Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de l'arrêté du 30 mai 2020 par lequel le maire de Salles-Curan a refusé de lui accorder un permis de construire modificatif portant sur un hangar agricole avec toiture photovoltaïque sur un terrain situé lieu-dit " Les Escourgous ".
Par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat du 4 avril 2022, le dossier a été attribué au tribunal administratif de Montpellier.
Par un jugement n° 2023981 rendu le 22 novembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande et a mis à la charge du groupement requérant une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 23 janvier 2023 et le 28 mars 2024, le groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous, représenté par Me Versini-Campinchi, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 22 novembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du maire de Salles-Curan du 30 mai 2020 ;
3°) d'enjoindre au maire de Salles-Curan de lui accorder le permis de construire modificatif sollicité ou, à titre subsidiaire, de se prononcer à nouveau sur sa demande de permis modificatif dans le délai d'un mois et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Salles-Curan le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- à titre principal, le jugement attaqué est irrégulier en raison de l'insuffisance de sa motivation, les premiers juges n'ayant pas explicité les raisons de leur position s'agissant de l'appréciation de la qualité du site et de l'impact de la construction sur ce site :
- à titre subsidiaire, sur le fond :
' l'arrêté en litige est insuffisamment motivé en ce qu'il ne précise pas les éléments de fait pris en compte s'agissant des caractéristiques du site et de la toiture du hangar ;
' le refus de permis de construire modificatif est entaché d'une erreur d'appréciation au regard de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme et de l'article A 11 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Salles-Curan : le maire n'a pas établi l'intérêt des lieux avoisinants ; il a fondé son refus sur l'intégralité de la construction et non pas sur les seules modifications sur lesquelles portait le permis modificatif ; les exigences opposées quant aux murs, à la volumétrie et à l'équilibre de la toiture sont arbitraires ; les bâtiments agricoles voisins présentent des caractéristiques architecturales comparables à celles du projet.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 février 2024, la commune de Salles-Curan, représentée par Me Vimini, conclut à la confirmation du jugement, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du groupement requérant une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;
- la demande de permis modificatif s'apparente en réalité à une nouvelle demande de permis compte tenu des modifications substantielles apportées au bâtiment.
Par une ordonnance en date du 28 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 avril 2024.
Les parties ont été informées, le 31 octobre 2024, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de relever d'office le moyen tiré de ce qu'en opposant au projet la disposition de l'article A 11 du règlement du plan local d'urbanisme selon laquelle " Les toitures respecteront la forme des toitures traditionnelles ", le maire a méconnu le champ d'application de cette disposition, qui n'est pas opposable aux constructions à destination d'exploitation agricole.
Des observations en réponse à ce moyen d'ordre public, présentées par la commune de Salles-Curan, représentée par Me Vimini, ont été enregistrées le 4 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,
- les conclusions de M. Diard, rapporteur public,
- les observations de Me Duclerc, représentant le groupement appelant,
- et les observations de Me Vimini, représentant la commune intimée.
Une note en délibéré, produite pour la commune de Salles-Curan, représentée par Me Vimini, a été enregistrée le 7 novembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Le groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous a demandé, le 13 mai 2016, un permis de construire pour la réalisation d'un hangar de stockage de fourrage et matériaux, pourvu d'une toiture photovoltaïque, sur une parcelle cadastrée section BX n° 18, située lieu-dit " Les Escourgous " sur le territoire de la commune de Salles-Curan (Aveyron). Le maire de cette commune lui a accordé ce permis de construire par un arrêté du 9 juin 2016. Le groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous a déclaré l'ouverture du chantier le 7 janvier 2019 et a sollicité un permis de construire modificatif le 18 mars 2020. Le maire de Salles-Curan a refusé de lui accorder ce permis modificatif par un arrêté du 30 mai 2020. Par la présente requête, ledit groupement interjette appel du jugement du 22 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande, initialement introduite devant le tribunal administratif de Toulouse, tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 mai 2020.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Selon l'article A 11 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Salles-Curan, applicable à la zone agricole A dans laquelle se situe le terrain d'assiette du projet litigieux : " Aspect extérieur : / Par leur aspect extérieur, les constructions, installations et aménagements ne doivent pas porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, des sites et des paysages naturels ou urbains. / (...) / Pour les constructions à destination d'exploitation agricole ou au stockage et à l'entretien de matériel agricole par les coopératives d'utilisation de matériel agricole agréées : / (...) / 4. Toitures : / Le matériau de couverture des bâtiments sera l'ardoise, la lauze ou un matériau de teinte similaire (ex : de type coloragri ou similaire). / (...) / Pour les autres constructions (ex : maison d'habitation, etc) : / (...) / 4. Toitures : / Les toitures respecteront la forme des toitures traditionnelles. Le matériau de couverture des bâtiments sera l'ardoise, la lauze ou un matériau de teinte similaire. / (...) ".
