La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/04/2025 | FRANCE | N°23TL00840

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 15 avril 2025, 23TL00840


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société à responsabilité limitée Freedays a saisi le tribunal administratif de Montpellier d'une demande tendant à l'annulation, d'une part, de la délibération du 3 juin 2021 par laquelle le conseil municipal d'Escaro-Aytua a abrogé une précédente délibération du 2 juillet 2012 et approuvé la conclusion d'une promesse de bail emphytéotique avec la société TotalÉnergies Renouvelables France, ensemble la décision implicite de rejet opposée à son recours gracieux f

ormé le 30 juillet 2021, et, d'autre part, de la délibération du 15 décembre 2021 retirant la d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Freedays a saisi le tribunal administratif de Montpellier d'une demande tendant à l'annulation, d'une part, de la délibération du 3 juin 2021 par laquelle le conseil municipal d'Escaro-Aytua a abrogé une précédente délibération du 2 juillet 2012 et approuvé la conclusion d'une promesse de bail emphytéotique avec la société TotalÉnergies Renouvelables France, ensemble la décision implicite de rejet opposée à son recours gracieux formé le 30 juillet 2021, et, d'autre part, de la délibération du 15 décembre 2021 retirant la délibération du 2 juillet 2012 précitée, ensemble la décision implicite du rejet de son recours gracieux formé le 6 avril 2022. Dans le dernier état de ses écritures, la société Freedays a également demandé au tribunal de lui donner acte de ce qu'elle se désistait de sa demande tendant à l'annulation de la délibération précitée du 3 juin 2021 en tant qu'elle approuve la conclusion d'une promesse de bail emphytéotique avec la société TotalÉnergies Renouvelables France, sous réserve que les délibérations du 15 décembre 2021 et du 14 février 2022, par lesquelles le conseil municipal a, respectivement, autorisé le maire de la commune à conclure cette promesse de bail et à la résilier à l'amiable, deviennent définitives.

Par un jugement n° 2105182 du 16 février 2023, le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, donné acte du désistement d'instance de la société Freedays de sa demande tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021 en tant qu'elle approuve la conclusion d'une promesse de bail emphytéotique avec la société TotalÉnergies Renouvelables France, d'autre part, rejeté la demande tendant à l'annulation de la délibération du 15 décembre 2021 en tant qu'elle prononce le retrait de la délibération du 2 juillet 2012. Par ce même jugement, le tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021 en tant qu'elle abroge la délibération du 2 juillet 2012 et rejeté le surplus de la demande de la société Freedays.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 avril 2023 et le 29 mars 2024, la société Freedays, représentée par Me Faure, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 16 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation, d'une part, de la délibération du conseil municipal d'Escaro-Aytua du 3 juin 2021 en ce qu'elle abroge une précédente délibération du 2 juillet 2012, d'autre part, de l'article 2 de la délibération du 15 décembre 2021 prononçant le retrait de la délibération du 2 juillet 2012 et, enfin, des décisions rejetant implicitement ses recours gracieux formés contre ces deux délibérations ;

2°) d'annuler, d'une part, la délibération du conseil municipal d'Escaro-Aytua du 3 juin 2021 en ce qu'elle abroge une précédente délibération du 2 juillet 2012, d'autre part, l'article 2 de la délibération du 15 décembre 2021 prononçant le retrait de la délibération du 2 juillet 2012 et, d'autre part, les décisions par lesquelles le maire de cette commune a implicitement rejeté les recours gracieux respectivement formés le 30 juillet 2021 et le 6 avril 2022 ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Escaro-Aytua une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

Sur la régularité du jugement attaqué :

- c'est à tort que le tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021 en tant qu'elle abroge la délibération du 2 juillet 2012 ; il y avait lieu de se prononcer au fond sur la légalité de cette délibération dès lors que le retrait prononcé par la délibération du 15 décembre 2021 était lui-même illégal.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la délibération du 15 décembre 2021 :

- elle était recevable et fondée à présenter des conclusions nouvelles tendant à l'annulation partielle de la délibération du 15 décembre 2021 et de la décision rejetant implicitement son recours administratif en vertu du principe selon lequel lorsqu'une décision administrative faisant l'objet d'un recours contentieux est retirée en cours d'instance pour être remplacée par une décision de même portée, le recours doit être regardé comme tendant également à l'annulation de la nouvelle décision ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, qui s'est abstenu de qualifier juridiquement cet acte, la délibération du 2 juillet 2012 est un acte créateur de droits révélant la volonté ferme et non équivoque de la commune d'Escaro-Aytua d'initier et de poursuivre une relation contractuelle devant aboutir à la conclusion d'un bail emphytéotique destiné à construire et à exploiter une centrale photovoltaïque ;

