Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de la décision du 26 août 2021 par laquelle l'inspecteur du travail a retiré la décision implicite de rejet née du silence gardé pendant deux mois sur la demande d'autorisation de licenciement présentée par son employeur, l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente, et a autorisé son licenciement pour faute.
Par un jugement n° 2105665 du 28 mars 2023, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 26 août 2021.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 mai 2023, et un mémoire non communiqué du 15 novembre 2024, l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente représentée par Me Sillères et Me Rosier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. D... ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de M.D... une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'association soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :
- le jugement est entaché d'irrégularité, dès lors que les premiers juges ont visé et ont tenu compte d'un mémoire produit par M. D... le 2 mai 2022, sans que ce mémoire ne lui ait été communiqué ; le principe du contradictoire a donc été méconnu.
L'association soutient, en ce qui concerne les moyens d'annulation retenus par les premiers juges, que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 26 août 2021 aux motifs de l'insuffisance de motivation du retrait de la décision implicite de rejet de la demande d'autorisation de licenciement et de l'absence de respect d'une procédure contradictoire préalablement à ce retrait ; compte tenu de l'illégalité de la décision implicite de rejet de la demande d'autorisation de licenciement, le directeur régional du travail était tenu de la retirer ; les moyens invoqués à l'encontre de cette décision de retrait étaient donc inopérants ;
- la motivation du retrait de la décision implicite de rejet découle de la motivation de la décision du 26 août 2021 en tant que celle-ci autorise le licenciement de M. D... en précisant la nature des faits reprochés à ce dernier et leur gravité ;
- cette décision n'avait pas à être précédée d'une procédure contradictoire, compte tenu de la situation d'urgence, laquelle résultait des risques que le retour du salarié sur son lieu de travail entraînait pour la salariée qui avait dénoncé ses agissements et pour les salariés qui avaient témoigné contre lui au cours de l'enquête de l'inspecteur du travail ;
- par ailleurs, M. D... n'a pas été privé d'une garantie et l'absence de procédure contradictoire n'a pas eu d'incidence sur le sens de la décision ; en effet , M. D... a été mis à même de discuter des griefs retenus à son encontre par l'inspecteur du travail dans le cadre de la procédure contradictoire, et de prendre connaissance notamment de l'ensemble des auditions réalisées auprès des salariés, et des pièces initiales et complémentaires déposées par l'association et il a présenté des observations écrites les 7 juillet et 10 août 2021 dans le cadre de cette enquête contradictoire, alors qu'il avait été également été mis à même de discuter des griefs nourris à son encontre lors de l'enquête interne mise en œuvre par l'association.
L'association soutient, en ce qui concerne les autres moyens soulevés en première instance par M. D..., que :
- l'incompétence territoriale de l'inspecteur du travail n'est pas établie, dès lors que l'inspecteur du travail compétent pour procéder à l'enquête contradictoire est celui qui est compétent pour statuer sur la demande ; M. B..., inspecteur du travail saisi de la demande d'autorisation de licenciement, et qui a procédé à l'enquête contradictoire, était donc bien compétent pour ce faire ; et en tout état de cause, à la date de la décision du 26 août 2021, M. D... était toujours affecté dans le même établissement ;
- le moyen tiré de l'absence de délai suffisant imparti à M. D... pour présenter ses observations dans le cadre de l'enquête contradictoire doit être écarté dès lors que le courrier de convocation à l'entretien lui a été adressé à l'adresse de sa mère, qu'il avait lui-même indiquée à son employeur ; il a bénéficié d'un délai suffisant, a pu préparer son audition et présenter des observations après avoir été destinataire des documents présentés par son employeur et notamment des comptes-rendus de 22 des 24 auditions auxquelles a procédé l'inspecteur du travail, à l'exception de sa propre audition, et de celle de Mme A... ; il ainsi pu présenter à deux reprises ses observations, les 7 juillet et 10 août 2021 ;
- pour ce qui est des prétendus griefs qui n'auraient pas été abordés lors de l'entretien préalable, la lettre de convocation à cet entretien mentionne expressément les motifs de son licenciement envisagé, tenant au harcèlement sexuel et au harcèlement moral dont il s'est rendu l'auteur ;
- M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas bénéficié d'un délai de cinq jours ouvrables pour préparer l'entretien préalable ; en effet, cette convocation a été adressée, alors qu'il était en télétravail, au domicile de sa mère, domicile dont il avait indiqué qu'il constituait son adresse ; l'huissier de justice a par ailleurs procédé à la signification de cette convocation sur ce lieu de résidence mais également à l'autre adresse de M. D... ;
