Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Bouygues Telecom et la société par actions simplifiée Cellnex ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 23 juin 2020 par lequel le maire de Juvignac s'est opposé à la déclaration préalable de travaux présentée par la seconde société pour l'implantation d'un relais de téléphonie mobile sur une parcelle située au lieu-dit " Pioch Charmant " sur le territoire de cette commune.
Par un jugement 2002757 du 15 avril 2021, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé l'annulation de cet arrêté, a enjoint au maire de Juvignac de prendre une décision de non-opposition à déclaration préalable dans le délai d'un mois à compter de la notification de ce jugement et a prononcé une astreinte de 200 euros par jour à l'encontre de la commune en cas de non-exécution du jugement dans le délai susmentionné.
Les sociétés Bouygues Telecom et Cellnex ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de liquider l'astreinte prononcée par ce jugement.
Par un jugement n° 2200251 rendu le 23 février 2023, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la commune de Juvignac à verser une somme de 29 600 euros aux sociétés Bouygues Telecom et Cellnex ainsi qu'une somme de 100 000 euros à l'Etat au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée le 15 avril 2021.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 avril 2023 et le 5 juillet 2024, la commune de Juvignac, représentée par Me Pilone, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 23 février 2023 ;
2°) de réduire le montant de l'astreinte en le fixant à la somme de 30 euros par jour entre le 15 mai 2021 et le 22 août 2022 ;
3°) de rejeter la demande de majoration du taux de l'astreinte présentée par les sociétés Bouygues Telecom et Cellnex.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif aurait dû supprimer ou moduler le montant de l'astreinte au regard tant de son comportement, puisqu'elle a exécuté le jugement du 15 avril 2021, que de l'attitude des sociétés intimées, lesquelles ont fait preuve de mauvaise foi :
- les sociétés intimées ont multiplié les recours et ont, ce faisant, repoussé l'issue de la procédure contentieuse, notamment en contestant l'arrêté du 21 décembre 2020 portant sursis à statuer sur la déclaration préalable, pris en exécution d'un jugement antérieur ;
- l'arrêté du 21 décembre 2020 était justifié par l'intérêt général dès lors que le terrain se situait dans l'emprise du projet de contournement routier ouest de Montpellier, porté par les services de l'Etat, pour lequel l'enquête préalable venait alors d'être ouverte ;
- les sociétés intimées se sont vu notifier, le 16 septembre 2022, un arrêté du 22 août précédent leur accordant l'autorisation d'urbanisme sollicitée, mais n'ont pas pour autant mis immédiatement fin aux procédures contentieuses en cours à cette même date ;
- le maire a exécuté le jugement du 15 mars 2021 en prenant l'arrêté du 22 août 2022, si bien qu'il y a lieu de réduire le nombre de jours pris en compte pour liquider l'astreinte en le portant à 463 jours correspondant à la période du 15 mai 2021 au 22 août 2022 ;
- les circonstances particulières de l'espèce, tenant à l'attitude malhonnête des sociétés intimées, sont, en outre, de nature à justifier une réduction du taux de l'astreinte, lequel sera ramené à 30 euros par jour de retard, soit la somme maximale de 13 890 euros ;
- il ne saurait par ailleurs lui être reproché aucune attitude abusive alors qu'elle s'est bornée à utiliser les voies de droit normales, qu'elle a prononcé un sursis à statuer légalement justifié et qu'elle a exécuté le jugement en prenant l'arrêté du 22 août 2022.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2023, la société anonyme Bouygues Telecom et la société par actions simplifiée Cellnex, représentées par Me Hamri, concluent :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- à titre principal, à la réformation du jugement attaqué pour augmenter le taux de l'astreinte à 500 euros par jour de retard et à la condamnation de commune de Juvignac à lui verser la somme de 324 000 euros dans le délai d'un mois ;
- à titre subsidiaire, à la réformation du jugement attaqué pour augmenter le taux de l'astreinte à 500 euros par jour de retard et à la condamnation de commune de Juvignac à lui verser la somme de 244 000 euros dans le délai d'un mois ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Juvignac le versement d'une somme de 30 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles font valoir que :
- la commune de Juvignac, hostile à son projet, a fait preuve d'une attitude dilatoire en multipliant abusivement les procédures contentieuses pendant trois années et en n'exécutant le jugement du 15 mars 2021 que dix-sept mois après son intervention ;
- les circonstances particulières de l'espèce, tenant à la mauvaise foi de la commune, sont de nature à justifier une augmentation du taux de l'astreinte, lequel sera porté à 500 euros par jour de retard, soit une somme de 324 000 euros pour les 648 jours ;
- si la cour venait à réduire la période de liquidation en raison de l'intervention de l'arrêté de non-opposition, il y aura lieu de tenir compte de la date de notification de l'arrêté et non de celle de son édiction, de sorte que le nombre de jours de retard sera ramené à 488 et que la commune sera condamnée à leur verser une somme de 244 000 euros ;
- la commune ne leur a jamais versé les sommes mises à sa charge par les juridictions administratives au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les instances précédentes, lesquelles ont représenté un coût total de 30 000 euros.
