Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2021 par lequel le ministre de l'économie, des finances et de la relance a prononcé à son encontre une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux mois et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°2104835 du 7 mars 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 16 mai 2023, le 17 juillet 2024 et le 16 octobre 2024, ainsi que des pièces complémentaires, enregistrées le 23 octobre 2024, M. A... B..., représenté par Me Thalamas, de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée T et L, Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n°2104835, rendu le 7 mars 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2021 par lequel le ministre de l'économie, des finances et de la relance a prononcé à son encontre une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux mois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a commis des erreurs de droit en estimant, d'une part, qu'il pouvait être sanctionné, alors même qu'il se trouvait en congé de maladie jusqu'au 31 juillet 2021 et a été admis à faire valoir ses droits à retraite le 1er août 2021 et en confondant, d'autre part, les accusations pénales dont il faisait l'objet avec des faits dûment établis ;
- il a méconnu son office en s'abstenant de répondre aux éléments de fait circonstanciés dont il était saisi ;
- il a commis une erreur de fait ;
- il n'a pas été informé du droit de se taire devant le conseil de discipline ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il a commis une faute alors même qu'il s'est borné à indiquer à un contribuable les conséquences d'une perte de comptabilité commerciale sur un plan fiscal ;
- la relation des faits par la presse ne pouvait légalement lui être opposée dans la mesure où ces faits ne sont pas établis ;
- en effet, à la date du prononcé de la sanction, il ne pouvait être regardé comme faisant l'objet de poursuites pénales, le tribunal correctionnel ayant renvoyé l'affaire au procureur au regard de la nécessité d'investigations complémentaires ;
- la sanction est disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés et renvoie aux observations en défense présentées en première instance.
Par une ordonnance du 9 octobre 2024, la date de clôture d'instruction a été reportée au 12 novembre 2024.
Un mémoire, présenté pour M. B..., a été enregistré le 24 mars 2025, soit postérieurement à la clôture d'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Thalamas, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., administrateur des finances publiques, occupait le poste de directeur adjoint du pôle fiscal de la direction régionale des finances publiques d'Occitanie et de la Haute-Garonne depuis le mois de décembre 2009 et assurait les fonctions de commissaire du gouvernement auprès du conseil régional de l'ordre des experts-comptables de 2013 à 2018. Des poursuites pénales ont été engagées à son encontre portant sur les chefs de prise illégale d'intérêts (complicité et recel), violation du secret professionnel et recel, concussion, corruption passive et trafic d'influence passif. Dans ce cadre, le juge des libertés et de la détention l'a placé, par une ordonnance du 10 septembre 2020, sous contrôle judiciaire avec interdiction d'exercer toute activité professionnelle en lien avec le pôle gestion fiscale de la direction régionale des finances publiques. Le 6 juillet 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a pris un arrêté prononçant à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux mois. M. B... relève appel du jugement, rendu le 7 mars 2023, par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. D'une part, si M. B... soutient que le tribunal aurait méconnu son office en s'abstenant de répondre aux éléments de fait circonstanciés dont il était saisi, il ressort au contraire des motifs du jugement contesté que le tribunal a statué en y apportant une réponse suffisamment précise sur les griefs qui étaient reprochés au fonctionnaire au point 8 et a estimé qu'ils étaient de nature à justifier une sanction disciplinaire. Par suite, le moyen tiré de ce qu'une omission à statuer aurait été commise ne peut qu'être écarté.
3. D'autre part, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée, dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. L'appelant ne peut donc utilement soutenir que le tribunal aurait entaché sa décision d'erreurs de droit et d'erreur de fait.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la régularité de la procédure :
4. Il est reproché à M. B..., en premier lieu, d'avoir communiqué, par deux courriels des 11 et 12 octobre 2017, à un gérant de société à responsabilité limitée exploitant un restaurant et faisant l'objet d'une vérification de comptabilité, des réponses obtenues auprès du service informatique de la direction, en se prévalant de sa qualité de commissaire du gouvernement auprès de l'ordre régional des experts-comptables, concernant le mode opératoire à suivre par une entreprise dont le fichier d'écritures comptables aurait été détruit par un virus informatique et qui souhaitait être en conformité avec la loi, en deuxième lieu, d'avoir, par des courriels des 24 et 25 avril 2018, demandé au même gérant de lui faire parvenir le projet de courrier destiné au vérificateur pour " travailler dessus ", ces faits, qui, pour partie, ont donné lieu à des poursuites pénales et ont été relayés dans des médias locaux et nationaux, étant de nature à jeter le discrédit sur l'action de l'administration et de ses agents et ayant, par là-même, nui au bon fonctionnement des services.
5. Aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. " Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. En vertu de la décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024 du Conseil constitutionnel, à compter de la publication de cette décision et jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou jusqu'à la date de l'abrogation des dispositions précitées de la deuxième phrase du troisième alinéa de l'article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 et du deuxième alinéa de l'article L. 532-4 du code général de la fonction publique, le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire devant le conseil de discipline et peut invoquer ce droit dans les instances introduites à la date de cette décision et non jugées définitivement.
6. De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent.
7. Dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire alors que cette information était requise en vertu des principes énoncés aux points 5 et 6, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit.
