Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le département de l'Hérault a demandé au tribunal administratif de Montpellier, à titre principal, la condamnation de la société IGIOA, titulaire du marché de maîtrise d'œuvre conclu le 23 novembre 2010 dans le cadre de la reconstruction, la réparation et le réaménagement du quai Maréchal Joffre à Sète, dénommé " L'Estacade ", à lui verser la somme de 414 688,05 euros au titre de sa responsabilité contractuelle, et, à titre subsidiaire la somme de 165 875,22 euros hors taxes au titre d'un manquement à son devoir de conseil l'ayant privé d'une chance de solliciter auprès du groupement d'entreprises titulaire du marché de travaux la réparation des désordres sur le fondement de la responsabilité contractuelle. A titre subsidiaire, le département de l'Hérault a demandé au tribunal de condamner solidairement les sociétés Hydrogéotechnique, Bauland TP, Colas SA, Colas Midi Méditerranée SAS, et la société IGIOA, au versement de la somme de 829 376,11 euros sur le fondement de la garantie décennale.
Par un jugement n° 2002672 du 12 mai 2022, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la société IGIOA à verser au département de l'Hérault la somme de 348 337,97 euros toutes taxes comprises, a mis les frais et honoraires d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 29 626,67 euros toutes taxes comprises, à la charge définitive de la société IGIOA, et a rejeté le surplus des conclusions du département de l'Hérault dirigées contre la société IGIOA.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2022, la société IGIOA, représentée par Me Dommée, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 12 mai 2022 du tribunal administratif de Montpellier en ce qu'il la condamne à verser au département de l'Hérault la somme de 348 337,97 euros toutes taxes comprises et a mis à sa charge les frais d'expertise d'un montant de 29 626,67 euros toutes taxes comprises ;
2°) de rejeter les demandes du département de l'Hérault ;
3°) de mettre à la charge du département de l'Hérault la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société IGIOA soutient que :
- à titre principal, c'est à tort que les premiers juges ont engagé sa responsabilité au titre d'un manquement à son devoir de conseil dans l'établissement du décompte général du groupement d'entreprises, dès lors que son contrat de maîtrise d'œuvre ne comportait pas de mission de direction de l'exécution des contrats de travaux, laquelle était directement assurée par le département de l'Hérault, qui était assisté du CETE dans le cadre d'une mission d'assistance du maître d'ouvrage ; le décompte général définitif a ainsi été établi par le département, le 5 février 2023, sans intervention de la société IGIOA ;
- à titre subsidiaire, elle ne peut être regardée comme ayant commis des fautes dans la conception du projet ; en effet, la société Hydrogéotechnique avait déjà rendu une étude géotechnique le 14 octobre 2002 relative au projet de reconstruction, de réparation et de réaménagement du quai dénommé " L'Estacade " ; dès 2008, soit avant même la signature du contrat de maîtrise d'œuvre en litige, elle a vainement demandé au département, de lui communiquer des documents géotechniques et de procéder à des investigations complémentaires sur les perrés ; dans le cadre du projet AVP établi en août 2008, elle a demandé la réalisation de quatre sondages ; à la suite du choix du département de recourir à la solution des palplanches, au lieu de la réparation des pieux du pont, un avenant à son marché de maîtrise d'œuvre est intervenu le 24 novembre 2008 ; la société a demandé la réalisation de neuf sondages complémentaires sur l'ensemble des deux sections du projet ; en 2009, la société Hydrogéotechnique a procédé à une nouvelle étude géotechnique, laquelle n'était pas limitée à la section 1 du projet ; les études de la société Hydrogéotechnique ont été intégrées au projet par la société IGIOA, laquelle a établi, le 10 juillet 2009, une notice technique PRO validée par le département ; après avoir obtenu un marché complémentaire le 19 novembre 2010, la société IGIOA a établi, le 17 février 2011, le dossier de consultation des entreprises ; le cahier des clauses techniques particulières indiquait par ailleurs que les travaux devaient être menés