- la délibération du 2 juillet 2012 n'est pas une simple déclaration d'intention dès lors que le projet de centrale photovoltaïque était bien avancé au regard de l'avant-projet réactualisé qu'elle avait remis au mois de mai 2012 et du contrat de bail emphytéotique que les parties étaient sur le point de signer en 2021 ; en outre, ces pourparlers et cette relation contractuelle se sont concrétisés par la suite ainsi qu'en témoignent, premièrement, la lettre du 4 juillet 2013 de la société SECME, propriétaire des anciens terrains miniers dont la commune devait faire l'acquisition, l'autorisant à réaliser des études préalables, deuxièmement, l'autorisation donnée le 18 avril 2013 par l'Office national des forêts à la commune de lancer une étude de faisabilité sur des terrains implantés en partie au sein de la forêt domaniale du Conflent située sur le territoire communal de Souanyas, troisièmement, la délibération du conseil municipal du 7 mai 2017 par laquelle la commune s'est engagée à disposer d'une maîtrise foncière sur des terrains supplémentaires pour développer le projet, quatrièmement, l'acquisition des terrains d'assiette du projet en 2018 et l'approbation du plan local d'urbanisme intercommunal intervenue en mars 2021 ;

- la commune d'Escaro-Aytua a méconnu l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration en procédant au retrait de la délibération du 2 juillet 2012, qui était créatrice de droits pour elle, au-delà du délai de quatre mois prévu audit article ;

- la commune d'Escaro-Aytua a méconnu l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration en procédant au retrait de la délibération du 2 juillet 2012 plus de quatre mois après son adoption alors que celle-ci n'était pas illégale, le Conseil d'État ayant jugé, par une décision n° 460100 du 2 décembre 2020 que les baux emphytéotiques consentis par les communes sur des biens relevant de leur domaine privé n'étaient pas soumis à une obligation de publicité et de mise en concurrence ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé que la délibération du 2 juillet 2012 avait épuisé ses effets alors que les relations contractuelles se sont poursuivies au regard des conclusions favorables de l'étude de faisabilité ;

- contrairement à ce que soutient la commune en défense, la délibération du 15 décembre 2021 n'est pas confirmative de la délibération du 3 juin 2021.

En ce qui concerne la délibération du 3 juin 2021 :

- la délibération du 3 juin 2021 a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire ;

- elle méconnaît l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration dès lors qu'elle est intervenue plus de quatre mois après l'adoption de la délibération du 2 juillet 2012 ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- l'illégalité entachant le retrait de la délibération du 2 juillet 2012 entache, par voie de conséquence, la décision abrogeant cette même délibération ;

- la délibération du 2 juillet 2012 ayant créé des droits à son profit, elle ne pouvait être abrogée qu'à sa demande ; en outre, l'illégalité de cette délibération n'est pas établie.

Sur les frais liés au litige : il serait inéquitable de laisser les frais exposés par la commune d'Escaro-Aytua, et non compris dans les dépens, à sa charge alors qu'elle se trouve désormais évincée d'un projet qu'elle a conçu au profit d'un autre opérateur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2024, la commune d'Escaro-Aytua, représentée par Me Chichet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de société Freedays au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce que soutient la société Freedays, la délibération du 2 juillet 2012 n'est pas créatrice de droits et ne lui accorde aucun droit exclusif à exploiter une centrale photovoltaïque mais seulement un droit exclusif destiné à lui permettre de réaliser des études de faisabilité de son projet sur les terrains communaux ; cette délibération a épuisé ses effets depuis le 4 juillet 2015 ;

- la délibération du 2 juillet 2012 n'étant pas un acte créateur de droits, elle était fondée à procéder à son abrogation en 2021 sur le fondement de l'article L. 242-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la délibération du 15 décembre 2021, en dépit d'une maladresse de rédaction liée à l'emploi du terme " retirer " a seulement un caractère confirmatif de l'abrogation à laquelle il a été procédé par la délibération précédente du 3 juin 2021.

La requête a été communiquée à la société TotalÉnergies Renouvelables France et à la commune de Souanyas en qualité d'observatrices, lesquelles n'ont pas produit de mémoire.