8. Il est constant que l'administration n'a pas informé M. B... du droit de se taire lorsqu'elle a engagé la procédure disciplinaire à son encontre. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les griefs retenus dans l'arrêté contesté à l'encontre de M. B..., rappelés au point 4, reposent sur les courriers et courriels saisis dans le cadre de la procédure de visite et de saisie autorisée, le 29 septembre 2018, par le juge des libertés et de la détention. En outre, il ressort du procès-verbal d'audition de l'intéressé devant le conseil de discipline, le 26 avril 2021, qu'il n'a pas reconnu les griefs qui lui étaient reprochés et n'a donc pas tenu des propos fondant de manière déterminante la sanction qui lui a été infligée. Dans ces conditions, M. B..., à qui il est loisible de mettre en cause la réalité de chacun des manquements retenus contre lui, n'est cependant pas fondé à soutenir que le vice de procédure relevé entacherait d'irrégularité la sanction ainsi infligée.
En ce qui concerne le bien-fondé de la sanction :
9. En premier lieu, la procédure disciplinaire et la procédure de mise en congé de maladie sont des procédures distinctes et indépendantes, et la circonstance qu'un agent soit placé en congé de maladie ne fait pas obstacle à l'exercice de l'action disciplinaire à son égard ni, le cas échéant, à l'entrée en vigueur d'une décision de sanction.
10. Au regard du principe énoncé au point précédent et ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges au point 4 du jugement attaqué, la circonstance qu'à la date du 6 juillet 2021 M. B... était placé en congé de maladie ordinaire ne faisait pas obstacle au prononcé d'une sanction à son encontre ni même à la prise d'effet d'une telle décision.
11. En deuxième lieu, eu égard à l'indépendance des procédures pénales et administratives, M. B... ne peut utilement invoquer la circonstance qu'à la date à laquelle la sanction a été prononcé à son encontre, il ne faisait plus l'objet de poursuites pénales. En outre, il ressort des pièces du dossier que si, par un jugement, rendu le 5 mars 2021, le tribunal correctionnel de Toulouse, statuant sur les poursuites pénales engagées à l'encontre de M. B..., a estimé que la complexité de l'affaire nécessitait des investigations complémentaires approfondies et renvoyé le ministère public, en application de l'article 397-2 du code de procédure pénale, à mieux se pourvoir, il a, dans le même temps, en application de l'article 397-3 du même code, maintenu l'ensemble des obligations du contrôle judiciaire prescrites par le juge des libertés et de la détention dans l'ordonnance rendue le 10 septembre 2020. Dans ces conditions, l'action publique, contrairement aux allégations du requérant, ne saurait, en tout état de cause, être éteinte à cette date.
12. En dernier lieu, aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, alors en vigueur : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes/ (...) Troisième groupe:/ (...) l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. ".
13. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire ne sont pas entachés d'inexactitude matérielle, s'ils constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
14. D'une part, si M. B..., qui s'est vu reprocher la communication d'informations ou de conseils à un représentant d'une société faisant l'objet d'une vérification de comptabilité, ainsi que l'aide à la rédaction d'un courrier destiné au vérificateur, fait valoir qu'il s'agissait d'une information objective et neutre, de corrections orthographiques, syntaxiques et relatives aux usages dans ce type de correspondance du projet de courrier destiné au vérificateur, et soutient qu'il n'est pas à l'origine de la fuite des faits ayant conduit à la couverture médiatique de l'affaire, il a, par les informations obtenues auprès de l'expert informatique, fourni à cette société des éléments lui permettant de faire face au contrôle dont elle faisait l'objet. Dans ces conditions, les griefs retenus à son encontre sont constitutifs de manquements à l'obligation de discrétion professionnelle, de neutralité et d'impartialité et au devoir de loyauté qui s'imposent à tout cadre supérieur de la fonction publique. Ainsi, contrairement aux allégations de l'appelant, le ministre de l'économie, des finances et de la relance s'est fondé, pour prendre l'arrêté attaqué, sur des faits de nature à justifier une sanction.
15. D'autre part, M. B... soutient que la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux mois n'est pas proportionnée à la gravité des fautes qui lui sont reprochées, compte-tenu notamment de ses états de services et de l'extinction des poursuites pénales à son encontre. Toutefois, eu égard au caractère inapproprié de sa relation avec un contribuable faisant l'objet d'un contrôle fiscal, dont au demeurant il ne pouvait ignorer le caractère incompatible avec ses obligations déontologiques, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire n'a pas, compte tenu de la nature des responsabilités exercées par l'agent, pris une sanction disproportionnée en lui infligeant, une sanction d'exclusion temporaire d'une durée de deux mois. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 11, l'action publique n'était pas éteinte à son encontre et le renvoi du dossier au procureur de la République n'est pas de nature, en tout état de cause, à minorer la gravité de ces faits. Ensuite, contrairement aux allégations de l'appelant, l'autorité disciplinaire pouvait légalement prendre en compte le retentissement de ces faits dans la presse locale et l'atteinte à la réputation des services qu'elle induit, et ce, alors même que le fonctionnaire n'en était pas à l'origine. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 6 juillet 2021.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme quelconque, au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 8 avril 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
Mme Dumez-Fauchille, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La rapporteure,
D. Teuly-Desportes
La présidente,
A. Geslan-DemaretLa greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°23TL01141 2