en évitant tous risques pouvant résulter de la présence des ouvrages existants ; la société IGIOA a mis en garde sur les risques encourus par les ouvrages et a demandé à ce que les travaux susceptibles de mettre en cause la stabilité des ouvrages soient justifiés par une note de calcul ; les travaux relatifs aux palplanches ont débuté alors que les plans d'exécution n'avaient pas été communiqués à la maîtrise d'œuvre ; au cours de la réunion de chantier du 21 février 2012, le maître d'œuvre a mis en demeure le groupement d'entreprises de respecter les procédures d'exécution du chantier ; lors de la réunion de chantier du 6 mars 2012, il a été demandé à l'entreprise Bauland de mettre en place des capteurs de vibration au droit des ouvrages connexes
au battage ; en ce qui concerne les travaux du 14 mars 2012, jour de la survenance du sinistre, l'entreprise a été autorisée par le département à démarrer les travaux de vibrofonçage des palplanches de la section 2, alors que les plans d'exécution n'avaient pas encore été soumis à la société IGIOA ; la résiliation du marché prononcée, pour un motif d'intérêt général, par le département le 16 août 2012 est intervenue avant que l'étude géotechnique ait été rendue, et avant que le CETE, qui avait une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage, ait rendu son avis définitif ; la résiliation est infondée dès lors qu'elle est intervenue avant la réalisation par la société Hydrogéotechnique de ses investigations ; la résiliation se fonde sur le fait que les études géotechniques de CETE remettaient en cause la faisabilité du projet ; toutefois, la société Bauland a proposé un avenant pour la poursuite des travaux, consistant notamment dans la réalisation d'un rideau de palplanches sur les deux sections, et cette solution a été à nouveau préconisée après le sinistre du 14 mars 2012 ; si l'entreprise SCREG a estimé le surcoût des travaux avec de nouvelles techniques de construction à la somme de 228 000 euros hors taxes, et si l'expert a estimé ce surcoût à la somme de 566 473,39 euros, soit un montant de 33 % supplémentaires par rapport au marché initial, le surcoût entraîné par l'utilisation de cette nouvelle technique est estimé par la société IGIOA à 82 437, 50 euros seulement ; la décision de résiliation fondée sur le bouleversement de l'économie du marché n'est donc pas justifiée, et la société IGIOA ne saurait en subir les conséquences ; pour ce qui est de l'imputabilité du sinistre, la part de 50 % du montant des dommages attribuée par l'expert à la société IGIOA n'est pas justifiée ; en effet, c'est la société Hydrogéotechnique qui a effectué les études de sol en 2002, dont les conclusions ont été confirmées en 2009, si bien que cette dernière doit être tenue pour responsable des désordres survenus ; la part de responsabilité de 10 %, imputée par l'expert à la société Hydrogéotechnique est insuffisante, compte tenu de l'importance des études remises, dont l'élaboration ne relevait pas du maître d'œuvre ; par ailleurs les conclusions du sapiteur tendent à transférer au maître d'œuvre les obligations du géotechnicien alors que la société IGIOA ne disposait pas d'éléments lui permettant de remettre en cause le modèle géotechnique établi par la société Hydrogéotechnique ; elle a par ailleurs demandé des investigations complémentaires, et il est indiqué, dans le cahier des clauses techniques particulières, les précautions qui doivent être prises par les entreprises lors de l'exécution des travaux ; or l'entreprise Bauland, chargée des travaux, n'a pas respecté ces prescriptions ; il est également prévu, dans les documents du cahier des clauses techniques particulières, que l'entrepreneur propose au maître d'œuvre les moyens qu'il envisage d'utiliser pour la mise en place des palplanches des rideaux, et qu'il fixe la profondeur maximale à laquelle peuvent être employés les vibrofonceurs ; compte tenu des manquements reprochés à l'entreprise Bauland, du fait de l'absence d'analyse détaillée des sondages dans les études d'exécution, et de l'absence d'informations données à la maîtrise d'œuvre quant à la présence d'ouvrages sensibles sur des sols sableux, la part de responsabilité de 20 % mise à la charge de l'entreprise Bauland par le rapport d'expertise est insuffisante ;
