Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Cadenet à lui verser une somme de 698 706,04 euros et, à titre subsidiaire, celle de 368 187,87 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2016, au titre de l'indemnité de résiliation prévue par l'article 8 du contrat de concession conclu pour l'exploitation et la gestion d'un terrain de camping-caravaning.
Par un jugement n° 2003985 du 30 mars 2023, rectifié pour erreur matérielle par une ordonnance du 20 avril 2023, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 mai 2023 et le 7 février 2024, le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance, représenté par Me Schmidt, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 30 mars 2023 rectifié par une ordonnance du président du tribunal du 20 avril 2023 ;
2°) de condamner la commune de Cadenet à lui verser une somme de 368 187,87 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2016, correspondant à l'indemnité prévue par l'article 8 du contrat de concession conclu pour l'exploitation et la gestion d'un terrain de camping-caravaning en cas de résiliation anticipée du contrat ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Cadenet une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- c'est à tort que le tribunal lui a refusé tout droit à indemnisation au titre des investissements qu'il a réalisés alors que même que les règles de la comptabilité publique, alors en vigueur, ne prévoyaient aucun mécanisme d'amortissement et qu'une personne publique ne peut ni consentir ni se voir imposer un abandon de créance constitutif d'une libéralité ; l'obligation d'amortir les immobilisations n'a été introduite qu'à compter du 1er janvier 2004 par l'instruction comptable codificatrice n° 03-063-M52 du 4 décembre 2001 ;
- le principe de l'indemnisation des biens de retour suivant leur valeur nette comptable inscrite au bilan, dégagé par la décision d'Assemblée du Conseil d'État " commune de Douai " n° 342788 du 21 décembre 2012, ne constitue pas une condition de fond du droit à indemnisation du délégataire en cas de résiliation d'une concession avant son terme ;
- la prise en compte de la valeur nette comptable des biens de retour à la date de la résiliation ne constitue pas le seul mode de détermination possible du droit à indemnisation du délégataire dont le contrat a été résilié avant son terme ; le seul élément à prendre en compte est la réparation du préjudice subi par le concessionnaire du fait du retour prématuré des biens de retour dans le patrimoine du concédant ;
- dès lors que le contrat de délégation de service public en litige a été conclu entre deux personnes publiques, la jurisprudence exclut que les modalités de calcul de l'indemnité de résiliation puissent conduire à ne pas indemniser, ou à n'indemniser que partiellement, les biens de retour non amortis ;
- le montant des investissements réalisés sur ses fonds propres, déduction faite des subventions perçues, s'élève à la somme de 816 575,04 euros, dont 365 913,04 euros au titre des investissements initiaux et 450 662 euros au titre des investissements réalisés entre 1992 et 2002 par l'exploitant du camping, la société ILD, ce montant ayant été remboursé à cette dernière par ses soins en 2004 ;
- ces montants sont justifiés par les extraits des comptes administratifs des années 1985 à 1990 retraçant les dépenses et les recettes afférentes au programme d'aménagement du camping de Cadenet lesquelles faisaient l'objet d'une opération spécifique comptablement isolée, le mandat émis en 2004 pour le remboursement des travaux réalisés pour son compte par l'exploitant sur le camping et les factures afférentes aux travaux d'aménagement du camping ;
- en lui refusant le droit d'être indemnisé de la valeur non amortie des investissements qu'il a réalisés, le jugement attaqué a pour effet d'organiser une libéralité en faveur de la commune de Cadenet alors que celle-ci tire désormais des profits substantiels de l'équipement en litige ainsi que cela résulte du procès-verbal du conseil municipal du 21 mars 2017, relatif au débat d'orientations budgétaires, révélant qu'elle perçoit une redevance d'occupation annuelle de 120 000 euros de la part du nouveau délégataire en complément d'une redevance exceptionnelle de 450 000 euros en 2017 ;
