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11/02/2025 | FRANCE | N°23TL01129

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 11 février 2025, 23TL01129


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La fédération départementale des chasseurs de l'Aude a, par trois requêtes distinctes, demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de la décision par laquelle la ministre du travail a implicitement rejeté le recours hiérarchique qu'elle avait formé, le 26 octobre 2020, contre la décision de l'inspecteur du travail du 8 septembre 2020 refusant d'autoriser le licenciement pour faute de M. A... B..., salarié protégé, l'annulation de la décision du 20 mai 202

1 par laquelle la ministre du travail a de façon expresse rejeté le recours hiérarchique...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La fédération départementale des chasseurs de l'Aude a, par trois requêtes distinctes, demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de la décision par laquelle la ministre du travail a implicitement rejeté le recours hiérarchique qu'elle avait formé, le 26 octobre 2020, contre la décision de l'inspecteur du travail du 8 septembre 2020 refusant d'autoriser le licenciement pour faute de M. A... B..., salarié protégé, l'annulation de la décision du 20 mai 2021 par laquelle la ministre du travail a de façon expresse rejeté le recours hiérarchique du 26 octobre 2020, et l'annulation de la décision du 22 mars 2022 par laquelle l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. B..., salarié protégé, pour inaptitude physique.

Par un jugement n° 2101482, 2103386 et 2202736 du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé pendant quatre mois par la ministre du travail sur le recours hiérarchique formé par la fédération requérante et a rejeté le surplus des conclusions de la fédération départementale des chasseurs de l'Aude.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 mai 2023 et 19 avril 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la fédération départementale des chasseurs de l'Aude, représentée par Me Constans, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 14 mars 2023 en tant qu'il rejette sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 mars 2022 par laquelle l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. B..., salarié protégé, pour inaptitude physique ;

2°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 22 mars 2022 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La fédération départementale des chasseurs de l'Aude, soutient que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée notamment en ce qu'elle ne rappelle pas la procédure interne qui a été suivie au sein de la fédération départementale dans le cadre de la procédure du licenciement pour inaptitude physique sans possibilité de reclassement ;

- cette décision est entachée d'un vice de procédure dès lors que l'inspectrice du travail n'a pas respecté le principe du contradictoire dans le cadre de son enquête en se fondant sur des éléments qui n'ont pas fait l'objet d'un débat préalable ; il en va ainsi de l'avertissement du 3 décembre 2019 que l'inspectrice du travail retient dans sa décision comme révélant un lien entre la demande de licenciement et le mandat détenu par M. B... ; par ailleurs la décision de refus d'autorisation de licenciement retient une discrimination syndicale dont M. B... aurait été la victime, en sa qualité de membre suppléant du comité social économique, en se fondant sur un jugement du 24 septembre 2021 du conseil des prud'hommes de Carcassonne ; mais l'inspectrice du travail ne mentionne pas le courrier que lui avait adressé la fédération départementale le 22 février 2022 dans lequel il était rappelé que les membres suppléants du comité économique et social n'assistaient à la séance du comité qu'en l'absence des membres titulaires ; par ailleurs, le seul fait que l'inspectrice du travail ait transmis à la fédération départementale les pièces produites par M. B... ne saurait valoir respect du principe du contradictoire ; l'inspectrice du travail n'a soumis au principe du contradictoire que les deux points sur lesquels se fonde le conseil des prud'hommes de Carcassonne dans son jugement du 24 septembre 2021 ; le premier était relatif à la discrimination syndicale dont M. B... aurait fait l'objet ainsi qu'à l'agression verbale dont ce dernier se serait rendu l'auteur et pour laquelle un avertissement lui a été appliqué le 14 janvier 2020 ; le second point est relatif au fait que l'employeur n'a pas transmis à M. B... toutes les convocations aux réunions du comité social économique ; en revanche, l'inspectrice du travail n'a pas soumis au contradictoire les autres faits sur lesquels elle s'est fondée pour refuser l'autorisation de licenciement ;

