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31/12/2024 | FRANCE | N°23TL01032

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 31 décembre 2024, 23TL01032


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association La Cimade, représentant unique, le Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l'Homme et l'association des A... pour la défense des droits des étrangers ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler les décisions par lesquelles le préfet de l'Hérault a rendu obligatoire l'utilisation d'un téléservice, d'une part, pour l'obtention d'un rendez-vous en vue de déposer une demande de

titre de séjour d'autre part, en vue de déposer une demande d'admission exceptionnel...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association La Cimade, représentant unique, le Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l'Homme et l'association des A... pour la défense des droits des étrangers ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler les décisions par lesquelles le préfet de l'Hérault a rendu obligatoire l'utilisation d'un téléservice, d'une part, pour l'obtention d'un rendez-vous en vue de déposer une demande de titre de séjour d'autre part, en vue de déposer une demande d'admission exceptionnelle au séjour auprès de la sous-préfecture de Béziers et, enfin, pour déposer une demande de document de circulation pour les étrangers mineurs. Par une intervention volontaire, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats a demandé au tribunal administratif de Montpellier de faire droit à cette demande.

Par un jugement n° 2101588 du 7 mars 2023, le tribunal administratif de Montpellier n'a pas admis l'intervention de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats et a rejeté la demande présentée par les associations et syndicats précités.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 mai 2023 et le 26 mars 2024, sous le n° 23TL01032, L'association La Cimade, représentant unique, le Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l'Homme et l'association des A... pour la défense des droits des étrangers, représentés par Me Coupard, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 mars 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a implicitement rejeté leur demande, présentée par une lettre du 9 mars 2020, tendant, d'une part, à la communication de la décision rendant obligatoire l'utilisation d'un téléservice pour prendre un rendez-vous sur le site internet de la préfecture en vue de réaliser des démarches en matière de dépôt et de renouvellement de titres de séjour et pour déposer de manière dématérialisée les demandes de document de circulation pour étrangers mineurs et, d'autre part, à ce que soient mises en place des modalités alternatives au recours à ce téléservice ;

3°) d'annuler les décisions du préfet de l'Hérault rendant obligatoire l'usage d'un téléservice aux ressortissants étrangers pour obtenir un rendez-vous en vue d'accomplir des démarches relatives aux demandes et aux renouvellements de titres de séjour ainsi que toute autre démarche ;

4°) d'annuler les décisions du préfet de l'Hérault révélées par les mises à jour du site internet de la préfecture rendant obligatoire l'usage de téléservices dans le cadre de démarches accomplies en dehors du champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

5°) d'annuler la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a implicitement refusé de mettre en place des mesures alternatives aux téléservices en ce qui concerne le dépôt des demandes de titre de séjour ne relevant pas du champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles relevant de cet article en cas d'impossibilité d'accomplir la démarche en ligne ;

6°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault, dès la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, d'une part, de mettre en place une solution de substitution pour permettre le dépôt des demandes entrant dans le champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en cas de dysfonctionnement du téléservice " Administration numérique des étrangers en France " et de porter ces modalités à la connaissance des usagers par tout moyen, en particulier sur le site internet de la préfecture, d'autre part, de mettre fin au caractère exclusif de la saisine des services par la voie dématérialisée pour permettre le dépôt de demandes qui ne sont pas présentées au moyen du téléservice mentionné à l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, enfin, de mettre en place des modalités d'accueil et d'accompagnement, y compris physiques, à destination des usagers ;

7°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros à leur verser chacun sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent, dans le dernier état de leurs écritures, que :

En ce qui concerne leur intérêt à agir :

- le syndicat des avocats de France justifie d'un intérêt à agir dès lors, d'une part, que les décisions en litige limitent l'accès de certains usagers au service public des étrangers, auront des conséquences directes sur leurs conditions d'exercice ; de plus, cet intérêt à agir a déjà été admis par le Conseil d'État dans une décision rendue le 27 novembre 2019 sous le n° 422516 et par de nombreuses juridictions du fond ;

- l'intérêt à agir des autres associations appelantes est établi dès lors que les décisions en litige portent directement atteinte aux intérêts qu'elles défendent.

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

- le tribunal s'est mépris sur la portée de la décision attaquée en considérant que la lettre du 9 mars 2020 adressée au préfet de l'Hérault tendant à la communication des décisions rendant obligatoire la prise de rendez-vous sur le site internet de la préfecture et à la mise en œuvre de modalités alternatives à ce téléservice constituait un recours gracieux alors que cette lettre ne contestait pas une décision prise précédemment ; le silence gardé sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet dont ils étaient fondés à demander l'annulation ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, leur demande n'est pas tardive dès lors, d'une part, que la décision implicite de rejet est intervenue le 23 août 2020 en application de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, et, d'autre part, que les délais de recours contentieux ne leur sont pas opposables en l'absence de transmission d'un accusé de réception en application de l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la demande de première instance tendant à l'annulation des décisions des 15 et 24 février 2021, nées de la mise à jour du site internet de la préfecture, est également recevable dès lors, d'une part, que chaque mise à jour de ce site internet a rendu obligatoire le recours à un téléservice et rendu impossible l'accès aux guichets de la préfecture sans rendez-vous préalable au moyen de ce téléservice, et, d'autre part, qu'aucun délai de recours n'est opposable en l'absence de mesures de publicité formalisées.

