Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2022 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, lui a interdit de retourner sur le territoire national pendant dix-huit mois et l'a assigné à résidence.
Par un jugement n° 2205804 du 13 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 avril 2023, M. A..., représenté par Me Ottou, doit être regardé comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 13 décembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 6 novembre 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Orientales de procéder à l'effacement de son nom dans le fichier Système d'information Schengen ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 € sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- en ce qui concerne la décision refusant un délai de départ volontaire, elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois est insuffisamment motivée ;
- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation et présente un caractère disproportionné ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant assignation à résidence est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Une mise en demeure a été adressée le 16 octobre 2023, en application des dispositions de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, au préfet des Pyrénées-Orientales qui n'a produit aucun mémoire en défense.
Par une ordonnance du 13 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 30 mai 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Beltrami.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen, né le 27 février 1985, est entré en France le
29 juin 2013 sous couvert d'un visa l'autorisant à séjourner en France du 21 juin au 16 juillet 2013. Il a été interpellé par la police aux frontières des Pyrénées-Orientales le 6 novembre 2022 muni d'une carte d'identité portugaise portant le nom d'un tiers et a fait l'objet d'une garde à vue pour des faits d'utilisation d'un document de voyage d'un tiers. Par un arrêté du même jour, le préfet des Pyrénées-Orientales lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois et l'a assigné à résidence dans le département des Pyrénées-Orientales pendant la durée de la procédure nécessaire à son éloignement. Saisi d'une requête tendant à l'annulation de cet arrêté, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a, par un jugement du 13 décembre 2022 dont M. A... relève appel, rejeté sa demande.
Sur les conclusions en annulation :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Si M. A... se prévaut de sa présence en France depuis dix années à la date de la décision attaquée, il ne l'établit pas par les pièces versées au dossier et notamment par la seule production d'un passeport faisant état de son entrée en France le 29 juin 2013 à l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaule. A cet égard, alors que le visa obtenu ne l'autorisait à séjourner en France que du 21 juin au 16 juillet 2013, il ne justifie pas de la régularité de son séjour en France postérieurement à cette période. Par ailleurs, s'il a noué une relation sentimentale avec une ressortissante guinéenne et qu'un enfant est né de cette union le 1er janvier 2022, sa relation avec cette dernière présentait, à la date de la décision attaquée, un caractère récent et intermittent dès lors que, selon sa compagne, leur couple ne s'est formé que depuis le mois de mars 2021 et que les pièces versées au dossier ne permettent pas d'établir le caractère habituel de leur communauté de vie. D'autant qu'il ressort des pièces du dossier que sa compagne réside à Nanterre dans le département des Hauts-de Seine tandis que M. A... produit, en ce qui le concerne, une attestation d'élection de domicile auprès de la Croix-Rouge française à Élancourt dans le département des Yvelines. Si sa compagne indique que
M. A... s'occupe de son fils, son implication régulière dans l'éducation et l'entretien de cet enfant n'est pas établie par la seule production de quelques photos non datées et de quelques factures d'achat de nourriture et de vêtements. Par ailleurs, M. A... a reconnu au cours de son audition le 6 novembre 2022 par les services de police qu'il dispose d'attaches fortes dans son pays d'origine où résident ses parents, ses frères et ses sœurs. Enfin, il ne justifie pas, à la date de la décision attaquée, d'une insertion professionnelle particulière en se bornant à produire des bulletins de salaire pour un emploi de manœuvre intérimaire pour la période de septembre et d'octobre 2021. Compte tenu de ces éléments, le préfet des Pyrénées-Orientales, qui n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect d'une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par son arrêté, n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté.
