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23/01/2025 | FRANCE | N°23TL00244

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 23 janvier 2025, 23TL00244


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 3 septembre 2021 en tant que le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français.



Par un jugement n° 2106081 du 10 février 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoir

e en réplique enregistrés les 18 janvier et 29 août 2023, M. E..., représenté par Me Cissé, demande à la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 3 septembre 2021 en tant que le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français.

Par un jugement n° 2106081 du 10 février 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 18 janvier et 29 août 2023, M. E..., représenté par Me Cissé, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 10 février 2022 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 septembre 2021 en tant que le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, en le munissant, dans l'attente de cette délivrance, d'une autorisation provisoire de séjour sous deux jours ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

S'agissant de la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour :

- le préfet n'a pas procédé à un examen circonstancié de sa situation personnelle ;

- la décision méconnaît les dispositions des articles L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 371-2 du code civil, dès lors qu'il justifie contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de son enfant et que la menace à l'ordre public n'est pas établie ;

- la décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- en lui refusant la délivrance du titre de séjour qu'il sollicitait, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences que sa décision est susceptible d'entraîner sur sa situation personnelle ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 3.1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la décision est illégale car fondée sur un refus de titre lui-même illégal ;

- elle méconnaît le 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3.1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences que sa décision est susceptible d'entraîner sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance en date du 30 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 11 septembre 2023.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de New York relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Fougères, rapporteure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant mauricien entré en France pour la dernière fois le 29 janvier 2019 sous couvert de son passeport biométrique, à l'âge de vingt-huit ans, a présenté une demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, à la suite de laquelle le préfet de l'Hérault, par arrêté du 3 septembre 2021, a refusé de lui délivrer ce titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office. Par la présente requête, M. E... relève appel du jugement du 10 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté en tant qu'il porte refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français.

Sur les conclusions dirigées contre la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :

2. En premier lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté attaqué, ni des autres éléments du dossier que le préfet, eu égard aux éléments qui lui avaient été effectivement transmis antérieurement à la décision attaquée, aurait procédé à un examen insuffisamment circonstancié de la situation personnelle de M. E....

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Aux termes de l'article L. 412-5 de ce code : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire (...) ". Aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. / Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l'autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l'enfant est majeur ".