En ce qui concerne la légalité des décisions en litige :

- ainsi que l'a dit pour droit le Conseil d'État dans le cadre de l'avis rendu le 3 juin 2022 sous le n° 461694, le module de prise de rendez-vous en ligne instauré par la préfecture de l'Hérault constitue un téléservice au sens des articles 1er et 5 du décret n° 2016-685 du 27 mai 2016, du 4° du II de l'article 1er de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 et des articles L. 112-8, L. 112-9, R. 112-9-1 et R. 112-9-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- il n'existe aucune alternative au module de prise de rendez-vous en ligne pour les démarches, mentionnées à l'article R. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne relèvent pas du téléservice " administration numérique pour les étrangers en France " (ANEF) prévu à l'article R. 431-2 du même code ; s'agissant des démarches prévues à l'article R. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'accueil du public étant réservé aux étrangers munis d'une convocation, seul l'envoi d'un courriel est possible et le point d'accueil numérique (PAN) n'est accessible que sur rendez-vous pris par courriel de sorte que les usagers n'ont aucune possibilité de se rapprocher physiquement des services de la préfecture en cas de difficultés ;

- les décisions en litige méconnaissent les articles L. 112-8, L. R. 112-9-1 et R. 112-9-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elles méconnaissent les articles R. 431-2 et R. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que seules les démarches et les catégories de titres de séjour désignées par les arrêtés figurant en annexe 9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont soumises au téléservice " administration numérique pour les étrangers en France " ; en dehors des démarches relevant de ce téléservice prévu à l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les préfets ne peuvent pas prévoir de téléservices pour la prise de rendez-vous en ligne, la remise de titres de séjour, le dépôt de pièces et le dépôt des autres demandes de titres de séjour, ces démarches devant être effectuées sur présentation personnelle de l'étranger ou par voie postale ;

- par une décision rendue le 27 novembre 2019 sous le n° 422516, le Conseil d'État a jugé, d'une part, que la mise en place, sans alternative, d'une saisine par voie électronique pour les usagers de l'administration est illégale et, d'autre part, que s'il existe un droit pour les usagers à saisir électroniquement l'administration, aucune saisine exclusive de l'administration par voie électronique ne peut être instaurée ;

- par une décision ultérieure rendue le 3 juin 2022 sous le n° 452806, le Conseil d'État a partiellement annulé le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021, relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour, en tant qu'il ne prévoit pas de solution de substitution destinée, par exception, à répondre au cas où, alors même que l'étranger aurait préalablement accompli toutes les diligences qui lui incombent et aurait notamment fait appel au dispositif d'accueil et d'accompagnement prévu, il se trouverait dans l'impossibilité d'utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement ; postérieurement à cette décision, l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été modifié par le décret n° 2023-191 du 22 mars 2023 pour une solution de substitution au téléservice qu'il prévoit comprenant la forme d'un accueil physique permettant l'enregistrement de la demande ;

- il n'existe aucune solution de substitution sous la forme d'un accueil physique au sein de la préfecture de l'Hérault ;

- en imposant à certaines catégories d'usagers de saisir exclusivement l'administration par voie électronique en vue d'obtenir un rendez-vous pour le dépôt de certaines demandes de titres de séjour, sans instaurer de mode alternatif à la saisine par voie électronique de l'administration ni leur permettre de contacter le point d'accueil numérique de la préfecture, les décisions en litige méconnaissent le principe d'égal accès aux services publics, de continuité des services publics et d'accès normal et effectif au service public dès lors qu'elles ne tiennent compte, ni de l'objet du service, ni du degré de complexité des démarches administratives en cause et leurs conséquences pour les intéressés, ni des caractéristiques de l'outil numérique mis en œuvre, ni, enfin, des caractéristiques du public concerné, notamment de ses difficultés dans l'accès ou le maniement des services en ligne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 février 2024, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, eu égard à l'effet rétroactif s'attachant au prononcé d'une éventuelle annulation des décisions en litige, demande à la cour d'en différer la prise d'effet après avoir recueilli contradictoirement l'avis des parties ou, à titre très subsidiaire, d'en différer la prise d'effet à six mois.

