Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... et M. E... A... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse, de condamner le centre hospitalier Ariège-Couserans à leur verser la somme de 25 419 euros en réparation des préjudices qu'ils estimaient avoir subis en raison des fautes commises durant le suivi et la prise en charge de la grossesse jusqu'au décès in-utéro de leur fils et de mettre à la charge du centre hospitalier Ariège-Couserans la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Par ordonnance n° 462171 du 4 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis au tribunal administratif de Montpellier, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, la demande présentée par Mme D... et M. A....
Par un jugement n° 2024138 en date du 3 octobre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le centre hospitalier Ariège-Couserans à verser à Mme D... et M. A... une somme de 12 721 euros, a mis à la charge définitive de cet établissement les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 décembre 2022 et un mémoire en réplique, enregistré le 8 novembre 2023, Mme D... et M. A..., représentés par Me Benayoun, demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement en date du 3 octobre 2022 du tribunal administratif de Montpellier en ce que, par ses articles 1er et 3, il s'est limité à condamner le centre hospitalier Ariège-Couserans à leur verser une somme de 12 721 euros ;
2°) de condamner le centre hospitalier Ariège-Couserans à leur verser une somme de 25 419 euros en réparation des préjudices subis en raison des fautes commises durant le suivi et la prise en charge de la grossesse jusqu'au décès in-utéro de leur fils ;
3°) de mettre à la charge de cet établissement hospitalier une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité du centre hospitalier mais réformé en ce qu'il a fait une appréciation erronée et partielle de leurs préjudices ;
- seule l'étendue des souffrances endurées doit être démontrée ; dès lors qu'un dommage est établi, il engendre ipso facto des souffrances sinon physiques du moins psychiques ; le tribunal, en se bornant à refuser de reconnaître de telles souffrances aux motifs du caractère lacunaire du rapport d'expertise et de ce qu'elles n'ont pas été décrites et quantifiées par l'expert, a méconnu leurs droits ; Mme D... a subi de nombreux examens à compter du 13 septembre 2012, a été hospitalisée au service des urgences du centre hospitalier du 27 au 29 octobre 2012, en raison de céphalées, d'œdèmes des membres inférieurs et d'une hypertension artérielle, puis de nouveau admise à l'hôpital le 11 novembre 2012 en raison d'une disparition des mouvements fœtaux et de nouveau hospitalisée le 14 novembre 2012, date à laquelle elle a perdu son enfant ; il est impossible d'occulter la dimension émotionnelle de la perte d'un enfant à 28 semaines d'aménorrhées ainsi que le caractère anxiogène de nombreuses hospitalisations ; compte tenu des multiples hospitalisations et examens médicaux pratiqués entre la première échographie datée du 18 septembre 2022 et le 14 novembre 2022 date de la naissance de son enfant mort-né, il est erroné de considérer que Mme D... n'a pu subir des souffrances physiques et psychiques outre celles associées à la perte de son enfant, prises en compte au titre du préjudice d'affection ; le préjudice de souffrances endurées peut être évalué à une somme de 6 250 euros après application du taux de perte de chance de 25 % ;
- l'évaluation du préjudice d'affection doit être fixé à la somme de 8 750 euros pour chaque parent après application du taux de perte de chance de 25 % ;
- au titre des frais d'obsèques, ils sont fondés à solliciter une somme de 1 669 euros ; quand bien même la concession funéraire aurait été acquittée par un autre membre de la famille, le principe de réparation intégrale du préjudice implique que le responsable du dommage soit tenu au remboursement de tous les frais engagés pour les faits qui lui sont imputables.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 septembre 2023, le centre hospitalier Ariège-Couserans, représenté par la SARL Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les requérants ne démontrent pas la réalité des souffrances endurées, ni que ces dernières seraient en lien direct et certain avec la faute ; subsidiairement, la somme demandée à ce titre est excessive ;
- le tribunal n'a pas insuffisamment évalué le préjudice d'affection des parents en retenant pour chacun d'eux avant abattement de la perte de chance de 25 % une somme de 25 000 euros ; la demande de majoration de ce poste de préjudice sera rejetée ;
- au titre des frais d'obsèques, les requérants ne sont pas fondés à solliciter deux fois le remboursement d'une même somme de 380 euros ; la concession funéraire a été demandée par Mme C... D..., laquelle n'est pas partie, pour être accordée à la famille de M. F... D... lequel n'est pas davantage partie et elle a vocation à accueillir d'autres personnes que le fils des requérants ; c'est à bon droit que le tribunal a indemnisé les requérants dans la limite de 25% de la somme de 884 euros qui correspond à la facture émise par la société de pompes funèbres.
Par une ordonnance du 7 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Teulière, président assesseur,
- les conclusions de M. Jazeron, rapporteur public,
- et les observations de Me Dewas, représentant Mme D... et M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a confié le suivi de sa deuxième grossesse au centre hospitalier Ariège-Couserans. Le 11 novembre 2012, à six mois de grossesse, le décès du fœtus in utero est constaté faute d'activité cardiaque. Mme D... et M. A... ont demandé la condamnation du centre hospitalier Ariège-Couserans à réparer les préjudices qu'ils estimaient avoir subis et résultant de fautes commises durant le suivi et la prise en charge de cette grossesse. Par un jugement n° 2024138 en date du 3 octobre 2022, dont Mme D... et M. A... sollicitent la réformation, le tribunal administratif de Montpellier a notamment condamné le centre hospitalier Ariège-Couserans à leur verser une somme de 12 721 euros en réparation de leurs préjudices.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier Ariège-Couserans :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, (...) tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
3. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a retenu, au point 4, qu'en n'assurant pas le suivi et la prise en charge nécessaires au diagnostic du retard de croissance intra-utérin dont l'enfant présentait les signes dès le 27 octobre 2012, le centre hospitalier Ariège-Couserans a commis une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier de nature à engager la responsabilité de cet établissement public à l'égard de Mme D... et M. A.... Le jugement n'est pas contesté sur ce point.