- il est fondé se prévaloir d'une créance d'un montant de 368 187,87 euros correspondant à la valeur non amortie sur la durée du contrat des investissements réalisés, quand bien même il n'aurait pas procédé à l'amortissement comptable des investissements réalisés ; cette somme étant calculée à partir d'un amortissement linéaire des investissements initiaux, déduction faite des subventions reçues à hauteur de 7 120,63 euros par an et d'un amortissement linéaire des dépenses d'investissements réalisées par la société Ingénierie Loisirs Développement (ILD), et remboursées à cette société sous-concessionnaire, à hauteur de 14 537,48 euros par an ;
- la commune de Cadenet ne peut utilement se prévaloir des dispositions du premier alinéa de l'article R. 221-4 du code des communes, reprises à l'article D. 2321-11 du code général des collectivités territoriales, dès lors que ces dispositions sont applicables aux seules dépenses d'investissement des communes et des groupements de communes pour les établissements d'enseignement du second degré et d'enseignement spécial municipaux ;
- la cour ne peut, eu égard à son office de juge de plein contentieux, rejeter globalement ses prétentions indemnitaires sans préciser, parmi les justificatifs produits, ceux dont elle écarterait la valeur probante.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 décembre 2023, la commune de Cadenet, représentée par Me Laurie, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge du syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le syndicat mixte appelant n'est pas fondé à soutenir que les règles de la comptabilité publique alors en vigueur n'organisaient aucun mécanisme d'amortissement alors que la règle de l'amortissement des investissements, destinée à assurer l'équilibre financier du contrat et à permettre au contractant de renouveler l'équipement qui deviendrait inutilisable au terme de la concession, a été consacrée par les décisions du Conseil d'État du 11 mars 1910 " Compagnie générale française " et du 7 novembre 1969 " Ville d'Avignon n° 65292 " ;
- en dépit des différentes instances juridictionnelles l'ayant opposée au syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance et d'une mesure d'instruction demeurée infructueuse, ce dernier n'a pas été en mesure de déterminer la valeur nette comptable des investissements non amortis réalisés pour l'exploitation du camping au terme des 28 années d'exécution du contrat ;
- le critère relatif à la valeur nette comptable des investissements non amortis à la date de la résiliation du contrat est le seul critère pertinent pour apprécier le préjudice du cocontractant ; le montant en résultant constituant le plafond de toute indemnité due au titre des biens de retour dans le cadre d'un contrat de concession ;
- le seul refus du tribunal d'indemniser le concessionnaire de la valeur non amortie des investissements qu'il a réalisés n'a pas pour effet de la faire bénéficier d'une libéralité ; le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance omet que les biens en litige constituent des biens de retour entrant dans l'apport dû par le délégataire, qu'ils aient été ou non amortis, de sorte qu'il n'en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique ;
- le préjudice allégué n'est pas établi et ne peut, dès lors, ouvrir droit à indemnisation dès lors que :
* les éléments produits par le délégataire pour justifier la réalité de sa créance sont, pour la plupart, illisibles et ont été écartés comme insuffisamment probants par les différentes décisions de justice rendues au sujet du présent litige ;
* le délégataire n'a pas procédé, par manque de rigueur dans la gestion budgétaire et comptable de la concession, à un amortissement comptable des investissements réalisés dans le cadre de l'exploitation du camping de Cadenet, pas plus qu'il ne démontre, par les justificatifs qu'il produit, la réalité des investissements réalisés et la part de ceux qui n'ont pas été amortis à la date de la résiliation du contrat ; en particulier, le délégataire ne produit ni la liste précise des immobilisations ayant le caractère de bien de retour, ni les modalités de leur amortissement, notamment le montant et la durée des amortissements, ni leur valeur nette comptable à la date de la résiliation ; en outre, il ne produit pas un compte administratif spécifique retraçant les crédits affectés au camping concédé ;
