Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Marlex et la société civile immobilière Mikadem ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Pertuis à leur verser ensemble la somme de 209 000 euros en réparation de leur préjudice financier, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2020, de réserver leurs droits d'assortir ultérieurement ce préjudice du montant définitif des dépens auxquels elles ont été condamnées par l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 18 avril 2019, de constater l'existence du préjudice économique de la société Marlex et de réserver son droit de chiffrer ultérieurement le montant définitif de ce préjudice, de constater le préjudice subi par la société Mikadem constitué par la perte de valeur vénale de la parcelle cadastrée section BB n° 138 et du hangar qui y est construit, et de réserver son droit de chiffrer ultérieurement le montant définitif de ce préjudice.
Par un jugement n° 2002744 du 5 juillet 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 septembre 2022 et le 8 août 2023, les sociétés Marlex et Mikadem, représentées par l'AARPI Choley et Vidal avocats, demandent à la cour :
1°) de réformer ou d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune de Pertuis à leur verser ensemble la somme de 209 000 euros en réparation de leur préjudice financier, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2020 ;
3°) de réserver leurs droits d'assortir ultérieurement ce préjudice du montant définitif des dépens auxquels elles ont été condamnées par l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 18 avril 2019 ;
4°) de condamner la commune de Pertuis à verser à la société Marlex la somme de 200 000 euros à parfaire au titre de son préjudice économique et de réserver le droit à chiffrer ultérieurement le montant définitif de ce préjudice ;
5°) de condamner la commune de Pertuis à verser à la société Mikadem la somme de 100 000 euros à parfaire au titre du préjudice financier résultant de la perte de valeur vénale de la parcelle cadastrée BB n°138 et du hangar de stockage construit sur celle-ci et de réserver le droit à chiffrer ultérieurement le montant définitif de ce préjudice ;
6°) de mettre à la charge de la commune de Pertuis une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le jugement est irrégulier, à défaut d'être signé ;
- la commune de Pertuis a adopté des décisions illégales fautives directement à l'origine des préjudices subis ;
- la délibération du 30 novembre 1992 portant création de la zone d'aménagement concerté Saint-Martin est illégale en raison de l'omission d'une étude d'impact préalable sur les nuisances sonores susceptibles d'être générées par cette création ; l'omission de l'étude d'impact obligatoire dans le projet de création et l'illégalité fautive de la délibération ont directement conduit à leur condamnation judiciaire et à la survenance de leurs préjudices ;
- le permis de construire du 3 décembre 2010 est illégal ; en ne s'interrogeant pas sur les conséquences de la construction envisagée sur les résidents voisins et en n'assortissant le permis d'aucune prescription spéciale, le maire a méconnu les obligations résultant de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et a entaché ce permis d'une erreur manifeste d'appréciation ; cette faute a indiscutablement conduit à leur condamnation judiciaire ;
- l'absence de zone tampon avec le secteur pavillonnaire dans la conception de la zone d'aménagement concerté est susceptible d'engager la responsabilité de la commune ; la délibération du 30 novembre 1992, même légale, a entraîné pour elles des préjudices anormaux et spéciaux ; la conception même de la zone d'aménagement concerté, approuvée par cette délibération, est à l'origine de leur condamnation et des préjudices qu'elles ont subis ;
- elles ont subi un préjudice financier commun représenté par leur condamnation pécuniaire par la cour d'appel de Nîmes à verser aux voisins appelants une somme totale de 209 000 euros, à laquelle s'ajoute leur condamnation aux dépens ;
- la société Marlex a subi un préjudice économique, pouvant être fixé à au moins 200 000 euros ;
- la société Mikadem a subi une perte de valeur vénale de la parcelle cadastrée BB n°138 dont elle est propriétaire et du hangar de stockage construit sur celle-ci, évalué à au moins 100 000 euros.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 5 et 13 décembre 2022, la commune de Pertuis, représentée par la SELARL Abeille et associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge des sociétés requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle méconnaît l'autorité de la chose jugée ;