- les faits de harcèlement sexuel sur la personne de l'une des salariées, Mme A..., sont établis, compte tenu notamment du courrier de plainte très circonstanciée de cette salariée, à laquelle est joint un certificat médical faisant état de la dégradation de son état de santé, de la copie des courriels qu'elle a produits, et de son dépôt d'une main-courante, démontrant les agissements de M. D... ; ces faits, qui ont été confirmés par les auditions d'autres salariés recueillis au cours de l'enquête de l'inspecteur du travail, sont constitutifs de harcèlement sexuel, au regard des dispositions des 1° et 2° de l'article L 1153-1 1 du code du travail, et de fautes de la part de M. D... de nature à entraîner son licenciement ;
- M. D... s'est par ailleurs rendu l'auteur de harcèlement moral, au sens de l'article L 1152-1 du code du travail, à l'encontre de la même salariée, Mme A..., victime de harcèlement sexuel, mais également à l'encontre d'autres salariées ; Mme A... a subi un harcèlement moral à l'origine d'un état dépressif avec choc traumatique ; elle a déposé une plainte auprès de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de l'Hérault qui a interdit à M. D... d'exercer la profession pendant une durée de trois ans.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 février 2024, M. D... représenté par la société civile professionnelle d'avocats Lemoine Clabeaut, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente ;
2°) de mettre à la charge de l'association la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens invoqués par l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 28 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 novembre 2024.
La ministre du travail et de l'emploi a présenté un mémoire le 28 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bentolila, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique
- et les observations de Me Becquevort substituant Me Sillères et Me Rosier pour l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente, et celles de Me Lemoine pour M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... a été recruté, à compter du 2 septembre 2012, par l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente, organisme gestionnaire de l'institut de formation des masseurs-kinésithérapeutes, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, puis d'un contrat à durée indéterminée, pour exercer successivement les fonctions de directeur des stages, de directeur pédagogique et, à compter du 1er janvier 2015, celles de directeur de l'institut. M. D... était détenteur du mandat de conseiller du salarié lorsque, le 19 juin 2021, l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente a présenté à l'inspection du travail une demande d'autorisation de le licencier pour faute. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Puis, par une décision du 26 août 2021, l'inspecteur du travail de la section 8 de l'unité de contrôle n° 3 du département de l'Hérault a, d'une part, retiré la décision implicite de rejet née du silence gardé pendant deux mois sur la demande de licenciement présentée par l'employeur et a, d'autre part, autorisé le licenciement pour faute de M. D....
2. L'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente relève appel du jugement n° 2105665 du 28 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a, à la demande de M. D..., annulé la décision du 26 août 2021.
Sur le bien-fondé des moyens d'annulation retenu par le tribunal :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail applicable aux demandes de licenciement d'un salarié protégé : " (...) L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de deux mois. Ce délai court à compter de la réception de la demande d'autorisation de licenciement. Le silence gardé pendant plus de deux mois vaut décision de rejet. ". Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 211-2 du même code : " Les personnes physiques (...) ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (...) ".
4. En rejetant implicitement la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente, l'inspecteur du travail a, dans un premier temps, pris une décision ayant créé des droits au profit de M. D... qui était concerné par cette demande. Par suite, la décision en litige du 26 août 2021, par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé ce licenciement, a procédé au retrait de cette décision créatrice de droits et devait être précédée d'une procédure contradictoire et soumise à l'obligation de motivation en application des dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration. Les premiers juges ont ainsi annulé la décision du 26 août 2021 aux motifs qu'elle n'avait pas été précédée d'une procédure contradictoire et n'était pas motivée en tant qu'elle procédait spécifiquement au retrait de la décision créatrice de droits née antérieurement.