* le tableau produit à l'appui du courrier du 23 avril 2015 ne peut tenir lieu de justificatif de la valeur nette comptable des investissements non amortis à la date de la résiliation à défaut de préciser la nature des investissements sur fonds propres réalisés, la teneur des investissements réalisés entre 1992 et 2002 et remboursés à l'exploitant, ainsi que la nature des recettes versées par ce dernier ; les états des dépenses et des recettes ne permettent pas de connaître la réalité des investissements allégués tandis que certaines factures portent sur une période antérieure à la conclusion du contrat de concession ; enfin, il y a lieu de tenir compte des subventions versées par le département de Vaucluse et par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ;
* en tout état de cause, les carences budgétaires et comptables du syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance ont déjà été relevées par la chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d'Azur dans un rapport du 1er juin 2006 relevant le recours généralisé par ce syndicat mixte au mécanisme concessif pour la gestion du domaine sans établir de budget prévisionnel de la concession ni tenir de comptabilité des opérations de concession ;
* les bordereaux de créances produits correspondent à des recettes d'affermage perçues sous la forme de redevances devant s'inscrire dans les produits et non dans les investissements ;
* le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance ne peut se prévaloir des stipulations de l'article 8 du contrat de concession dès lors que les investissements doivent avoir été réalisés sur des fonds propres ;
* le délégataire ne peut rétroactivement et artificiellement soutenir qu'il a réalisé un amortissement linéaire de ses prétendus investissements initiaux en se prévalant de l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Marseille le 25 octobre 2021 pour solliciter une indemnité de 368 187,87 euros alors qu'il est dans l'incapacité d'établir avec certitude le montant exact de ses investissements et les modalités de leur amortissement ;
* en outre, le principe d'un amortissement linéaire des investissements dont se prévaut le syndicat appelant pour les besoins de la cause est contredit par les textes applicables, notamment par les dispositions alors en vigueur du premier alinéa de l'article R. 221-4 du code des communes jusqu'à leur abrogation par le décret n° 2000-318 du 7 avril 2000 selon lesquelles : " la part des dépenses d'investissement financée par des ressources propres, est répartie sur une période de quinze ans par tranches annuelles égales ", et celles de l'article R. 2321-1 du code général des collectivités territoriales ; il en résulte qu'à la date de la résiliation du contrat, l'amortissement des dépenses d'investissement autofinancées entre 1988 et 2001 a nécessairement été réalisé dans les quinze années précédant l'intervention de cette mesure ;
* enfin, en vertu de l'article 4 du contrat de concession, le délégataire s'est engagé à prendre en charge la part d'auto-financement restant à couvrir pour un montant de 1 200 000 francs, soit une somme actualisée de 309 452,37 euros ;
- les biens et équipements dont le syndicat appelant revendique l'indemnisation, sans toutefois en établir la teneur, et qui ont été amortis durant la période d'exécution du contrat doivent nécessairement lui faire retour gratuitement.
Par une ordonnance du 7 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée le 26 mars 2024, à 12 heures.
Par un courrier du 22 mai 2025, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'illicéité des clauses du contrat relatives à la résiliation du contrat par le concessionnaire et aux modalités d'indemnisation du cocontractant en cas de résiliation anticipée ce qui commande pour le juge d'écarter le contrat et de ne pas régler le litige sur le terrain contractuel dès lors, d'une part, que ces stipulations offrent au concessionnaire un pouvoir de résiliation unilatéral du contrat alors que ce contrat a pour objet l'exécution d'un service public et, d'autre part, qu'elles instituent une indemnité de résiliation dont le montant est excessif par rapport au préjudice subi par le concessionnaire lequel ne saurait ni excéder la valeur nette comptable des biens de retour non amortis ni instituer une libéralité au détriment d'une personne publique.
Vu le jugement attaqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme El Gani-Laclautre, première conseillère ;
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique ;
- les observations de Me Schmidt, représentant le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance, et celles de Me Valette, représentant la commune de Cadenet.
