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27/05/2025 | FRANCE | N°24TL02436

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 27 mai 2025, 24TL02436


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... B... veuve A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de l'arrêté du 15 mars 2024 par lequel le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de titre de séjour, a assorti son refus de séjour d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 24031

61 du 16 juillet 2024, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... veuve A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de l'arrêté du 15 mars 2024 par lequel le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de titre de séjour, a assorti son refus de séjour d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2403161 du 16 juillet 2024, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 17 septembre 2024 sous le n° 24TL02436, Mme B... veuve A..., représentée par Me Rosé, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 16 juillet 2024 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler l'arrêté du 15 mars 2024 par lequel le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de titre de séjour, a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié ", ou à défaut " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, au besoin sous astreinte ; à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- en ce qui concerne la légalité externe, l'arrêté du 15 mars 2024 est entaché d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation, dès lors qu'il n'a pas été tenu compte de son expérience en qualité d'aide à domicile et d'assistante de vie, ni du fait que sa demande de titre de séjour était destinée à lui permettre d'exercer un métier figurant sur la liste des métiers en tension prévue par l'arrêté du 1er avril 2021 : de tels éléments étaient susceptibles de fonder son admission au séjour en application de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;

- en ce qui concerne la légalité interne, les premiers juges ont commis une erreur de droit dans l'interprétation qu'ils ont faite des conditions d'admission exceptionnelle au séjour posées aux articles L 435-1 et L. 435-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et par les lignes directrices de la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur ; si les dispositions de l'article L. 435-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont intervenues postérieurement à sa demande d'admission au séjour, elles étaient entrées en vigueur à la date de l'arrêté attaqué ; elles prévoient l'octroi d'un titre de séjour aux étrangers ayant exercé au moins pendant un an une activité dans un métier en tension ; enfin, ces dispositions n'imposent pas la présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes pour obtenir le titre de séjour qu'elles prévoient ;

- en l'espèce, elle justifie de six ans d'ancienneté en France, et d'un emploi stable depuis quatre ans dans un métier en tension ; en jugeant que l'exercice d'un métier en tension n'était pas un motif d'admission exceptionnelle au séjour, les premiers juges ont commis une erreur de droit ; de même, les premiers juges ont commis une erreur manifeste d'appréciation, en estimant qu'elle n'avait pas fixé le centre de ses intérêts personnels et familiaux en France, alors qu'après avoir fait l'objet de maltraitance de la part de son mari, elle s'est reconstruite et est parvenue à s'insérer en France par le travail ; elle a été embauchée par une famille pour s'occuper d'une personne âgée dont elle a gagné la confiance ;

- l'arrêté du préfet est entaché d'une erreur de droit, faute pour le préfet d'avoir examiné sa situation au regard de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, relatif à la situation des ressortissants marocains au regard du travail ; le préfet devait examiner la demande de titre de séjour même si le demandeur ne remplit pas toutes les conditions d'admission au séjour, notamment celle tenant à la détention d'un visa de long séjour ; cet arrêté est également entaché d'une erreur d'appréciation au regard de l'article 3 de l'accord franco-marocain ;

- elle justifie d'une expérience professionnelle en qualité d'aide-ménagère dès lors qu'elle a travaillé pendant trois ans chez le même employeur jusqu'au décès, en février 2023, de la personne âgée dont elle s'occupait ; la famille a proposé, compte tenu de la confiance qu'elle lui accorde, et dont elle fait état dans les témoignages qu'elle produit au dossier, de la conserver à son service pour assurer le gardiennage et l'entretien du domaine dont elle est propriétaire ; elle justifie d'un salaire moyen supérieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance depuis plus trois ans ; le préfet, ainsi que les premiers juges, ont commis une erreur manifeste quant à l'appréciation de sa situation ;

- la profession d'aides à domicile figure sur la liste des métiers en tension fixée par l'arrêté du 1er avril 2021 ;

- le refus de séjour est entaché d'un défaut d'examen de sa situation au regard des dispositions de L. 435-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en se fondant sur le fait qu'elle n'aurait pas fixé le centre de ses intérêts personnels et familiaux en France, alors qu'après avoir fait l'objet de maltraitance de la part de son mari, elle s'est reconstruite et est parvenue à s'insérer en France par le travail ; elle a été embauchée par une famille pour s'occuper d'une personne âgée et a gagné la confiance de cette famille ;

- l'obligation de quitter le territoire français est dépourvue de motivation ; elle est dépourvue de base de légale en raison de l'illégalité du refus de séjour ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle compte tenu de sa qualité de victime de violences conjugales, et des efforts qu'elle a faits pour s'intégrer en France, notamment par le travail ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ; elle est insuffisamment motivée et est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que le préfet s'est estimé en situation de compétence liée et n'a pas procédé à l'examen de sa situation personnelle alors qu'elle séjourne en France depuis six ans ; cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des critères posés par l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile faute pour le préfet d'avoir tenu compte des violences conjugales qu'elle a subies, de son intégration sociale et professionnelle en France, de l'ancienneté de son séjour et de l'absence de menace à l'ordre public qu'elle présente ;

- la décision fixant le pays de renvoi est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense du 25 avril 2025, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête de Mme B... veuve A....

