Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de l'admettre au séjour, a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de mettre à la charge de l'Etat le paiement des entiers dépens du procès et le versement de la somme de 2 000 euros à son conseil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Par un jugement n° 2307077 du 17 janvier 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 26 octobre 2023, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. B... un titre de séjour en raison de son état de santé dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de le munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour, de verser à son conseil la somme 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 15 février 2024, sous le n°24TL00402, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement du 17 janvier 2024.
Il soutient que :
- son appel, présenté dans le délai de recours, est recevable ;
- c'est à tort que le magistrat désigné a jugé que son arrêté était entaché d'illégalité dès lors que l'intéressé n'a pas produit l'entier dossier du rapport médical du médecin instructeur du collège de l'office français de l'immigration et de l'intégration et que ce rapport n'a pas été demandé à l'office ;
- le magistrat désigné a renversé la charge de la preuve dans l'application de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les affections dont souffrirait M. B... ne sont pas justifiées par des certificats médicaux ;
- il n'est pas établi que les antidiabétiques " Ramipril " et " Janumet " ne seraient pas disponibles dans son pays d'origine, ni ne pourraient être remplacés par des médicaments de substitution ;
- la situation d'impécuniosité de M. B... ne pouvait être légalement retenue par le premier juge ;
- au surplus, cette situation est sujette à caution dans la mesure où l'intéressé aurait fait usage d'un faux passeport portugais pour obtenir des documents administratifs.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2024, M. A... B..., représenté par Me Amari-de Beaufort, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de confirmer le jugement du magistrat désigné, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés car celui-ci n'a pas tenu compte des pièces produites en première instance.
Par une ordonnance du 20 août 2024, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 18 septembre 2024.
Par une décision du 17 mai 2024, le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été maintenu de plein droit à M. B....
II. Par une requête, enregistrée le 15 février 2024, sous le n°24TL00403, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour, en application des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution du jugement du 17 janvier 2024.
Il soutient qu'il existe des moyens sérieux de nature à justifier, d'une part, l'annulation du jugement contesté, et, d'autre part, le rejet des conclusions à fin d'annulation, d'injonction et de condamnation accueillies, ainsi qu'il en a justifié dans sa requête au fond, à savoir les moyens tirés de l'erreur dans la charge de la preuve et l'erreur manifeste d'appréciation commises par le premier juge.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2024, M. A... B..., représenté par Me Amari-de Beaufort, conclut au rejet de la requête, demande à la cour d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi de 1991.
Il fait valoir que :
- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
- le préfet de la Haute-Garonne n'a pas exécuté le jugement rendu par le magistrat désigné.
Par une ordonnance du 16 septembre 2024, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 15 octobre 2024.
Par une décision du 17 mai 2024, le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été maintenu de plein droit à M. B....
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
- et les observations de Me Amari-de Beaufort, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen, né le 12 décembre 1991, est entré en France, selon ses déclarations, le 3 novembre 2022. Sa demande d'asile, formée le 9 novembre 2022, a été rejetée, le 30 janvier 2023, par l'office français de protection des réfugiés et apatrides, décision confirmée, le 14 juin 2023, par la cour nationale du droit d'asile. Le 8 août 2023, M. B..., invoquant son état de santé, a sollicité un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 26 octobre 2023, le préfet de la Haute-Garonne a refusé la délivrance du titre de séjour sollicité, a prononcé à l'encontre de M. B... une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par la requête n°24TL00402, le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 17 janvier 2024 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 26 octobre 2023 du préfet de la Haute-Garonne, a enjoint à cette autorité de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de le munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour. Par la requête n°24TL00403, le préfet de la Haute-Garonne en sollicite le sursis à exécution.
2. Les requêtes n° 24TL00402 et n° 24TL00403 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n°24TL00402 :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
3. D'une part, il ne résulte d'aucune disposition ni d'aucun principe que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse n'aurait pas pu statuer sur la demande de M. B... sans qu'ait été versé au dossier le rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration, dès lors que l'intéressé ne l'aurait pas sollicité. Au surplus, ainsi que cela ressort des pièces du dossier, M. B... avait sollicité l'entier dossier médical détenu par l'office français de l'immigration et de l'intégration, qui le lui avait transmis, le 12 octobre 2023. Par suite, le moyen soulevé en ce sens par le préfet de la Haute-Garonne doit, en tout état de cause, être écarté.
