Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... a demandé au tribunal administratif de C... d'annuler la décision du 26 janvier 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour.
Par un jugement n° 2301516 rendu le 13 février 2024, le tribunal administratif de C... a annulé l'arrêté du 26 janvier 2023, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédures devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée le 21 mars 2024 sous le n° 24TL00701, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du 13 février 2024.
Il soutient que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté en litige, les premiers juges ont retenu que M. E... justifiait avoir été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize alors que la chronologie de son parcours, révélée par les vérifications menées par l'autorité préfectorale sur le fichier Eurodac, démontrent le caractère erroné des éléments qui figurent sur ses documents d'identité, bien que leur authenticité formelle n'est pas contestée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 août 2024, M. E..., représenté par Me Bouix, conclut :
1°) au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué ;
2°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser au conseil du requérant.
Il fait valoir que :
- la décision en litige est entachée d'un vice de procédure compte tenu de la consultation du fichier Eurodac par la préfecture en dehors des trois cas limitatifs prévus par le règlement (UE) n° 603/2013 ;
- elle méconnaît son droit à la protection de ses données à caractère personnel tel que protégé par l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 5 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 dès lors que le traitement des données s'est effectué sans son consentement ;
- il n'a pas été informé que les données du fichier Eurodac ont été extraites pour participer à l'instruction de sa demande de titre de séjour et n'a pas été informé au préalable de son droit à l'effacement et à la rectification de ces données ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur de droit qui résulte d'un défaut d'examen et de la méconnaissance des dispositions de l'article 47 du code civil ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une ordonnance en date du 8 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 août 2024.
Par une décision du 17 mai 2024, M. E... a obtenu le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
II - Par une requête, enregistrée le 21 mars 2024 sous le n° 24TL00702, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 13 février 2024 sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que, pour annuler l'arrêté en litige, les premiers juges ont retenu que M. E... justifiait avoir été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize et dix-huit ans ;
- ce moyen, sérieux, est de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions en annulation présentées par l'intéressé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 août 2024, M. E..., représenté par Me Bouix conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser au conseil du requérant.
Il fait valoir que les moyens invoqués par le préfet de la Haute-Garonne au soutien de sa demande de sursis à exécution du jugement ne sont pas fondés.
Par une ordonnance en date du 6 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 août 2024.
Par une décision du 17 mai 2024, M. E... a obtenu le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Lasserre, première conseillère.
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., ressortissant tchadien se disant né le 10 août 2002, déclare être entré sur le territoire français le 20 octobre 2016. Par ordonnance du 23 juin 2017, M. E... a fait l'objet d'un placement d'urgence auprès des services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Haute-Garonne. Il a ensuite été confié à l'aide sociale à l'enfance le 22 février 2018 par le juge des enfants du D... de grande instance de C..., puis le 13 septembre 2018 par le juge aux affaires familiales chargé de la protection des mineurs. Le 21 juillet 2020, il a sollicité son admission au séjour en qualité d'étranger confié au service de l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans. Par une décision du 26 janvier 2023, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de l'admettre au séjour. Par un jugement du 13 février 2024, le tribunal administratif de C... a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de délivrer le titre de séjour sollicité à l'intéressé dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par la requête n° 24TL00701, le préfet de la Haute-Garonne relève appel de ce jugement et, par sa requête n° 24TL00702, il demande qu'il soit sursis à son exécution. Ces deux requêtes étant présentées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions en annulation présentées par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 24TL00701 :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. ". L'article L. 811-2 du même code dispose que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Selon l'article 47 du code civil auquel il est ainsi renvoyé : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. (...) ".
3. La délivrance à un étranger d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est subordonnée au respect par l'étranger des conditions qu'il prévoit, en particulier concernant l'âge de l'intéressé, que l'administration vérifie au vu notamment des documents d'état civil produits par celui-ci. A cet égard, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit, par suite, se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. E... a communiqué aux services du préfet de la Haute-Garonne un acte de naissance mentionnant sa naissance le 10 août 2002 à Abéché, une carte d'identité consulaire délivrée le 24 juin 2019 valable jusqu'au 24 juin 2021 ainsi qu'un passeport tchadien valable du 9 mai 2022 au 8 mai 2027 et portant les mêmes date et lieu de naissance. Il ressort de la motivation du jugement rendu par le tribunal pour enfants de C... le 22 février 2018 que l'acte de naissance susmentionné avait été considéré comme authentique par les services de la fraude documentaire, ce qui avait conduit le juge pour enfants à regarder M. E... comme mineur à cette date et à le confier aux services de l'aide sociale à l'enfance.
5. Il ressort également des pièces du dossier que, pour estimer que M. E... ne pouvait pas être regardé comme justifiant avoir été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans, le préfet de la Haute-Garonne s'est principalement fondé sur ce que la consultation du fichier européen " Eurodac " à partir du relevé des empreintes digitales de l'intéressé avait révélé qu'il avait sollicité l'asile le 29 novembre 2016 auprès du guichet unique de l'asile des Bouches-du-Rhône sous l'identité de M. A... B... né le 1er janvier 1993 révélant sa présence en Sicile en septembre 2016 et que, par ordonnance du 17 août 2017, le tribunal pour enfants de C... a prononcé un non-lieu à mesure d'assistance éducative en l'absence d'élément attestant de sa minorité, un examen médical osseux pratiqué le 4 juillet 2017 excluant sa minorité. Si ces éléments confirment la présence de l'intimé en Sicile avant son entrée sur le territoire français, ni la circonstance qu'il a déclaré une autre identité aux autorités de ce pays pendant son séjour, ni celle qu'il y serait arrivé dès l'âge de quatorze ans, ne sont suffisantes par elles-mêmes pour caractériser l'incohérence alléguée par l'autorité préfectorale entre son parcours migratoire et son âge et pour remettre ainsi en cause la valeur probante des pièces produites par l'intéressé pour justifier de son état-civil, alors que l'authenticité de ces pièces n'est, au demeurant pas remise en cause par les services préfectoraux.
6. Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal administratif de C... a estimé que M. E... justifiait remplir la condition d'âge posée à l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le refus de séjour opposé par l'arrêté en litige procédait, par suite, d'une erreur de droit au regard de cet article.
7. Il résulte de ce qui vient d'être exposé que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 13 février 2024, le tribunal administratif de C... a prononcé l'annulation de son arrêté du 26 janvier 2023, lui a enjoint de délivrer à M. E... un titre de séjour dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros au titre des dispositions du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 24TL00702 :
8. Le présent arrêt statuant sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 13 février 2024, les conclusions du préfet tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement se trouvent dépourvues d'objet. Par conséquent et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense à ces dernières conclusions, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions en injonction présentées par l'intimé :
9. Le présent arrêt rejette les conclusions en annulation présentées par l'appelant. Il n'implique donc aucune mesure d'exécution particulière au sens des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Dans ces conditions, les conclusions en injonction sous astreinte présentées par l'intimé ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés aux litiges :
10. M. E... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Bouix renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans les présentes instances, une somme de 1 200 euros à verser Me Bouix sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de la Haute-Garonne n° 24TL00701 est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 24TL00702.
Article 3 : Les conclusions en injonction, sous astreinte, présentées par M. E... dans l'instance n° 24TL00701 sont rejetées.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à Me Bouix, avocat de M. E..., sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. F... et à Me Bouix.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Teulière, président assesseur,
Mme Lasserre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2024.
La rapporteure,
N. LasserreLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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Nos 24TL00701, 24TL00702