Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le préfet des Pyrénées-Orientales a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la délibération du 21 juillet 2022 portant modification de l'article 18 du règlement intérieur du conseil municipal de Saint-André ainsi que la décision du 1er septembre 2022 par laquelle le maire de cette commune a rejeté le recours gracieux du 24 août 2022.
Par un jugement n° 2205362 du 9 mai 2023, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la délibération du 21 juillet 2022 par laquelle la commune de Saint-André a modifié l'article 18 du règlement intérieur du conseil municipal ainsi que la décision du 1er septembre 2022 de rejet du recours gracieux.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 juillet 2023, la commune de Saint-André, représentée par Me Pons-Serradeil, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 mai 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de rejeter la demande du préfet des Pyrénées-Orientales ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la délibération attaquée méconnaît le principe de primauté de la langue française issu des articles 2 de la Constitution et 1er de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française ;
- la délibération attaquée ne porte pas atteinte aux droits à l'information et à l'expression des conseillers municipaux ni à la publicité des débats.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2023, le préfet des Pyrénées-Orientales conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés sont infondés ;
- la délibération contestée méconnaît en outre le droit à l'information et à l'expression des élus ainsi que la publicité des débats, consacrés par les articles L. 2121-13, L. 2121-18 et L. 2121-19 du code général des collectivités territoriales.
Par une ordonnance du 12 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 décembre 2023 à 12h.
Un mémoire, présenté pour M. B... A... et M. D... C..., représentés par Me Pons-Serradeil, a été enregistré le 14 décembre 2023 à 15h47, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son Préambule et ses articles 2 et 75-1 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code du patrimoine ;
- l'ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice, dite ordonnance de Villers-Cotterêts ;
- la loi n° 94-665 du 4 août 1994 ;
- la loi n° 2021-641 du 21 mai 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fougères,
- les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique,
- et les observations de Me Pons-Serradeil pour la commune appelante.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 21 juillet 2022, la commune de Saint-André a modifié l'article 18 de son règlement intérieur. Estimant cette délibération illégale, le préfet des Pyrénées-Orientales a demandé au maire de cette commune d'inviter le conseil municipal à retirer cette délibération. Le maire ayant rejeté cette demande, le préfet a déféré la délibération au tribunal administratif de Montpellier, qui a prononcé son annulation par un jugement du 9 mai 2023, dont la commune de Saint-André relève appel.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 2121-8 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de 1 000 habitants et plus, le conseil municipal établit son règlement intérieur dans les six mois qui suivent son installation. Le règlement intérieur précédemment adopté continue à s'appliquer jusqu'à l'établissement du nouveau règlement. / Le règlement intérieur peut être déféré au tribunal administratif ".
3. D'une part, si l'article 1er de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française dispose que " Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics ", l'article 21 de la même loi, issu de la loi n° 2021-641 du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, précise que les dispositions de celles-ci " ne font pas obstacle à l'usage des langues régionales et aux actions publiques et privées menées en leur faveur ". L'article L. 1 du code du patrimoine, dans sa version issue de cette loi, intègre les langues régionales dans le patrimoine culturel immatériel de la France et dispose en outre que " L'État et les collectivités territoriales concourent à l'enseignement, à la diffusion et à la promotion de ces langues ".
4. Il résulte de la combinaison des dispositions législatives précitées qu'elles n'interdisent ni n'autorisent expressément les élus d'un conseil municipal à s'exprimer dans une langue régionale au cours de leurs interventions orales devant ce conseil municipal.
5. D'autre part, l'article 111 de l'ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice, dite " de Villers-Cotterêts ", ne s'applique qu'aux décisions de justice et n'interdit donc pas non plus un tel usage d'une langue régionale lors du conseil municipal.
6. Toutefois, aux termes de l'article 2 de la Constitution : " La langue de la République est le français (...) ". Aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen des 24 et 26 août 1789 : " La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ". L'article 75-1 de la Constitution dispose : " Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ".
7. Il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article 2 de la Constitution, telles qu'interprétées de manière constante par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État, que l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et que les documents administratifs doivent être rédigés en français. Si le pouvoir constituant a, par l'adoption de l'article 40 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 portant modernisation des institutions de la Vème République introduisant l'article 75-1 dans la Constitution, entendu marquer l'attachement de la France aux langues régionales, il n'a pour autant créé aucun droit ou liberté opposable au profit des particuliers ou des collectivités territoriales et n'a pas, notamment, entendu amoindrir la portée de l'article 2 de la Constitution.
8. La délibération du 21 juillet 2022 modifie l'article 18 du règlement intérieur de la commune de Saint-André pour y ajouter la phrase suivante : " Le rapporteur pourra présenter la délibération en langue catalane mais il devra toujours l'accompagner de la traduction en français. De même, les interventions des conseillers municipaux pourront se faire en langue catalane mais elles devront toujours être accompagnées de la traduction en français ".
9. D'une part, ces dispositions ne se bornent pas à permettre la seule expression orale des élus en catalan lors du conseil municipal, mais permettent également au rapporteur de présenter une version écrite en langue catalane des délibérations soumises au vote. D'autre part et en tout état de cause, en permettant aux conseillers municipaux de s'exprimer directement au cours des séances du conseil municipal dans une langue autre que le français, la délibération attaquée méconnaît l'article 2 de la Constitution, alors même qu'elle prévoit, au demeurant selon des modalités très imprécises, l'obligation d'accompagner cette expression d'une traduction en langue française. La circonstance que l'usage du catalan constitue une faculté, et non une obligation, est sans incidence à cet égard. Les dispositions de l'article 2 de la Constitution ne font pas obstacle, en revanche, à ce que la présentation des délibérations et les interventions des conseillers municipaux, une fois exprimées en français, puissent faire l'objet d'une traduction en langue catalane.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Saint-André n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé sa délibération du 21 juillet 2022, ensemble la décision rejetant le recours gracieux du préfet dirigé contre celle-ci. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'État sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Saint-André est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-André et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024, où siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2024.
La rapporteure,
A. Fougères
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL01635