- par ailleurs, le département de l'Hérault est également responsable des dommages subis en sa qualité de maître d'œuvre d'exécution des travaux ; il devait, en cette qualité, s'assurer que les documents d'exécution, ainsi que les ouvrages en cours de réalisation, respectaient les dispositions des études effectuées, s'assurer que les documents produits par l'entrepreneur étaient conformes au contrat, et que ses propres documents d'exécution respectaient les dispositions des études effectuées ; il devait également, toujours en sa qualité de maître d'œuvre d'exécution des travaux, délivrer les ordres de service, établir les procès- verbaux nécessaires à l'exécution de travaux, procéder aux constats contradictoires, organiser et diriger les réunions de chantier.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2024, le département de l'Hérault, représenté par Me Charrel, conclut :
1°) au rejet de la requête de la société IGIOA ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement en ce qu'il condamne la société IGIOA seulement au paiement de la somme de 348 337,97 euros toutes taxes comprises ; à titre principal, à la condamnation de la société IGIOA à lui verser la somme de 829 376,11 euros hors taxes ; à titre subsidiaire à la condamnation de cette société à lui verser la somme de 414.688, 055 euros hors taxes ;
3°) à ce que la somme de 2 300 euros soit mise à la charge de la société IGIOA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les premiers juges ont retenu à tort la responsabilité de la société IGIOA au titre d'un manquement à son devoir de conseil dans l'établissement du décompte général du marché ; toutefois, le juge d'appel est en mesure de confirmer la condamnation du maître d'œuvre prononcée en première instance par substitution de motif, en retenant un autre fondement de la responsabilité invoqué par le demandeur ; la responsabilité de la société IGIOA, au titre des fautes commises dans la conception de l'ouvrage, peut utilement être invoquée, lorsque, comme en l'espèce, le désordre à raison duquel cette responsabilité est recherchée a fait l'objet, lors des opérations de réception, d'une réserve n'ayant jamais été levée ; par ailleurs, la réserve non levée n'a pas été suivie de l'établissement d'un décompte du marché de maîtrise d'œuvre ; c'est donc à tort que les premiers juges ont considéré que la réception avait eu pour effet d'éteindre toute responsabilité contractuelle du maître d'œuvre au titre des désordres réservés, sans rechercher si cette réserve avait été levée ultérieurement, ni si un décompte général définitif du marché de maîtrise d'œuvre était intervenu, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
- le bureau d'études IGIOA, titulaire du marché de maîtrise d'œuvre, avait comme missions la validation des choix techniques du projet ; si, au titre des études de projet (PRO), la société IGIOA a réalisé une notice ayant pour objet de décrire et de justifier le parti technique des travaux de réparation de l' " Estacade " désignant le rideau de palplanches, cette société, qui était tenue à un devoir de conseil envers le maître d'ouvrage, ainsi que le rappelle l'article 12 du code de déontologie des architectes, s'est abstenue d'attirer l'attention du département de l'Hérault sur le risque attaché à la mise en œuvre de la solution technique du rideau de palplanches ; la société IGIOA aurait dû exiger la réalisation d'études géotechniques, et le choix technique qu'elle a fait a méconnu les caractéristiques géologiques des sols et remis en cause la faisabilité du projet, sans que jamais l'attention du maître d'ouvrage ait été attirée sur les risques inhérents à ce choix ;
- en qui concerne l'appel incident, il est demandé, à titre principal, la condamnation de la société IGIOA à lui verser la somme de 829 376,11 euros hors taxes ; il appartient à cet égard à la cour de rectifier l'erreur de calcul commise par le tribunal administratif dès lors que la part de responsabilité de 50 % mise à la charge de la société IGIOA n'a pas été calculée sur la totalité du préjudice estimé par les premiers juges ; à titre subsidiaire, la société IGIOA devra être condamnée à verser au département de l'Hérault la somme de 414 688, 055 euros hors taxes au regard de la part de responsabilité de 50 % laissée à sa charge par le rapport d'expertise.
