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28/01/2025 | FRANCE | N°23TL01956

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 28 janvier 2025, 23TL01956


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes l'annulation de l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel la préfète du Gard lui a refusé la délivrance d'un certificat de résidence, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, l'a assignée à résidence pour une durée de 45 jours et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une dur

e de deux ans.

Par un jugement n° 2302371 du 4 juillet 2023, la magistrate désignée par...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes l'annulation de l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel la préfète du Gard lui a refusé la délivrance d'un certificat de résidence, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, l'a assignée à résidence pour une durée de 45 jours et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2302371 du 4 juillet 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes a renvoyé à une formation collégiale du tribunal administratif les conclusions de Mme D... tendant à l'annulation de la décision du 5 juin 2023 par laquelle la préfète du Gard a refusé de délivrer à cette dernière un certificat de résidence, ainsi que les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées à l'appui de ces conclusions et a annulé les décisions du 5 juin 2023 par lesquelles la préfète du Gard a fait obligation à Mme D... de quitter sans délai de départ volontaire le territoire français, lui a fait interdiction d'y retourner pour une durée de deux ans, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée, et a prononcé à son encontre une assignation à résidence pour une durée de 45 jours.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2023, la préfète du Gard demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°2302371 du 4 juillet 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes ;

2°) de rejeter les demandes de Mme D....

La préfète du Gard soutient que :

- c'est à tort que la première juge a fondé l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement , de l'assignation à résidence pour une durée de 45 jours, et de l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, sur le fondement de l'article 3-1 de la convention internationale de New York relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990, au motif qu'il aurait été porté atteinte à l'intérêt supérieur des enfants de Mme D... ; en effet, ces décisions n'impliquent pas la séparation de Mme D... avec ses trois enfants mineurs avec lesquels elle est entrée au début de l'année 2020, et avec lesquels elle vivait en Algérie ; ses enfants, avant leur entrée en France récente, n'ont jamais vécu avec leur père, lequel serait entré en France le 21 avril 2006 ; ce dernier, de nationalité algérienne, est actuellement à la retraite et il n'est fait état d'aucune circonstance qui ferait obstacle à ce qu'il s'établisse en Algérie avec son épouse et ses enfants.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pierre Bentolila, président-assesseur a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... D..., ressortissante algérienne née le 28 novembre 1974, déclare être entrée en France au début de l'année 2020 accompagnée de trois de ses quatre enfants afin de rejoindre son mari, titulaire d'un certificat de résident valable jusqu'au 3 mai 2032 et son fils aîné. Par des décisions du 5 juin 2023, la préfète du Gard a refusé de lui délivrer un certificat de résidence, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un arrêté du même jour, la préfète du Gard a assigné à résidence Mme D... pour une durée de 45 jours.

2. La préfète du Gard relève appel du jugement du 4 juillet 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes en tant qu'il a annulé les décisions du 5 juin 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, fixation du pays de destination de la mesure d'éloignement ainsi que la décision d'assignation à résidence.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale de New York relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... est entrée en France au début de l'année 2020 accompagnée de trois de ses quatre enfants, alors âgés de 14, 12 et 9 ans. Si ces enfants étaient, à la date des décisions attaquées, scolarisés en France de manière ininterrompue depuis leur entrée sur le territoire français, cette seule circonstance ne faisait pas obstacle à l'édiction d'une mesure d'éloignement à l'encontre de leur mère dès lors que ces enfants pouvaient poursuivre leurs études dans leur pays d'origine. De même, comme le fait valoir la préfète en appel, sans que cela soit contesté, Mme D... et ses enfants sont restés pendant de nombreuses années éloignés de leur mari et père, lequel séjourne en France depuis 2006. Dans ces conditions, la préfète du Gard est fondée à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes a annulé les décisions attaquées au motif que la préfète du Gard avait méconnu l'intérêt supérieur des enfants au regard des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale de New York.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... devant le tribunal administratif.

Sur les autres moyens de première instance :

En ce qui concerne les moyens communs à l'ensemble des décisions attaquées :

6. En premier lieu, l'arrêté attaqué est signé par M. Frédéric Loiseau, secrétaire général de la préfecture du Gard. M. C... disposait, aux termes d'un arrêté n° 30-2023-05-25-0006 du 25 mai 2023, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, d'une délégation à l'effet de signer les décisions relevant de la police des étrangers, au nombre desquelles figurent les décisions attaquées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'exception d'illégalité du refus de certificat de résidence :

