Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... Batiot a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2012 à 2015.
Par une ordonnance n° 462171 du 4 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a transmis, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, sa demande au tribunal administratif de Nîmes.
Par un jugement n° 1923147 du 30 septembre 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 novembre 2022, M. Batiot, représenté par Me Rieu-Castaing, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 septembre 2022 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2012 à 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la régularité de la procédure :
- la vérification de comptabilité de la société Batio a été diligentée auprès d'une personne morale dissoute le 6 février 2015 et radiée le 16 avril 2015, sans désignation d'un mandataire ad hoc auprès du tribunal de commerce alors que son président n'avait plus qualité pour la représenter ;
- le principe d'indépendance des procédures ne peut lui être opposé dès lors que lui-même n'a pas fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle et que les rectifications qui lui ont été notifiées sont la conséquence d'une seule et même opération de contrôle le visant lui et sa société ;
- les conséquences tirées au niveau de son impôt sur le revenu doivent être annulées, sauf à méconnaître les articles 5, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- il n'a pas été suffisamment informé, en méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, de la teneur et de l'origine des éléments obtenus auprès de tiers et les documents ainsi obtenus ne lui ont pas été communiqués et n'ont pas été soumis au débat oral et contradictoire ;
- le service n'a pas tenu compte, au stade du rejet de sa réclamation préalable, de son élection de domicile au cabinet de son conseil ;
Sur la reconstitution de recettes :
- la méthode retenue par le service conduit à une exagération des recettes de la société Batio dès lors que le taux de marge du secteur du bâtiment est de 14 % en moyenne, et inférieur encore pour les sous-traitants ;
- c'est à tort que le service n'a pas eu recours à une seconde méthode de reconstitution de recettes pour affiner ses résultats ;
Sur les pénalités :
- l'application de la pénalité pour manquement délibéré est insuffisamment motivée ;
- elle est en outre infondée et disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la procédure et des majorations appliquées est irrecevable ;
- les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure de contrôle de la société Batio ne peuvent utilement être invoqués à l'encontre de l'imposition personnelle de son gérant, compte tenu du principe d'indépendance des procédures ;
- s'agissant de la base légale des distributions, il est demandé à la cour de substituer le 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts au 2° du 1 du même article, initialement retenu ;
- les autres moyens soulevés par M. Batiot ne sont pas fondés.
Une ordonnance du 5 décembre 2023 a prononcé la clôture de l'instruction à la même date en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chalbos,
- les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. À l'issue des vérifications de comptabilité opérées au sein des sociétés Batio et Booster Travaux, qui exercent ou exerçaient une activité de travaux de maçonnerie et de plâtrerie, et se sont vu notifier des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, M. Batiot, président et associé unique ou majoritaire de ces deux sociétés, a été destinataire de deux propositions de rectification, datées du 28 octobre 2015 et du 10 octobre 2016, par lesquelles l'administration fiscale l'a informé de son intention de mettre à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, en matière de revenus distribués, et de contributions sociales, au titre des années 2012 à 2015. À la suite de sa réclamation préalable, M. Batiot en a obtenu un dégrèvement partiel. Il demande à la cour d'annuler le jugement du 30 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions laissées à sa charge.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la régularité de la procédure :
2. En premier lieu, la régularité de la procédure d'imposition d'une société à l'impôt sur les sociétés est, par elle-même, sans influence sur l'imposition du dirigeant ou de l'associé de cette société à l'impôt sur le revenu, alors même qu'il s'agirait d'un excédent de distribution révélé par un redressement des bases de l'impôt sur les sociétés que l'administration entend imposer à l'impôt sur le revenu entre les mains du bénéficiaire.
3. Il résulte de l'instruction que la société Batio a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période allant de mars 2012 au 31 décembre 2014, à l'issue de laquelle le service l'a informée, par une proposition de rectification du 28 octobre 2015, de son intention de mettre à sa charge des suppléments d'impôt sur les sociétés et un complément de taxe sur la valeur ajoutée, et que la société Booster Travaux a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période allant de juillet 2013 à septembre 2015, étendue au 30 avril 2016 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, à l'issue de laquelle le service l'a informée, par une proposition de rectification du 3 octobre 2016, de son intention de mettre à sa charge des suppléments d'impôt sur les sociétés et un complément de taxe sur la valeur ajoutée. Consécutivement à ces deux opérations, des contrôles sur pièces en matière de revenus distribués ont été diligentés à l'encontre de M. Batiot et ont donné lieu à l'émission de deux propositions de rectifications distinctes, datées du 28 octobre 2015 et du 10 octobre 2016.
4. Contrairement à ce que soutient l'appelant, les procédures ainsi décrites ne constituent pas une seule et même opération de contrôle, quand bien même il n'a pas fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle et quand bien même également les rectifications mises à sa charge en matière de revenus distribués sont la conséquence de la rectification des bénéfices opérée au niveau des deux sociétés de capitaux dont il est l'associé. Il s'ensuit que M. Batiot ne peut utilement se prévaloir, à l'appui de sa requête, du moyen tiré de l'irrégularité qui entacherait la procédure de vérification de comptabilité dont a fait l'objet la société Batio, tenant à l'absence de désignation d'un administrateur ad hoc alors qu'elle était dissoute, un tel moyen étant, eu égard au caractère distinct des procédures de contrôle visant une société et son associé, inopérant.
