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05/11/2024 | FRANCE | N°22TL22497

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 05 novembre 2024, 22TL22497


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... C... et M. D... A... ont a demandé au tribunal administratif de Toulouse, par une requête enregistrée sous le n° 2025452, d'annuler la lettre de mise en demeure du 14 septembre 2020 par laquelle le syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " leur a enjoint de procéder à la dépose d'un portail et d'une grille installés le long du canal de Saint-Martory sur la parcelle cadastrée section BX n° 38 située à Cugnaux. Par une seconde

requête, enregistrée sous le n° 2124834, Mme C... et M. A... ont demandé au tribunal ad...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... et M. D... A... ont a demandé au tribunal administratif de Toulouse, par une requête enregistrée sous le n° 2025452, d'annuler la lettre de mise en demeure du 14 septembre 2020 par laquelle le syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " leur a enjoint de procéder à la dépose d'un portail et d'une grille installés le long du canal de Saint-Martory sur la parcelle cadastrée section BX n° 38 située à Cugnaux. Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 2124834, Mme C... et M. A... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2021 par lequel ce même syndicat a procédé à la délimitation du domaine public départemental affecté au canal principal de Saint-Martory au droit des parcelles cadastrées section BX n°s 61, 35 et 36 à Cugnaux.

Par un jugement n°s 2025452-2124834 du 11 octobre 2022, le tribunal administratif de Montpellier, auquel le jugement de l'affaire a été attribué par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'État n° 462171 du 4 avril 2022, a, après avoir admis l'intervention du département de la Haute-Garonne, annulé la lettre de mise en demeure du 14 septembre 2020 précitée et rejeté la demande n° 2124834 tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 juillet 2021 précité.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 décembre 2022 et le 23 octobre 2023, Mme C... et M. A..., représentés par Me Cadiou, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 octobre 2022 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il rejette leur demande n° 2124834 tendant à l'annulation de l'arrêté du syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " du 5 juillet 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2021 par lequel ce même syndicat a procédé à la délimitation du domaine public départemental affecté au canal principal de Saint-Martory au droit des parcelles cadastrées section BX n°s 61, 35 et 36 à Cugnaux et, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer afin de renvoyer, à titre préjudiciel, à l'autorité judiciaire le soin de déterminer les limites de leur propriété privée au droit du canal de Saint-Martory ;

3°) de mettre à la charge du syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent, dans le dernier état de leurs écritures, que :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué : le tribunal a omis de répondre, d'une part, au moyen tiré de ce qu'il n'est pas établi que le talus du canal de Saint-Martory situé au droit de leur propriété serait utile à l'entretien de cet ouvrage et, d'autre part, au moyen tiré de la largeur excessive de ce talus alors qu'ils contestaient expressément les relevés de mesure opérés par le syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 ".

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté en litige :

- c'est à tort que les premiers juges ont jugé que l'assiette du canal de Saint-Martory s'étendait au-delà de la partie maçonnée de cet ouvrage en considérant que la parcelle cadastrée section BX n°38 appartenant au département était physiquement et fonctionnellement indissociable du canal alors que l'existence d'un talus situé le long du canal, son utilité à l'entretien de ce canal et son aménagement particulier permettant de le qualifier d'accessoire indissociable de l'ouvrage public et la réalité de précédentes opérations d'entretien n'ont jamais été démontrées ; en outre, la seule circonstance selon laquelle la bande de terre en litige serait contiguë au canal ne saurait suffire à la regarder comme relevant du domaine public ;

- l'arrêté en litige méconnaît les articles L. 2111-10 et L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques ;

- il n'existe aucun lien fonctionnel ou physique entre le canal de Saint-Martory et la bande de terre en litige incluse à tort dans le domaine public ;

- la parcelle cadastrée section BX n° 38 composée d'une bande de terre longeant le canal de Saint-Martory n'est d'aucune utilité pour l'entretien de cet ouvrage lequel s'opère, chaque année, lors de sa période de mise en chômage annuelle ; en outre, l'accès au canal est rendu impossible à de très nombreux endroits ainsi que cela ressort de prises de vue réalisées en amont et en aval du canal ;