Considérant ce qui suit :
1. Par un contrat de concession de service public conclu le 8 avril 1988, la commune de Cadenet (Vaucluse) a confié au syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance la conception, la construction, la gestion et l'exploitation d'un camping-caravaning de 180 emplacements implanté sur des terrains communaux situés sur les rives de la Durance, pour une durée de 45 ans. Par la suite, le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance a subdélégué la gestion et l'exploitation de ce terrain de camping-caravaning à la société " Val Durance ", devenue ultérieurement la société Ingénierie Loisirs Développement (ILD), dans le cadre d'une convention d'affermage conclue le 15 avril 1991 pour une durée de dix ans, tacitement reconductible. Confronté à des difficultés budgétaires, le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance a, par un avenant signé le 25 septembre 2003, prolongé la durée de l'affermage consenti à la société ILD jusqu'au 15 avril 2016. En contrepartie, cette société s'est engagée à verser, à titre d'avance, une indemnité de 1 067 000 euros hors taxes, ce montant correspondant à treize années de redevance, somme dont ont été déduits les investissements réalisés par cette société, en lieu et place du syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance, pour un montant de 450 662 euros.
2. Par une lettre du 19 mars 2015, le syndicat mixte a informé la commune de Cadenet de sa décision de résilier de manière anticipée le contrat de concession les liant, avec effet au 15 avril 2016, et demandé le versement de l'indemnité de résiliation prévue par l'article 8 de ce contrat. Le 30 mai 2016, le syndicat mixte a émis à l'encontre de la commune de Cadenet un titre exécutoire d'un montant de 698 706,04 euros au titre de l'indemnité de résiliation. Par un jugement n° 1700005 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Nîmes a annulé ce titre exécutoire et déchargé la commune de Cadenet de l'obligation de payer la créance précitée. Par un arrêt n° 19MA03215 du 25 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel présenté par le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance. En dernier lieu, le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Cadenet à lui verser une somme de 698 706,04 euros, et à titre subsidiaire celle de 368 187,87 euros, au titre de l'indemnité de résiliation prévue par l'article 8 de la convention de délégation de service public. Le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance relève appel du jugement du 30 mars 2023, rectifié par une ordonnance du 20 avril 2023, par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation présentées par le concessionnaire :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable au litige :
3. D'une part, le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d'en assurer l'exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l'administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l'initiative de résilier unilatéralement le contrat. Il est toutefois loisible aux parties de prévoir dans un contrat qui n'a pas pour objet l'exécution même du service public les conditions auxquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles. Cependant, le cocontractant ne peut procéder à la résiliation sans avoir mis à même, au préalable, la personne publique de s'opposer à la rupture des relations contractuelles pour un motif d'intérêt général, tiré notamment des exigences du service public. Lorsqu'un motif d'intérêt général lui est opposé, le cocontractant doit poursuivre l'exécution du contrat. Un manquement de sa part à cette obligation est de nature à entraîner la résiliation du contrat à ses torts exclusifs. Il est toutefois loisible au cocontractant de contester devant le juge le motif d'intérêt général qui lui est opposé afin d'obtenir la résiliation du contrat.
4. En particulier, les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent déterminer l'étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment de la personne publique, l'allocation au cocontractant d'une indemnisation excédant le montant du préjudice qu'il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu'il a normalement exposées et qui n'ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat.
5. Toutefois, la fixation des modalités d'indemnisation de la part non amortie des biens de retour dans un contrat de concession obéit, compte tenu de la nature d'un tel préjudice, à des règles spécifiques. Lorsqu'une personne publique résilie une concession avant son terme normal, le concessionnaire est fondé à demander l'indemnisation du préjudice qu'il subit à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, dès lors qu'ils n'ont pu être totalement amortis. Lorsque l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Si, en présence d'une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, sous réserve que l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne puisse, en toute hypothèse, excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus, il est exclu qu'une telle dérogation, permettant de ne pas indemniser ou de n'indemniser que partiellement les biens de retour non amortis, puisse être prévue par le contrat lorsque le concessionnaire est une personne publique.