5. D'une part, il ressort des pièces du dossier que par courrier du 25 juin 2021, envoyé à l'adresse communiquée par M. D..., l'inspecteur du travail a convoqué ce dernier pour être entendu le 8 juillet 2021 sur les faits qui lui étaient reprochés. Il ressort des mêmes pièces que M. D... a été destinataire, en cette occasion, d'une copie de la demande d'autorisation de licenciement présentée par son employeur, laquelle détaillait les faits en cause, et de la liste des documents joints à cette demande et tenus à sa disposition. Par un nouveau courrier du 26 juillet 2021, l'inspecteur du travail a adressé à M. D... les comptes-rendus d'audition des salariés, au nombre de vingt-deux, qui ont eu lieu au cours de l'enquête contradictoire ainsi que des pièces complémentaires déposées par son employeur. Il ressort des pièces du dossier que M. D..., après avoir été entendu par l'inspecteur du travail, a présenté des observations écrites à deux reprises, les 7 juillet et 10 août 2021. Ce faisant, M. D... a été destinataire de l'ensemble des éléments, et été mis à même de présenter utilement des observations, qui ont conduit l'inspecteur du travail à, simultanément, retirer sa décision implicite de rejet de la demande d'autorisation de licenciement née antérieurement et à autoriser explicitement ce licenciement. Dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges ont annulé la décision du 26 août 2021 au motif qu'elle n'avait pas été précédée d'une procédure contradictoire en tant spécifiquement qu'elle retirait une décision créatrice de droits.
6. D'autre part, la décision attaquée du 26 août 2021 est suffisamment motivée en droit dès lors qu'elle vise les dispositions des articles L. 2411-1, L. 2411-21, L. 2421-1 à L. 2421-10 et les articles R. 2421-1 à R. 2421-15 du code du travail. Elle est également suffisamment motivée au regard des éléments de fait dès lors qu'elle mentionne, sur dix-sept pages, de façon très détaillée, les comportements de M. D... au titre du harcèlement sexuel et du harcèlement moral qui lui sont reprochés l'encontre de Mme A.... Contrairement à ce que fait valoir M. D..., cette décision n'avait pas à motiver spécifiquement le retrait de la décision implicite de rejet de la demande d'autorisation de licenciement dès lors que les motifs de ce retrait et ceux de l'autorisation de licenciement se confondent nécessairement.
7. Il résulte de ce qui est dit aux points 5 et 6 que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du ministre du travail autorisant le licenciement de M. D... aux motifs de l'insuffisance de motivation de la décision du 26 août 2021, portant retrait de la décision implicite de rejet née du silence gardé pendant deux mois sur la demande de licenciement présentée le 19 juin 2021 par l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente, et de l'absence de mise en œuvre par l'inspecteur du travail, lors du retrait de cette décision, d'une procédure contradictoire.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... tant devant le tribunal administratif que devant la cour.
Sur les autres moyens soulevés à l'encontre de la décision attaquée :
En ce qui concerne la légalité externe :
9. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-1 du code du travail : " La demande d'autorisation de licenciement d'un (...) conseiller du salarié est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans les conditions définies à l'article L. 2421-3 ". Aux termes de cet article L. 2421-3 du même code : " (...) La demande d'autorisation de licenciement est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans lequel le salarié est employé. Si la demande d'autorisation de licenciement repose sur un motif personnel, l'établissement s'entend comme le lieu de travail principal du salarié (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier que le changement du siège de l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente a eu lieu le 30 septembre 2021, ainsi que l'établit notamment un courriel adressé le 20 septembre 2021 par cette association à la préfecture de l'Hérault. M. D... ne peut utilement se prévaloir du constat d'huissier du 3 septembre 2021, indiquant qu'il s'est présenté sur le lieu du nouveau siège de l'association où il a été accueilli par son secrétaire général et son directeur administratif et financier, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cette association y avait déjà une activité à cette date et qu'en outre, et surtout, les constatations faites dans le constat sont postérieures à la décision attaquée. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'à la date du 26 août 2021 de la décision attaquée, son lieu d'affectation aurait changé et que, dès lors, seul l'inspecteur du travail chargé du secteur dont relevait le nouveau lieu d'implantation de l'association aurait été compétent pour se prononcer sur la demande de licenciement le concernant.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2421-4 du code du travail, applicable aux salariés investis du mandat de conseiller du salarié : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire ... ".