- la parcelle anciennement cadastrée section D n° 127, qui a été divisée en parcelles cadastrées section D n°s 1425 et 1426, désormais cadastrées section BX n°s 61 et 35, et qui borde la limite physique du canal de Saint-Martory, a été acquise tardivement par le département de la Haute-Garonne en 1977 auprès de particuliers avant qu'il ne la revende en 1981 ; cette acquisition tardive démontre que cette parcelle est dissociable du canal et qu'elle n'a jamais fait partie du domaine public ; en outre, l'acte de vente du 13 juillet 1967 relatif à la parcelle cadastrée n° 127 présente celle-ci comme étant à l'état de friche, ce qui démontre que ce terrain n'a jamais fait l'objet d'un aménagement particulier de nature à permettre son intégration dans le domaine public ;

- la parcelle cadastrée n° 127 était déjà grevée d'une servitude de droit privé qui a été rattachée, par la suite, à la parcelle cadastrée section BX n° 61 ; cette servitude, destinée à assurer et à faciliter la gestion du canal de Saint-Martory n'a toutefois pas reçu d'usage ; il n'existe aucune trace d'un entretien réalisé depuis cette bande de terre et il n'est pas démontré que la présence de portails aurait empêché une quelconque opération d'entretien ;

- la parcelle cadastrée section BX n° 61 supporte depuis de nombreuses années la présence d'arbres sans que le département de la Haute-Garonne ou le syndicat intimé se prévalent d'une implantation irrégulière réalisée sur le domaine public ;

- l'arrêté en litige a seulement pour objet de faire entrer les portails qu'ils ont installés au droit du canal de Saint-Martory dans le domaine public afin qu'il leur soit enjoint de procéder à leur dépose ;

- au cours de l'audience de référé tendant à la suspension de l'exécution de la lettre de mise en demeure du 14 septembre 2020 de procéder à la dépose de deux portails installés au droit du canal de Saint-Martory, le syndicat intimé a opposé l'exception d'incompétence de la juridiction administrative pour connaître de ce litige, lequel portait sur des relations nées d'un contrat de droit privé, reconnaissant ainsi que la servitude grevant leur fonds s'étend jusqu'au bord maçonné du canal de Saint-Martory ;

- à supposer établie l'appartenance de la bande de terre en litige au domaine public, la délimitation opérée par l'arrêté en litige excède les limites du domaine public et ne correspond pas à la largeur de la parcelle retenue par le tribunal dans son jugement, lequel a considéré que la largeur de la parcelle cadastrée section BX n° 38 serait comprise entre 1,20 et 2 mètres au droit de la parcelle cadastrée section BX n° 61, sans en tirer les conséquences sur le plan de la légalité de cet arrêté ;

- le plan parcellaire sur lequel s'est appuyé le géomètre-expert mandaté par le syndicat intimé constitue un plan photogrammétrique dont la valeur probante est limitée, les relevés de distance issus d'un tel plan ne pouvant être comparés à des mesures réalisées sur le terrain ; en outre, ce plan parcellaire ne permet pas de déterminer les droits pouvant s'exercer sur un terrain donné ;

- à titre subsidiaire, si un doute persistait sur la réalité de leur droit de propriété sur la portion de terrain revendiquée par le département de la Haute-Garonne et par le syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 ", il conviendrait de surseoir à statuer et de renvoyer cette question préjudicielle devant l'autorité judiciaire compétente.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juin 2023, le département de la Haute-Garonne, représenté par Me Grzelczyk, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme C... et de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son intervention au soutien des intérêts du syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " a été admise par le tribunal et n'est pas contestée dans le cadre de la procédure d'appel ;

- le talus en litige constitue une dépendance du canal de Saint-Martory dont il est l'accessoire indissociable et dont il concourt à l'utilisation en permettant son exploitation et son entretien, de sorte que les limites de cet ouvrage public s'étendent au-delà de sa partie maçonnée ;

- la mise en chômage du canal, destinée à mener les opérations pluriannuelles de consolidation et d'étanchéité des structures physiques du canal, ne permet pas d'assurer les opérations d'entretien courant pour lesquelles un accès aux abords immédiats est essentiel ;

- ainsi que l'a jugé le tribunal, l'assiette de la parcelle cadastrée section BX n° 38 comprend tant le canal maçonné que le délaissé formant un talus, la configuration du site permettant, sans ambiguïté, d'établir que la bande de terre est réellement présente et se trouve physiquement indissociable de l'ouvrage maçonné supportant le canal ;