Par une ordonnance du 27 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 9 avril 2024 à 12 heures.

Par une lettre du 21 mars 2025, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur trois moyens relevés d'office tirés :

- en premier lieu, de l'irrégularité du jugement de première instance en ce que le tribunal s'est mépris sur la nature et la portée des conclusions dont il était saisi (CE 26 octobre 1973 Héritiers Manivel n° 81414 A), lesquelles ne portaient pas sur un litige d'excès de pouvoir mais concernaient, d'une part, une action en contestation de la validité du contrat de promesse de bail emphytéotique administratif conclu entre la commune d'Escaro-Aytua et la société Total Énergies Renouvelables France présentée par la société Freedays en sa qualité de tiers évincé dont cette dernière s'est désistée en cours d'instance (CE Assemblée 4 avril 2014 Tarn-et-Garonne n° 358994 A) et, d'autre part, une action en contestation de la validité de la décision, contenue dans la délibération du 3 juin 2021, par laquelle la commune d'Escaro-Aytua s'est rétractée du contrat de promesse de bail emphytéotique administratif conclu avec la société Freedays, révélé par la délibération du conseil municipal du 2 juillet 2012 et les échanges entre les parties, et mis fin à leurs relations contractuelles ce qui commandait, dès lors, pour le tribunal, au besoin après avoir requalifié les conclusions dont il était saisi, d'exercer pleinement l'office de plein contentieux dévolu au juge du contrat (En ce sens : article 1124 du code civil - CE 21 mars 2011 Commune de B... dit B... A... n°304806 A - CE 30 mai 2012 Société PRORESTO n° 357151 B - CE 2 avril 2015 commune de Case Pilote n°s 364539, 364540 A) ;

- en deuxième lieu, de l'irrecevabilité, pour tardiveté, de la demande présentée par la société Freedays devant le tribunal tendant à contester la validité de la mesure, contenue dans la délibération du 3 juin 2021, par laquelle la commune d'Escaro-Aytua s'est rétractée de la promesse de bail emphytéotique administratif et à la reprise des relations contractuelles dès lors que cette demande, qui porte sur la validité d'une mesure d'exécution d'un contrat, a été présentée plus de deux mois à compter de la date à laquelle cette société a été informée de cette mesure ;

- enfin, de l'irrecevabilité de l'action tendant à la contestation de la validité de la mesure d'exécution du contrat révélée par la délibération du 15 décembre 2021 par laquelle la commune d'Escaro-Aytua a confirmé la rétractation du contrat de promesse de bail emphytéotique consenti en 2012 à la société Freedays et à la reprise des relations contractuelles dès lors que cette demande, présentée dans le cadre de mémoires enregistrés le 28 mars et le 1er septembre 2022, soit, après l'expiration du délai de recours contentieux, constitue une demande nouvelle.

Des observations en réponse à ces moyens d'ordre public, présentées pour la commune d'Escaro-Aytua et la société Freedays, ont été respectivement enregistrées les 21 et 28 mars 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre ;

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique ;

- les observations de Me Palus-Carrer, substituant Me Faure, représentant la société Freedays ; la parole a également été donnée à Mme C..., cheffe de projet énergies renouvelables au sein de la société TotalÉnergies Renouvelables France.

Des pièces ont été produites par la société Freedays le 9 avril 2025 soit postérieurement la clôture d'instruction fixée au 9 avril 2024 à 12 heures.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 2 juillet 2012, le conseil municipal d'Escaro-Aytua (Pyrénées-Orientales) a confié à la société Freedays la conception et la réalisation d'une centrale photovoltaïque sur des parcelles ayant servi auparavant à l'exploitation d'une ancienne mine de fer. La réalisation du projet était conditionnée par les résultats d'une étude de faisabilité, la maîtrise foncière du terrain d'assiette du projet par la commune auprès de la société exploitant l'ancienne mine et l'obtention des autorisations nécessaires par la société Freedays. Par cette même délibération, la commune s'est engagée à accorder à cette société un droit d'exclusivité de trois ans pour réaliser les études de faisabilité à compter de l'obtention de la garantie de la maîtrise foncière du projet et à rendre possible celui-ci en accédant à la maîtrise foncière des tènements d'implantation nécessaires à sa réalisation. Enfin, cette délibération renvoie les modalités et les conditions financières de la mise à disposition des terrains à une convention qui serait ultérieurement conclue entre les parties. Par un acte notarié dressé le 9 mars 2018, la commune d'Escaro-Aytua a acquis auprès de la Société d'Entreprises, Carrières et Mines de l'Estérel (SECME) la propriété de terrains, représentant une superficie de 89 hectares sur le territoire communal d'Escaro-Aytua, et de 17 hectares sur celui de Souanyas. Au cours de l'année 2020, la société Freedays s'est rapprochée de la commune d'Escaro-Aytua pour obtenir la conclusion d'une promesse de bail emphytéotique. Toutefois, au cours du mois de février 2021, la commune a souhaité organiser une procédure de publicité et de mise en concurrence pour poursuivre le projet d'implantation d'une centrale photovoltaïque. Quatre opérateurs ont déposé une offre dont la société Total Quadran, venant aux droits de la société TotalÉnergies Renouvelables France, et la société Freedays qui a réitéré son offre le 12 février 2021.