3. Il ressort des termes de l'arrêté en litige que pour refuser le permis de construire modificatif sollicité par le groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous, le maire de Salles-Curan s'est fondé, d'une part, sur les dispositions du premier alinéa précité de l'article A 11 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune et, d'autre part, sur la prescription prévue à l'avant-dernière phrase de ce même article mentionnée au point précédent aux termes de laquelle " Les toitures respecteront la forme des toitures traditionnelles ".
4. En premier lieu, il résulte des termes mêmes de l'article A 11 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune intimée que la disposition de cet article selon laquelle " Les toitures respecteront la forme des toitures traditionnelles " s'applique aux seules constructions ayant une destination autre que l'exploitation agricole ou le stockage et l'entretien de matériel agricole par les coopératives d'utilisation de matériel agricole agréées. En opposant une telle prescription au projet présenté par le groupement requérant, lequel porte sur un hangar agricole, le maire de Salles-Curan a donc méconnu le champ d'application de cette disposition.
5. En second lieu, pour rechercher l'existence d'une atteinte de nature à justifier un refus de permis de construire sur le fondement des dispositions du premier alinéa de l'article A 11 du règlement du plan local d'urbanisme, il appartient à l'administration d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Les dispositions précitées excluent qu'il soit procédé, dans le second temps du raisonnement, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux mentionnés par ces dispositions. Pour apprécier aussi bien la qualité du site que l'impact de la construction sur ce site, il appartient à l'administration de prendre en compte l'ensemble des éléments pertinents et notamment, le cas échéant, la covisibilité du projet avec des bâtiments remarquables.
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, si le hangar agricole sur lequel porte la demande de permis de construire modificatif en litige est implanté dans un environnement naturel et agricole ne comportant que quelques bâtiments épars, le secteur en cause ne fait néanmoins l'objet d'aucune mesure de protection particulière au plan paysager ou patrimonial et ne peut ainsi être regardé comme présentant un caractère remarquable. Par ailleurs, si le maire de Salles-Curan a relevé dans son arrêté que l'architecture traditionnelle des bâtiments agricoles aveyronnais se caractérisait par " une toiture bi-pente équilibrée et une volumétrie classique avec murs pleins ", les photographies de hangars existants produites par les deux parties au soutien de leurs écritures ne permettent toutefois pas de retenir que les constructions agricoles situées dans les environs du bâtiment litigieux présenteraient une réelle homogénéité architecturale, s'agissant notamment de la forme de leurs toitures ou de la consistance de leurs murs de façades.