Il soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable en raison, d'une part, du défaut d'intérêt à agir du Syndicat des avocats de France et des associations requérantes et, d'autre part, de sa tardiveté ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- à titre très subsidiaire, il est sollicité une modulation dans le temps des effets d'une éventuelle annulation contentieuse en raison des conséquences manifestement excessives de l'effet rétroactif qui s'y attache, l'annulation des décisions en litige étant susceptible, eu égard à l'usage massif du téléservice en litige, de créer des ruptures dans la continuité du service, de fragiliser les démarches réalisées par voie dématérialisée, ce qui préjudicierait à l'ensemble des usagers, et, enfin, d'accroître les tensions pesant sur les services préfectoraux en charge de l'instruction des demandes présentées par les ressortissants étrangers.

Par une ordonnance du 27 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 30 avril 2024, à 12 heures.

Par une lettre du 28 novembre 2024, les parties ont été informées de ce que, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, l'arrêt à intervenir est susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office tirés :

- d'une part, de l'irrecevabilité, en raison de leur caractère nouveau en appel, des conclusions tendant à l'annulation, d'une part, de la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a implicitement rejeté la demande présentée par une lettre du 9 mars 2020, d'autre part, des décisions du préfet de l'Hérault, révélées par les mises à jour du site internet de la préfecture, rendant obligatoire l'usage de téléservices dans le cadre de démarches accomplies en dehors du champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, enfin, de la décision par laquelle cette même autorité a implicitement refusé de mettre en place des mesures alternatives aux téléservices en ce qui concerne le dépôt des demandes de titre de séjour ne relevant pas du champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles relevant de cet article en cas d'impossibilité d'accomplir la démarche en ligne (CE 21 mars 2011 Société hôtelière et de bains de Montal et SCI Les Thermes Marins n°s 332281 332453 A) ;

- et d'autre part, de ce que, avant l'entrée en vigueur du décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour, les préfets ne tenaient pas de leur pouvoir d'organisation du service la compétence pour rendre l'emploi de téléservices obligatoire pour le traitement des demandes de titres de séjour et ne tiennent pas aujourd'hui de ces mêmes pouvoirs la compétence pour édicter une telle obligation pour les catégories de titres de séjour ne relevant pas de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CE avis 3 juin 2022 La Cimade et autres n°s 461694, 461695, 461922).

Une réponse à ces moyens d'ordre public, présentée par l'association La Cimade, représentant unique, a été enregistrée le 2 décembre 2024.

Par un supplément d'instruction adressé par une lettre du 28 novembre 2024, les parties ont été invitées à indiquer à la cour quelles seraient les conséquences d'une annulation rétroactive des décisions par lesquelles le préfet de l'Hérault a instauré un téléservice rendant obligatoire la prise de rendez-vous en ligne sur le site internet de la préfecture pour l'accomplissement de certaines démarches en matière de séjour et de circulation des étrangers.

Par des observations, enregistrées le 2 décembre 2024, l'association La Cimade, représentant unique, expose ne pas être favorable au prononcé d'une annulation assortie d'un effet différé dès lors, d'une part, que le préfet de l'Hérault n'a pas pris en compte l'avis et la décision rendus par le Conseil d'état le 3 juin 2022 sous les n° 461694 et autres et n° 452798 et autres et, d'autre part, que de nouvelles décisions instaurant, notamment, des modalités de saisine non dématérialisée de l'administration doivent pouvoir être édictées par cette même autorité à bref délai.

Par des observations, enregistrées le 2 décembre 2024, le préfet de l'Hérault expose, en se référant à ses écritures de première instance, qu'une annulation rétroactive emporterait des conséquences manifestement excessives eu égard au nombre important de demandes de rendez-vous qui ne pourront pas être honorés par ses services et donneront lieu à de nombreux recours devant le juge administratif. Il expose, en outre, qu'un délai estimé entre quatre et six mois serait nécessaire pour déployer un nouveau système de rendez-vous dès lors que le traitement des demandes de titre de séjour ne relevant pas du téléservice prévu à l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile concerne environ 40 % des demandes, notamment les demandes d'admission exceptionnelle au séjour.

II. Par une requête enregistrée le 9 mai 2023, sous le n° 23TL01075, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats, représentée par Me Manya, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement du 7 mars 2023 du tribunal administratif de Montpellier par lequel son intervention volontaire n'a pas été admise ;

2°) d'admettre son intervention volontaire au soutien de la demande présentée par l'association La Cimade, le Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l'Homme et l'association des A... pour la défense des droits des étrangers.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la recevabilité de la requête :

- sa requête n'est pas tardive.