7. En premier lieu, en vertu de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... s'est mariée le 25 septembre 1999, en Algérie, avec M. B.... De cette union sont nés quatre enfants en 2002, 2006, 2008 et 2011. Il ressort des pièces du dossier que l'époux de Mme D..., entré en France dès 2006, a obtenu, à compter de 2008, un certificat de résidence régulièrement renouvelé depuis lors, et en dernier lieu jusqu'en 2032. Si M. B... a sollicité, en 2011, le regroupement familial au bénéfice de Mme D..., sa demande a été rejetée en 2012. Par ailleurs, Mme D... allègue que son fils aîné est entré en France en 2010, mais ne produit aucun élément au soutien de ses affirmations, lesquelles sont contestées par le préfet. Et elle, de plus, entrée en France au début de l'année 2020 seulement, après une longue séparation avec son mari alors que ses trois autres enfants qui l'accompagnaient avaient passé l'essentiel de leur existence dans leur pays d'origine. Et il ne ressort pas des pièces du dossier que les liens entre Mme D... et son conjoint, de même que les liens familiaux entre ce dernier et ses enfants, présentaient, à la date de la décision attaquée, un caractère intense, ancien et stable. En outre, Mme D... ne s'est pas conformée à une précédente mesure d'éloignement prise à son encontre en août 2020. Dans ces conditions, alors même que l'époux de Mme D... est sujet à des problèmes de santé liés à son âge, le refus de certificat de résidence en litige n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. En second lieu, Mme D... fait valoir la nécessité pour son mari de bénéficier de l'assistance d'une tierce personne, et produit à cette fin un certificat d'un médecin généraliste, daté du 19 juin 2023, donc postérieur de quelques jours à la décision attaquée, indiquant que l'intéressé a besoin de son épouse pour les tâches de la vie quotidienne. Toutefois, ce seul élément, et les autres pièces du dossier, ne permettent pas d'estimer qu'en prenant la décision attaquée, la préfète aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de Mme D....

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'exception d'illégalité du refus de certificat de résidence, invoqué par Mme D... à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français, ne peut qu'être écarté.

11. En deuxième lieu, le moyen invoqué à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire, sur le fondement de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux figurant au point 8 du présent arrêt.

12. En troisième et dernier lieu, le moyen invoqué à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français, sur le fondement de l'article 3-1 de la convention internationale de New York relative aux droits de l'enfant, doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux figurant au point 4 du présent arrêt.

En ce qui concerne le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

13. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'exception d'illégalité du refus de certificat de résidence et de l'obligation de quitter le territoire français, soulevé par Mme D... à l'encontre de la décision lui refusant un délai de départ volontaire, ne peut qu'être écarté.

14. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicable à la date de la décision attaquée : " (...) l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ".

15. Il ressort des pièces du dossier que Mme D..., avant l'intervention de l'obligation de quitter le territoire français en litige du 5 juin 2023, avait fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement en août 2020, qu'elle n'a pas respectée. Dans ces conditions, la préfète du Gard a pu, sans entacher sa décision d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation, estimer qu'elle présentait un risque de fuite et ne pas assortir, pour ce motif, l'obligation de quitter le territoire français d'un délai de départ volontaire. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

En ce qui concerne l'assignation à résidence :

16. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'exception d'illégalité du refus de certificat de résidence et de la mesure d'éloignement, invoqué par Mme D... à l'encontre de la décision l'assignant à résidence, ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire :

17. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " (...) l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour (...) l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".

18. Il ressort des pièces du dossier que l'époux de Mme D... est âgé et connaît des problèmes de santé. Cette situation peut justifier que Mme D... soit amenée ponctuellement à apporter une assistance à son époux. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce dernier, qui séjourne en France depuis 2006, soit en mesure de s'installer en Algérie. Dans ces circonstances particulières, en fixant à deux ans l'interdiction de retour sur le territoire français à l'encontre de Mme D..., la préfète du Gard a commis une erreur d'appréciation. Par suite, la préfète du Gard n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nîmes a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée de deux ans, contenue dans l'arrêté en litige.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Gard est seulement fondée à demander l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué du 4 juillet 2023 en tant qu'il annule les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination et assignation à résidence contenues dans les arrêtés du 5 juin 2023.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

20. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'injonction présentées en première instance par Mme D... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de première instance :

21. Mme D... étant essentiellement partie perdante, ses conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent être que rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2302371 du 4 juillet 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes est annulé en tant qu'il annule les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination et assignation à résidence contenues dans les arrêtés du 5 juin 2023.

Article 2 : Le surplus de la requête de la préfète du Gard et de la demande de Mme D... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... D....

Copie pour information en sera délivrée à la préfète du Gard.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2025.

Le président-assesseur,

P. Bentolila

Le président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23TL01956 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01956
Date de la décision : 28/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: M. Pierre Bentolila
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : CHABBERT MASSON

Origine de la décision
Date de l'import : 31/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-28;23tl01956 ?
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