2. Par une délibération du 3 juin 2021, le conseil municipal de la commune d'Escaro-Aytua a, d'une part, abrogé la délibération du 2 juillet 2012 précitée et, d'autre part, autorisé le maire à conclure une promesse de bail emphytéotique avec la société TotalÉnergies Renouvelables France. Par une lettre du 10 août 2021, la commune d'Escaro-Aytua a informé la société Freedays du rejet de son offre au profit de celle présentée par la société TotalÉnergies Renouvelables. Estimant que la procédure contractuelle menée avec la société TotalÉnergies Renouvelables était entachée d'une irrégularité formelle, le conseil municipal de cette commune a, par une nouvelle délibération du 15 décembre 2021, d'une part, retiré la délibération du 3 juin 2021 précitée en tant seulement qu'elle autorisait la conclusion d'une promesse de bail emphytéotique avec la société TotalÉnergies Renouvelables France et, d'autre part, prononcé le retrait de la délibération du 2 juillet 2012 précitée et, enfin, initié une nouvelle procédure de mise en concurrence. Enfin, par une dernière délibération du 14 février 2022, le conseil municipal a autorisé le maire à résilier à l'amiable la promesse de bail emphytéotique conclue avec la société TotalÉnergies Renouvelables. Cette résiliation est intervenue le 24 février 2024.

3. Par un jugement du 16 février 2023, le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, donné acte du désistement d'instance de la société Freedays de sa demande tendant à l'annulation de la décision autorisant le maire d'Escaro-Aytua à conclure une promesse de bail emphytéotique avec la société TotalÉnergies Renouvelables France contenue dans la délibération du 3 juin 2021, d'autre part, rejeté la demande de cette société tendant à l'annulation de la décision prononçant le retrait de la délibération du 3 juin 2021 contenue dans cette même délibération du 15 décembre 2021. Par ce même jugement, le tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande tendant à l'annulation de la décision abrogeant la délibération du 2 juillet 2012 contenue dans la délibération du 3 juin 2021 et rejeté le surplus de la demande de la société Freedays. La société Freedays relève appel des articles 2 et 3 de ce jugement en tant que le tribunal ne s'est pas prononcé au fond sur sa demande tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021 abrogeant la délibération du 2 juillet 2012 et a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'article 2 de la délibération du 15 décembre 2021 prononçant le retrait de la délibération du 2 juillet 2012.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article L. 240-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Au sens du présent titre, on entend par : / 1° Abrogation d'un acte : sa disparition juridique pour l'avenir ; / 2° Retrait d'un acte : sa disparition juridique pour l'avenir comme pour le passé ".

5. D'une part, une seconde décision dont l'objet est le même que la première revêt un caractère confirmatif dès lors que ne s'est produit entretemps aucun changement dans les circonstances de droit ou de fait de nature à emporter des conséquences sur l'appréciation des droits ou prétentions en litige.

6. D'autre part, le juge de l'excès de pouvoir ne peut, en principe, déduire d'une décision juridictionnelle rendue par lui-même ou par une autre juridiction qu'il n'y a plus lieu de statuer sur des conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, tant que cette décision n'est pas devenue irrévocable. Il en va toutefois différemment lorsqu'il statue par une même décision, en tirant les conséquences nécessaires de ses propres énonciations. À ce titre, lorsque le juge est parallèlement saisi de conclusions tendant, d'une part, à l'annulation d'une décision et, d'autre part, à celle de son retrait et qu'il statue par une même décision, il lui appartient de se prononcer sur les conclusions dirigées contre le retrait puis, sauf si, par l'effet de l'annulation qu'il prononce, la décision retirée est rétablie dans l'ordonnancement juridique, de constater qu'il n'y a plus lieu pour lui de statuer sur les conclusions dirigées contre cette dernière.

7. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier ne s'est pas prononcé au fond sur la légalité de la délibération du 3 juin 2021 abrogeant la délibération du 2 juillet 2012 en faisant application du principe, rappelé au point précédent, pour considérer que la demande présentée par la société Freedays tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021 abrogeant la précédente délibération du 2 juillet 2012 était devenue sans objet par voie de conséquence du rejet de la demande tendant à l'annulation de la délibération du 15 décembre 2021 qui prononce le retrait de la délibération du 2 juillet 2012.

8. Il est constant que l'article 2 de la délibération du 15 décembre 2021 en litige emploie le terme de retrait pour évoquer la sortie de l'ordonnancement juridique de la délibération du 2 juillet 2012 qu'elle prononce. Toutefois, en l'absence de circonstances de fait ou de droit nouvelles de nature à justifier que soit également prononcée la disparition juridique pour le passé des effets produits par la délibération du 2 juillet 2012, laquelle a été entièrement exécutée et dont le terme a expiré, l'article 2 de la délibération du 15 décembre 2021 doit être regardé, dans les circonstances de l'espèce éclairées par le contexte dans lequel sont intervenues les délibérations des 3 juin et 15 décembre 2021, comme ayant seulement pour objet de confirmer l'abrogation de la délibération du 2 juillet 2012 déjà décidée par la délibération du 3 juin 2021, ainsi que le soutient la commune d'Escaro-Aytua. Dans ces conditions, le terme " retrait " mentionné à l'article 2 de la délibération du 15 décembre 2021 doit être entendu dans son acception commune et non comme faisant référence à la définition légale du retrait d'un acte administratif résultant de l'article L. 240-1 du code des relations entre le public et l'administration. Eu égard à la nature et aux pouvoirs dont dispose le juge de l'excès de pouvoir pour connaître du litige tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021 portant abrogation de la délibération du 2 juillet 2012 qui oppose la société Freedays à la commune d'Escaro-Aytua, et en l'absence de circonstance de fait ou de droit nouvelle survenue depuis l'intervention de la délibération du 3 juin 2021, la délibération du conseil municipal du 15 décembre 2021 doit, ainsi qu'il vient d'être dit, être regardée comme procédant seulement à l'abrogation de la délibération du 2 juillet 2012 et, dès lors, comme une décision purement confirmative de la mesure d'abrogation contenue dans la délibération du 3 juin 2021 ainsi que l'oppose en défense la commune.

9. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la demande tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021 dont ils étaient saisis était devenue sans objet et ont constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur cette demande. Il y a lieu, dès lors, d'annuler l'article 3 du jugement attaqué par lequel le tribunal ne s'est pas prononcé au fond sur les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021.

10. Il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement sur ces conclusions par la voie de l'évocation et de statuer, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, sur les autres conclusions présentées par la société Freedays devant le tribunal administratif de Montpellier restant en litige tendant à l'annulation de la délibération du 15 juin 2021.

Sur la légalité de la délibération du 3 juin 2021 :

11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ". L'article L. 243- 1 du même code précise que : " Un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits peut, pour tout motif et sans condition de délai, être modifié ou abrogé (...) ".