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

- il est insuffisamment motivé en ce qu'il refuse d'admettre son intervention volontaire alors que l'irrecevabilité de la demande principale ne rendait pas nécessairement irrecevable son intervention ;

- le tribunal ne s'est pas prononcé sur la réalité de son intérêt à agir.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :

- c'est à tort que le tribunal n'a pas admis son intervention volontaire alors que la demande dont il était saisi au principal n'était pas tardive en l'absence d'accusé de réception de nature à rendre opposables les délais et voies de recours ;

- les associations appelantes ont démontré l'existence de décisions faisant grief en produisant, d'une part, des captures d'écran du site internet de la sous-préfecture de Béziers de nature à établir l'existence de décisions révélées et, d'autre part, la preuve d'envoi d'une lettre du 9 mars 2020, le silence gardé par le préfet de l'Hérault sur cette demande ayant donné naissance à une décision implicite de rejet ;

- elle justifie d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien de la demande dont le tribunal était saisi eu égard à la nature et à l'objet du litige, à son objet social, à la portée des décisions contestées ainsi qu'à l'intérêt collectif qu'elle défend lequel ne se limite pas à l'intérêt de ses adhérents ;

- son intérêt à intervenir a déjà été admis dans le cadre d'une instance similaire par le tribunal administratif de Strasbourg.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2024, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'intervention volontaire de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats est irrecevable en raison de l'irrecevabilité pour tardiveté de la demande dont était saisi le tribunal au principal ;

- eu égard à son champ d'intervention national, à son objet social et à sa nature juridique de syndicat professionnel et compte tenu de la nature et de l'objet du litige, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats ne justifie pas d'un intérêt suffisant à intervenir, les décisions en litige ne portant pas d'atteinte à l'exercice de la profession d'avocat.

Par une ordonnance du 26 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 26 mars 2024, à 12 heures.

Vu les autres pièces de ces deux dossiers.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 ;

- le décret n° 2015-1423 du 5 novembre 2015 ;

- le décret n° 2016-685 du 27 mai 2016 ;

- le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre ;

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique ;

- les observations de Me Amari de Beaufort, substituant Me Coupard, représentant l'association La Cimade, le Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l'Homme et l'association des A... pour la défense des droits des étrangers.

Considérant ce qui suit :

1. Après avoir constaté le déploiement, sur le site internet de la préfecture de l'Hérault, d'un module de prise de rendez-vous en ligne pour les étrangers souhaitant effectuer certaines démarches en matière de séjour et de circulation sur le territoire français, l'association La Cimade, le Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l'Homme et l'association des A... pour la défense des droits des étrangers ont, par une lettre du 9 mars 2020, saisi le préfet de l'Hérault d'une demande tendant, d'une part, à la communication de la décision rendant obligatoire pour les étrangers la prise de rendez-vous en ligne sur le site internet de la préfecture en vue de l'accomplissement de certaines démarches et, d'autre part, à la mise en place de modalités alternatives à ce téléservice pour permettre aux étrangers de déposer une demande de délivrance, de renouvellement, de modification ou de duplicata de titre de séjour ainsi qu'une demande de document de circulation pour étranger mineur. Le silence gardé sur cette demande par le préfet de l'Hérault a fait naître une décision implicite de rejet.

2. L'association La Cimade, le Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l'Homme et l'association des A... pour la défense des droits des étrangers ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler, d'une part, la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a rendu obligatoire l'usage du téléservice précité, d'autre part, la décision par laquelle cette même autorité a rendu obligatoire le dépôt par voie dématérialisée des demandes d'admission exceptionnelle au séjour auprès de la sous- préfecture de Béziers ainsi que le dépôt des demandes de document de circulation pour étranger mineur.

3. Par une requête enregistrée sous le n° 23TL01032, ces associations et syndicat relèvent appel du jugement du 7 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande pour tardiveté. Par une requête, enregistrée sous le n° 23TL01075, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas admis son intervention volontaire.

Sur la jonction :

4. Les requêtes n° 23TL01032 et n° 23TL01075 sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger des mêmes questions. Il y a lieu, dès lors, de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la requête n° 23TL01032 :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

5. Aux termes de l'article L. 221-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'entrée en vigueur d'un acte réglementaire est subordonnée à l'accomplissement de formalités adéquates de publicité, notamment par la voie, selon les cas, d'une publication (...) / Un acte réglementaire entre en vigueur le lendemain du jour de l'accomplissement des formalités prévues au premier alinéa, sauf à ce qu'il en soit disposé autrement par la loi, par l'acte réglementaire lui-même ou par un autre règlement (...) ". Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ".