- l'inspectrice du travail n'a pas été impartiale dès lors qu'elle s'est bornée à reprendre les motifs du jugement du 24 septembre 2021 du conseil des prud'hommes de Carcassonne, lequel retenait une discrimination syndicale à l'encontre de M. B..., sans porter une appréciation personnelle sur les faits en cause ; elle n'a pas retenu les éléments de ce jugement favorables à la fédération départementale des chasseurs de l'Aude ; de même, en ce qui concerne la prétendue agression dont M. B... aurait fait l'objet le 17 juin 2020 de la part de son supérieur hiérarchique, l'inspectrice du travail en retient la réalité alors que le jugement du 24 septembre 2021 du conseil des prud'hommes de Carcassonne a considéré qu'elle n'était pas établie ; la partialité de l'inspectrice du travail est également établie par le fait qu'elle s'est rendue, dans le cadre de l'enquête contradictoire, de façon impromptue au siège de la fédération ; si l'inspectrice du travail était en droit d'effectuer une telle visite, la façon dont elle a effectué cette visite révèle un manquement à son obligation d'impartialité dès lors qu'elle n'a pas examiné la configuration des lieux dans lesquels aurait eu lieu la prétendue agression de M. B... ni entendu les salariées au sujet de l'agression verbale dont ce dernier se serait rendu l'auteur et pour laquelle un avertissement lui a été infligé le 14 janvier 2020 ; cette absence d'impartialité s'est également manifestée lors de l'audition du secrétaire général de la fédération lors de laquelle l'inspectrice du travail a fait référence à une précédente demande d'autorisation de licenciement ;

- sur le fond, la prétendue dégradation de l'état de santé de M. B... ne s'est pas inscrite dans le contexte d'une discrimination mais dans celui d'une cabale menée par plusieurs salariés de la fédération, dont M. B... ; l'inspectrice du travail a retenu l'existence d'un lien avec le mandat, mais sans tenir compte des éléments juridiques et des éléments de preuve présentés par la fédération ; la décision de refus d'autorisation de licenciement est entachée d'une erreur de fait ; en effet le prétendu harcèlement et la dégradation de la relation de travail seraient, selon les déclarations mêmes de M. B..., intervenus, bien avant son élection du 6 décembre 2019 en qualité de délégué suppléant au comité social économique et auraient pour origine l'entretien professionnel de février 2019 de M. B... à la suite duquel ce dernier se serait plaint de l'absence de perspective d'évolution professionnelle ; ce différend s'inscrit dans le cadre d'une stratégie d'éviction mise en œuvre par M. B... et trois autres salariés, de M. C..., leur supérieur hiérarchique ; trois salariées attestent des manœuvres auxquelles ont procédé ces quatre salariés, dont M. B..., pour obtenir l'éviction de M. C... ;

- la décision attaquée est également entachée d'erreurs de faits quant aux avertissements notifiés à M. B... dans le contexte de sa candidature pour la mise en place de la délégation du personnel du comité social économique ; en effet, l'avertissement, notifié le 14 janvier 2020, infligé à M. B... pour attitude vexatoire et colérique envers deux salariés, le 29 novembre 2019, dans le cadre de la mise en place des élections des membres de la délégation du personnel, n'a pas été annulé par le conseil des prud'hommes de Carcassonne dans son jugement du 24 septembre 2021 ; pourtant cet avertissement a été retenu par l'inspectrice du travail comme révélant un lien entre la demande de licenciement de M. B... et l'exercice par celui-ci de son mandat ; en tout état de cause, les critiques formulées par M. B... quant à la présentation des bulletins de vote pour les élections des membres de la délégation du personnel, et au sujet desquelles il s'est emporté contre deux salariés, n'étaient pas fondées ; la fédération départementale a transmis à l'inspectrice du travail l'ensemble des éléments afférents à ces élections ; c'est à tort que les premiers juges ont considéré au sujet de cet avertissement, que si le comportement du salarié, sanctionné par cet avertissement, était inapproprié, il s'inscrivait néanmoins dans un contexte relationnel particulièrement difficile avec la direction et de risques psychosociaux liés à une situation de harcèlement moral qui concernait plusieurs salariés dont M. B... et pour lequel le délégué du personnel avait exercé un droit d'alerte, le 9 septembre 2019 ; en ce qui concerne l'avertissement du 3 décembre 2019, c'est également à tort que l'inspectrice du travail a estimé qu'il traduisait l'existence d'une pression sur M. B... alors que cet avertissement sanctionnait une dégradation d'un véhicule de service confié à M. B... dont celui-ci était bien responsable ; c'est par ailleurs à tort que l'inspectrice du travail a considéré que les faits sur lesquels portait l'avertissement du 3 décembre 2019 étaient prescrits ; l'avertissement était justifié et n'était pas en relation avec le mandat ; contrairement à ce qu'a considéré l'inspectrice du travail, M. B... a recherché à bénéficier du statut de salarié protégé dans le seul but de se prémunir des sanctions pouvant lui être appliquées en raison de ses fautes ;

