Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Equadex a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014 et 2015, à hauteur de 44 239 euros, et la restitution des sommes correspondantes assorties des intérêts moratoires.
Par une ordonnance n° 462171 du 4 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a transmis sa demande, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, au tribunal administratif de Nîmes.
Par un jugement n° 2021560 du 23 novembre 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 janvier, 16 juin et 1er septembre 2023, et un mémoire récapitulatif enregistré le 4 septembre 2023, la société Equadex, représentée par Me Malric, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 novembre 2022 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées, assortie des intérêts moratoires ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- quand bien même le produit Ulysse aurait été commercialisé dans une première version en janvier 2013, les travaux menés en 2013 et 2014 ont conduit à des améliorations substantielles du produit ;
- les maquettes et approches non mises à disposition du marché constituent des prototypes ouvrant droit au crédit d'impôt.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 mai, 28 juin et 13 septembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 13 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 6 octobre 2023.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à ce que la restitution des impositions contestées soit assortie des intérêts moratoires, à défaut de litige né et actuel sur ces intérêts.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fougères,
- et les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Equadex, qui exerce une activité de conseil en systèmes logiciels et d'édition d'applications métiers et de déploiement de solutions informatiques à Toulouse (Haute-Garonne), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle le service a remis en cause le crédit d'impôt innovation dont elle avait bénéficié à raison d'un projet intitulé " Ulysse " au titre des exercices clos en 2014 et 2015, et lui a notifié par voie de conséquence, selon la procédure de rectification contradictoire, son intention de mettre à sa charge des suppléments d'impôt sur les sociétés au titre de ces exercices. La société Equadex relève appel du jugement du 23 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces suppléments d'imposition et la restitution des sommes correspondantes assorties des intérêts moratoires.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 244 quater du code général des impôts, dans sa version alors applicable : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) Pour les dépenses mentionnées au k du II, le taux du crédit d'impôt est de 20 % (...). II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : (...) k) Les dépenses exposées par les entreprises qui satisfont à la définition des micro, petites et moyennes entreprises donnée à l'annexe I au règlement (CE) n° 800/2008 de la Commission, du 6 août 2008, déclarant certaines catégories d'aide compatibles avec le marché commun en application des articles 87 et 88 du traité (Règlement général d'exemption par catégorie) et définies comme suit : 1° Les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits autres que les prototypes et installations pilotes mentionnés au a ; 2° Les dépenses de personnel directement et exclusivement affecté à la réalisation des opérations mentionnées au 1° ; 3° Les autres dépenses de fonctionnement exposées à raison des opérations mentionnées au 1° (...). Pour l'application du présent k, est considéré comme nouveau produit un bien corporel ou incorporel qui satisfait aux deux conditions cumulatives suivantes : - il n'est pas encore mis à disposition sur le marché ; - il se distingue des produits existants ou précédents par des performances supérieures sur le plan technique, de l'écoconception, de l'ergonomie ou de ses fonctionnalités. Le prototype ou l'installation pilote d'un nouveau produit est un bien qui n'est pas destiné à être mis sur le marché mais à être utilisé comme modèle pour la réalisation d'un nouveau produit (...) ".
3. Il appartient au juge de l'impôt de constater, au vu de l'instruction dont le litige qui lui est soumis fait l'objet, qu'une entreprise remplit ou non les conditions lui permettant de se prévaloir de l'avantage fiscal institué par ces dispositions.
4. Pour remettre en cause le bénéfice du crédit d'impôt innovation dont la société Equadex avait bénéficié au cours des années 2013 et 2014, le vérificateur a estimé que le progiciel métier de gestion des contrats d'assurance et des sinistres, dénommé " Ulysse ", développé par la société, avait déjà fait l'objet d'une commercialisation dès le début de l'année 2013 et ne pouvait, dès lors, être regardé comme un prototype au sens des dispositions précitées. Dans ses écritures ultérieures, l'administration fiscale retient, en outre, que les nouvelles versions dont se prévaut la société ne correspondent qu'à des mises à jour applicatives sollicitées par divers clients ayant acquis la version originale déjà commercialisée, donnant lieu à une facturation du développement et des " demandes de changement " des utilisateurs, et que ces versions nouvelles étaient destinées à être mises sur le marché directement.