6. Les décisions par lesquelles le préfet de l'Hérault a, en février et mars 2020, rendu obligatoire, pour les étrangers, l'utilisation d'un téléservice pour obtenir un rendez-vous en préfecture en vue de déposer une demande de titre de séjour ou d'accomplir toute autre démarche en matière de séjour et de circulation des étrangers ont le caractère d'actes réglementaires dès lors qu'elles ont trait à l'organisation du service. Ces actes réglementaires, dont le contenu a seulement été révélé par les différentes captures d'écran produites par les appelantes, n'ont fait l'objet d'aucune publication, notamment au moyen d'un arrêté publié au recueil des actes administratifs de l'État, de sorte que le délai de recours de deux mois, institué par les dispositions précitées de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, n'était, en l'espèce, pas opposable contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Montpellier. Par ailleurs, s'il est constant que, par une lettre du 9 mars 2020, les associations et syndicat appelants ont saisi le préfet de l'Hérault d'une demande tendant, d'une part, à la communication des décisions par lesquelles il a rendu obligatoire l'usage de ce téléservice et, d'autre part, à l'édiction d'un acte réglementaire pour mettre en place des solutions de substitution pour afin de permettre aux étrangers se trouvant dans l'impossibilité d'utiliser le téléservice d'accéder aux guichets de la préfecture, cette lettre, ainsi que cela ressort de son contenu, ne constituait pas un recours gracieux dirigé contre les décisions révélées, de nature réglementaire, imposant une prise de rendez-vous en ligne. En conséquence, la lettre du 9 mars 2020 n'a pas eu pour effet de proroger le délai de recours contentieux de deux mois à compter de la décision rejetant implicitement les demandes qu'elle contenait. En outre, si l'envoi de cette lettre est de nature à révéler que les associations et syndicats appelants ont pu, à cette date, avoir connaissance de ce que le préfet de l'Hérault avait prescrit l'usage d'un téléservice pour la prise de rendez-vous en ligne en vue d'accomplir certaines démarches en matière de séjour et de circulation des étrangers, cette circonstance n'est pas davantage de nature à suppléer à l'absence de publication de ces actes réglementaires, la connaissance acquise ne trouvant pas à s'appliquer à l'égard de tels actes lorsqu'ils n'ont pas fait l'objet d'une publication. Le délai de recours contentieux n'ayant, dès lors, faute de publication des décisions en litige, pas commencé à courir, les conclusions par lesquelles les associations appelantes ont, en mars 2021, demandé au tribunal d'annuler les décisions du préfet de l'Hérault rendant obligatoire l'utilisation d'un téléservice en vue d'accomplir des démarches relatives au séjour ou à la circulation des étrangers n'étaient pas tardives, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Montpellier en accueillant la fin de non-recevoir opposée en défense.

7. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de régularité soulevés, les associations et syndicat appelants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande comme irrecevable en raison de sa tardiveté. Par suite, l'article 2 du jugement attaqué, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées en première instance, doit être annulé.

8. Il y a lieu, dans cette mesure, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la Cimade, le Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l'Homme et l'association des A... pour la défense des droits des étrangers. Il y a également lieu pour la cour, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur l'intervention formée par la Fédération nationale des unions de jeunes avocats devant le tribunal administratif de Montpellier.

En ce qui concerne la recevabilité de la demande en tant qu'elle émane du Syndicat des avocats de France :

9. L'intérêt pour agir d'un requérant s'apprécie au regard des conclusions qu'il présente et non des moyens invoqués à leur soutien. Les décisions par lesquelles le préfet de l'Hérault a mis en œuvre un téléservice destiné à la prise de rendez-vous en ligne en vue de l'accomplissement de démarches en matière de séjour et de circulation par les étrangers ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à affecter les conditions d'emploi et de travail des avocats dont le Syndicat des avocats de France défend les intérêts collectifs, et ne portent par elles-mêmes aucune atteinte à leurs droits et prérogatives. Dès lors, ainsi que l'oppose en défense le préfet de l'Hérault, la requête est irrecevable en tant qu'elle émane du Syndicat des avocats de France et doit, par suite, être rejetée dans cette mesure.

En ce qui concerne la recevabilité de la demande des autres associations :

10. Si, en principe, le fait qu'une décision administrative ait un champ d'application territorial fait obstacle à ce qu'une association ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales. Eu égard à l'objet social qu'elles poursuivent et dès lors que les décisions réglementaires en litige sont de nature à affecter de façon spécifique la situation des usagers de nationalité étrangère présents en France souhaitant accéder aux services publics et soulèvent, dans la mesure notamment où elles correspondent à une situation susceptible d'être rencontrée dans d'autres préfectures, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales, la Cimade, Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, la Ligue des droits de l'Homme et l'Association des avocats pour la défense des droits des étrangers justifient d'un intérêt suffisant leur donnant qualité pour agir contre les décisions en litige. Par suite, la fin de non-recevoir opposée sur ce point par le préfet de l'Hérault doit être écartée.

En ce qui concerne l'intervention de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats :

11. Est recevable à former une intervention, devant le juge du fond, toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige.