7. D'autre part, il ressort tant du formulaire de demande de permis modificatif que des pièces graphiques jointes à cette demande que, si les dimensions de la toiture du hangar ont été légèrement modifiées par rapport au projet initialement autorisé le 9 juin 2016 pour s'adapter à l'évolution de l'emprise au sol du bâtiment, la configuration générale de cette toiture à deux pentes, ainsi que son aspect extérieur, sont demeurés inchangés et les proportions respectives de ses deux pentes sont, en particulier, pratiquement identiques. De la même manière, si la façade sud de la construction est désormais ouverte et non plus revêtue de murs pleins, tel était déjà le cas de sa façade orientée à l'est dans le permis de construire initial et cette dernière façade se présente au demeurant à nouveau avec un mur plein dans le dossier de permis modificatif. Par suite et alors en outre que le bâtiment ne méconnaît pas les prescriptions spécialement prévues par l'article A 11 du règlement du plan local d'urbanisme pour les toitures des constructions agricoles, telles que mentionnées au point 2 du présent arrêt, la seule circonstance que le hangar litigieux comporte désormais un auvent surmonté d'un débord de toiture sur sa façade nord, laquelle n'est d'ailleurs visible depuis aucun espace public, ne permet pas de considérer que les modifications apportées par le groupement pétitionnaire au projet tel qu'initialement autorisé porteraient, par elles-mêmes, atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants.
8. Eu égard à tout ce qui précède, le groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous est fondé à soutenir qu'en rejetant sa demande de permis modificatif au motif que l'opération présentée ne respecterait pas l'article A 11 du règlement du plan local d'urbanisme, le maire de Salles-Curan a fait une inexacte application des dispositions de cet article.
9. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve qu'elle ne prive pas l'intéressé d'une garantie procédurale attachée au motif ainsi substitué.
10. L'autorité administrative compétente, saisie d'une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d'un permis de construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction autorisée par ce permis n'est pas achevée, dès lors que les modifications envisagées n'apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.
11. En l'espèce, la commune de Salles-Curan fait valoir que la demande de permis modificatif en litige s'apparentait en réalité à une nouvelle demande de permis compte tenu des modifications substantielles apportées au bâtiment initialement autorisé. Il ressort toutefois du rapprochement des pièces composant les deux dossiers de demande de permis que le bâtiment modifié a conservé la même destination, qu'il est resté implanté au même emplacement sur la parcelle considérée, que sa longueur et sa largeur ont été légèrement modifiées avec pour effet de réduire son emprise au sol de 791 à 720 mètres carrés, que sa hauteur au faîtage est passée de 7,50 à 8,81 mètres et que les matériaux et couleurs retenus n'ont connu aucune évolution. Les modifications ainsi intervenues par rapport au projet initial n'ont pas bouleversé ledit projet au point d'en changer la nature même. Elles pouvaient donc être autorisées par un simple permis modificatif sans nécessiter une nouvelle demande de permis. Par voie de conséquence, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de substitution de motif présentée par la commune.
12. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, les autres moyens invoqués par le groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous ne sont pas de nature à entraîner, en l'état de l'instruction, l'annulation de l'arrêté du 30 mai 2020.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que le groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 mai 2020 et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
14. Lorsque le juge annule un refus d'autorisation ou une opposition à déclaration préalable après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncé dans sa décision, ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation ou une décision de non-opposition. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'aurait pas relevé, soit que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date de l'arrêt s'y oppose.
15. Le présent arrêt censure les motifs de refus opposés par le maire dans l'arrêté du 30 mai 2020 en litige et ne fait pas droit à la demande de substitution de motif présentée par la commune. Il ne résulte pas de l'instruction que les dispositions en vigueur le 30 mai 2020 ou les circonstances de fait existant à la date du présent arrêt s'opposeraient à l'octroi du permis modificatif sollicité par le groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au maire de Salles-Curan d'accorder ce permis modificatif audit groupement dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. En l'état de l'instruction, il n'apparaît pas nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mise à la charge du groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous, lequel n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque à verser à la commune de Salles-Curan au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune intimée une somme de 1 500 euros à verser au groupement appelant à ce même titre.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 22 novembre 2022 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du maire de Salles-Curan du 30 mai 2020 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au maire de Salles-Curan d'accorder le permis de construire modificatif au groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous dans le délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 4 : La commune de Salles-Curan versera une somme de 1 500 euros au groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Les conclusions présentées par la commune de Salles-Curan sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au groupement agricole d'exploitation en commun des Escourgous et à la commune de Salles-Curan.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Teulière, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne à la préfète de l'Aveyron, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23TL00252