- l'action des sociétés requérantes est prescrite ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 27 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 10 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des communes ;
- le code de l'environnement ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 68-1258 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 76-29 du 10 juillet 1976 ;
- le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience :
- le rapport de M. Teulière, président-assesseur,
- les conclusions de M. Diard, rapporteur public,
- les observations de Me Rolland, représentant les sociétés requérantes,
- et les observations de Me Richard, représentant la commune de Pertuis.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile immobilière Mikadem, propriétaire, depuis le 29 décembre 2010, de la parcelle cadastrée section BB n° 138 située dans la zone d'aménagement concerté Saint-Martin, sur le territoire de la commune de Pertuis (Vaucluse), a fait édifier sur cette parcelle un bâtiment à usage de local de stockage et de bureaux, et un parking pour 34 véhicules de tourisme ou utilitaires. La société anonyme Marlex y exerce une activité de déménagement et garde-meubles sous l'enseigne " Peysson Déménagement ". Par un arrêt du 18 avril 2019, la cour d'appel de Nîmes, après avoir constaté l'existence d'un trouble anormal de voisinage, a condamné ces deux sociétés in solidum à verser à trois voisins dont les habitations sont situées à proximité de cette parcelle, la somme totale de 202 000 euros, en réparation de la perte de valeur vénale de leurs biens, de leur préjudice de jouissance et de leur préjudice moral. Par le même arrêt, la cour a interdit à la société Marlex d'exercer son activité avant 7 heures et après 19 heures et a rejeté les conclusions à fin d'appel en garantie présentées par ces deux sociétés à l'encontre de la commune de Pertuis. Les sociétés Mikadem et Marlex ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Pertuis à les indemniser de leurs préjudices en lien avec leur condamnation judiciaire. Par un jugement n° 2002744 du 5 juillet 2022, dont elles relèvent appel, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande indemnitaire.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ". En l'espèce, il résulte de l'instruction que la minute du jugement contesté a été signée par le président de la formation de jugement, la rapporteure ainsi que la greffière d'audience. Par suite, le moyen soulevé tiré du caractère irrégulier du jugement contesté, faute de signatures de la minute, manque en fait et ne peut donc qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité pour faute de la commune de Pertuis et le lien de causalité :
3. Aux termes de l'article L. 311-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les zones d'aménagement concerté sont les zones à l'intérieur desquelles une collectivité publique ou un établissement public y ayant vocation décide d'intervenir pour réaliser ou faire réaliser l'aménagement et l'équipement des terrains, notamment de ceux que cette collectivité ou cet établissement a acquis ou acquerra en vue de les céder ou de les concéder ultérieurement à des utilisateurs publics ou privés. (...) ". L'article R. 311-3 de ce code dispose que : " La personne qui a pris l'initiative de la création de la zone constitue un dossier de création, approuvé, sauf lorsqu'il s'agit de l'Etat, par son organe délibérant, et l'adresse au maire de la commune concernée ainsi que, lorsque la création de la zone relève de sa compétence, au préfet du département. / Le dossier de création comprend : / a) Un rapport de présentation, qui indique notamment l'objet et la justification de l'opération, comporte une description de l'état du site et de son environnement et énonce les raisons pour lesquelles, au regard des dispositions d'urbanisme en vigueur et de l'insertion dans l'environnement naturel et urbain, le projet faisant l'objet du dossier de création a été retenu ; ce rapport comprend l'étude d'impact définie à l'article 2 du décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 (...) ". L'article 2 du décret susvisé du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'article 2 de la loi n° 76-29 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature dispose que : " Le contenu de l'étude d'impact doit être en relation avec l'importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l'environnement./ L'étude d'impact présente successivement : / (...) 2. Une analyse des effets sur l'environnement, et en particulier sur les sites et paysages, la faune et la flore, les milieux naturels et les équilibres biologiques et, le cas échéant, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses), ou sur l'hygiène et la salubrité publique ; (...) ".