12. La Fédération nationale des unions de jeunes avocats ne justifie pas d'un intérêt suffisant la rendant recevable à intervenir à l'appui d'une requête tendant à l'annulation des décisions en litige, lesquelles affectent les relations entre la préfecture de l'Hérault et ses usagers mais pas, par elles-mêmes, les conditions d'emploi et de travail des avocats et ne portent pas d'atteinte à leurs prérogatives. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Montpellier a, à l'article 1er de son jugement, refusé d'admettre son intervention.

En ce qui concerne l'irrecevabilité partielle de la requête en tant qu'elle comporte des conclusions nouvelles en appel :

13. Lorsque des conclusions nouvelles présentées pour la première fois en cause d'appel sont de ce fait irrecevables, il appartient au juge d'appel de leur opposer cette irrecevabilité sauf à ce qu'il les rejette pour un autre motif. Il en va ainsi alors même que le juge d'appel serait appelé à statuer sur le litige qui lui est soumis par la voie de l'évocation après avoir annulé pour irrégularité le jugement de première instance.

14. Les conclusions tendant à l'annulation, premièrement, de la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a implicitement rejeté la demande présentée par une lettre du 9 mars 2020, tendant, d'une part, à la communication de la décision rendant obligatoire l'utilisation d'un téléservice pour prendre un rendez-vous sur le site internet de la préfecture en vue de réaliser des démarches en matière de dépôt et de renouvellement de titres de séjour et pour déposer de manière dématérialisée les demandes de document de circulation pour étrangers mineurs et, d'autre part, à la mise en place de modalités alternatives à ce téléservice, deuxièmement, des décisions du préfet de l'Hérault, révélées par les captures d'écran du site internet de la préfecture, rendant obligatoire l'usage de téléservices dans le cadre de démarches accomplies en dehors du champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, enfin, troisièmement, de la décision par laquelle cette même autorité a implicitement refusé de mettre en place des mesures alternatives aux téléservices en ce qui concerne le dépôt des demandes de titre de séjour ne relevant pas du champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles relevant de cet article en cas d'impossibilité d'accomplir la démarche en ligne, n'ont pas été soumises aux premiers juges. Ces conclusions ont le caractère de conclusions nouvelles en cause d'appel, ce qui les rend, par suite, irrecevables. Dès lors, la requête des associations appelantes doit être rejetée comme irrecevable dans cette seule mesure.

En ce qui concerne la légalité des décisions du préfet de l'Hérault rendant obligatoire l'usage d'un téléservice pour l'obtention d'un rendez-vous en vue d'accomplir des démarches en matière de séjour et de circulation des étrangers :

S'agissant du cadre juridique applicable au litige :

15. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur jusqu'au 30 avril 2021 : " Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour en application de l'article L. 311-3, est tenu de se présenter, à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient. / Toutefois, le préfet peut prescrire que les demandes de titre de séjour soient déposées au commissariat de police ou, à défaut de commissariat, à la mairie de la résidence du requérant. / Le préfet peut également prescrire : / 1° Que les demandes de titre de séjour appartenant aux catégories qu'il détermine soient adressées par voie postale ; / 2° Que les demandes de cartes de séjour prévues aux articles L. 313-7 et L. 313-27 soient déposées auprès des établissements d'enseignement ayant souscrit à cet effet une convention avec l'État. (...) ".

16. Le décret du 24 mars 2021, relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour, a modifié notamment les dispositions réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la délivrance des titres de séjour. Son article R. 431-2, dans sa rédaction issue de ce décret, en vigueur au 1er mai 2021, prévoit désormais que, pour les catégories de titres de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l'immigration, les demandes s'effectuent au moyen d'un téléservice à compter de la date fixée par le même arrêté. En revanche, en vertu de l'article R. 431-3 du même code, également issu du décret du 24 mars 2021, la demande de titre de séjour, lorsqu'elle ne relève pas de l'obligation de recourir au téléservice prévue à l'article R. 431-2, demeure soumise à l'obligation de présentation personnelle de l'étranger.

17. Les dispositions de l'ancien article R. 311-1 ne faisaient pas obstacle, et celles de l'article R. 431-3 ne font pas davantage obstacle aujourd'hui, à ce que le préfet permette aux étrangers concernés de demander un rendez-vous en préfecture par voie électronique. En revanche, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, le préfet, s'il pouvait autoriser le dépôt de pièces par la voie électronique, ne pouvait déroger à l'obligation de présentation personnelle de l'étranger dans un des services énumérés à l'article R. 311-1 pour effectuer sa demande. De même, à compter de l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, et pour les demandes qui ne relèvent pas du téléservice créé par l'article R. 431-2, il peut autoriser le dépôt de pièces par la voie électronique, mais sans déroger à l'obligation de présentation personnelle de l'étranger dans un des services mentionnés à l'article R. 431-3 pour effectuer sa demande.