4. Il ressort des pièces du dossier que, le 28 février 2021, est né C..., fils de M. E... et de Mme A... B..., ressortissante française avec laquelle il a conclu un pacte civil de solidarité le 20 décembre 2019. À la date de la décision attaquée, M. E... justifie contribuer à l'éducation de cet enfant avec lequel il partage son quotidien, ainsi qu'en témoignent tant les attestations établies par le pédiatre et l'ostéopathe de son fils que celles établies par la sœur de sa compagne, assistante maternelle, et par d'autres de leurs proches. Si peu d'éléments sont produits pour justifier d'une contribution financière substantielle aux charges du ménage durant les six mois suivant la naissance de son fils, l'intéressé, dont le travail dans la restauration a été rendu impossible durant les mois de confinement du printemps 2021, a néanmoins pris en charge un certain nombre de dépenses au profit de son enfant et a retrouvé un travail à temps plein dès le mois de juin 2021, dont rien n'indique qu'il n'aurait pas fait profiter son foyer, de sorte qu'il peut également être regardé comme justifiant de sa participation à l'entretien de cet enfant. Toutefois, M. E... a été condamné le 22 juin 2020 à une peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis à la fois pour le recel d'un titre de séjour et d'une carte bancaire volés mais aussi et surtout pour des violences exercées contre Mme B.... Eu égard à la gravité de cette condamnation, dont les circonstances ne sont explicitées ni dans le jugement du tribunal correctionnel de Béziers ni dans les écritures de l'appelant, ainsi qu'au caractère récent des faits incriminés, commis tout juste deux ans avant la décision attaquée, c'est à bon droit que le préfet de l'Hérault a considéré que l'intéressé constituait une menace à l'ordre public, quand bien même M. E... n'aurait été condamné que pour ces deux infractions et n'aurait pas commis de récidive.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. M. E... soutient avoir le centre de ses intérêts privés et familiaux en France dès lors qu'il y réside sans discontinuer depuis le début de l'année 2019 auprès de sa compagne, avec laquelle il s'est pacsé en décembre 2020, de leur enfant né en février 2021 et des deux enfants mineurs de sa compagne, dont celle-ci a obtenu la garde exclusive et qu'il élève comme ses enfants. Toutefois, outre que la présence en France de l'intéressé était récente à la date de la décision attaquée, quand bien même il y aurait effectué régulièrement de courts séjours depuis l'année 2013, M. E... a été condamné, ainsi que dit au point 4, pour plusieurs infractions dont des violences commises sur sa compagne au cours de l'été 2019. Alors que les poursuites pénales ont nécessairement conduit à séparer temporairement le couple, ainsi qu'en témoigne le jugement du tribunal correctionnel du 22 juin 2020 mentionnant une adresse de M. E... à Balaruc-les-Bains, distincte de l'adresse commune du couple, les pièces du dossier ne permettent pas d'établir la date à laquelle la vie commune a repris et notamment si celle-ci est antérieure à la naissance de leur fils en février 2021, intervenue tout juste six mois avant la décision attaquée. Les attestations versées au dossier, si elles justifient effectivement de la place importante que M. E... occupe auprès des enfants de sa compagne, ne permettent pas non plus d'établir l'ancienneté de ces liens. Enfin, l'appelant ne justifie pas davantage d'une insertion professionnelle réelle avant le mois de juin 2021. Dès lors, eu égard à la menace pour l'ordre public que représentait l'intéressé à la date de la décision attaquée, et à l'absence d'attaches suffisamment anciennes et stables sur le territoire français, le préfet de l'Hérault n'a pas porté à son droit au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus et n'a donc ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences que sa décision est susceptible d'entraîner sur la situation personnelle de l'intéressé.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention de New-York relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

8. Il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard à ce qui a été dit aux points 4 et 6, qu'en prenant l'arrêté litigieux du 3 septembre 2021, le préfet de l'Hérault n'aurait pas accordé une importance primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant de M. E... et des deux enfants mineurs de sa compagne. Par conséquent, le moyen tiré de la violation des stipulations précitées doit être écarté.

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la décision obligeant M. E... à quitter le territoire français :

9. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) ".

10. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 du présent arrêt que M. E... justifie, à la date de la décision attaquée, participer à l'entretien et à l'éducation de son fils C... depuis au moins sa naissance. Il est, dès lors, fondé à soutenir, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que sa présence constituait alors une menace à l'ordre public, que la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à son encontre méconnaît le 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens dirigés contre la décision portant obligation de quitter le territoire français, que M. E... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision. Le surplus de ses conclusions à fin d'annulation doit, en revanche, être rejeté.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu, l'exécution du présent arrêt n'implique pas la délivrance d'un titre de séjour, mais implique seulement, ainsi que le prévoit l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le préfet de l'Hérault réexamine la situation de M. E... dans un délai de deux mois, en le munissant d'une autorisation provisoire de séjour durant le temps de ce réexamen.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme que le conseil de M. E... réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2106081 du 10 février 2022 du tribunal administratif de Montpellier est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. E... tendant à l'annulation de la décision, contenue dans l'arrêté du 3 septembre 2021, portant obligation de quitter le territoire français.

Article 2 : La décision par laquelle le préfet de l'Hérault a fait obligation à M. E... de quitter le territoire français est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault, ou au préfet compétent au regard du lieu de résidence actuel de l'intéressé, de réexaminer la situation de M. E... dans un délai de deux mois suivant la notification de la présente décision et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de ce réexamen.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. E... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Nicolas Lafon, président-assesseur,

Mme Fougères, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2025.

La rapporteure,

A. Fougères

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL00244


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00244
Date de la décision : 23/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: Mme Aurore Fougères
Rapporteur public ?: Mme Restino
Avocat(s) : CISSE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-23;23tl00244 ?
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