Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... Pellicer a demandé au tribunal administratif de Toulouse de constater le non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du garde des sceaux, ministre de la justice refusant implicitement de faire droit à sa demande de protection fonctionnelle, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros assortie des intérêts au taux légal et des intérêts en réparation des préjudices subis et de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 4 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a transmis au tribunal administratif de Montpellier la requête, enregistrée au tribunal administratif de Toulouse, et présentée pour Mme Pellicer, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2022398 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, dit n'y avoir lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation présentées contre la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé d'accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à Mme Pellicer et a, d'autre part, rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 septembre 2022, Mme A... Pellicer, représentée par Me George, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement rendu le 13 juillet 2022 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande indemnitaire préalable avec capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;
- son affection, à avoir un syndrome anxiodépressif, a été reconnue imputable au service, le 27 avril 2022, elle a été placée, le même jour, en congé d'invalidité temporaire imputable au service pour la période du 2 juin 2020 au 11 mai 2022 ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que les éléments versés au dossier ne constituaient que des faits occasionnels ou un incident isolé, alors qu'il s'agit d'agissements installés dans la durée ;
- l'absence de faute de son administration ne fait pas obstacle à ce qu'une situation de harcèlement moral liée notamment à une faute personnelle d'un supérieur hiérarchique détachable du service soit reconnue ;
- son rattachement hiérarchique à une autre directrice de greffe adjointe n'a été effectif qu'à compter du mois de janvier 2021, alors que sa première dénonciation des faits de harcèlement moral à son encontre a eu lieu le 5 novembre 2018 ;
- l'altération de son état de santé psychique justifie que lui soit allouée une somme de 25 000 euros au titre de son préjudice moral.
Par une ordonnance du 24 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 juillet 2023.
Un mémoire en défense présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice a été enregistré, le 6 novembre 2024, soit postérieurement à la date de clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me George représentant Mme Pellicer.
Une note en délibéré présentée pour Mme Pellicer a été enregistrée le 19 novembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Mme Pellicer, greffière au tribunal judiciaire de Rodez (Aveyron), depuis le 1er février 2018, affectée au service d'accueil unique du justiciable et au service des tutelles, a présenté, le 3 février 2020, une demande de protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral dont elle se déclare victime de la part de son supérieur hiérarchique. Initialement implicitement rejetée, sa demande a été acceptée, le 23 mars 2021, par le garde des sceaux, ministre de la justice. Mme Pellicer a contesté le refus initial et, après avoir présenté une réclamation indemnitaire préalable, a présenté des conclusions à fin d'indemnisation. Par un jugement rendu le 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Montpellier a dit n'y avoir lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation présentées contre le refus de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et a rejeté le surplus des conclusions à fin d'indemnisation. Mme Pellicer relève appel du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à ses conclusions à fin d'indemnisation et sollicite la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation de ses préjudices.
Sur la régularité du jugement :
2. Hormis dans le cas où les juges de première instance ont méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à eux et ont ainsi entaché leur jugement d'irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les juges de première instance se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, Mme Pellicer ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une erreur de droit ou d'une erreur d'appréciation.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Lorsqu'un agent est victime dans l'exercice de ses fonctions, d'agissements répétés de harcèlement moral visés à l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, il peut demander à être indemnisé par l'administration de la totalité du préjudice subi, alors même que ces agissements ne résulteraient pas d'une faute qui serait imputable à celle-ci.
4. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
5. D'une part, la circonstance que l'administration a accordé à Mme Pellicer le bénéfice de la protection fonctionnelle pour qu'elle puisse se prémunir des agissements allégués dans le cadre des plaintes déposées, le 18 février 2020, contre ses supérieurs hiérarchiques ne permet pas à elle-seule de faire présumer de l'existence de faits constitutifs de harcèlement à son encontre.
6. D'autre part, pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors que la répétition de faits n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.
7. Mme Pellicer soutient qu'elle a été victime, à compter du mois d'octobre 2018, de la part de ses supérieurs hiérarchiques, de faits de harcèlement moral consistant en des propos injurieux et à caractère sexiste, de propos de dénigrement, de menaces et de comportements inappropriés. Pour autant, elle ne verse au dossier que des courriels et des attestations de certains de ses collègues, qui décrivent des difficultés relationnelles et un contexte de tension et relatent des échanges verbaux tendus lors d'une réunion de service, le 3 décembre 2019, et ponctuellement une surveillance de ses tâches liées à l'accueil des justiciables, mais ne constituent pas des éléments susceptibles de laisser présumer des agissements malveillants et répétés à l'encontre de Mme Pellicer. En outre, le propos grossier tenu par l'un de ses supérieurs hiérarchiques, le 19 octobre 2018, constitue un fait isolé et ne saurait relever d'une situation d'agissements répétés de harcèlement moral. Si Mme Pellicer invoque des changements de tâche fréquents, aucun élément n'est produit à l'appui de ce grief, la circonstance qu'il lui ait été demandé de résoudre elle-même une difficulté liée au logiciel de pointage n'en relevant nullement et ne constituant pas davantage un propos dénigrant. Enfin, la circonstance qu'elle a été affectée à compter du 5 novembre 2018, tous les matins, au service d'accueil unique du justiciable, soit 50% de son temps de travail en lieu et place d'une quotité habituelle de 40%, ne saurait, à elle seule, constituer des faits constitutifs de harcèlement moral à son égard.
8. Par ailleurs, si les certificats et autres éléments médicaux produits par l'appelante attestent de sa souffrance au travail, et si sa pathologie a été regardée comme imputable au service, le 27 avril 2022, avec placement en congé pour invalidité temporaire imputable au service pour la période du 2 juin 2020 au 11 mai 2022, ces éléments ne suffisent pas à établir que son état de santé découlerait d'un harcèlement moral subi dans la juridiction.
9. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 6 à 8, les éléments de fait soumis par Mme Pellicer dans la présente instance, même pris dans leur ensemble, s'ils révèlent un contexte de tension et des relations hiérarchiques difficiles auxquelles le président du tribunal et le procureur de la République ont tenté de remédier, ainsi que les premiers juges l'ont relevé, par l'intervention d'une psychologue du travail à compter du mois de juillet 2020 et la désignation d'une nouvelle autorité hiérarchique de rattachement en janvier 2021, ne sont pas susceptibles de caractériser l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral à son encontre. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à solliciter la réparation du préjudice moral dont elle se prévaut à ce titre.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme Pellicer n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier, après avoir constaté le non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation, a rejeté le surplus de sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par Mme Pellicer au titre des frais exposés et non compris dans les dépens soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme Pellicer est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... Pellicer et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
Mme Bentolila, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.
La rapporteure,
D. Teuly-Desportes
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°22TL21963 2