- la réalité de la prétendue agression dont M. B... aurait été la victime le 17 juin 2020 n'est pas établie ; cette prétendue agression n'a été invoquée que pour répondre à la convocation de M. B... le 11 juin 2020, reçue le 15 juin 2020, à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement ; le 17 juin 2020, alors qu'en dehors de M. B... et de M. C... , dix salariés étaient présents, aucun incident n'a été signalé ; ce n'est que le lendemain que M. B... a indiqué qu'il ne serait pas présent pour raisons médicales ; lors de l'entretien préalable du 23 juin 2020, il n'a aucunement fait état de la prétendue agression du 17 juin 2020, n'ayant porté ces faits à la connaissance de l'employeur que le 26 juin 2020 en l'informant qu'il avait déposé une plainte le 19 juin 2020 ; le visionnage des images de la journée du 17 juin 2020 n'a rien révélé d'anormal ; au contraire, ces images ont montré que M. B... avait un comportement normal jusqu'à son départ à 17h00 ; tous les salariés présents ont été convoqués le 29 juin 2020 et ont indiqué n'avoir rien constaté d'anormal le 17 juin 2020 ; compte tenu de la date tardive à laquelle M. B... a fait état d'une agression, tous les enregistrements vidéos n'ont pas été conservés ; la plainte pénale de M. B... a par ailleurs été classée sans suite ; il a par ailleurs été émis un doute par l'officier de police judiciaire sur l'authenticité de la date du 19 juin 2020 portée sur le certificat médical dont M. B... s'est prévalu à l'appui de l'agression alléguée ; les déclarations de M.B... au sujet de cette prétendue agression ont été très contradictoires ; par ailleurs, M. B... ne s'est pas rendu au rendez-vous qui lui avait été fixé le 1er juillet 2020 pour évoquer l'agression alléguée dans le cadre de l'enquête interne diligentée par la fédération départementale, ni devant le comité social économique le même jour ; la demande de reconnaissance d'un accident du travail a par ailleurs été rejetée par un courrier de la mutuelle sociale agricole du 25 novembre 2020 ; l'agression alléguée, qui est inexistante, a pourtant été considérée comme déterminante par l'inspectrice du travail ; s'agissant des convocations aux séances du comité social économique, la fédération n'y était pas tenue en vertu du code du travail à l'égard de M.B... qui n'avait que la qualité de délégué suppléant ; la fédération n'était pas davantage tenue de lui transmettre les comptes-rendus des séances du comité social économique ; par ailleurs, contrairement à ce qu'a considéré l'inspectrice du travail, la fédération départementale n'a pas manifesté à l'égard de M. B... un comportement hostile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2023, M. B..., représenté par Me Momas, conclut au rejet de la requête de la fédération départementale des chasseurs de l'Aude et demande à la cour de mettre à la charge de celle-ci la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la demande de première instance et la somme de 4 000 euros au titre de l'instance d'appel.

Il fait valoir que les moyens invoqués par la fédération départementale des chasseurs de l'Aude ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 22 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 avril 2024 à 12h00.