12. Il résulte des termes de la délibération du 2 juillet 2012 que la commune d'Escaro- Aytua a confié à la société Freedays la mission de réaliser une étude de faisabilité portant sur la construction et l'exploitation d'un parc photovoltaïque au sol sur d'anciens terrains miniers définis dans le cadre d'un avant-projet en annexe, et de lui confier la réalisation de ce projet sous réserve des résultats de l'étude de faisabilité. La délibération précise également que la commune s'engage à tout mettre en œuvre pour rendre possible la réalisation de ce projet par la maîtrise foncière des terrains concernés, et renvoie à une convention à conclure ultérieurement en vue de préciser les modalités et les conditions financières de la mise à disposition des terrains. Compte tenu des termes généraux qu'elle emploie, et notamment de la référence à une convention à conclure ultérieurement et en l'absence, à la date de son adoption, d'un accord sur les conditions essentielles du contrat envisagé, telles que sa nature juridique, le prix, la consistance et le terrain d'assiette du projet de centrale photovoltaïque, la délibération du 2 juillet 2012 ne saurait être regardée comme ayant d'ores et déjà noué une relation contractuelle entre la commune d'Escaro-Aytua et la société Freedays de nature à faire des naître des droits acquis à conclure à contrat. Dans ces conditions, la délibération du 2 juillet 2012 ne peut être qualifiée d'acte créateur de droits au profit de la société Freedays, de sorte que la commune d'Escaro-Aytua pouvait légalement en prononcer l'abrogation dans le cadre de la délibération de son conseil municipal du 3 juin 2021. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui interdit d'abroger un acte créateur de droits au-delà du délai de quatre mois, doit être écarté.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". L'article L. 211-2 du même code auquel renvoie cet article dispose que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; / 2° Infligent une sanction ; / 3° Subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; / 5° Opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ; / 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; / 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire ". Dès lors que la délibération du 3 juin 2021 n'entre dans aucune catégorie de ces décisions, elle n'était pas subordonnée à la mise en œuvre préalable d'une procédure contradictoire et n'avait pas davantage à être motivée. Par suite, le vice de procédure et le vice de forme tirés de la méconnaissance des articles L. 121-1 et L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration sont inopérants et doivent, dès lors, être écartés. En tout état de cause, la délibération en litige vise la délibération du 2 juillet 2012 dont elle prononce l'abrogation et expose les raisons de fait et de droit pour lesquels la commune d'Escaro-Aytua a décidé de ne pas donner suite à la demande de la société Freedays de conclure une promesse de bail emphytéotique en précisant, notamment, que la société Freedays s'est rapprochée de la commune en 2020 en vue de conclure une promesse de bail emphytéotique mais que " depuis 2016, le juge européen considère qu'une mise en concurrence s'impose si, en raison de la rareté de la ressource sollicitée, le nombre d'autorisations qu'il est possible d'octroyer s'avère limité (CJUE 14 juillet 2016 Promoimpresa) ".

14. En troisième et dernier lieu, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale. Dès lors que la délibération en litige ne trouve pas sa base légale dans la délibération du 15 décembre 2021, intervenue postérieurement, et n'est pas davantage prise pour son application, la société Freedays ne peut utilement exciper, à l'appui de sa demande d'annulation de la délibération du 3 juin 2021, de l'illégalité de la délibération du 15 décembre 2021.

Sur la légalité de la délibération du 15 décembre 2021 :

15. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 12, la délibération du 2 juillet 2012 n'a pas le caractère d'acte créateur de droits. Par suite, la société Freedays ne peut utilement soutenir que la délibération en litige, qui en confirme l'abrogation, a été prise en méconnaissance de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration.

16. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que la commune d'Escaro-Aytua a méconnu l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration en procédant au retrait de la délibération du 2 juillet 2012 plus de quatre mois après son adoption, alors que celle-ci n'était pas illégale, doit être écarté comme inopérant pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 12 et 14.

17. En troisième et dernier lieu, le moyen tiré de ce que la délibération du 2 juillet 2012 n'a pas entièrement épuisé ses effets est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la délibération en litige.

18. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que les conclusions de la société Freedays tendant à l'annulation de la délibération du conseil municipal d'Escaro-Aytua du 3 juin 2021 doivent être rejetées et, d'autre part, que cette société n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la délibération du 15 décembre 2021.

Sur les frais liés en litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Escaro-Aytua, qui n'est pas la partie perdante dans le cadre de la présente instance, la somme demandée par la société Freedays au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Freedays une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune d'Escaro-Aytua et non compris dans les dépens.

DÉCIDE:

Article 1 : L'article 3 du jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 2105182 du 16 février 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Freedays devant le tribunal administratif de Montpellier tendant à l'annulation de la délibération du conseil municipal d'Escaro-Aytua du 3 juin 2021 est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel présentées par la société Freedays est rejeté.

Article 4 : La société Freedays versera à la commune d'Escaro-Aytua une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Freedays et à la commune d'Escaro-Aytua.

Délibéré après l'audience du 1er avril 2025, à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2025.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Orientales en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL00840


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00840
Date de la décision : 15/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Différentes catégories d'actes - Actes administratifs - classification - Actes individuels ou collectifs - Actes non créateurs de droits.

Actes législatifs et administratifs - Disparition de l'acte.

Procédure - Incidents - Non-lieu.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: Mme Nadia El Gani-Laclautre
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : FAURE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-15;23tl00840 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award