S'agissant de la légalité des décisions par lesquelles le préfet de l'Hérault a institué, sans y être habilité par un texte législatif ou réglementaire, un téléservice rendant obligatoire la prise de rendez-vous sur le site internet de la préfecture :

18. Il appartient aux préfets, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité. Ils peuvent ainsi prendre des dispositions relatives au dépôt des demandes qui leur sont adressées, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service, dans le respect des règles ou principes supérieurs et dans la mesure où de telles règles n'y ont pas pourvu. Il en résulte que, sauf dispositions spéciales, les préfets peuvent créer des téléservices pour l'accomplissement de tout ou partie des démarches administratives des usagers.

19. Ils pouvaient ainsi, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour, mettre à la disposition des étrangers des téléservices leur permettant de déposer des pièces, à condition de respecter l'exigence de présentation personnelle. Cette possibilité est maintenue, depuis l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, pour les demandes de titres de séjour qui ne relèvent pas du téléservice prévu par l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En revanche, les obligations qui s'imposent aux étrangers quant aux modes de présentation de leurs demandes étaient fixées par les dispositions alors en vigueur de l'article R. 311-1 du même code, et sont aujourd'hui fixées par celles de ses articles R. 431-2 et R. 431-3. En particulier, l'obligation d'avoir recours à un téléservice résulte de l'article R. 431-2, et s'applique aux seules demandes entrant dans son champ d'application fixées par la voie d'arrêtés ministériels listés en annexe 9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021 précité, les préfets ne tenaient pas de leur pouvoir d'organisation du service la compétence pour rendre l'emploi de téléservices obligatoire pour le traitement des demandes de titres de séjour et ne tiennent pas aujourd'hui de ces mêmes pouvoirs la compétence pour édicter une telle obligation pour les catégories de titres de séjour ne relevant pas désormais de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

20. Il s'évince de ce qui précède que le préfet de l'Hérault n'était pas compétent pour créer, comme il l'a fait à compter du début de l'année 2020, un téléservice rendant obligatoire la prise de rendez-vous pour l'accomplissement de démarches en matière de séjour et de circulation des étrangers, ce qui rend les décisions en litige illégales.

21. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés tant en première instance qu'en appel, que la Cimade, le Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, la Ligue des droits de l'homme et l'Association des avocats pour la défense des droits des étrangers sont fondés à demander l'annulation des décisions, révélées au début de l'année 2020, par lesquelles le préfet de l'Hérault a créé un téléservice rendant obligatoire la prise de rendez-vous pour l'accomplissement de démarches en matière de séjour et de circulation des étrangers doivent être annulées.

Sur les effets de l'annulation prononcée :

22. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

23. En premier lieu, il est constant que postérieurement à l'édiction des décisions en litige, le cadre juridique applicable aux modes de présentation des demandes de titres de séjour a évolué. En particulier, les obligations qui s'imposent aux étrangers, qui étaient fixées par les dispositions de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile instaurant un principe de présentation personnelle de l'étranger et, par voie d'exception, la possibilité de déposer une demande de titre de séjour par voie postale, sont aujourd'hui fixées par les articles R. 431-2 et R. 431-3 du même code dans leur rédaction issue du décret du 24 mars 2021 précité, en vigueur depuis le 1er mai 2021. En particulier, l'obligation d'avoir recours à un téléservice unique intitulé " Administration numérique des étrangers en France " dédié au dépôt des demandes de titre de séjour entrant dans certaines catégories, et non plus seulement la prise d'un rendez-vous, résulte de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et s'applique aux demandes entrant dans son champ d'application qui sont fixées par voie d'arrêté figurant en annexe 9 du même code.

24. Il s'évince de ce qui précède que le caractère obligatoire de la prise de rendez-vous instituée par le téléservice en litige localement mis en place par le préfet de l'Hérault a nécessairement pris fin, compte tenu de l'abrogation résultant du décret du 24 mars 2021 précité, pour les catégories de titre de séjour et démarches en matière de séjour et de circulation des étrangers prévues par les arrêtés pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et figurant en annexe 9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et dont l'accomplissement relève, depuis le 1er mai 2021, du téléservice " Administration numérique des étrangers en France ". En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les étrangers souhaitant accomplir une démarche entrant dans le champ de ce nouveau téléservice, et auparavant concernés par le module de prise de rendez-vous en litige, n'auraient pas été en mesure d'accomplir les démarches auprès du nouveau téléservice mis à leur disposition en application de l'article R. 431-2 et de son arrêté d'application.

