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16/07/2025 | FRANCE | N°23TL02816

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 16 juillet 2025, 23TL02816


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal de Nîmes d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel la préfète du Gard a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2302537 du 7 novembre 2023, le tribunal administratif de Nîmes a annulé cet arrêté et a enjoint au pr

éfet du Gard délivrer à M. B... un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal de Nîmes d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel la préfète du Gard a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2302537 du 7 novembre 2023, le tribunal administratif de Nîmes a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet du Gard délivrer à M. B... un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2023 et un mémoire en réplique du

16 février 2024, le préfet du Gard demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 7 novembre 2023 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... présentée devant ce tribunal.

Il soutient que :

- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par des mémoires, enregistré les 31 janvier et 23 mai 2024, M. B..., représenté par Me Deixonne, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant refus d'admission exceptionnelle au séjour au titre de sa vie privée et familiale méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; par les pièces qu'il produit, il justifie de sa présence sur le territoire national depuis plus de sept ans, d'une vie privée et familiale située en France et de son intégration dans la société française ;

- cette décision méconnaît également les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le

26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Beltrami, première conseillère.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant marocain né le 2 novembre 1980, déclare être entré en France le 1er juillet 2016 via l'Espagne sous couvert d'un visa court séjour, valable du 26 juin au 9 août 2016, délivré par les autorités espagnoles. Le 8 décembre 2021, il a sollicité auprès de la préfecture du Gard son admission exceptionnelle au séjour au titre de la " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 5 juin 2023, la préfète du Gard a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Le préfet du Gard relève appel du jugement du 5 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté du 5 juin 2023, à la demande de M. B..., et lui a enjoint de délivrer à ce dernier un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Si, à la date de l'arrêté attaqué, M. B... se prévaut de sa présence sur le territoire national depuis 2016, il est constant qu'il y a constamment séjourné de manière irrégulière, qu'il s'y est maintenu malgré une mesure d'éloignement prise le 8 août 2018 par le préfet du Gard à l'encontre de laquelle son recours en annulation a été définitivement rejeté par un jugement du tribunal administratif de Nîmes du 7 décembre 2018. Par ailleurs, il est marié depuis le

22 décembre 2016 avec Mme D..., également de nationalité marocaine, qui réside régulièrement en France depuis 2013 sous couvert d'une carte de résident obtenue au titre du regroupement familial lors de sa précédente union, valable jusqu'au 29 décembre 2023, et avec laquelle il a eu une fille, née en France et âgée de moins d'un an à la date de la décision attaquée. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. B... s'implique régulièrement dans l'éducation de son beau-fils, âgé de 13 ans. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que la cellule familiale ne puisse pas se reconstituer au Maroc, pays d'origine du couple, où M. B... a vécu jusqu'à l'âge de trente-six ans. D'une part, en effet, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'épouse de M. B... ait nécessairement vocation à poursuivre son séjour en France dès lors, notamment, qu'elle ne justifie pas y exercer une activité professionnelle. D'autre part, si l'exécution de la mesure d'éloignement aura pour effet de séparer le premier enfant de Mme D... de son père biologique en cas de retour de la famille au Maroc, il n'est toutefois pas établi que la mesure porterait atteinte à l'intérêt de ce dernier dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que son père, résidant en France, contribuerait effectivement à son entretien et à son éducation. Enfin, malgré son assiduité aux ateliers sociolinguistiques proposés par une association, M. B... ne justifie pas d'une insertion sociale ou professionnelle particulière sur le territoire français. Compte tenu de ces éléments, le préfet du Gard n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect d'une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par son arrêté, et n'a dès lors pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations, doit être écarté.

4. Il en résulte que le préfet du Gard est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé son arrêté du 5 juin 2023. Il y a lieu pour la cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... à l'encontre de l'arrêté en litige.

Sur les autres moyens de la demande de M. B... :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

5. En premier lieu, par un arrêté du 25 mai 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Gard du même jour, M. C..., en sa qualité de secrétaire général de la préfecture, a reçu délégation du préfet de ce département à l'effet, notamment, de signer toute décision relevant des attributions de l'État dans le département, à l'exception de certaines mesures restrictivement énumérées, dont ne fait pas partie la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté manque en fait et doit être écarté.

6. En deuxième lieu, pour les motifs exposés au point 3, en estimant que M. B..., ne justifiait pas de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires, la préfète n'a pas manifestement méconnu les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à l'admission exceptionnelle au séjour.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... et son épouse, de même nationalité que lui, auront la possibilité de reconstituer la cellule familiale dans leur pays d'origine avec leur fille qui, âgée de six mois à la date de la décision attaquée, a vocation à les y accompagner De plus, comme cela a été exposé au point 3, il n'est pas établi que le refus de titre de séjour en litige porterait atteinte à l'intérêt supérieur du beau-fils de M. B... dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que son père biologique, résidant en France, contribuerait effectivement à son entretien et à son éducation. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant refus d'admission exceptionnelle au séjour à l'encontre de celle portant obligation de quitter le territoire français.

10. En deuxième lieu, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif à l'admission exceptionnelle au séjour, n'est opérant qu'à l'encontre du refus de titre et ne peut donc être utilement invoqué contre l'obligation de quitter le territoire français.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

11. En premier lieu, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés compte tenu de ce qui précède.

12. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. " Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) "

13. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, le préfet assortit, en principe et sauf circonstances humanitaires, l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour. La durée de cette interdiction doit être déterminée en tenant compte des critères tenant à la durée de présence en France, à la nature et l'ancienneté des liens de l'intéressé avec la France, à l'existence de précédentes mesures d'éloignement et à la menace pour l'ordre public représentée par la présence en France de l'intéressé.

14. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

15. Pour interdire à M. B... de revenir sur le territoire français et fixer à deux ans la durée de cette interdiction, la préfète du Gard s'est fondée sur l'obligation de quitter le territoire français sans délai prise le même jour à l'encontre de l'intéressé. Cette décision précise les éléments de droit et de fait sur lesquels elle se fonde, à savoir les dispositions de l'article

L. 612-6 précité, et sur les circonstances propres à la situation de l'intéressé, notamment le fait qu'il s'est déjà soustrait à une précédente mesure d'éloignement, qu'il n'apporte pas d'éléments nouveaux au regard de sa situation personnelle de nature à caractériser des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels et ne justifie pas d'une intégration particulière dans la société française. Une telle motivation atteste de la prise en compte, par la préfète du Gard, de l'ensemble des critères prévus par la loi. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français doit être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la demande de M. B... doit être rejetée.

Sur les frais du litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE:

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 7 novembre 2023 est annulé.

Article 2 : La demande de première instance de M. B... et ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée pour information au préfet du Gard.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2025 à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juillet 2025.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL02816


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL02816
Date de la décision : 16/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: Mme Karine Beltrami
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : DEIXONNE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-16;23tl02816 ?
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