4. En second lieu, pour les motifs qui viennent d'être exposés, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
5. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. " Aux termes de l'article L. 612-3 de ce code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...); 7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ; 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5. "
6. Il ressort de l'arrêté attaqué que le préfet des Pyrénées-Orientales a fondé la décision refusant un délai de départ volontaire à M. A... sur l'existence du risque que ce dernier se soustraie à la mesure d'éloignement prononcée à son encontre en se fondant sur plusieurs motifs, à savoir, l'entrée irrégulière de l'appelant sur le territoire français et son absence de demande de délivrance d'un titre de séjour, son utilisation d'une carte d'identité établie sous un autre nom et sur ses garanties de représentation insuffisantes. L'appelant, qui ne conteste pas le bien-fondé des motifs retenus par le préfet, fait néanmoins valoir que sa vie familiale en France n'a pas été prise en compte par ce dernier. Toutefois, cette circonstance, pour les motifs exposés au point 3, n'était pas de nature à faire obstacle au refus d'accorder à M. A... un délai de départ volontaire. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
7. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français :
8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. " Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) "
9. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, le préfet assortit, en principe et sauf circonstances humanitaires, l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour. La durée de cette interdiction doit être déterminée en tenant compte des critères tenant à la durée de présence en France, à la nature et l'ancienneté des liens de l'intéressé avec la France, à l'existence de précédentes mesures d'éloignement et à la menace pour l'ordre public représentée par la présence en France de l'intéressé.
10. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
11. Pour interdire à M. A... de revenir sur le territoire français et fixer à dix-huit mois la durée de cette interdiction, le préfet des Pyrénées Orientales s'est fondé sur l'obligation de quitter le territoire français sans délai prise le même jour à l'encontre de l'intéressé. Cette décision précise les éléments de droit et de fait sur lesquels elle se fonde, à savoir les dispositions de l'article
L. 612-6 précité, et sur un ensemble d'éléments liés à la situation de l'intéressé, notamment le caractère irrégulier de sa présence en France, l'absence de preuve de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, et sur l'existence de ses fortes attaches familiales en Guinée, à savoir ses parents et sa fratrie au regard de celles dont il déclare disposer en France. Une telle motivation atteste de la prise en compte par le préfet des Pyrénées-Orientales de l'ensemble des critères prévus par la loi. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français doit être écarté.
12. En second lieu, d'une part, M. A... ne peut être regardé comme justifiant de circonstances humanitaires de nature à faire obstacle au prononcé d'une interdiction de retour. D'autre part, eu égard aux circonstances de fait exposées au point 3, le préfet a pu, sans entacher sa décision d'une erreur d'appréciation au regard de la vie privée et familiale de M. A..., assortir la mesure d'éloignement d'une interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, l'appelant n'est pas fondé à soutenir que le préfet ne pouvait légalement prononcer à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de dix-huit mois.
En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :
13. aux termes de l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut autoriser l'étranger qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne pouvoir ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, à se maintenir provisoirement sur le territoire en l'assignant à résidence jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) ".
14. Il ressort des pièces du dossier que l'appelant avait indiqué au cours de son audition être domicilié au 5 avenue de la petite Villedieu à Élancourt dans le département des Yvelines et qu'il justifiait de cette adresse par une attestation d'élection de domicile établie par la Croix-Rouge française, valide du 20 décembre 2021 au 19 décembre 2022. Dès lors qu'il s'agit de la seule adresse indiquée par l'appelant dont l'administration avait connaissance, le préfet ne pouvait légalement assigner M. A... à résidence dans le département des Pyrénées-Orientales distant de plus de 800 km du lieu de son élection de domicile. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que la décision portant assignation à résidence est entachée d'une erreur d'appréciation.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
15. Eu égard au motif d'annulation retenu, qui porte sur la mesure d'assignation à résidence dont les effets sont expirés à la date du présent arrêt, l'exécution de celui-ci n'implique aucune mesure.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie principalement perdante à l'instance, la somme que demandent M. A... et son conseil.
DÉCIDE:
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 13 décembre 2022 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions en annulation de l'arrêté du 6 novembre 2022 portant assignation à résidence.
Article 2 : L'arrêté préfectoral du 6 novembre 2022, en tant qu'il porte assignation à résidence, est annulé.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL00813