Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune d'Aigaliers a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'état exécutoire n° 1650 d'un montant de 34 604,39 euros émis à son encontre le 16 novembre 2020 par l'Office national des forêts, ainsi que la décision rejetant le recours gracieux dirigé contre ce titre.
Par un jugement n° 2101560 du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 septembre 2023, la commune d'Aigaliers, représentée par Me Brunel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 juillet 2023 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'annuler l'état exécutoire n° 1650 d'un montant de 34 604,39 euros émis à son encontre le 16 novembre 2020 par l'Office national des forêts, ainsi que la décision rejetant le recours gracieux dirigé contre ce titre ;
3°) de mettre à la charge de l'Office national des forêts une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité pour violation du contradictoire, dès lors que le tribunal s'est fondé sur un moyen de défense qui n'avait pas été soulevé par l'Office national des forêts et sur lequel le tribunal n'a pas invité les parties à présenter des observations ;
- le titre ne comporte ni mention permettant d'identifier son auteur ni de signature, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le titre a été émis par une autorité incompétente pour ce faire ;
- dans la mesure où un contentieux au fond et des démarches sont en cours pour contester le bien-fondé de la créance objet du titre, celle-ci n'est ni liquide, ni exigible ;
- la facturation établie par l'Office national des forêts est irrégulière dès lors que, pour l'établir, l'établissement a utilisé des données recueillies en méconnaissance de l'article 1er du décret n° 2012-710 du 7 mai 2012, du droit au respect de la vie privée, protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par les articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et par l'article 9 du code civil, des dispositions de la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires et du secret professionnel auxquels sont soumis les agents de la direction générale des finances publiques ;
- le titre en litige est dépourvu de base légale dès lors que le régime forestier est incompatible avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avec l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et avec le traité sur le fondement de l'Union européenne et la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics ;
- il est également dépourvu de base légale dès lors que les terrains, définitivement défrichés à des fins industrielles, ne peuvent plus être qualifiés de bois et forêts susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution au sens de l'article L. 211-1 du code forestier et n'entrent plus dans le champ de la contribution aux frais de garderie et d'administration.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2024, l'Office national des forêts, représenté par la SCP Poupet et Kacenelenbogen, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune d'Aigaliers.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance en date du 19 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 4 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2014/24/UE du 26 février 2024 ;
- le code forestier ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 78-1239 du 29 décembre 1978 ;
- la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 ;
- la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 ;
- le décret n° 2012-710 du 7 mai 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fougères,
- et les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Après avoir adressé à la commune d'Aigaliers (Gard), les 27 février 2020 et 22 juillet 2020, deux factures ayant pour objet les frais de garderie de la forêt communale au titre respectivement des années 2018 et 2019, et en l'absence de paiement de celles-ci, l'Office national des forêts a émis à l'encontre de cette commune, le 16 novembre 2020, un état exécutoire d'un montant de 34 604,39 euros. Par la présente requête, la commune d'Aigaliers relève appel du jugement du 4 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce titre, ensemble la décision rejetant son recours gracieux.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué (...) ".
3. Pour écarter le moyen tiré de ce que le titre en litige ne comportait pas l'ensemble des mentions prévues par l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, le jugement attaqué retient, au visa des articles L. 100-1 et L. 100-3 de ce code, que cet article n'était pas applicable aux relations entre deux personnes publiques. Ce faisant, et alors même que ces derniers articles n'avaient pas été évoqués en défense, les premiers juges n'ont pas relevé d'office un moyen qu'il leur aurait appartenu de communiquer aux parties, mais se sont bornés à mettre en œuvre leur office en écartant ce moyen comme inopérant.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la régularité du titre :
4. En premier lieu, la commune d'Aigaliers réitère en appel, dans des termes similaires et sans critique utile du jugement, les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte et du défaut des mentions prévues à l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. En l'absence de nouveaux éléments de droit ou de fait pertinents de nature à remettre en cause l'analyse et la motivation retenue par le tribunal administratif, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 2 du jugement attaqué.
5. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 92 de la loi du 29 décembre 1978 de finances pour 1979 : " À compter du 1er janvier 1996, les contributions des collectivités territoriales (...) aux frais de garderie et d'administration de leurs forêts relevant du régime forestier, prévues à l'article L. 147-1 du code forestier, sont fixées à 12 p. 100 du montant hors taxe du produit de ces forêts (...) / Les produits des forêts mentionnés au premier alinéa sont tous les produits relevant du régime forestier, y compris ceux issus de la chasse, de la pêche et des conventions ou concessions de toute nature liées à l'utilisation ou à l'occupation de ces forêts, ainsi que tous les produits physiques ou financiers tirés du sol ou de l'exploitation du sous-sol (...) / À compter du 1er janvier 2012, les personnes morales mentionnées au premier alinéa acquittent en outre au bénéfice de l'Office national des forêts une contribution annuelle de 2 euros par hectare de terrains relevant du régime forestier et dotés d'un document de gestion au sens de l'article L. 4 du code forestier ou pour lesquels l'office a proposé à la personne morale propriétaire un tel document (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 7 mai 2012 relatif aux frais de garderie et d'administration des bois et forêts relevant du régime forestier : " Les produits des forêts servant d'assiette à la contribution prévue au premier alinéa de l'article 92 de la loi du 29 décembre 1978 susvisée sont les produits hors taxes constatés au cours de l'année civile précédant celle du recouvrement des contributions. / (...) Les personnes morales propriétaires doivent transmettre au plus tard le 31 janvier de chaque année à l'Office national des forêts les montants de l'intégralité des produits et des charges visés à l'article 92 de la loi du 29 décembre 1978 susvisée constatés l'année précédente (...) ".
6. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique : " I.-Sous réserve des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration et sans préjudice de l'article L. 114-8 du même code, les administrations mentionnées au premier alinéa de l'article L. 300-2 dudit code sont tenues de communiquer, dans le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, les documents administratifs qu'elles détiennent aux autres administrations mentionnées au même premier alinéa de l'article L. 300-2 qui en font la demande pour l'accomplissement de leurs missions de service public. Les informations figurant dans des documents administratifs communiqués ou publiés peuvent être utilisées par toute administration mentionnée audit premier alinéa de l'article L. 300-2 qui le souhaite à des fins d'accomplissement de missions de service public autres que celle pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus (...) ". Aux termes de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, (...) et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles (...) ".
7. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées que l'Office national des forêts est en droit d'obtenir communication, de la part des collectivités disposant de terrains appartenant au régime forestier et afin de recouvrer la contribution aux frais de garderie et d'administration instituée par l'article 98 de la loi de finances pour 1979, de l'ensemble des éléments chiffrés permettant l'évaluation des produits des forêts. En cas de refus de la collectivité concernée de lui fournir ces éléments, et dès lors que le montant de redevances versées par des opérateurs privés à raison de l'exploitation de parcelles forestières ne saurait être regardé par principe comme une donnée couverte par un secret quelconque, en particulier le secret des affaires ou le secret professionnel, il est loisible à l'Office, établissement public de l'État, de solliciter la communication de ces données auprès d'autres administrations, en particulier les services comptables de l'État affectés auprès de ces collectivités, ainsi que le lui permettent les dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
8. Dès lors, la commune appelante, qui s'est volontairement soustraite à son obligation de communiquer ces données à l'Office national des forêts, n'est pas fondée à soutenir que le titre litigieux aurait été émis sur la base d'informations obtenues des services comptables de l'État en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 1er du décret du 7 mai 2012, des dispositions introduites par la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires ou des textes " relatifs à la violation du secret de fonction par les agents impliqués de la DGFIP ", ou en méconnaissance, en tout état de cause, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 9 du code civil.
En ce qui concerne le bien-fondé de la créance :
9. En premier lieu, la commune appelante énonce qu'elle a contesté le bien-fondé de la créance mise à sa charge dans le cadre d'une précédente instance, pour de multiples motifs qu'elle liste sans les détailler, et expose les démarches qu'elle envisage de mettre en œuvre, ce dont elle déduit que la créance objet du titre exécutoire attaqué ne serait pas liquide et exigible. Toutefois, la circonstance que de telles contestations aient pu naître à l'occasion de précédents titres n'est pas de nature à faire obstacle à l'émission sur le même fondement d'un titre portant sur des périodes postérieures, dont il appartenait à l'appelante de contester à nouveau le bien-fondé par des moyens suffisamment étayés.