Par une ordonnance en date du 12 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,
- les conclusions de M. Diard, rapporteur public,
- les observations de Me Criquet, représentant la commune appelante,
- les observations de Me Hamri, représentant les sociétés intimées.
Une note en délibéré, produite pour la commune appelante, représentée par Me Pilone, a été enregistrée le 9 avril 2025.
Considérant ce qui suit :
1. La société Cellnex a déposé, le 13 septembre 2019, dans le cadre d'un mandat confié par la société Bouygues Telecom, une déclaration préalable de travaux pour l'implantation d'un relais de radiotéléphonie incluant un pylône de 30 mètres de haut et une zone technique, sur la parcelle cadastrée section BH n° 57, située au lieu-dit " Pioch Charmant ", sur le territoire de la commune de Juvignac (Hérault). Par un arrêté du 10 octobre 2019, le maire de cette commune s'est opposé à cette déclaration préalable. La même société a présenté, le 18 novembre 2019, une nouvelle déclaration préalable portant sur le même objet avec un pylône dont la hauteur a été ramenée à 24 mètres. Par un arrêté du 13 décembre 2019, le maire s'est également opposé à la réalisation de ces travaux. Le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, saisi par les sociétés Bouygues Telecom et Cellnex, a, par une ordonnance du 7 avril 2020, suspendu l'exécution de cet arrêté et enjoint au maire de réexaminer la déclaration préalable. Par un arrêté pris le 23 juin 2020, le maire s'est une nouvelle fois opposé à cette déclaration. Le juge des référés du même tribunal a, par une ordonnance du 5 août 2020, suspendu l'exécution de ce nouvel arrêté et enjoint au maire de prendre une décision de non-opposition à titre provisoire. Le tribunal administratif a, par un jugement du 26 novembre 2020, annulé l'arrêté d'opposition du 13 décembre 2019 et enjoint au maire de réexaminer la déclaration préalable. Par un arrêté du 21 décembre 2020, le maire a prononcé un sursis à statuer sur cette déclaration. Enfin, par un jugement du 15 avril 2021, le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 23 juin 2020, a enjoint au maire de prendre une décision de non-opposition à déclaration préalable dans le délai d'un mois suivant la notification de ce jugement et a prononcé une astreinte de 200 euros par jour à l'encontre de la commune en cas de non-exécution du jugement dans le délai imparti.
2. Le maire de Juvignac n'ayant pas pris la décision de non-opposition à déclaration préalable dans le délai imparti par le jugement du 15 avril 2021 et ayant même, par la suite, refusé de prendre une telle décision en réponse à plusieurs invitations adressées en ce sens par les sociétés Bouygues Telecom et Cellnex, lesdites sociétés ont saisi le tribunal administratif de Montpellier, le 10 janvier 2022, d'une demande tendant à la liquidation de l'astreinte prononcée par ce jugement. Par un jugement rendu le 23 février 2023, le tribunal administratif a condamné la commune de Juvignac à verser une somme de 29 600 euros aux sociétés Bouygues Telecom et Cellnex ainsi qu'une somme de 100 000 euros au budget de l'Etat au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée le 15 avril 2021. Par la présente requête, la commune relève appel de ce jugement et sollicite la réduction du montant de l'astreinte. Par la voie de l'appel incident, les sociétés Bouygues Telecom et Cellnex demandent la majoration du taux de l'astreinte.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. L'article L. 911-3 du code de justice administrative dispose que : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. ". Selon l'article L. 911-7 du même code : " En cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive, la juridiction procède à la liquidation de l'astreinte qu'elle avait prononcée. Sauf s'il est établi que l'inexécution de la décision provient d'un cas fortuit ou de force majeure, la juridiction ne peut modifier le taux de l'astreinte définitive lors de sa liquidation. Elle peut modérer ou supprimer l'astreinte provisoire, même en cas d'inexécution constatée. ". Selon l'article L. 911-8 de ce code : " La juridiction peut décider qu'une part de l'astreinte ne sera pas versée au requérant. Cette part est affectée au budget de l'Etat. ".
4. Il résulte des dispositions précitées que l'astreinte a pour finalité de contraindre la personne qui s'y refuse à exécuter les obligations qui lui ont été assignées par une décision de justice et, ainsi, à respecter l'autorité de la chose jugée. Sa liquidation a pour objet de tirer les conséquences du refus ou du retard mis à exécuter ces obligations. En cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive de la décision, la juridiction procède, aux termes de l'article L. 911-7 du code de justice administrative, à la liquidation de l'astreinte. En application du premier alinéa de l'article L. 911-8 de ce code, la juridiction a la faculté de décider, afin d'éviter un enrichissement indu, qu'une fraction de l'astreinte liquidée ne sera pas versée au requérant, le second alinéa mentionnant que cette fraction est alors affectée au budget de l'État.