- en tout état de cause, les appelants ne produisent aucun élément probant de nature à contester utilement la délimitation du domaine public au droit de la parcelle cadastrée section BX n° 61 : le plan cadastral annexé à l'acte de vente du 22 décembre 1981 dont ils se prévalent constitue un simple document administratif destiné à établir les impositions foncières et n'a aucune valeur probante pour fixer les limites du domaine public ; en outre, la servitude de droit privé grevant la parcelle cadastrée section BX n° 61 ne permet pas de conclure que les limites de cette parcelle coïncideraient avec le bord maçonné de l'ouvrage supportant le canal pas plus qu'elle ne permet de contester utilement la délimitation du domaine public fluvial opérée par l'arrêté en litige ;

- les appelants ne peuvent utilement se prévaloir des déclarations du syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " dans le cadre de la procédure de référé devant le tribunal tendant à la suspension de l'exécution de la lettre de mise en demeure du 14 septembre 2020 précitée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2023, le syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 ", représenté par Me Raimbault, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit solidairement mise à la charge de Mme C... et de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté en litige a pour seul objet de fixer les limites de la parcelle cadastrée section BX n° 38 qui supporte une portion du canal de Saint-Martory ;

- ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les documents cadastraux n'ont pas de valeur probante quant à la détermination des propriétés et n'ont qu'une visée fiscale ;

- les talus du canal de Saint-Martory constituent une dépendance du domaine public en vertu de la théorie de l'accessoire consacrée à l'article L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques : les critères fonctionnel et physique sont remplis dès lors que les talus du canal concourent à son utilisation et qu'ils sont indispensables à la conservation et à l'entretien de cet ouvrage public ;

Par une ordonnance du 24 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 14 novembre 2023, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre ;

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Cadiou, représentant Mme C... et M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... et M. A... sont propriétaires, à Cugnaux (Haute-Garonne) d'une maison d'habitation édifiée sur la parcelle cadastrée section BX n° 37, et d'un terrain nu cadastré section BX n° 61, dont ils ont fait l'acquisition par un acte authentique du 21 août 2017. Ils sont également propriétaires, en indivision avec leurs voisins, de la parcelle cadastrée section BX n° 35 qui sert de chemin d'accès à leur propriété. La parcelle cadastrée section BX n° 61 se situe le long du canal de Saint-Martory, ouvrage hydraulique mis à disposition du syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " par le département de la Haute-Garonne dans le cadre d'un transfert de compétences. Par une lettre du 14 septembre 2020, le syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " a mis en demeure Mme C... et M. A... de faire procéder à la dépose des deux portails qu'ils ont implantés au droit de leur propriété, sur la parcelle cadastrée section BX n° 38 située en bordure du canal, pour fermer l'accès aux berges. Par un arrêté du 5 juillet 2021, le syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " a procédé à la délimitation du domaine public départemental, constitué par la parcelle BX n° 38 affectée au canal principal de Saint-Martory, au droit des parcelles riveraines n° 35, 36 et 61. Mme C... et M. A... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 11 octobre 2022 en tant qu'il rejette leur demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 5 juillet 2021.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il ressort du point 12 du jugement attaqué que le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a répondu de manière suffisamment circonstanciée au moyen tiré de ce que le talus, situé le long de la partie maçonnée du canal de Saint-Martory, présente une utilité directe pour cet ouvrage public, et en constitue l'accessoire indispensable dès lors qu'il permet au gestionnaire du domaine public de mener à bien les opérations d'entretien et de réparation nécessaires. Par suite, le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé sur ce point, n'est pas irrégulier.

3. En second lieu, il ne ressort pas de leurs écritures devant le tribunal que Mme C... et M. A... aient entendu contester la légalité de l'arrêté en litige, de délimitation du domaine public, au motif qu'il y aurait indûment inclus le talus bordant le canal en exécution d'un plan de délimitation établi de façon erronée par un géomètre-expert, ces derniers ayant seulement mis en avant les incohérences entre le plan cadastral actuel, le plan annexé à l'arrêté en litige et le plan établi par Toulouse Métropole dans le cadre du projet de réalisation d'une " voie verte " longeant le canal. Par suite, Mme C... et M. A... ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal aurait omis de se prononcer sur un moyen tiré de la largeur excessive du talus telle qu'issue des opérations en litige de délimitation du domaine public.

