Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°2206251 du 22 décembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2023 et un mémoire complémentaire enregistré le 29 septembre 2023 non communiqué, M. A... B... C..., représenté par Me Blazy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 décembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans ;
3°) de condamner l'Etat aux entiers dépens et de mettre à sa charge une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le premier juge a omis de répondre au moyen tiré de ce qu'il ne pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dès lors qu'il disposait d'un droit au séjour permanent en sa qualité de membre de famille d'un citoyen européen, en application des articles L. 251-2, L. 234-1 et L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et au moyen tiré de ce qu'en vertu de l'article L. 251-3 du même code, le préfet pouvait réduire le délai de départ volontaire mais ne pouvait pas le supprimer ;
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'avait pas soulevé le moyen tiré de ce que sa durée de détention aurait dû être incluse dans le calcul de sa durée de résidence en France ;
- le jugement est insuffisamment motivé en ce qu'il ne mentionne pas en quoi il représenterait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ;
- le jugement attaqué est entaché d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article L. 251-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il bénéficie d'un droit au séjour permanent depuis 2013, en application des dispositions combinées des articles L. 234-1 et L. 233-1 du même code et qu'il n'a pas perdu ce droit au séjour permanent ;
- le jugement est entaché d'erreurs de fait en ce qu'il dispose d'un droit au séjour permanent depuis 2013, qu'il n'existe aucune rupture avec ses parents et qu'il a fait preuve d'efforts d'intégration scolaire et professionnelle ;
- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît le 2° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il ne représente pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ;
- la décision portant refus de délai de départ volontaire est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ces dispositions ne permettant à l'autorité administrative que de réduire, et non de supprimer le délai de départ volontaire ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français méconnaît l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 août 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- à titre principal, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête de M. B... C... dès lors que l'arrêté du 22 novembre 2022 a été exécuté le 7 juin 2023, date de la réadmission de l'intéressé aux autorités espagnoles ;
- à titre subsidiaire, aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Hélène Bentolila, conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., ressortissant espagnol né le 4 février 2003, déclare être entré sur le territoire français en 2007, à l'âge de quatre ans, accompagné de ses parents et de son frère. Par un jugement du tribunal correctionnel de Montpellier du 8 mars 2021, il a été condamné à une peine d'emprisonnement de 18 mois dont 10 mois assortis d'un sursis probatoire de deux ans pour des faits de violences aggravés par trois circonstances, suivie d'incapacité n'excédant pas 8 jours. Il a été incarcéré à la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone à compter du 19 juillet 2021 et, par un jugement du tribunal correctionnel de Montpellier du 15 novembre 2021, il a été condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans dont 18 mois assortis d'un sursis probatoire pendant deux ans pour des faits de vols aggravés. Par un arrêté du 22 novembre 2022, le préfet de l'Hérault l'a obligé quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans. M. B... C... relève appel du jugement du 22 décembre 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. S'il ressort des pièces du dossier, en particulier du procès-verbal unique de prise en charge établi par les services de gendarmerie nationale, que M. B... C... a quitté le territoire français et a été remis aux autorités espagnoles le 7 juin 2023, postérieurement à l'introduction de la présente requête, l'arrêté litigieux portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination en cas d'éloignement d'office et interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans n'a pas disparu de l'ordonnancement juridique. L'exécution de la mesure d'éloignement prise à l'encontre de M. B... C... ne prive pas d'objet ses conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué et de l'arrêté litigieux. Il s'ensuit que l'exception de non-lieu à statuer opposée par le préfet de l'Hérault ne peut qu'être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / (...) / 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 251-2 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 251-1 les citoyens de l'Union européenne ainsi que les membres de leur famille qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 234-1. ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 234-1 de ce code : " Les citoyens de l'Union européenne mentionnés à l'article L. 233-1 qui ont résidé de manière légale et ininterrompue en France pendant les cinq années précédentes acquièrent un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français. ". Aux termes de l'article L. 233-1 du même code : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de familles de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; / (...) / 4° Ils sont membres de famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° ; / (...)". De plus, aux termes de l'article L. 200-4 du même code : " Par membre de famille d'un citoyen de l'Union européenne, on entend le ressortissant étranger, quelle que soit sa nationalité, qui relève d'une des situations suivantes : / (...) / 2° Descendant direct âgé de moins de vingt-et-un ans du citoyen de l'Union européenne ou de son conjoint ; / 3° Descendant direct à charge du citoyen de l'Union européenne ou de son conjoint ; / (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 234-2 du même code : " Une absence du territoire français pendant une période de plus de deux années consécutives fait perdre à son titulaire le bénéfice du droit au séjour permanent. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que le père de M. B... C..., ressortissant espagnol, est titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée depuis le 12 février 2007 et qu'il exerçait toujours ses fonctions au sein de la même entreprise en octobre 2022, à Montpellier. Sa mère, également de nationalité espagnole, a été recrutée par la commune de Montpellier à compter du 1er février 2010, titularisée à compter du 1er septembre 2012 et exerçait toujours ses fonctions au sein de la même collectivité en octobre 2022. Ainsi, les parents de M. B... C..., ressortissants de l'Union européenne ont travaillé et résidé de manière légale et ininterrompue en France pendant plus de cinq ans et ont par suite tous deux acquis un droit au séjour permanent en application des dispositions combinées du 1° de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 234-1 du même code. De plus, il ressort des pièces produites pour la première fois en appel par M. B... C..., en particulier de ses différents relevés de notes et certificats de scolarité qu'il a été scolarisé en France à compter de septembre 2009, en cours préparatoire, jusqu'en juin 2018, date à laquelle il a terminé sa classe de troisième. En application des dispositions combinées du 3° de l'article L. 200-4, du 4° de l'article L. 233-1 et de l'article L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, eu égard d'une part à sa qualité de descendant direct âgé de moins de vingt-et-un ans de ses deux parents exerçant une activité professionnelle en France et d'autre part au fait qu'il a résidé de manière légale et continue en France durant cinq années, M. B... C... a également acquis un droit au séjour permanent. En outre, il ressort des pièces du dossier qu'il a résidé en France a minima depuis septembre 2009, sans s'être absenté plus de deux ans consécutifs et que son incarcération à compter du 19 juillet 2021 durait en tout état de cause depuis moins de deux ans au jour de l'arrêté attaqué, de sorte qu'il n'a pas perdu le bénéfice de son droit au séjour permanent, tel que prévu par l'article L. 234-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi, dès lors qu'au jour de l'arrêté litigieux, M. B... C... bénéficiait toujours d'un droit au séjour permanent, en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet de l'Hérault a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 251-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il s'ensuit que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens tirés de l'irrégularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que M. B... C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
6. D'une part, M. B... C... ne justifie pas avoir engagé, dans la présente instance, des frais mentionnés à l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Dès lors, ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat aux dépens ne peuvent qu'être rejetées.
7. D'autre part, Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... C... d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier n°2206251 du 22 décembre 2022 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de l'Hérault du 22 novembre 2022 est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
Mme Bentolila, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 novembre 2024.
La rapporteure,
H. Bentolila
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°23TL00245