12. Tout d'abord, M. D... fait valoir qu'il aurait disposé d'un délai insuffisant pour préparer son audition dans le cadre de l'enquête contradictoire dès lors que la convocation pour l'entretien avec l'inspecteur du travail du 8 juillet 2021 aurait été notifiée à l'adresse de sa mère, laquelle n'a retiré le courrier que le 5 juillet 2021. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, comme l'a fait valoir le directeur régional du travail dans son mémoire en défense du 22 février 2022 de première instance, la convocation à l'entretien préalable a été adressée par lettre recommandée avec accusé de réception dès le 25 juin 2021 à l'adresse communiquée par M. D... lui-même à l'administration du travail. Dans ces conditions, le moyen invoqué, tiré de l'insuffisance du délai qui lui aurait été laissé pour préparer son audition lors de l'enquête contradictoire, doit être écarté alors que M. D... a, à deux reprises, présenté des observations détaillées à l'inspecteur du travail les 7 juillet et 10 août 2021.
13. Par ailleurs, le caractère contradictoire de l'enquête impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. Lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, cette circonstance n'étant pas en l'espèce invoquée par l'administration, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.
14. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 26 juillet 2021, l'inspecteur du travail a communiqué à M. D... le compte-rendu de vingt-deux auditions de salariés effectuées au cours de son enquête contradictoire. Ces comptes-rendus relataient de manière très détaillée et concordante les faits reprochés à M. D..., à savoir des comportements susceptibles d'être qualifiés de harcèlement moral et sexuel à l'encontre de Mme A..., salariée dont le courrier de dénonciation adressée à son employeur le 5 mai 2021 a été à l'origine de la procédure de licenciement, mais aussi d'autres employées de l'association. Dans les circonstances propres au cas d'espèce, le fait que M. D... n'aurait pas été destinataire du compte-rendu de l'audition de Mme A... n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie, compte tenu des éléments dont ce dernier a disposé dans le cadre contradictoire mené par l'inspecteur du travail, ainsi qu'au demeurant pendant l'enquête interne menée par l'association avant la saisine de l'administration du travail. Le moyen tiré de l'irrégularité de l'enquête contradictoire menée par l'inspecteur du travail doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
15. En premier lieu, si M. D... fait valoir que certains griefs qui fondent la décision d'autorisation de licenciement n'auraient pas été abordés lors de l'entretien préalable avec son employeur, la lettre que celui-ci lui a adressée le 9 juin 2021, de convocation à l'entretien préalable, mentionnait expressément les motifs de son licenciement envisagé, tenant aux faits d'agression sexuelle, de harcèlement sexuel et de harcèlement moral dont il se serait rendu l'auteur et sur lesquels il s'est ensuite expliqué au cours de cet entretien. Par suite, le moyen soulevé manque en fait.
16. En deuxième lieu, si M. D... se prévaut de l'irrégularité des conditions dans lesquelles sa mise à pied lui a été signifiée par son employeur, cette irrégularité n'est, en tout état de cause, susceptible d'avoir des incidences que sur la mise à pied elle-même et ne peut être utilement invoquée à l'appui de la contestation de la légalité de l'autorisation de licenciement en litige.
17. En troisième lieu, et en vertu des dispositions de l'article L. 2411-3 du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives, bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, et ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution du mandat dont il est investi.
18. La décision portant autorisation de licenciement pour faute de M. D... a été prise aux motifs que les griefs de harcèlement sexuel et de harcèlement moral reprochés à ce dernier, à l'encontre de Mme A..., étaient établis et constituaient des fautes d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
19. Tout d'abord, contrairement à ce que fait valoir M. D..., la décision portant autorisation de licenciement mentionne de manière détaillée les dates et la nature des faits que l'inspecteur du travail a retenus comme constitutifs de harcèlement sexuel et moral et à l'appui de sa décision d'autorisation de licenciement.
20. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., responsable pédagogique, a adressé à son employeur, l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente, un courrier du 5 mai 2021 relatant les attitudes adoptées par M. D... à son égard depuis au moins 2015. Ce courrier relate de façon très détaillée, dates à l'appui, les avances, propos et attitudes à connotation sexuelles dont elle a fait l'objet de la part de M. D.... En outre, des propos à connotation sexuelle apparaissent dans un certain nombre de SMS adressés par M. D... à Mme A..., qui les avait joints à son courrier précité du 5 mai 2021 et repris dans sa plainte déposée en gendarmerie le 17 juin 2021, à laquelle l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de la région Occitanie s'est d'ailleurs associé. En outre, les éléments recueillis par l'inspecteur du travail au cours de son enquête contradictoire, en particulier les déclaration précises et concordantes de plusieurs salariés auditionnés au cours de celle-ci, permettent de confirmer les affirmations de Mme A... selon lesquelles elle a fait l'objet de manière répétée, de la part de M. D..., d'avances et des propos à connotation sexuelle. Ces faits compte tenu de leur gravité et de leur caractère répété pendant plusieurs années, sont constitutifs d'un harcèlement sexuel. Ils présentent, compte tenu en outre des hautes responsabilités assumées par M. D... en sa qualité de directeur de l'institut de formation des masseurs-kinésithérapeute, le caractère d'une faute grave justifiant son licenciement.
21. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, et notamment des conclusions concordantes de l'enquête interne menée par l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente et de l'enquête réalisée par l'inspecteur du travail fondées notamment sur des témoignages de salariés, que M. D... a, au moins une fois, rappelé à Mme A... que le contrat à durée déterminée dont elle était titulaire jusqu'en 2020 pouvait prendre fin à tout moment et a adopté des comportements physiquement intimidants en s'approchant d'elle pour la pousser furtivement. Il ressort également des pièces du dossier que M. D... surveillait Mme A... au moyen d'une caméra installée, jusqu'en juillet 2020, dans son bureau de travail sans que les formalités règlementaires obligatoires à l'installation d'un tel équipement, et notamment la consultation des représentants du personnel, aient été respectées. Par ailleurs, M. D... a installé sur son propre ordinateur les comptes mails des salariés de l'association dont celui de Mme A..., plaçant la correspondance de celle-ci sous sa surveillance sans justification particulière tirée de l'intérêt du service. Les éléments concordants recueillis au cours de l'enquête interne de l'association et de l'enquête contradictoire menée par l'inspecteur du travail ont encore permis d'établir que M. D... a imposé à Mme A... d'assumer, outre ses fonctions d'enseignante, celles de responsable des stages fin 2019 puis de responsable Covid au sein de l'établissement en août 2020. Il ressort des pièces du dossier que, ainsi confrontée à l'obligation d'assumer trois fonctions distinctes à haute responsabilité, Mme A... s'est trouvée en surcharge de travail avant d'être victime d'un stress et d'une fatigue très importants qui ont fini par provoquer chez elle une dépression réactionnelle et un arrêt de travail. L'ensemble de ces éléments, outre les propos vexatoires et autres violences verbales commises par M. D... envers Mme A..., ont été confirmés par plusieurs témoins auditionnés par l'inspecteur du travail. Les faits ainsi relatés sont constitutifs de harcèlement moral et présentent, compte tenu là encore des importantes responsabilités assumées par M. D..., le caractère d'une faute grave justifiant son licenciement.
22. Au demeurant, par une décision du 30 juin 2022, la chambre disciplinaire de l'ordre des masseurs kinésithérapeute a retenu comme établis les mêmes faits de harcèlement moral et sexuel reprochés à M. D... et infligé à ce dernier une sanction d'interdiction d'exercer sa profession pour une durée de trois ans.
23. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 28 mars 2023 le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 26 août 2021 par laquelle l'inspecteur du travail a retiré la décision implicite de rejet née du silence gardé pendant deux mois sur sa demande d'autorisation de licenciement de M. D... et a autorisé le licenciement de celui-ci pour faute.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de M. D... la somme de 1 500 euros à verser à l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2105665 du 28 mars 2023 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : La demande de première instance de M. D... et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : M. D... versera la somme de 1 500 euros à l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à l'association Kinésithérapie ergothérapie enseignement formation permanente et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
Le rapporteur,
P. Bentolila
La greffière,
C.Lanoux
Le président,
F. Faïck
La greffière
Cynthia La
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23TL01263 2