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18/02/2025 | FRANCE | N°24TL00319

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 2ème chambre, 18 février 2025, 24TL00319


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :



Sous le n°2304795, M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2023 par lequel la préfète de Vaucluse a notamment rejeté sa demande de titre au séjour portant la mention " vie privée et familiale " au regard de son état de santé, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours et a fixé le pays de renvoi, d'en

joindre à cette même autorité de réexaminer sa situation, de lui délivrer une carte de séjou...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

Sous le n°2304795, M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2023 par lequel la préfète de Vaucluse a notamment rejeté sa demande de titre au séjour portant la mention " vie privée et familiale " au regard de son état de santé, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre à cette même autorité de réexaminer sa situation, de lui délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale ", à défaut du statut de réfugié, et de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Sous le n°2304799, Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2023 par lequel la préfète de Vaucluse a lui a notamment fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre à cette même autorité de réexaminer sa situation, de lui délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale ", à défaut du statut de réfugié, et de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par un jugement n° 2304795 et n° 2304799 du 17 janvier 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté leurs demandes.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 6 février 2024, sous le n°24TL00318, Mme B... C..., représentée par Me Rigo, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°2304795 et n° 2304799 du 17 janvier 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2023 par lequel la préfète de Vaucluse lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre à la préfète de Vaucluse de réexaminer sa situation ;

4°) d'enjoindre à la préfète de Vaucluse de lui délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale ", ou une carte de séjour temporaire ou, à défaut, le statut de réfugié ;

5°) à défaut d'enjoindre à la préfète de Vaucluse de lui octroyer un délai de départ volontaire plus long ;

6°) et de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le jugement contesté est insuffisamment motivé notamment sur la disponibilité d'une greffe de rein ou d'un traitement par dialyse dont pourrait bénéficier son compagnon, M. D..., en Arménie ;

- il est entaché d'une erreur de droit, d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation ;

Sur l'arrêté contesté :

- son auteur ne disposait pas d'une délégation régulièrement publiée à l'effet de le signer ;

- il est entaché d'une erreur dans la motivation ;

- il est insuffisamment motivé ;

- il méconnaît les dispositions de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Sur le refus de titre de séjour :

- il méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Sur l'obligation de quitter le territoire :

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure sur sa situation personnelle et familiale dès lors qu'elle apporte une aide indispensable à son compagnon, qui subit trois dialyses par semaine et n'est pas en mesure de voyager ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la décision fixant le délai de départ volontaire :

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Une mise en demeure a été adressée, le 19 juin 2024, au préfet de Vaucluse, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 16 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 octobre 2024.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 juin 2024.

II. Par une requête, enregistrée le 26 juin 2024, sous le n°24TL00319, M. A... D..., représenté par Me Rigo, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°2304795 et n° 2304799 du 17 janvier 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2023 par lequel la préfète de Vaucluse lui a notamment fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours et a fixé le pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre à la préfète de Vaucluse de réexaminer sa situation ;

4°) d'enjoindre à la préfète de Vaucluse de lui délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale ", ou une carte de séjour temporaire ou, à défaut, le statut de réfugié ;

5°) à défaut, d'enjoindre à la préfète de Vaucluse de lui octroyer un délai de départ volontaire plus long ;

6°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- le jugement contesté est insuffisamment motivé notamment sur la disponibilité d'une greffe de rein ou d'un traitement par dialyse dont il pourrait bénéficier en Arménie ;

- il est entaché d'une erreur de droit, d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation ;

Sur l'arrêté contesté :

- son auteur ne disposait pas d'une délégation régulièrement publiée à l'effet de le signer ;

- il est entaché d'une erreur dans la motivation ;

- il est insuffisamment motivé ;

- il méconnaît les dispositions de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Sur le refus de titre de séjour :

- il est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que souffrant d'une grave insuffisance rénale, il n'est pas assuré de bénéficier d'un traitement médical approprié en Arménie ;

- il méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Sur l'obligation de quitter le territoire :

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure sur sa situation personnelle et familiale ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la décision fixant le délai de départ volontaire :

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Une mise en demeure a été adressée, le 19 juin 2024, au préfet de Vaucluse, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par des pièces, enregistrées le 14 janvier 2025, et communiquées aux parties, l'office français de l'immigration et de l'intégration a, en réponse à la mesure d'instruction, adressé le dossier médical de M. D....

Par des observations, enregistrées le 14 janvier 2025, et communiquées aux parties, l'office français de l'immigration et de l'intégration fait valoir que le traitement médical et le suivi sont disponibles dans le pays d'origine.