5. En deuxième lieu, M. Batiot ayant la faculté de contester, à l'occasion du présent litige, tant la régularité de la procédure dont il a fait l'objet que le bien-fondé de l'imposition mise à sa charge, le moyen tiré de ce qu'il serait privé du droit de se défendre tel que garanti par les dispositions combinées des articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen doit être écarté. En outre, l'administration fiscale n'étant pas dispensée de justifier du bien-fondé des rectifications auxquelles elle procède, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen doit également être écarté.
6. En troisième lieu, Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition (...). Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent.
7. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 2 à 4, M. Batiot ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance, à la supposer avérée, des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales au cours de la procédure de vérification de comptabilité de la société Batio, le présent litige se rapportant à un contribuable distinct. À supposer que M. Batiot ait entendu invoquer la méconnaissance de ces dispositions au cours de son propre contrôle, il résulte de l'instruction et en particulier de la proposition de rectification qui lui a été adressée le 28 octobre 2015, qui reproduit les extraits pertinents de celle adressée à la société Batio, que les informations obtenues par le service dans l'exercice de son droit de communication au cours de la vérification de la comptabilité de cette dernière société, dont M. Batiot a ainsi été informé sur l'origine et la teneur, n'ont pas participé à fonder les rectifications en matière de revenus distribués de l'appelant, le chiffre d'affaires de la société ayant été reconstitué à partir des déclarations de la société. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté.
8. En quatrième et dernier lieu, les conditions de notification de la décision par laquelle la réclamation d'un contribuable est rejetée sont sans influence sur la régularité et le bien-fondé de l'imposition. Le moyen tiré de ce qu'une telle décision n'aurait pas été envoyée à la bonne adresse compte tenu de son élection de domicile chez son avocat ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
9. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés (...) et non prélevées sur les bénéfices (...) ".
10. Pour procéder à la rectification du chiffre d'affaires de la société Batio, dont sont issues les sommes regardées comme revenus distribués pour l'impôt sur le revenu de l'appelant, le service a retenu les produits déclarés par la société. Quant aux charges, celles-ci ont été reconstituées en tenant compte de la moyenne du pourcentage de charges par rapport au chiffre d'affaires de quatre entreprises de maçonnerie situées dans le département de la Haute-Garonne. Un tel échantillon, suffisamment représentatif, a conduit à retenir un pourcentage de charges de 71 % au titre de l'exercice clos en 2012, 77 % au titre de l'exercice clos en 2013 et 82 % au titre de l'exercice clos en 2014, soit des montants de charges supérieurs à ceux que la société a été en mesure de justifier au cours du contrôle. L'évaluation ainsi faite par l'administration, qui n'avait aucune obligation d'utiliser plusieurs méthodes de reconstitution, n'est pas utilement remise en cause par la production d'une étude relative aux données statistiques du secteur de la maçonnerie et du gros-œuvre en France. Dans ces conditions, il apparaît que la méthode retenue par l'administration fiscale pour reconstituer le chiffre d'affaires de la société Batio n'est ni radicalement viciée, ni excessivement sommaire. Il s'ensuit que M. Batiot n'est pas fondé à contester les sommes issues de la rectification opérée au niveau de sa société, regardées comme des revenus distribués à son profit.
En ce qui concerne les pénalités :
11. En premier lieu, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
12. Les propositions de rectification adressées à M. Batiot visent les dispositions citées au point précédent et exposent les motifs pour lesquels l'administration a retenu la caractérisation de manquements délibérés. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les pénalités n'auraient pas été motivées manque en fait et doit être écarté.
13. En deuxième lieu, en retenant qu'en sa qualité de maître de l'affaire des sociétés Batio et Booster Travaux, l'appelant ne pouvait ignorer l'existence des revenus distribués, une partie de ceux issus de la rectification de la seconde société ayant d'ailleurs donné lieu à inscription sur son compte courant d'associé, ainsi que l'importance et la répétition sur plusieurs années des omissions déclaratives, l'administration fiscale caractérise suffisamment l'existence de manquements délibérés justifiant l'application de la majoration visée au point 11.
14. En troisième et dernier lieu, dès lors que les rehaussements en matière d'impôt sur le revenu dont M. Batiot a fait l'objet n'ont pas, contrairement à ce qu'il soutient, le caractère d'une sanction, et que les pénalités dont ces rehaussements ont été assortis sont, ainsi qu'il vient d'être dit, justifiées au regard des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts qui les fondent, doit être écarté le moyen tiré de ce que de telles pénalités constitueraient une " double sanction " par rapport aux rehaussements en droit et présenteraient, par suite, un caractère disproportionné.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. Batiot n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. Batiot est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... Batiot et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Occitanie.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Chalbos, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2024.
La rapporteure,
C. Chalbos
Le président,
É. Rey-BèthbéderLe greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL22261