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une décision du 11 octobre 2024, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Toulouse a accordé l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 25 % à Mme D... B... veuve A...

II. Par une requête enregistrée le 17 septembre 2024, sous le n° 24TL02437, Mme B... veuve A..., représentée par Me Rosé, demande à la cour :

1°) de surseoir à l'exécution du jugement du 16 juillet 2024 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 mars 2024 par lequel le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de titre de séjour, a assorti son refus de séjour d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;

2°) de mettre à la charge de l'État, à son profit, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la requête au fond comporte des moyens sérieux de nature à justifier, en l'état de l'instruction, l'annulation du jugement attaqué ; de plus, l'exécution du jugement aurait pour elle des conséquences difficilement réparables.

Par un mémoire en défense du 25 avril 2025, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête de Mme B... veuve A....

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est de nature à entrainer la suspension du jugement du 16 juillet 2024

Par une décision du 11 octobre 2024, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Toulouse a accordé l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 25 % à Mme D... B... veuve A...

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Bentolila, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., veuve A..., ressortissant marocaine née le 10 décembre 1969, est entrée en France le 20 juin 2018 sous couvert d'un visa de long séjour délivré par le consulat de France à Casablanca au titre du regroupement familial. Le 19 octobre 2018, elle a sollicité un titre de séjour qui lui a été refusé, au motif que la communauté de vie avec son époux avait cessé, par un arrêté préfectoral du 6 mars 2020. Le 26 août 2023, Mme B..., veuve depuis le 9 juin 2021, a sollicité son admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 15 mars 2024 le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer le titre sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

2. Par un jugement du 16 juillet 2024, dont Mme B... relève appel et en demande le sursis à exécution, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

3. Les requêtes n° 24TL02436 et 24T02437, visées ci-dessus, sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la requête au fond n° 24TL02436 :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

4. Le préfet de l'Hérault a, par l'arrêté du 15 mars 2024 en litige, examiné si Mme B... pouvait prétendre à un titre de séjour dans le cadre de l'exercice de son pouvoir général de régularisation.

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... séjournait en France depuis près de six années à la date de la décision attaquée, même s'il est vrai qu'elle est en situation irrégulière depuis l'intervention d'un premier arrêté du 6 mars 2020 lui refusant le droit au séjour. Mme B... a suivi, en 2020, par l'intermédiaire de Pôle Emploi, des cours de français ainsi qu'une formation sur les services d'entretien à domicile. Il ressort également des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, Mme B... a occupé, depuis près de trois années, un emploi d'aide à domicile, soit un métier sous tension, lui procurant des revenus et une autonomie financière. Elle a ainsi été embauchée en décembre 2020 par une famille à Pézenas qui l'héberge depuis cette date pour s'occuper d'une personne âgée dépourvue d'autonomie. Après le décès de cette personne en février 2023, la famille de cette dernière a, le 29 mai 2023, établi au profit de Mme B... une promesse d'embauche en contrat à durée indéterminée pour occuper un poste de gardiennage et d'entretien du domaine familial. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... occupe cette fonction à la grande satisfaction de son employeur. Dans les circonstances particulières de l'espèce, Mme B... est fondée à soutenir que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui accorder un titre de séjour dans le cadre de son pouvoir général de régularisation.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 mars 2024 par lequel le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Ce jugement doit être annulé ainsi que l'arrêté en litige du 15 mars 2024.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :

7. L'annulation prononcée par le présent arrêt implique, eu égard à son motif, qu'il soit enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire, dans les circonstances de l'espèce de prononcer une astreinte.

Sur la requête n°24TL02437 :

8. Le présent arrêt, statuant sur la demande d'annulation du jugement du 16 juillet 2024 du tribunal administratif de Montpellier, les conclusions de la requête n° 24TL02437, tendant au sursis à exécution de ce jugement, sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

9. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25 %). Dès lors, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à Me Rosé de la somme de 700 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 16 juillet 2024 du tribunal administratif de Montpellier et l'arrêté du préfet de l'Hérault du 15 mars 2024 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24TL02437.

Article 4 : L'Etat versera à Me Rosé la somme de 700 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... veuve A..., au ministre de l'intérieur et à Me Rosé.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2025 à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2025.

Le rapporteur,

P. Bentolila

Le président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 24TL02436 et 24TL02437 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24TL02436
Date de la décision : 27/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: M. Pierre Bentolila
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : ROSE

Origine de la décision
Date de l'import : 01/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-27;24tl02436 ?
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