Par un mémoire en défense du 27 juillet 2024, Me Torelli, Etude Balincourt, mandataire chargé de la liquidation judiciaire de la société Bauland Travaux Publics, représenté par Me Maillot, conclut :
1°) au rejet de la requête de la société IGIOA ;
2°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société IGIOA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que c'est à bon droit que les premiers juges l'ont mise hors de cause dès lors que, compte tenu du caractère définitif du décompte général, la responsabilité contractuelle de la société Bauland Travaux Publics ne peut être engagée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2024, la société Hydrogéotechnique, représentée par Me Pons conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que le bureau d'étude IGIOA, l'étude Balincourt, la société Bauland TP, et la société Colas Midi Méditerranée soient condamnés solidairement à la garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, à ce que la condamnation la concernant n'excède pas 10% des préjudices évalués par l'expert ;
4°) à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge solidaire du département de l'Hérault, du bureau d'études IGIOA, de la société Bauland TP et de la société Colas Midi Méditerranée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Hydrogéotechnique soutient que :
- elle ne peut être regardée comme ayant commis une faute dès lors que, si elle a été chargée d'établir des études géotechniques en 2002 et en 2009, la responsabilité contractuelle du prestataire chargé de réaliser les études préalables aux travaux cesse dès la remise du rapport, sauf manquement aux diligences normales attendues d'un professionnel ; ce manquement doit s'apprécier au regard des missions confiées ; en l'espèce, la société Hydrogéotechnique s'est vu attribuer une mission de type G 11 et G 12, consistant en une étude préliminaire et de faisabilité des ouvrages, ainsi qu'une étude de prédimensionnement des ouvrages géotechniques ; dans son rapport du 14 octobre 2002, elle avait alerté le maître d'ouvrage sur le risque d'ébranlement de l'ouvrage si la solution technique du battage de palplanches était retenue ; la mission de type G5, confiée en 2009, consistait dans la réalisation de forages et d'essais pressiométriques ; dans son rapport déposé le 28 mai 2009, il était fait état du premier rapport du 14 octobre 2002, lequel indiquait les caractéristiques hydrogéologiques du sol ; il apparaît donc que la société a rempli les missions qui lui ont été confiées et qu'il appartenait au département de l'Hérault, ainsi que l'ont considéré à bon droit les premiers juges, de solliciter d'autres études complémentaires ; la société IGIOA n'a pas tenu compte de ses recommandations et devra le cas échéant la garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre ; l'entreprise Bauland, qui a utilisé un matériel de fonçage inadapté, ainsi que le
relève l'expert, devra également la garantir d'une condamnation qui serait prononcée à son encontre, et il en est de même de la société Colas Midi Méditerranée.
Par une ordonnance du 18 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 5 novembre 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier. Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;
- le décret n° 93-1270 du 29 novembre 1993 ;
-l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bentolila, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique
- et les observations de Me Harket pour le département de l'Hérault, de Me Montesinos Brisset pour la Selarl Etude Balincourt mandataire liquidateur de la société Bauland TP et de Me Riverot substituant Me Pons pour la société Hydrogéotechnique.
Considérant ce qui suit :
1. Le département de l'Hérault a entrepris la reconstruction, la réparation et le réaménagement du quai Maréchal Joffre à Sète, appelé " L'Estacade ". Un marché de maîtrise d'œuvre a été conclu le 23 novembre 2010 pour un montant de 24 727, 30 euros toutes taxes comprises avec la société IGIOA, et un marché de travaux a été conclu pour un montant de 1 723 839,55 euros hors taxes avec un groupement solidaire d'entreprises composé des sociétés SGREG Sud-Est, aux droits de laquelle est venue la société Colas Midi Méditerranée, Bauland et Heaven Climber par un acte d'engagement du 21 octobre 2011. Les travaux ont débuté le 11 janvier 2012, mais le 14 mars 2012, lors du battage des premiers mètres de palplanches sur la section n° 2 de l'ouvrage, un mur de soutènement a basculé vers le canal et a provoqué une fracture dans le corps de remblai de l'ancienne chaussée, ce qui a entraîné l'interruption du chantier. Le département, estimant que les travaux de réparation des dégâts provoqués par l'accident bouleverseraient l'économie générale du marché de travaux a résilié celui-ci pour un motif d'intérêt général le 16 août 2012. Un décompte général de résiliation a été établi le 5 février 2013 fixant à 1 052 830,30 euros hors taxes le montant des prestations réalisées. Le département de l'Hérault a parallèlement demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier de désigner un expert chargé de se prononcer sur les causes de l'accident, les responsabilités encourues et d'évaluer ses préjudices. Après le dépôt du rapport d'expertise le 27 février 2017, le département de l'Hérault a saisi le tribunal administratif de Montpellier d'une demande tendant, à titre principal, à l'engagement de la responsabilité contractuelle de la société Hydrogéotechnique, auteur des études géotechniques initiales, des sociétés Colas SA, Colas Midi Méditerranée, IGIOA et Bauland TP, et, à titre subsidiaire, à l'engagement de la
garantie décennale de ces mêmes constructeurs, pour obtenir l'indemnisation des préjudices subis.