4. En l'espèce, les sociétés appelantes ne contestent pas que les nuisances sonores causées par la société Marlex, qui ont conduit à leur condamnation par la juridiction judiciaire, ne provenaient pas de l'exercice normal de son activité, l'expert judiciaire ayant notamment constaté le stationnement de véhicules lourds à l'extérieur du site, à proximité immédiate des habitations des plaignants, le fonctionnement particulièrement bruyant d'un transpalette et le dirigeant de la société Marlex ayant informé l'expert du caractère alors particulièrement soutenu de l'activité du fait de la fermeture de son site de Montpellier. Surtout, il résulte de l'instruction, notamment de l'arrêt précité de la chambre civile de la cour d'appel de Nîmes, que les sociétés requérantes, qui connaissaient la configuration des lieux et la présence de riverains, ne pouvaient ignorer que l'installation d'une activité de déménagement et de garde-meubles sur une parcelle proche d'un secteur résidentiel risquait de générer des nuisances sonores. Dès lors, à supposer même que la délibération du 30 novembre 1992 du conseil municipal de Pertuis créant la zone d'aménagement concerté Saint-Martin ait été adoptée à l'issue d'une procédure irrégulière faute d'avoir été précédée d'une étude d'impact portant sur les incidences prévisibles du projet en matière de commodité du voisinage, les préjudices financiers allégués par les sociétés requérantes, qui résultent directement de leur condamnation judiciaire à raison du trouble anormal de voisinage généré par l'activité de la société Marlex, ne peuvent être regardés comme présentant un lien direct de causalité avec l'illégalité fautive qu'elles invoquent. Il en est de même du préjudice allégué propre à la société Mikadem tenant à la perte de valeur de son terrain et de son hangar de stockage, qui ne présente pas davantage de lien direct de causalité avec la faute invoquée.
5. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. ".
6. Les sociétés appelantes reprennent en appel le moyen tiré de l'existence d'une illégalité fautive commise par le maire de Pertuis en délivrant, le 3 décembre 2010, à la société Mikadem un permis de construire, en s'abstenant de l'assortir de prescriptions spéciales sur le fondement des dispositions citées au point précédent. Toutefois et contrairement à ce qu'elles prétendent, le dossier de demande de permis de construire ne comportait aucune indication sur l'activité de garde-meubles et de déménagement envisagée sur le site. Ni un hangar de stockage, ni même une aire de stationnement importante n'impliquent, par eux-mêmes, de fortes nuisances sonores sur de larges plages horaires, générées en l'espèce par un exercice anormal de l'activité ainsi qu'il a été exposé au point 4. Les sociétés appelantes ne peuvent, par ailleurs, pour en contester la légalité, utilement se prévaloir d'éléments ou d'informations extérieurs au dossier de demande de permis de construire. Par suite, le moyen tiré de ce que le permis de construire accordé le 3 décembre 2010 serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et, par suite, d'illégalité fautive, doit être écarté. Au surplus, à supposer même une illégalité fautive établie, les sociétés Marlex et Mikadem n'établissent pas l'existence d'un lien direct de causalité entre les préjudices allégués et cette faute.
7. Enfin, si les requérantes soutiennent que le maire de Pertuis les aurait, en toute connaissance de cause, incitées à acquérir le terrain dont s'agit et à y installer leur activité, elles se bornent sur ce point à des allégations dépourvues de toute justification. Aucun comportement fautif n'est donc établi à ce titre, ni aucun lien de causalité directe entre les préjudices allégués et la faute invoquée.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de la commune de Pertuis invoquée à titre subsidiaire sur le fondement d'une rupture d'égalité devant les charges publiques :
8. Les sociétés appelantes, qui n'ignoraient pas la configuration des lieux ainsi que l'absence de zone tampon avec le secteur résidentiel, n'établissent pas l'existence d'un lien direct de causalité entre la délibération du 30 novembre 1992 qui a approuvé le dossier de réalisation de la zone d'aménagement concerté Saint-Martin et les préjudices financiers qu'elles invoquent, lesquels résultent directement, ainsi qu'il a été dit, de leur condamnation par le juge judiciaire à raison du trouble anormal de voisinage généré par l'activité de la société Marlex. Il en est de même du préjudice allégué propre à la société Mikadem tenant à la perte de valeur de son terrain et de son hangar de stockage, qui ne présente pas davantage de lien direct de causalité avec l'acte du 30 novembre 1992.
9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir et l'exception de prescription opposées en défense, que les sociétés appelantes ne sont pas fondées à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande indemnitaire.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mise à la charge de la commune de Pertuis, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par les sociétés appelantes et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés Mikadem et Marlex le versement d'une somme globale de 1 500 euros à la commune de Pertuis au titre des frais d'instance exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête des sociétés Mikadem et Marlex est rejetée.
Article 2 : Les sociétés Mikadem et Marlex verseront une somme globale de 1 500 euros à la commune de Pertuis au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Marlex, à la société civile immobilière Mikadem et à la commune de Pertuis.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, où siégeaient :
- M. Chabert, président de chambre,
- M. Teulière, président assesseur,
- M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.
Le président-assesseur,
T. Teulière
Le président,
D. ChabertLe greffier,
N. Baali
La République mande et ordonne au préfet de Vaucluse en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22TL21937