10. À cet égard, à supposer soulevés les moyens tirés de l'inconventionnalité du régime forestier vis-à-vis de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de la directive du 26 février 2024 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, ces moyens ne sont pas assortis des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé et ne peuvent qu'être écartés.
11. En second lieu, aux termes de l'article L. 211-1 du code forestier : " I. - Relèvent du régime forestier, constitué des dispositions du présent livre, et sont administrés conformément à celui-ci : / (...) 2° Les bois et forêts susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution qui appartiennent aux collectivités (...) et auxquels ce régime a été rendu applicable dans les conditions prévues à l'article L. 214-3 : / a) Les régions, la collectivité territoriale de Corse, les départements, les communes ou leurs groupements, les sections de communes (...) ". L'article L. 212-2 du même code dispose que : " Les bois et forêts relevant du régime forestier sont gérés conformément à un document d'aménagement approuvé : / 1° Pour les biens de l'État mentionnés au 1° du I de l'article L. 211-1, par arrêté du ministre chargé des forêts ; / 2° Pour les biens des collectivités et personnes morales mentionnées au 2° du I du même article, par arrêté du représentant de l'État dans la région, après accord de la collectivité ou de la personne morale intéressée (...) ". Aux termes de l'article L. 214-3 du même code : " Dans les bois et forêts des collectivités territoriales et des autres personnes morales mentionnées au 2° du I de l'article L. 211-1 susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution, l'application du régime forestier est prononcée par l'autorité administrative compétente de l'État, après avis de la collectivité ou de la personne morale intéressée. En cas de désaccord, la décision est prise par arrêté du ministre chargé des forêts ". En application de l'article L. 221-2 de ce code : " L'Office national des forêts est chargé de la mise en œuvre du régime forestier et exerce cette mission dans le cadre des arrêtés d'aménagement prévus à l'article L. 212-1 (...) ". L'article L. 224-1 du même code dispose que : " Moyennant les perceptions ordonnées par la loi pour indemniser l'Office national des forêts des frais de garderie et d'administration des bois et forêts relevant du régime forestier, toutes les opérations de conservation et de régie dans les bois et forêts des collectivités et autres personnes morales définies au 2° du I de l'article L. 211-1 sont faites, sans aucun frais, par l'établissement public (...) ".
12. D'une part, la circonstance que certaines parcelles de la forêt communale d'Aigaliers ont fait l'objet d'une autorisation de défrichement pour y accueillir un parc photovoltaïque n'est pas de nature à les exclure de l'application du régime forestier prévu par les dispositions précitées des articles L. 211-1 et suivants du code forestier, en l'absence de distraction de ces parcelles de ce régime approuvée par les services de l'État après avis de l'Office national des forêts.
13. D'autre part, il résulte des dispositions précitées de l'article 92 de la loi du 29 décembre 1978, éclairées par les travaux préparatoires de l'article 113 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 duquel elles sont issues, qu'en mentionnant les produits physiques ou financiers tirés du sol ou de l'exploitation parmi les éléments de l'assiette de la contribution aux frais de garderie et d'administration, le législateur a entendu y inclure l'ensemble des produits tirés des forêts relevant du régime forestier, y compris ceux qui résultent d'activités sans autre lien avec les bois et forêts que leur localisation géographique à l'intérieur d'une zone soumise à ce régime. Dès lors, c'est à bon droit que l'Office national des forêts a inclus dans l'assiette de la contribution aux frais de garderie et d'administration les redevances perçues par la commune en contrepartie de l'installation de ce parc photovoltaïque.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Aigaliers n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'état exécutoire du 16 novembre 2020, ensemble la décision rejetant son recours gracieux.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Office national des forêts, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la commune d'Aigaliers une quelconque somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune d'Aigaliers une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'Office national des forêts sur ce fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune d'Aigaliers est rejetée.
Article 2 : La commune d'Aigaliers versera une somme de 2 000 euros à l'Office national des forêts sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Aigaliers et à l'Office national des forêts.
Délibéré après l'audience du 20 février 2025, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mars 2025.
La rapporteure,
A. Fougères
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL02236