6. D'autre part, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.
En ce qui concerne la licéité des stipulations relatives aux modalités d'indemnisation du cocontractant en cas de résiliation anticipée du contrat :
7. En application du contrat de concession, la maîtrise d'ouvrage de l'opération a été assurée gratuitement par le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance pour le compte de la commune de Cadenet, propriétaire des terrains. Le coût du projet, d'un montant de 4 000 000 de francs a été financé comme suit : 1 760 000 francs par le département de Vaucluse, 840 000 francs par le syndicat mixte concessionnaire, 200 000 francs par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et, enfin, une part d'auto-financement à hauteur de 30 % correspondant à la somme de 1 200 000 francs. Sur ce dernier point, l'article 4 du contrat de concession stipulait que le syndicat mixte délégataire prendrait en charge, en sus d'une partie du financement des équipements destinés à l'exploitation du camping-caravaning pour un montant de 840 000 francs, la part de l'auto-financement restant à couvrir pour le montant précité de 1 200 000 francs ainsi que les frais financiers afférents au préfinancement de la taxe sur la valeur ajoutée s'élevant à environ 140 000 francs. En application de l'article 7 du contrat, le concessionnaire est tenu, à compter de la quatrième année d'exécution du contrat, de verser annuellement à la commune de Cadenet une redevance forfaitaire de 20 000 francs indexée sur l'évolution de l'indice INSEE " Service de vacances, sport, camping ".
8. Aux termes de l'article 8 du contrat de concession en litige : " Il pourra être mis fin de manière anticipée à la présente convention, par l'une des parties, moyennant un préavis d'un an. / Dans ce cas : (...) / - si l'interruption intervient au-delà des quinze premières années, la Commune remboursera au Syndicat le montant des investissements réalisés par lui sur ses fonds propres. Cette indemnité sera indexée sur l'évolution de l'indice de la construction, et diminuée de 1/30ème de son montant ainsi actualisé, par année écoulée à partir de la 16ème année d'application de la présente convention. / - À l'expiration de la présente convention, que celle-ci intervienne au terme, ou de manière anticipée, comme prévu ci-dessus, la Commune deviendra propriétaire de l'ensemble des installations réalisées ".
9. En premier lieu, l'article 8 du contrat de concession institue un pouvoir unilatéral de résiliation anticipée du contrat en faveur du concessionnaire sans que cette résiliation soit justifiée par l'existence d'un cas de force majeure ou un motif d'intérêt général alors même que le contrat de concession en litige a pour objet l'exécution d'un service public. En tout état de cause, à supposer que le syndicat mixte puisse se prévaloir à l'encontre de la commune concédante de l'exception d'inexécution, il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est pas allégué, que cette dernière aurait méconnu ses obligations contractuelles. Par suite, les stipulations de l'article 8 du contrat de concession en tant qu'elles confèrent au délégataire de service public un droit de résiliation du contrat en litige sans motif, alors que ce contrat porte sur l'exécution d'un service public concédé, sont illicites et il y a lieu, dès lors, d'en écarter l'application.
10. En second lieu, ces stipulations de l'article 8 de la convention du 8 avril 1988 mettent à la charge exclusive de l'autorité concédante le versement d'une indemnité de résiliation correspondant aux investissements sur fonds propres réalisés par le concessionnaire qui ne tient compte ni de la réalité du préjudice subi du fait de la résiliation, ni de la réalité des investissements réalisés, ni de leur durée d'amortissement. Or, sur ce point, il résulte de l'instruction que si le concessionnaire s'est vu confier l'exploitation du camping en 1988, il en a subdélégué la gestion et l'exploitation à un tiers dans le cadre d'un contrat d'affermage conclu dès l'année 1991 dont l'exécution a donné lieu à des investissements financés par le fermier. Il en résulte que les investissements réalisés par le syndicat mixte sur ses fonds propres sont, dans les faits, demeurés limités alors que la résiliation en litige est intervenue plus de 28 ans après la conclusion du contrat. Les stipulations de l'article 8 du contrat, qui reviennent à imposer à l'autorité concédante d'indemniser un préjudice dont elle n'est pas à l'origine, dans des conditions excédant la réalité du préjudice susceptible d'être subi par le concessionnaire dès lors qu'il ne peut excéder la valeur nette comptable des biens de retour non amortis à la date de la résiliation, sont illicites et leur application doit, dès lors, être écartée elle aussi.