Un mémoire a été présenté pour M. B... le 21 janvier 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bentolila,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique

- et les observations de Me Roland pour la fédération départementale des chasseurs de l'Aude et de Me Momas pour M. B....

Considérant ce qui suit :

1. La fédération départementale des chasseurs de l'Aude a recruté, à compter du 1er septembre 1997, M. A... B..., par contrat à durée indéterminée, sur un poste de technicien pour exercer les fonctions d'agent de surveillance des territoires. M. B... a ensuite occupé un poste de technicien cynégétique au sein de cette fédération. Il est devenu membre suppléant du comité social et économique de la fédération départementale des chasseurs de l'Aude à compter du 6 décembre 2019. Par lettre du 8 juillet 2020, la fédération départementale des chasseurs de l'Aude a sollicité de l'administration du travail le licenciement de M. B... pour un motif disciplinaire. Par une décision du 8 septembre 2020, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser ce licenciement. Par une lettre du 26 octobre 2020, reçue le 4 novembre suivant par la ministre du travail, la fédération départementale des chasseurs de l'Aude a formé un recours hiérarchique qui a été implicitement rejeté. Par une décision expresse du 20 mai 2021, se substituant à sa décision implicite antérieure, la ministre du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 8 septembre 2020 pour insuffisance de motivation et refusé d'autoriser le licenciement de M. B.... Se prononçant, le 30 novembre 2021, sur l'aptitude de M. B... à reprendre ses fonctions, le médecin du travail a estimé que tout maintien de ce dernier dans un emploi au sein de la fédération départementale serait gravement préjudiciable à sa santé. Par lettre du 24 janvier 2022, la fédération départementale des chasseurs de l'Aude a sollicité le licenciement de M. B... pour inaptitude physique à occuper un emploi. Par une décision du 22 mars 2022, l'inspectrice du travail a rejeté cette demande au motif qu'il existait un lien entre l'autorisation de licenciement sollicitée et le mandat de délégué suppléant au comité social et économique de la fédération détenu par M. B.... La fédération départementale des chasseurs de l'Aude a demandé au tribunal administratif de Montpellier, par trois requêtes distinctes, l'annulation de la décision par laquelle la ministre du travail a implicitement rejeté son recours hiérarchique formé le 26 octobre 2020 contre la première décision de l'inspecteur du travail, l'annulation de la décision expresse de la ministre du travail du 20 mai 2021 refusant le licenciement de M. B... pour motif disciplinaire, et enfin l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 22 mars 2022 refusant l'autorisation de licencier ce dernier pour inaptitude physique.

2. Par un jugement n° 2101482, 2103386 et 2202736 du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Montpellier a joint les trois demandes, a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé pendant quatre mois par le ministre du travail sur le recours hiérarchique formé par la fédération départementale des chasseurs de l'Aude, et a rejeté le surplus des conclusions des demandes présentées par celle-ci.

3. La fédération départementale des chasseurs de l'Aude relève appel du jugement du 14 mars 2023 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 mars 2022 par laquelle l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. B... pour inaptitude physique.

Sur la légalité de la décision attaquée :

4. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique du salarié, il appartient à l'administration de rechercher si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé sans rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude physique susceptible, en l'absence de possibilité de reclassement, de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives, est à cet égard au nombre des éléments de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.

5. Dans sa décision du 22 mars 2022 l'inspectrice du travail, a reconnu que M. B... était physiquement inapte à occuper tout poste au sein de la fédération départementale en se référant à l'avis émis en ce sens le 30 novembre 2021 par le médecin du travail. Les motifs par lesquels l'inspectrice du travail a retenu l'inaptitude physique de M. B... à occuper son emploi, ainsi que l'impossibilité de le reclasser au sein de la fédération départementale, ne sont pas contestés par M. B.... L'inspectrice du travail a cependant refusé d'autoriser le licenciement de M. B... au motif que son inaptitude à exercer toute fonction au sein de la fédération départementale résultait d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec les obstacles mis par son employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives. Elle en a conclu que le lien entre la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur et le mandat du salarié était établi.