5. Il résulte de l'instruction que le maire de Juvignac a pris, le 22 août 2022, un arrêté par lequel il ne s'oppose pas à la déclaration préalable de travaux déposée par la société Cellnex, lequel a été notifié à ladite société le 16 septembre 2022, sans que les parties n'en aient informé le tribunal administratif de Montpellier avant que celui-ci statue sur la liquidation provisoire de l'astreinte par son jugement du 23 février 2023. La commune appelante a ainsi mis seize mois pour se conformer à l'injonction prononcée par les premiers juges à son encontre dans son jugement du 15 avril 2021, laquelle avait au demeurant été déjà prononcée, à titre provisoire, par le juge des référés de ce même tribunal, plus de sept mois auparavant. Par voie de conséquence, la période à prendre en considération pour la liquidation de l'astreinte résultant du jugement du 15 avril 2021 s'étend du 15 mai 2021, correspondant à l'expiration du délai d'exécution d'un mois imparti par ledit jugement, au 16 septembre 2022, correspondant à la date de notification de l'arrêté de non-opposition à déclaration préalable sus-évoqué, soit un total de 488 jours.
6. Ni la circonstance que le maire de Juvignac avait sursis à statuer sur la déclaration préalable de travaux, par l'arrêté du 21 décembre 2020 mentionné au point 1, ni le fait que ce sursis à statuer était motivé par l'inclusion du terrain d'assiette du projet dans l'emprise d'un projet de contournement routier, n'étaient de nature à exonérer la commune de son obligation de se conformer à l'injonction prononcée par le tribunal administratif le 15 avril 2021 ou à justifier le retard d'exécution de seize mois constaté au point précédent, alors au surplus que l'arrêté du 21 décembre 2020 reposait sur des circonstances postérieures à la date de l'arrêté annulé, en méconnaissance de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme. La commune requérante ne peut par ailleurs sérieusement soutenir que le retard en cause résulterait des procédures contentieuses initiées par les sociétés intimées contre les arrêtés successifs pris par son maire ou de la supposée " mauvaise foi " de ces dernières, alors que lesdites procédures n'avaient aucune incidence sur l'obligation d'exécuter l'injonction, que les appels et pourvois introduits par la collectivité ne revêtaient pas un caractère suspensif et que celle-ci n'a pas informé le tribunal administratif de l'intervention de l'arrêté de non-opposition du 22 août 2022 comme il lui appartenait pourtant de le faire dans le cadre du litige en exécution alors pendant devant cette juridiction. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de la commune de Juvignac tendant à la suppression de l'astreinte ou la réduction de son taux journalier.
7. Dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment de ce que la commune requérante avait exécuté le jugement du 15 avril 2021 lorsque les premiers juges ont statué sur la liquidation provisoire de l'astreinte, il n'y a pas, non plus, lieu de faire droit aux conclusions incidentes présentées par les sociétés intimées tendant à la majoration du taux journalier de l'astreinte. Il s'ensuit que la commune de Juvignac doit être condamnée à verser une somme de 200 euros par jour de retard, soit, pour la période susmentionnée de 488 jours, une somme de 97 600 euros, au titre de la liquidation définitive de l'astreinte prononcée par le jugement du 15 avril 2021. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'allouer la somme de 22 500 euros aux sociétés intimées et d'affecter la part restante de 75 100 euros au budget de l'Etat.
8. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la commune de Juvignac est seulement fondée à demander que les sommes que le tribunal administratif de Montpellier l'a condamnée à verser au titre de la liquidation de l'astreinte soient ramenées à 22 500 euros pour les sociétés Bouygues Telecom et Cellnex et 75 100 euros pour l'Etat et, d'autre part, que les conclusions incidentes présentées par les sociétés intimées doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la commune de Juvignac la somme demandée par les sociétés Bouygues Telecom et Cellnex sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Les sommes que la commune de Juvignac a été condamnée à verser au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée le 15 avril 2021 sont ramenées à 22 500 euros pour les sociétés Bouygues Telecom et Cellnex et 75 100 euros pour le budget de l'Etat.
Article 2 : Le jugement rendu par le tribunal administratif de Montpellier le 23 février 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Juvignac, à la société anonyme Bouygues Telecom et à la société par actions simplifiée Cellnex.
Copie en sera adressée au ministère public près la Cour des comptes et au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
M. Moutte, président,
M. Jazeron, premier conseiller,
Mme Lasserre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2025.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
J.F. Moutte
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23TL00952