En ce qui concerne l'indemnisation du préjudice lié à la résiliation du contrat sur le fondement des règles générales applicables à l'indemnisation des biens de retour non amortis :
11. D'une part, en application des dispositions de l'article L. 1411-3 du code général des collectivités territoriales, en vigueur depuis le 24 février 1996, puis successivement reprises à l'article 52 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et à l'article L. 3131-5 du code de la commande publique, le délégataire est tenu de produire, chaque année avant le 1er juin, à l'autorité délégante un rapport comportant notamment les comptes retraçant la totalité des opérations afférentes à l'exécution de la délégation de service public et une analyse de la qualité de service, ce rapport permettant à l'autorité délégante d'apprécier les conditions d'exécution du service public.
12. En application de ces dispositions et indépendamment de l'évolution des règles comptables en matière d'amortissement depuis l'entrée en vigueur au 1er janvier 2004 de l'instruction M 52 dont se prévaut l'appelant, le concessionnaire était légalement tenu d'établir une comptabilité spécifique retraçant annuellement les opérations afférentes à l'exécution du contrat de délégation de service public en litige. Par suite, le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance ne peut utilement se prévaloir de la circonstance qu'il se trouverait dans l'impossibilité matérielle, au regard des règles comptables alors en vigueur, de produire les documents permettant d'établir la valeur nette comptable des biens de retour non amortis à la date de la résiliation du contrat en litige.
13. D'autre part, il est constant que des investissements ont été contractuellement mis à la charge du concessionnaire lors de la conclusion du contrat de concession pour un montant total de 2 180 000 francs dans les conditions rappelées au point 7, soit 332 338,86 euros, le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance évaluant, en dernier lieu, ces investissements à la somme de 368 187,87 euros dans le cadre de sa requête d'appel. Toutefois, le concessionnaire n'est pas en mesure, pas plus en première instance que devant la cour, et en dépit du supplément d'instruction diligenté par le tribunal, de préciser la teneur exacte des investissements sur fonds propres dont il se prévaut, en l'absence, notamment, de liste précise des immobilisations réalisées au cours du contrat, de preuve qu'elles ont été financées sur ses fonds propres et d'inventaire des biens de retour dédiés à l'exécution du service public concédé à la date de la résiliation du contrat. S'il se prévaut de comptes administratifs, de factures et de différents mandats de paiement et d'un tableau sommaire non sourcé, ces documents ne peuvent tenir lieu d'inventaire des biens de retour nécessaires à l'exécution du service public, pas plus qu'ils ne peuvent compenser l'absence de tableau d'amortissement. En outre, en dépit de la mesure d'instruction adressée par les premiers juges, le concessionnaire ne produit aucun tableau d'amortissement détaillé et probant permettant de connaître la durée d'amortissement qu'il a associée aux investissements constitutifs de biens de retour dont il se prévaut. De même, il ne produit aucun document permettant de connaître la valeur nette comptable des biens de retour permettant de s'assurer que les investissements ainsi réalisés pour l'exécution du service public concédé n'auraient pas déjà été amortis à la date de la résiliation en litige, laquelle est intervenue après 28 années d'exécution du contrat dont la durée initiale d'exécution était fixée à 45 ans, le tableau sommaire qu'il produit en vue de reconstituer rétroactivement les amortissements ne pouvant en tenir lieu.