6. En premier lieu, l'inspectrice du travail s'est fondée, tout d'abord, sur le fait qu'un avertissement infligé à M. B... le 3 décembre 2019, fondé sur " une défaillance dans l'accomplissement de la tâche prévue au contrat de travail et par le règlement d'utilisation des véhicules de service ", reposait sur des faits prescrits. Il ressort toutefois des pièces du dossier que ce n'est qu'en octobre 2019 que la fédération départementale des chasseurs de l'Aude a été informée par le garage assurant l'entretien de la flotte automobile que M. B... avait négligé de faire procéder au contrôle technique du véhicule mis à sa disposition pour l'exercice de ses fonctions, ce qui a provoqué la casse du moteur de ce véhicule. Dans ces conditions, les faits en question ne pouvaient être regardés comme prescrits, de sorte que la sanction d'avertissement du 3 décembre 2019 ne saurait être regardée comme un indice de l'existence d'un lien entre le mandat détenu par M. B... et la demande de licenciement le concernant.

7. Ensuite, le second avertissement infligé à M. B... le 14 janvier 2020 au motif que celui-ci avait adopté, le 29 novembre 2019, une attitude vexatoire et colérique envers deux salariés, repose sur des faits dont la réalité n'est pas contestée alors, qu'au demeurant, leur exactitude matérielle a été reconnue par le conseil des prud'hommes de Carcassonne dans son jugement rendu le 24 septembre 2021 se prononçant sur la légalité de cette sanction et sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail présentée par l'intéressé. De même, dans sa décision du 22 mars 2022 en litige, l'inspectrice du travail n'a pas remis en cause l'exactitude matérielle des faits à l'origine de cet avertissement, même si elle a considéré que M. B... devait bénéficier de circonstances atténuantes compte tenu du " contexte relationnel particulièrement difficile avec la direction " dans lequel ce dernier évoluait.

8. Il résulte néanmoins de ce qui précède que les avertissements des 3 décembre 2019 et 14 janvier 2020 répondaient à des fautes avérées commises par M. B.... Contrairement à ce qu'a estimé l'inspectrice du travail, ces deux avertissements, au demeurant les sanctions les moins sévères parmi celles pouvant être appliquées à un salarié, ne peuvent être regardés par eux-mêmes comme ayant été pris en vue de faire obstacle à l'exercice, par M. B..., de son mandat syndical. Dans ces conditions, la fédération départementale des chasseurs de l'Aude est fondée à soutenir que c'est à tort que l'inspectrice du travail a estimé que la notification de ces deux avertissements devait être prise en compte parmi les indices de nature à révéler l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement de M. B... et le mandat détenu par ce dernier.

9. En deuxième lieu, la décision de l'inspectrice du travail du 22 mars 2022 est également fondée sur le fait que M. B... a été victime, le 17 juin 2020 à 13h20, d'une agression de la part de son supérieur hiérarchique dans les locaux de la fédération départementale des chasseurs de l'Aude. Si M. B... se prévaut de trois témoignages de salariés de la fédération auxquels il se serait confié après l'agression dont il dit avoir été victime, ces témoignages ne sont pas produits au dossier alors que M. B... reconnaît lui-même que ces trois salariés n'ont finalement pas témoigné en ce sens lors de l'enquête interne réalisée en juin 2020. Aucun autre élément du dossier, tel que des images enregistrées par les caméras de vidéo-surveillance installées dans les locaux de la fédération, ou des témoignages, ne permet de confirmer la réalité de l'agression. De plus, il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal de gendarmerie établi le 3 octobre 2020, à la suite de la plainte déposée par M. B..., que deux salariés présents dans les locaux, et susceptibles d'avoir été témoins des faits, ont indiqué n'avoir rien vu ou entendu le jour de l'agression présumée. Au contraire même, sept salariés présents dans les locaux de la fédération, le 17 juin 2020, ont attesté n'avoir entendu aucun bruit de nature à faire penser à la survenance d'une agression, l'un de ces témoins indiquant même avoir croisé M. B... dans les locaux, ce même jour, sans que ce dernier lui ait fait part de quoique que ce soit. Est également produit au dossier un procès-verbal d'huissier établi le 18 mai 2021 à la demande de la fédération et retenant que, compte tenu de la configuration des lieux à l'endroit exact où l'agression se serait produite, soit près du distributeur de boissons, et du récit de M. B... sur les circonstances de son agression, le bruit que celle-ci n'aurait pas manqué de provoquer aurait nécessairement été entendu par les autres salariés. Au demeurant, le jugement du conseil des prud'hommes de Carcassonne du 24 septembre 2021 conclut à l'absence de matérialité des faits d'agression allégués par M. B..., tandis que la plainte pénale de ce dernier a été classée sans suite. Dans ces circonstances, la réalité de l'agression dont M. B... prétend avoir fait l'objet de la part de son supérieur hiérarchique n'est pas suffisamment établie, contrairement à ce qu'a retenu l'inspectrice du travail dans les motifs de sa décision du 22 mars 2022. Il s'ensuit nécessairement que l'agression alléguée n'est pas au nombre des éléments dont il doit être tenu compte pour apprécier un lien éventuel entre la demande d'autorisation de licenciement de M. B... et son mandat.