5. D'une part, il résulte de l'instruction que la société Equadex a élaboré un progiciel dénommé " Ulysse ", dont il est constant que la première version, commercialisée à partir du mois de janvier 2013, constituait un produit nouveau au sens des dispositions précitées. Il est également constant qu'à la suite de cette commercialisation et tout au long des années 2013 et 2014, de nouveaux travaux ont été menés à partir de la première version de ce progiciel dans le but d'aboutir à de nouvelles versions améliorant les fonctionnalités et l'ergonomie du produit. Dès lors, la circonstance que la première version du progiciel a été commercialisée au cours de l'année 2013 ne faisait pas obstacle à ce qu'une ou plusieurs nouvelles versions ultérieures puissent être regardées comme des produits nouveaux au sens des dispositions précitées, pourvu qu'elles en remplissent les conditions. À cet égard, si l'administration soutient que ces versions nouvelles ne correspondent qu'à de simples " mises à jour applicatives ", il résulte des éléments apportés par la société, non sérieusement démentis par le service, que les travaux réalisés en 2013 ont permis, notamment, d'intégrer de nouvelles fonctionnalités de prévisualisation, de modules de saisie des contrats, de dessin et d'améliorer sensiblement le module de chiffrage de l'application, tandis que ceux menés en 2014 ont permis d'intégrer un module de chiffrage spécifique au vol, d'assurer la transmission automatique des chiffrages effectués dans le cadre d'une visio-expertise et d'améliorer sensiblement l'ergonomie du produit. Saisi par la société Equadex du désaccord qui l'opposait à l'administration, le comité consultatif du crédit d'impôt recherche indique d'ailleurs, dans son avis rendu en faveur de la contribuable, que les travaux menés par celle-ci " ont permis d'améliorer l'application Ulysse tant sur le plan des fonctionnalités que sur le plan de l'ergonomie " et que " les améliorations apportées ne relèvent pas d'une simple mise à jour mineure du produit ". La circonstance que certaines de ces améliorations résulteraient de demandes émises par les clients de la première version de l'application et que les mises à jour en résultant auraient, in fine, été facturées, n'est pas de nature, par principe, à faire obstacle à ce que les nouvelles versions du progiciel intégrant ces améliorations puissent être qualifiées de produit nouveau, dès lors qu'il n'est pas soutenu, par ailleurs, que des produits concurrents comportant de telles fonctionnalités auraient été mis sur le marché au cours des années en litige.
6. D'autre part, la société Equadex verse au dossier des exemples de maquettes réalisées au cours des années 2013 et 2014, destinées à servir de modèles pour le développement de certaines fonctionnalités et de l'ergonomie du produit, pouvant être qualifiées de prototypes, et justifie également que le processus itératif de test mis en place avec les experts désignés par son client Adenes a nécessité des mises à jours destinées à être testées avant validation ultérieure, pouvant être qualifiées d'installations pilotes. Contrairement à ce que soutient l'administration, il ne résulte pas de l'instruction, alors même que les versions finales de certaines des mises à jour apportées auraient été destinées à être commercialisées et auraient d'ailleurs été facturées, que ces maquettes et installations auraient elles-mêmes été commercialisées et ne pourraient donc être qualifiées de prototypes ou d'installations pilotes.
7. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la société Equadex doit être regardée comme justifiant que les travaux menés en 2013 et 2014 sur le projet " Ulysse " ont conduit à la réalisation d'opérations de conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits lui ouvrant droit au crédit d'impôt innovation. Dès lors que le ministre ne soutient pas que les dépenses déclarées par la société au titre de ce crédit d'impôt porteraient sur d'autres opérations que celles-ci ou ne seraient pas éligibles pour d'autres motifs, la société Equadex est fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a remis en cause le crédit d'impôt innovation dont elle avait bénéficié au titre du projet " Ulysse " durant les exercices clos en 2014 et 2015.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Equadex est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses conclusions à fin de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014 et 2015.
Sur les intérêts moratoires :
9. Aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'État est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal (...), les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts (...) ". En vertu du troisième alinéa de l'article R. 208-1 de ce livre, ces intérêts moratoires " sont payés d'office en même temps que les sommes remboursées par le comptable chargé du recouvrement des impôts ".
10. En l'absence de litige né et actuel entre le comptable responsable du remboursement des sommes et la société Equadex, celle-ci n'est pas recevable à solliciter le versement d'intérêts moratoires.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à la société Equadex de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Il est accordé à la société Equadex la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014 et 2015.
Article 2 : Le jugement n° 2021560 du 23 novembre 2022 du tribunal administratif de Nîmes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'État versera une somme de 1 500 euros à la société Equadex sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de la société Equadex est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Equadex et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Occitanie.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 avril 2025.
La rapporteure,
A. Fougères
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23TL00138