25. Eu égard aux conséquences manifestement excessives qui résulteraient de l'annulation rétroactive des décisions en litige, laquelle remettrait en cause toutes les décisions par lesquelles le préfet de l'Hérault a accordé ou refusé d'accorder un rendez-vous et instruit des demandes entrant dans le champ de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi qu'à l'intérêt général s'attachant au maintien de ces décisions, il y a lieu, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision, de déroger au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses. Par suite, il y a lieu de regarder comme définitifs les effets produits par les décisions en litige, rendant obligatoire la prise de rendez-vous en ligne pour les catégories de titres de séjour prévues à l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, jusqu'au 1er mai 2021, date à compter de laquelle elles doivent être regardées comme ayant été abrogées par l'effet de l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour modifiant l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions aux fins d'injonction présentées par les appelantes tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de mettre en place des modalités de substitution au recours au téléservice pour les demandes visées à l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

26. En second lieu, ainsi qu'il a été dit précédemment, le préfet de l'Hérault ne tenait d'aucune disposition réglementaire le droit d'instaurer, antérieurement ou postérieurement au 1er mai 2021, un téléservice pour rendre obligatoire la prise de rendez-vous préalablement au dépôt des demandes de titre de séjour relevant, à ce jour, de l'article R. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le pouvoir réglementaire n'a pas entendu soumettre à un téléservice. Toutefois, eu égard à l'intérêt qui s'attache tant à la préservation des rendez-vous à venir déjà délivrés aux usagers concernés qu'au maintien temporaire d'un téléservice, même non obligatoire, permettant aux étrangers concernés de prendre rendez-vous en ligne pour accomplir les démarches relevant désormais de l'article R. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à laquelle une annulation rétroactive des décisions en litige porterait une atteinte manifestement excessive en l'absence de dispositif alternatif existant dans l'immédiat, il y a lieu, pour permettre à l'autorité administrative de prendre les dispositions nécessaires à l'accomplissement des démarches relevant de l'article R. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de n'en prononcer l'annulation totale - sous réserve des droits des personnes qui ont engagé une action contentieuse à la date de la présente décision - qu'à compter du 1er mai 2025. Par suite, il y a lieu de différer l'annulation contentieuse prononcée, en tant qu'elle porte sur les démarches relevant désormais de l'article R. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à compter du 1er mai 2025. Dans l'attente, il y a lieu de prescrire au préfet de l'Hérault d'édicter de nouvelles modalités de dépôt pour les demandes de titre de séjour, qui relèvent de l'article R. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, permettant d'assurer le principe de présentation personnelle de l'étranger en préfecture ou, le cas échéant, de prescrire leur dépôt par voie postale, seules modalités possibles, en l'état du droit en vigueur à la date du présent arrêt, pour l'accomplissement des démarches que le pouvoir réglementaire n'a pas entendu soumettre au téléservice institué à l'article R. 431-2 du même code. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

En ce qui concerne les frais liés au litige :

27. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 500 euros à verser à chacun au titre des frais exposés par la Cimade, le Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, la Ligue des droits de l'Homme et l'association des A... pour la défense des droits des étrangers et non compris dans les dépens.

Sur la requête n° 23TL01075 :

28. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats ne dispose pas d'un intérêt suffisant à intervenir. Par suite, les conclusions d'appel de cette dernière tendant à l'annulation de l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Montpellier, refusant d'admettre son intervention, ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE:

Article 1 : La requête n° 23TL01075 présentée par la Fédération nationale des unions de jeunes avocats est rejetée.

Article 2 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 2101588 du 7 mars 2023 est annulé.

Article 3 : Les décisions par lesquelles le préfet de l'Hérault a rendu obligatoire l'usage d'un téléservice pour l'obtention d'un rendez-vous en préfecture en vue de réaliser des démarches en matière de séjour et de circulation des étrangers, désormais mentionnées à l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sont annulées. Toutefois, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement, les effets de ces décisions doivent être réputés définitifs.

Article 4 : Les décisions par lesquelles le préfet de l'Hérault a rendu obligatoire l'usage d'un téléservice pour l'obtention d'un rendez-vous en préfecture en vue de réaliser des démarches en matière de séjour et de circulation des étrangers, désormais mentionnées à l'article R. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sont annulées. Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement, cette annulation prendra effet à compter du 1er mai 2025.

Article 5 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault d'instaurer les obligations énoncées par les motifs mentionnés au point 26 du présent arrêt avant le 1er mai 2025.

Article 6 : L'État versera à la Cimade, au Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, à la Ligue des droits de l'Homme, à l'association des A... pour la défense des droits des étrangers une somme de 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la Cimade, au Groupe d'information et de soutien aux immigré.e.s, au Syndicat des avocats de France, à la Ligue des droits de l'Homme, à l'association des A... pour la défense des droits des étrangers, à la Fédération nationale des unions de jeunes avocats et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée pour information au préfet de l'Hérault.

Délibéré prolongé après l'audience du 3 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 décembre 2024.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°s 23TL01032 - 23TL01075


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