14. Au surplus, il est constant que le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance a, dès 1991, confié à la société ILD l'exploitation du terrain de camping caravaning en litige dans le cadre d'un contrat d'affermage en contrepartie du versement de redevances dont le montant a été fixé, en dernier lieu, dans le cadre de l'avenant conclu le 25 septembre 2003 prolongeant la durée de l'affermage jusqu'au 15 avril 2016, à un montant total de 1 067 000 euros, correspondant à treize années de redevances, soit une redevance annuelle moyenne de 82 076,92 euros. La conclusion de ce contrat d'affermage et les conditions dans lesquelles des investissements d'un montant de 450 662 euros ont été réalisés par la société ILD, fermier, en lieu et place du syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance, sont, dans les circonstances de l'espèce, de nature à établir que ce dernier, qui n'exploitait plus directement le camping- caravaning depuis l'année 1991, n'a pas réalisé d'investissements sur ses fonds propres au-delà de cette période. Indépendamment du fait que le terrain de camping-caravaning en litige était productif de revenus pour le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance qui en a confié la gestion à une société privée, il ne résulte pas de l'instruction que les investissements allégués, à supposer leur teneur et leur nécessité pour exploitation du service public établies, n'auraient pas été amortis à la date de la résiliation. D'ailleurs, l'équipement en litige, constitué d'un terrain de camping-caravaning aménagé autour d'un plan d'eau, n'implique pas de lourds investissements. Dans ces conditions, l'indemnisation réclamée par le concessionnaire doit être regardée comme excédant le montant du préjudice susceptible de naître de la résiliation en litige, laquelle est intervenue à sa seule initiative et ne peut donner lieu à un montant supérieur à la valeur nette comptable des biens de retour non amortis dont il lui appartenait d'établir la consistance en produisant une comptabilité complète.
15. Enfin, si le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance indique avoir, au cours de l'année 2004, versé une somme de 450 662 euros à la société ILD en remboursement des investissements réalisés par cette dernière, ces investissements, qui ont donné lieu à une réfaction sur le montant des loyers perçus auprès de ce fermier, n'ont pas été réalisés sur ses fonds propres. Ils procèdent, ainsi qu'il a été dit précédemment, de l'exécution d'un contrat distinct conclu avec la société ILD, de sorte qu'en application du principe de l'effet relatif des contrats, le syndicat mixte ne peut utilement en réclamer l'indemnisation dans le cadre du litige contractuel l'opposant à la commune de Cadenet.
16. Il s'évince de ce qui précède que, eu égard à l'illicéité des règles d'indemnisation prévues par le contrat de concession en cas de résiliation anticipée, il y a lieu d'écarter l'application du contrat et de rejeter les conclusions à fin d'indemnisation fondées sur l'article 8 de la concession, les parties n'ayant pas demandé à la cour de régler le litige sur un terrain autre que contractuel en réponse au moyen d'ordre public adressé par la cour. En outre, dès lors que le concessionnaire n'établit pas la réalité du préjudice dont il se prévaut en l'absence de comptabilité complète retraçant l'existence de biens de retour financés sur ses fonds propres et non amortis sur le plan comptable à la date de la résiliation, les conclusions à fin d'indemnisation présentées par le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance doivent être rejetées comme infondées, la commune de Cadenet ne pouvant être tenue de supporter les conséquences financières d'une résiliation dont elle n'est pas à l'initiative, pas plus qu'il ne lui appartient de reconstituer, a posteriori, la valeur nette comptable des biens non amortis ayant fait retour dans son patrimoine.
17. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer d'office sur la recevabilité de la requête, le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Cadenet, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Cadenet et non compris dans les dépens.
DÉCIDE:
Article 1 : La requête du syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance est rejetée.
Article 2 : Le syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance versera à la commune de Cadenet une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat mixte d'aménagement de la Vallée de la Durance et la commune de Cadenet.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2025, à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2025.
La rapporteure,
N. El Gani-LaclautreLe président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au préfet de Vaucluse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL01217