10. En troisième lieu, il n'existe pas d'obligation légale pour l'employeur de convoquer les membres suppléants du comité social et économique aux réunions de cette instance lorsque les membres titulaires ne sont pas empêchés d'y siéger et de leur adresser les comptes-rendus des réunions. Il est vrai qu'en pratique, la fédération départementale des chasseurs de l'Aude avait pris l'habitude d'adresser aux membres suppléants ces documents, et il ressort à cet égard des pièces du dossier que M. B... a régulièrement reçu les documents en cause. Pour autant, la seule circonstance qu'il n'ait pas bénéficié systématiquement de la transmission de ces documents ne suffit pas à révéler une volonté délibérée de son employeur de l'éloigner du comité social et économique de la fédération, contrairement à ce qu'a estimé l'inspectrice du travail.

11. Il résulte de l'ensemble de circonstances de l'espèce qu'en rejetant la demande d'autorisation de licenciement de M. B... au motif qu'elle présentait un lien avec le mandat syndical détenu par ce dernier, l'inspectrice du travail a entaché sa décision d'illégalité.

12. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, la fédération départementale des chasseurs de l'Aude est fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 14 mars 2023 en tant qu'il rejette sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 mars 2022 par laquelle l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. B..., salarié protégé, pour inaptitude physique. Ce jugement doit être annulé dans cette mesure ainsi que la décision de l'inspectrice du travail du 22 mars 2022.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13 .Compte tenu de l'annulation par le présent arrêt du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 14 mars 2023, en tant qu'il rejette la demande de la fédération départementale des chasseurs de l'Aude dirigée contre la décision en litige du 22 mars 2022, il y a lieu d'annuler l'article 3 de ce jugement mettant à la charge de la fédération départementale des chasseurs de l'Aude la somme de 3 000 euros à verser à M. B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

14. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il en soit fait application au profit de M. B... à l'encontre de la fédération départementale des chasseurs de l'Aude, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat au profit de la fédération départementale des chasseurs de l'Aude une somme de 1 500 euros sur le fondement de ces dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 14 mars 2023, en tant qu'il rejette la demande n°2202736 de la fédération départementale des chasseurs de l'Aude tendant à l'annulation de la décision du 22 mars 2022 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. B..., ainsi que cette décision du 22 mars 2022, sont annulés.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 14 mars 2023 est annulé en ce que, dans son article 3, il met à la charge de la fédération départementale des chasseurs de l'Aude, la somme de 3 000 euros à verser M. B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la fédération départementale des chasseurs de l'Aude sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la fédération départementale des chasseurs de l'Aude, à M. A... B... et à la ministre du travail et de l'emploi.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025 à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2025.

Le président-assesseur,

P. Bentolila

Le président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23TL01129 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01129
Date de la décision : 11/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: M. Pierre Bentolila
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : SCP VPNG AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-11;23tl01129 ?
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