La demande d'aide juridictionnelle de M. D... a été rejetée par une décision du 21 juin 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... et sa compagne, Mme C..., ressortissants arméniens, nés respectivement le 17 mai 1974 et 18 septembre 1982, en Arménie, ont respectivement déposé, les 27 et 22 décembre 2022, pour eux-mêmes et leurs deux enfants mineurs, une demande d'asile. Dans le même temps, le 23 janvier 2023, M. D..., invoquant son état de santé, a présenté une demande de titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Le 25 septembre 2023, l'office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté leurs demandes d'asile, décisions que la cour nationale du droit d'asile a confirmées, par deux ordonnances rendues le 18 décembre 2023. La préfète de Vaucluse a, par deux arrêtés du 8 décembre 2023, refusé d'admettre au séjour M. D..., leur a fait obligation à tous deux de quitter le territoire français respectivement dans un délai de quarante-cinq jours, pour M. D..., et de trente jours, pour Mme C..., et a fixé le pays à destination desquelles ces mesures d'éloignement sont susceptibles d'être exécutées. Mme C... et M. D... relèvent appel du jugement, rendu le 17 janvier 2024, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté les demandes d'annulation que les intéressés avaient présentées contre ces arrêtés.

2. Les requêtes enregistrées sous les n°s24TL00318 et 24TL00319 sont présentées contre le même jugement et concernent la situation d'un même couple de ressortissants étrangers. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur l'acquiescement aux faits :

3. Aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ".

4. Le préfet de Vaucluse, qui n'a pas produit de mémoire en défense avant la clôture d'instruction malgré les mises en demeures qui lui ont été adressées, le 19 juin 2024, doit être réputé avoir acquiescé aux faits exposés dans les requêtes n°24TL00318 et 24TL00319 en application de l'article R. 612-6 précité du code de justice administrative. Cette circonstance ne dispense toutefois pas la cour, d'une part, de vérifier que les faits allégués par M. D... et Mme C... ne sont pas contredits par les autres pièces versées aux dossiers, d'autre part, de se prononcer sur les moyens de droit que soulève l'examen de ces affaires.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 8 décembre 2023 portant refus de titre de séjour à l'encontre de M. D..., obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours à destination de l'Arménie :

5. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État (...) ".

6. D'une part, en vertu des dispositions citées au point précédent, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dont l'avis est requis préalablement à la décision du préfet relative à la délivrance de la carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ainsi prévue, doit émettre son avis, au vu notamment du rapport médical établi par un médecin de l'office français de l'immigration et de l'intégration. S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.

7. D'autre part, il appartient au juge administratif d'apprécier, au vu des pièces du dossier, si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.

8. Pour refuser d'accorder le titre de séjour sollicité, la préfète de Vaucluse s'est fondée sur l'avis du 21 avril 2023 du collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration indiquant que si l'état de santé de M. D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut toutefois, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. D..., qui a levé le secret médical, souffre d'une hypertension et d'une insuffisance rénale au stade terminal imposant, outre l'administration d'une médication, trois séances de dialyse par semaine, l'intéressé, étant engagé dans un protocole de transplantation rénale et ayant subi un bilan de santé préalable à une telle greffe, le 2 octobre 2023, soit antérieurement à l'arrêté contesté, après l'aggravation de son état de santé en juin 2023. En outre, selon les éléments versés au dossier par M. D..., relatifs au système de santé arménien et au centre de soins néphrologiques Arabkir d'Erevan, unique institution pratiquant la transplantation rénale en Arménie, seules les interventions à partir d'organes de donneurs vivants ont lieu, aucun programme de dons d'organes de personnes décédées n'ayant été mis en place. Or, la seule personne de la famille de M. D... résidant en Arménie est sa mère, très âgée, qui est nécessairement exclue du protocole de dons. Ainsi, compte tenu de ces éléments, M. D..., qui ne pourra y faire l'objet d'une transplantation rénale, ne saurait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. En l'absence d'observations en défense, cette indisponibilité n'est nullement contredite et ne l'est pas davantage par les observations de l'office français de l'immigration et de l'intégration. Enfin, le certificat médical, rédigé, le 5 janvier 2024, par le médecin néphrologue du centre hémodialyse d'Avignon (Vaucluse), soit postérieurement à l'arrêté contesté mais portant nécessairement sur un état de santé antérieur, que toute interruption, même d'une semaine, du traitement médical suivi par M. D... engagerait à très court terme son pronostic vital. Dans ces conditions, la préfète de Vaucluse, en estimant que ce dernier pourrait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine et en refusant, en conséquence, de lui accorder un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en raison de son état de santé, a commis une erreur d'appréciation et a par là même méconnu les dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. Le refus de séjour contesté est entaché d'illégalité. Par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français, la décision fixant le délai de départ volontaire et la décision fixant le pays de renvoi, qui trouvent leur base légale dans ce refus de titre de séjour, sont également entachées d'illégalité.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 8 décembre 2023 portant obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours à l'encontre de Mme C... et fixant le pays de renvoi :

11. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; (...). " Mme C..., dont la demande d'asile a été définitivement rejetée, le 18 décembre 2023, entrait dans le champ d'application des dispositions précitées du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

12. Toutefois, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ". En application de ces stipulations, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de prendre une mesure d'éloignement à l'encontre d'un ressortissant étranger, d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision serait prise.

13. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 9, M. D..., dont il n'est pas contesté qu'il était le concubin de Mme C... et avec laquelle il a eu deux enfants, avait, à la date de l'arrêté préfectoral prononcé à son encontre, un droit au séjour fondé sur les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faisant obstacle à son éloignement.

14. D'autre part, il ressort des pièces versées au dossier, qui démontrent notamment la fragilité de l'état de santé de M. D..., que la présence à ses côtés de Mme C..., sa compagne, et mère de leurs deux enfants, respectivement âgés de 14 et 18 ans, à la date des arrêtés, et scolarisés en classe de 3ème et de première générale, revêt un caractère indispensable notamment pour l'administration de son traitement comme pour certains actes de la vie quotidienne. Dans ces conditions, en dépit de la faible durée de sa présence en France, l'arrêté du 8 décembre 2023 lui faisant obligation de quitter le territoire français doit être regardé comme portant une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale sur le territoire de sorte que l'appelante est fondée à soutenir qu'il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales citées au point 12. Par voie de conséquence, la décision fixant son délai de départ volontaire et la décision fixant le pays de renvoi, qui trouvent leur fondement juridique dans la mesure d'éloignement sont également entachées d'illégalité.

15. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué ou de se prononcer sur les autres moyens soulevés dans les requêtes, que M. D... et Mme C... est sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté leurs demandes d'annulation des arrêtés contestés.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

16. D'une part, eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à M. D... d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de Vaucluse de délivrer ce titre dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

17. D'autre part, aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".

18. Eu égard au motif d'annulation retenu et à la circonstance que Mme C... n'a pas sollicité de titre de séjour sur un fondement autre que sa demande d'asile, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet de Vaucluse procède au réexamen de la situation de Mme C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, dans l'attente et sans délai, d'une autorisation provisoire de séjour.

Sur les frais liés aux litiges :

19. D'une part, en l'absence de dépens au sens de l'article R. 761-1 du code de justice administrative dans les présentes instances, les appelants ne sont pas fondés à en solliciter le remboursement.

20. D'autre part, Mme C... a obtenu l'aide juridictionnelle totale. Son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. En revanche, la demande d'aide juridictionnelle de M. D... ayant été rejetée, son conseil ne peut se prévaloir de ces dispositions dans l'instance n° 24TL00319. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, au titre de l'instance n° 24TL00318, la somme de 1 500 euros à verser à Me Rigo, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n°2304795 et n° 2304799 du 17 janvier 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes est annulé.

Article 2 : Les arrêtés du 8 décembre 2023 par lesquels la préfète de Vaucluse a refusé un titre de séjour à M. D... et prononcé des obligations de quitter le territoire français à l'encontre de ce dernier et de Mme C... en fixant le pays de destination sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de Vaucluse de délivrer à M. D... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Il est enjoint au préfet de Vaucluse de procéder au réexamen de la situation de Mme C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, dans l'attente et sans délai, d'une autorisation provisoire de séjour.

Article 5 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros, au titre de l'instance n° 24TL00318, en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à Me Rigo, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

Article 6 : Le surplus des conclusions des requêtes n°24TL00318 et n°24TL00319 est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., à M. A... D..., à Me Rigo, au préfet de Vaucluse et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 4 février 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,

Mme Bentolila, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 février 2025.

La rapporteure,

D. Teuly-Desportes

La présidente,

A. Geslan-DemaretLa greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°24TL00318 et N°24TL00319 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24TL00319
Date de la décision : 18/02/2025

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Geslan-Demaret
Rapporteur ?: Mme Delphine Teuly-Desportes
Rapporteur public ?: Mme Torelli
Avocat(s) : RIGO

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-18;24tl00319 ?
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