4. D'autre part, eu égard à l'office du juge d'appel, qui est appelé à statuer sur la régularité de la décision du premier juge et sur le litige qui a été porté devant lui, le moyen tiré de ce que le magistrat désigné aurait commis une erreur de droit en inversant la charge de la preuve dans l'application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée est inopérant.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
S'agissant du motif d'annulation retenu par le magistrat désigné :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État (...) ".
6. Pour déterminer si un étranger peut bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire d'un traitement médical approprié, au sens de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il convient de s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès, et non de rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France ou en Europe.
7. Il appartient au juge administratif d'apprécier, au vu des pièces du dossier, si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.
8. Le 12 octobre 2023, le collège des médecins de l'office français de l'immigration et l'intégration a émis un avis selon lequel l'état de santé de l'intimé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais que les caractéristiques du système de santé de son pays d'origine lui permettent d'y bénéficier d'un traitement approprié, son état de santé lui permettant en outre d'y voyager sans risque.
9. Pour annuler le refus de titre de séjour opposé par le préfet de la Haute-Garonne, qui s'était approprié les termes de cet avis, le magistrat désigné s'est fondé, d'une part, sur l'absence de disponibilité d'un des médicaments du traitement médical administré à M. B... en Guinée-Conakry et, d'autre part, au regard du coût des deux autres prescriptions et du système de santé guinéen, de la circonstance qu'il ne pourrait effectivement y bénéficier d'un traitement adapté.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui a levé le secret médical, est atteint d'un diabète de type 2, associé à une hypertension artérielle et à une stéatose hépatique et s'est vu prescrire un antihypertenseur, à travers le Ramipril et un antidiabétique dénommé Janumet, associant la metformine et la sitagliptine. S'il est constant que le Janumet n'est pas disponible en Guinée et que la metformine, qui en est une substance constitutive, pourrait lui être proposée dans ce pays, l'endocrinologue qui suit l'intéressé a indiqué, dans un certificat médical, rédigé le 4 avril 2024, postérieurement à l'arrêté en litige mais portant sur un état de santé et des données médicales nécessairement antérieures, que cette substance, administrée seule, induit un risque hypoglycémique et donc des effets secondaires préoccupants pour un patient diabétique et qu'elle ne peut, dès lors, être regardée comme un produit substituable au traitement qui lui a été prescrit. En outre, M. B..., par les pièces qu'il a produites, en première instance, a établi, au regard tant du coût très élevé de la metformine et du Ramipril que de son impossibilité à obtenir la couverture médicale prévue par le système de santé guinéen, que sa situation financière et sociale ne lui permettrait pas d'accéder effectivement à ces deux molécules. Face à ces éléments, le préfet de la Haute-Garonne se borne à produire, en appel, des éléments d'informations issus de la base de données " MedCoi " (" Medical Country of Origine Information ") datant de 2015 et faisant seulement état de la disponibilité d'injections d'insuline en Guinée, alors qu'il ne s'agit pas du traitement prescrit à M. B.... Dans ces conditions, c'est à juste titre que le premier juge a estimé que M. B... ne pouvait pas bénéficier effectivement du traitement médical adapté à son état de santé dans son pays d'origine et qu'ainsi, le préfet de la Haute-Garonne avait méconnu les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 26 octobre 2023, lui a enjoint de délivrer à M. B... un titre de séjour en raison de son état de santé dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, de le munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour, et de verser à son conseil la somme 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la requête n°24TL00403 :
12. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement n°2307077 du 17 janvier 2024 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions de la requête n° 24TL00403 tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...). ".
14. Il n'est pas contesté par le préfet de la Haute-Garonne qu'aucun titre de séjour ni même aucune autorisation provisoire n'a été délivrée en exécution du jugement contesté. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que l'intéressé satisfait aux conditions posées par l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. B..., en l'absence de changement dans les circonstances de droit ou de fait, une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais liés aux litiges :
15. M. B... a obtenu le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Amari-de Beaufort, renonce à percevoir les sommes correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme totale de 1 500 euros à son profit au titre des deux instances.
D E C I D E :
Article 1er : La requête n°24TL00402 du préfet de la Haute-Garonne est rejetée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n°24TL00403 du préfet de la Haute-Garonne tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2307077 du 17 janvier 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse.
Article 4 : L'Etat versera à Me Amari-de Beaufort, avocate de M. B..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Haute-Garonne, au ministre de l'intérieur, à M. A... B... et à Me Amari-de Beaufort.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
Mme Dumez-Fauchille, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 novembre 2024.
La rapporteure,
D. Teuly-Desportes
La présidente,
A. Geslan-DemaretLa greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°24TL00402 et N°24TL00403 2