2. Par jugement du 12 mai 2022, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la seule société IGIOA, maître d'œuvre, à verser au département de l'Hérault la somme de 348 337,97 euros toutes taxes comprises pour des fautes commises dans l'établissement du décompte général définitif du marché de travaux, et a rejeté le surplus des conclusions du département dirigées contre cette société. La société IGIOA relève appel du jugement du 12 mai 2022 du tribunal administratif de Montpellier. Par la voie de l'appel incident, le département de l'Hérault demande à la cour de porter à 829 376,11 euros le montant de la condamnation de la société IGIOA.
Sur l'appel principal présenté par la société IGIOA :
3. Aux termes de l'article 7 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée, applicable au marché de maîtrise d'œuvre en litige : " (...) Pour la réalisation d'un ouvrage, la mission de maîtrise d'œuvre est distincte de celle d'entrepreneur. / Le maître de l'ouvrage peut confier au maître d'œuvre tout ou partie des éléments de conception et d'assistance suivants : / 1° Les études d'esquisse ; / 2° Les études d'avant-projets ; / 3° Les études de projet ; / 4° L'assistance apportée au maître de l'ouvrage pour la passation du contrat de travaux ; / 5° Les études d'exécution ou l'examen de la conformité au projet et le visa de celles qui ont été faites par l'entrepreneur ; / 6° La direction de l'exécution du contrat de travaux ; / 7° L'ordonnancement, le pilotage et la coordination du chantier ; / 8° L'assistance apportée au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement ". Aux termes de l'article 9 du décret du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par les maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé : " La direction de l'exécution du ou des contrats de travaux a pour objet : (...) d) De vérifier les projets de décomptes mensuels ou les demandes d'avances présentés par l'entrepreneur, d'établir les états d'acomptes, de vérifier le projet de décompte final établi par l'entrepreneur, d'établir le décompte général (...) ". Aux termes de l'article 11 du même décret : " L'assistance apportée au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement a pour objet : a) D'organiser les opérations préalables à la réception des travaux ; b) D'assurer le suivi des réserves formulées lors de la réception des travaux jusqu'à leur levée ; c) De procéder à l'examen des désordres signalés par le maître de l'ouvrage ; d) De constituer le dossier des ouvrages exécutés nécessaires à leur exploitation. "
4. Il résulte de l'instruction que le marché de maîtrise d'œuvre conclu le 18 novembre 2010 par le département de l'Hérault avec la société IGIOA attribuait à cette société la réalisation des études de projet et des études d'exécution, une mission d'assistance du maître de l'ouvrage pour la passation des contrats de travaux, l'élaboration du dossier de consultation des entreprises, et les visas des plans d'exécution. Ainsi, la mission de maîtrise d'œuvre contractuellement définie ne comprenait pas la direction de l'exécution des contrats de travaux, laquelle inclut notamment l'établissement du décompte général conformément aux dispositions précitées de l'article 9 du décret du 29 novembre 1993, ni l'assistance apportée au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception des travaux, telle que définie à l'article 11 précité du même décret. Dans ces conditions, la société IGIOA est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges l'ont condamnée à verser au département de l'Hérault la somme de 348 337,97 euros, toutes taxes comprises, au motif qu'elle avait manqué à son obligation de conseil du maître d'ouvrage dans l'établissement du décompte de résiliation, faute d'avoir
inscrit dans celui-ci le montant des préjudices liés à la réserve émise lors de la réception intervenue le 6 décembre 2012 pour les désordres résultant de l'accident du 14 mars 2012, une telle mission n'ayant pas été confiée à la société IGIOA ainsi qu'il vient d'être dit.
5. Il appartient toutefois à la cour, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens invoqués par le département de l'Hérault en première instance comme en appel.