En ce qui concerne le taux de perte de chance :
4. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
5. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a fixé, au point 6, un taux de perte de chance d'éviter la survenue du décès de l'enfant in utero, à hauteur de 25 %, en considération notamment de l'état antérieur d'hypoxie présenté par le fœtus. Ce taux, correspondant d'ailleurs à celui retenu par l'expert judiciaire dans ses conclusions, n'est pas contesté par les parties.
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
6. Les consorts G... persistent à solliciter le versement d'une somme de 1 669 euros au titre des frais d'obsèques, en présentant, à titre de justificatifs, une facture d'un montant de 884 euros, émise le 21 novembre 2012 par une société de pompes funèbres portant sur les frais d'obsèques de leur enfant comportant la mention " facture acquittée ", un arrêté du maire de Lorp-Sentaraille (Ariège) du 15 novembre 2012 accordant à Mme C... D... une concession de terrain dans le cimetière communal à l'effet d'y fonder une sépulture particulière pour la famille de M. F... D..., moyennant une somme de 380 euros et une lettre du centre des finances publiques de Saint-Girons du 19 novembre 2012 rappelant à Mme C... D... qu'elle restait redevable d'une somme de 380 euros au titre de cette concession ainsi que de 25 euros de droits d'enregistrement, et comportant la mention manuscrite d'un paiement par chèque le 27 novembre 2012.
7. Ainsi que le fait valoir le centre hospitalier en défense, les requérants sollicitent deux fois le versement d'une même somme de 380 euros au titre des frais de concession. Par ailleurs, ils n'établissent pas s'être acquittés personnellement de tels frais, qui ne peuvent donc être pris en compte dans l'évaluation de ce poste de préjudice, ainsi d'ailleurs que l'a jugé le tribunal. Enfin, ce dernier n'a pas fait une inexacte appréciation des frais d'obsèques exposés par les requérants en les fixant, à partir de la facture de la société de pompes funèbres versée aux débats et compte tenu du taux de perte de chance retenu, à la somme de 221 euros.
S'agissant des préjudices personnels :
8. Le tribunal n'a pas insuffisamment évalué le préjudice d'affection des parents de l'enfant Rayane A... en l'évaluant, avant application du taux de perte de chance, à 25 000 euros chacun, soit, après application de ce taux, à 6 250 euros chacun.
9. Pour justifier les souffrances qu'elle a endurées, Mme D... soutient pour la première fois en appel avoir subi de nombreux examens médicaux à compter du 13 septembre 2012 et avoir été hospitalisée au service des urgences du centre hospitalier Ariège-Couserans du 27 au 29 octobre 2012, en raison de céphalées, d'œdèmes des membres inférieurs et d'une hypertension artérielle, puis de nouveau admise à l'hôpital le 11 novembre 2012 en raison d'une disparition des mouvements fœtaux et enfin hospitalisée le 14 novembre 2012, date à laquelle elle a perdu son enfant. Contrairement à ce que fait valoir le centre hospitalier et à ce qu'a jugé le tribunal, la réalité de ces souffrances endurées peut être admise en considération des examens et des hospitalisations subis par l'intéressée, à l'occasion de sa prise en charge fautive par l'établissement hospitalier Ariège-Couserans, ainsi que de l'anxiété corrélative à ces hospitalisations et des céphalées, œdèmes et hypertension artérielle mentionnés ci-dessus. S'il est exact que ces souffrances n'ont pas été décrites dans le rapport de l'expert judiciaire, ce dernier a cependant retenu un " pretium doloris ", expression latine désignant le chef de préjudice en litige et l'a évalué à 3 sur une échelle allant de 1 à 7. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées par Mme D..., qui a perdu un enfant à naître à 28 semaines d'aménorrhées, en les fixant, compte tenu du taux de perte de chance retenu, à la somme de 1 000 euros.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a refusé l'indemnisation des souffrances endurées par Mme D..., en les considérant non établies et à demander que l'indemnité que le centre hospitalier Ariège-Couserans a été condamné à leur verser soit portée de 12 721 euros à 13 721 euros.
Sur les frais liés au litige :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier Ariège-Couserans le versement à Mme D... et M. A... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L'indemnité que le centre hospitalier Ariège-Couserans a été condamné à verser à Mme D... et M. A... est portée à 13 721 euros.
Article 2 : Le jugement n°2024138 en date du 3 octobre 2022 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier Ariège-Couserans versera à Mme D... et M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., à M. E... A..., et au centre hospitalier Ariège-Couserans.
Délibéré après l'audience du 13 février 2025 à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Teulière, président assesseur,
Mme Lasserre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mars 2025.
Le rapporteur,
T. Teulière
Le président,
D. ChabertLa greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22TL22439