver exposés en cas d'éloignement vers l'Ouzbékistan. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations et dispositions citées ci-dessus ne peut qu'être écarté.
11. En quatrième lieu, selon l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. ". Selon l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8. ".
12.
Il est vrai que Mme et M. C... vivent en France depuis presque six ans, que le requérant justifie de la présence régulière de ses deux sœurs sur le territoire national, que les intéressés n'ont pas fait l'objet de précédentes mesures d'éloignement et qu'ils ne représentent pas une menace pour l'ordre public. Compte tenu de l'ensemble des éléments caractérisant la situation de la cellule familiale, tels qu'ils ont été exposés au point 8 du présent arrêt, le préfet de l'Hérault n'a cependant pas fait une inexacte application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prononçant à l'encontre des appelants des interdictions de retour sur le territoire français pour une durée limitée à quatre mois.
13. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que Mme et M. C... ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions portant interdiction de retour sur le territoire français contenues dans les deux arrêtés du 21 mars 2023 et, d'autre part, qu'ils ne sont pas non plus fondés à soutenir que c'est à tort que, par les deux jugements litigieux, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs conclusions tendant à l'annulation des autres décisions contenues dans ces deux mêmes arrêtés préfectoraux.
Sur les conclusions en injonction :
14. Le présent arrêt rejette les conclusions en annulation présentées par les appelants et n'implique aucune mesure d'exécution au titre des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative. Leurs conclusions à fin d'injonction doivent donc être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 s'opposent à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque à verser aux appelants au titre des frais non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Les jugements du tribunal administratif de Montpellier nos 2302162 et 2302163 rendus le 6 juin 2023 sont annulés en tant qu'ils se prononcent sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions portant interdiction de retour sur le territoire français contenues dans les arrêtés du préfet de l'Hérault du 21 mars 2023.
Article 2 : Les demandes présentées par Mme et M. C... devant le tribunal administratif de Montpellier sont rejetées en tant qu'elles portent sur les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français.
Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C..., à M. D... C..., au ministre de l'intérieur et à Me Mazas.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 7 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Teulière, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 23TL02598