6. Le département fait valoir que la responsabilité contractuelle de la société IGIOA doit être engagée au titre d'un manquement à ses missions de conception de l'ouvrage. La réception d'un ouvrage, qui est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve vaut pour tous les participants à l'opération de travaux, même si elle n'est prononcée qu'à l'égard des entreprises, et met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Il en résulte qu'indépendamment de la décision du maître d'ouvrage de réceptionner les prestations de maîtrise d'œuvre, la réception de l'ouvrage met fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, lequel a la qualité de constructeur, en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l'ouvrage, au nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet ouvrage.
7. Il résulte de l'instruction que la réception des ouvrages, prononcée le 6 décembre 2012 par le maître d'ouvrage, comportait la réserve suivante : " Lors du battage des premiers mètres linéaires de palplanches sur la section n° 2 le 14 mars 2012, le mur de soutènement situé à proximité immédiate du rideau a basculé vers le canal. Le basculement a provoqué la création d'une fracture dans le corps de remblai existant de l'ancienne chaussée. Ce désordre n'a, à ce jour, pas été réparé. En conséquence, le maître d'ouvrage sur le conseil de son AMO (CETE) a réalisé des reconnaissances géotechniques complémentaires afin de déterminer les causes de ce désordre qui ont révélé une modification des hypothèses géotechniques initiales remettant en cause la faisabilité du projet ". Il est constant que cette réserve, qui suit la résiliation du marché qui est intervenue le 16 août 2012, n'a jamais été levée. Au surplus, il ne résulte pas de l'instruction que l'établissement d'un décompte définitif du marché de maîtrise d'œuvre serait intervenu. Dans ces conditions, le département de l'Hérault est en droit de rechercher la responsabilité de la société IGIOA au titre d'éventuelles fautes commises dans la conception du projet à l'origine des désordres en litige.
8. Selon l'article 5 du décret du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé applicable au présent marché de maîtrise d'œuvre : " Les études de projet ont pour objet : a) De préciser par des plans, coupes et élévations, les formes des différents éléments de la construction, la nature et les caractéristiques des matériaux et les conditions de leur mise en œuvre ;b) De déterminer l'implantation, et l'encombrement de tous les éléments de structure et de tous les équipements techniques ; c) De préciser les tracés des alimentations et évacuations de tous les fluides ;d) D'établir un coût prévisionnel des travaux décomposés par corps d'état, sur la base d'un avant-métré ;e) De permettre au maître de l'ouvrage, au regard de cette évaluation, d'arrêter le coût prévisionnel de la réalisation de l'ouvrage et, par ailleurs, d'estimer les coûts de son exploitation ; f) De déterminer le délai global de réalisation de l'ouvrage ". Ainsi qu'il a été dit au point 4, la mission définie par les dispositions précitées avait été confiée à la société IGIOA par son marché de maîtrise d'œuvre du 23 novembre 2010.
9. Le marché de maîtrise d'œuvre du 23 novembre 2010 stipulait, notamment, qu'il incombait à la société IGIOA, au titre de l'établissement des études de confirmation des choix techniques du projet, d'établir : " Poste 1 : 1.1 (la) Reprise de la justification du rideau de palplanches principal en intégrant une cote PHE+ 2, 0 NGF ", 1.2 (la) Réalisation d'un rideau de palplanches le long de la section 2 en lieu et place d'une simple réparation du linéaire... ". La société IGIOA ne saurait utilement se prévaloir de l'absence de faute de sa part dans l'exécution de missions qui lui avaient été primitivement confiées lors d'un précédent marché conclu en 2008 et distinct du marché de maîtrise d'œuvre en litige du 23 novembre 2010, lequel ne se présente pas davantage comme un avenant à des marchés conclus antérieurement.
10. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport établi par l'expert désigné en référé par le tribunal administratif de Montpellier, que le sinistre s'est produit le 14 mars 2012, sur la section 2 du projet, laquelle était constituée d'un mur de soutènement au pied duquel se trouvait un perré et d'un rideau de palplanches pour la réalisation de quais d'appontage des bateaux. Ce désordre a consisté dans le basculement du mur de soutènement vers le canal, ce qui a provoqué une fracture dans le corps de remblai de l'ancienne chaussée. Cet accident, qui a conduit à l'arrêt des travaux, puis à la résiliation du marché, a pour cause, selon les conclusions du rapport d'expertise, les vibrations importantes produites par l'utilisation d'un matériel de vibro-fonçage inadapté, conjugué à la consistance sablonneuse du sol. Si la société IGIOA soutient qu'elle a, à plusieurs reprises, demandé la réalisation de sondages supplémentaires, les documents auxquelles elle se réfère sont antérieurs à la signature du marché de maîtrise d'œuvre du 23 novembre 2010, lequel avait précisément pour objet la confirmation des choix techniques du projet. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que, comme le relève l'expert dans son rapport, les deux expertises géotechniques établies par la société Hydrogéotechnique en 2002 et 2009, dont la société IGIOA soutient qu'elle les a intégrées dans le dossier de consultation des entreprises, ont porté sur la section 1 du projet et non sur la section 2 concernée par l'accident survenu le 14 mars 2012. A cet égard, il ne résulte pas de l'instruction que la société IGIOA aurait demandé la production d'études géotechniques concernant la section 2 de l'ouvrage propres à prévenir la réalisation de l'accident survenu le 14 mars 2012. Dans ces conditions, les désordres consécutifs au basculement du mur de soutènement engagent la responsabilité contractuelle de la société Igioa vis-à-vis du département de la Haute-Garonne.
11. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les désordres en litige ont aussi pour cause les fautes commises par l'entreprise Bauland dans l'exécution des travaux de fonçage, cette dernière ayant choisi un matériel de vibro-fonçage inadapté à la nature du sol. De même, les désordres en cause engagent la responsabilité du département de l'Hérault, maître d'ouvrage s'étant réservé la mission de direction de l'exécution des travaux. Dans les circonstances de l'espèce, au regard des conclusions du rapport d'expertise qui ne sont pas sérieusement contestées, il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité devant revenir à la société IGIOA en la fixant à 50 % du montant des préjudices subis par le département.
12. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le coût des travaux nécessaires à la reprise du marché jusqu'à son terme s'élèverait à 566 473,39 euros. Un tel montant, de nature à bouleverser l'économie du marché, était de nature à justifier sa résiliation pour un motif d'intérêt général. Par suite, la société IGIOA n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité du département de l'Hérault doit être engagée pour avoir abusivement résilié le marché.
Sur la réparation des préjudices :
13. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la poursuite de l'opération nécessite, notamment, de reprendre sondages et essais géotechniques, la réalisation d'un giratoire, des travaux supplémentaires de confortement des rideaux palplanches et la réparation du mur de soutènement. Dans ces conditions, compte tenu des éléments apportés par l'expert non contestés par la société IGIOA, le préjudice total subi par le département de l'Hérault doit être évalué à la somme totale de 829 376,11 euros hors taxes.
14. Compte tenu de la part de responsabilité devant être mise à la charge de la société IGIOA, telle que retenue au point 11, soit 50 % du montant du préjudice, le département de l'Hérault est fondé à demander, par la voie de l'appel incident, que la somme que les premiers juges ont mise à la charge de cette société soit portée à 414 688,05 euros hors taxes.
15. En revanche, compte tenu du partage de responsabilité précité, les conclusions présentées par le département de l'Hérault tendant à la condamnation de la société IGIOA à lui verser la totalité du préjudice subi, soit la somme de 829 376,11 euros hors taxes, doivent être rejetées.
Sur les frais d'expertise :
16. Il résulte de ce qui précède que la société IGIOA n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a mis à sa charge les frais et honoraires de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 29 626,67 euros toutes taxes comprises.
Sur les frais liés au litige :
17. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 348 337,97 euros que le tribunal administratif de Montpellier a mise à la charge de la société IGIOA au profit du département de l'Hérault est portée à 414 688,05 euros hors taxes.
Article 2 : Le jugement du 12 mai 2022 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il est contraire à ce qui précède.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société IGIOA, au département de l'Hérault, et aux sociétés Hydrogéotechnique, Colas SA, Colas Midi Méditerranée, et Bauland TP prise en la personne de son liquidateur judiciaire la Société Etude Balincourt. Copie pour information en sera adressée à M. A..., expert.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2024.
Le rapporteur
P. Bentolila
Le président,
F.Faïck
La greffière,
C.Lanoux
La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.