Sur la légalité de l'arrêté du 5 juillet 2021 portant délimitation du domaine public :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " (...) le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ". Selon l'article L. 2111-2 du même code : " Font également partie du domaine public les biens des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1 qui, concourant à l'utilisation d'un bien appartenant au domaine public, en constituent un accessoire indissociable ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 2111-10 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le domaine public fluvial artificiel est constitué : / 1° Des canaux et plans d'eau appartenant à une personne publique mentionnée à l'article L. 2111-7 ou à un port autonome et classés dans son domaine public fluvial ; / 2° Des ouvrages ou installations appartenant à l'une de ces personnes publiques, qui sont destinés à assurer l'alimentation en eau des canaux et plans d'eau ainsi que la sécurité et la facilité de la navigation, du halage ou de l'exploitation (...) ". Aux termes de l'article L. 2111-12 du même code : " Le classement dans le domaine public fluvial d'une personne publique mentionnée à l'article L. 2111-7, d'un cours d'eau, d'une section de cours d'eau, d'un canal, lac ou plan d'eau est prononcé pour un motif d'intérêt général relatif à la navigation, à l'alimentation en eau des voies navigables, aux besoins en eau de l'agriculture et de l'industrie, à l'alimentation des populations ou à la protection contre les inondations, tous les droits des riverains, des propriétaires et des tiers demeurant réservés (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la comparaison entre le plan établi par le géomètre-expert mandaté par Toulouse Métropole dans le cadre d'un projet de réalisation d'une " voie verte ", et le plan annexé à l'arrêté en litige, dont le caractère erroné ne ressort pas des pièces du dossier, que la parcelle n° 61 appartenant aux requérants est séparée de la partie cuvelée du canal de Saint-Martory par une bande de terre formant un talus près du canal et situé sur la parcelle n° 38 dont le département de la Haute-Garonne est propriétaire.

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le canal de Saint-Martory, d'une longueur de 71 kilomètres, est un canal d'irrigation édifié à des fins agricoles dans le cadre d'un contrat de concession d'une durée de 50 ans, conclu le 15 février 1866, entre l'État, autorité concédante, le département de la Haute-Garonne et la compagnie d'irrigation britannique General Irrigation and Water Supply Compagny of France Limited, concessionnaires. En application des articles 2 et 3 de cette convention, la propriété de cet ouvrage hydraulique devait revenir au département de la Haute-Garonne au terme de la concession, ce qui, dès lors, lui conférait le caractère d'un bien de retour. Par un procès-verbal dressé le 9 novembre 1927, constatant les opérations de remise du canal de Saint-Martory au département de la Haute-Garonne, la propriété du canal et de ses dépendances est revenue à cette collectivité territoriale à compter du 24 janvier 1927. Selon les termes de ce procès-verbal : " au cours de la visite du Canal et de ses dépendances, la commission a constaté que la cuvette, les talus et les ouvrages d'art tels que les chutes, rapides, déversoirs, ponts pour le maintien des voies de communication, aqueducs pour l'écoulement des eaux etc. étaient, généralement, dans un état d'entretien satisfaisant et pouvaient être remis, en cet état, au Département de la Haute-Garonne ". Il en résulte qu'au terme du contrat de concession précité, et en application des dispositions précitées du 2° de l'article L. 2111-10 du code général de la propriété des personnes publiques, le canal de Saint-Martory et l'ensemble de ses dépendances, notamment la cuvette et les talus, ont été intégrés dans le domaine public du département de la Haute-Garonne.

8. Il ressort également des pièces du dossier, d'une part, que par une délibération du 16 septembre 2009, le département de la Haute-Garonne a transféré ses compétences en matière d'eau et d'assainissement au syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " et, d'autre part, que cet établissement public s'est vu mettre à disposition par le département l'ensemble des biens nécessaires à l'exercice de ses compétences, au rang desquels figurent le canal de Saint-Martory et ses accessoires implantés entre les communes de Saint-Martory et de Toulouse. À cet égard le syndicat assume l'ensemble des obligations du propriétaire en exerçant les pouvoirs de gestion sur ces biens conformément aux dispositions des articles L. 1321-1, L 1321-2 et L. 5721-6-1 du code général des collectivités territoriales. Aux termes du tableau annexé au procès-verbal du 1er janvier 2010, énumérant les parcelles du canal principal mises à disposition du syndicat mixte intimé, figure la parcelle en litige, cadastrée section BX n° 38, d'une superficie de 3 776 mètres carrés, appartenant au département, mais dont les appelants, qui y ont implanté leurs portails, soutiennent que l'emprise ne s'étend pas sur la bande de terre située au-delà de la partie maçonnée des abords du canal.

9. Toutefois, et ainsi qu'il vient d'être dit, le canal de Saint-Martory et l'ensemble de ses dépendances, y compris les talus, sont devenus la propriété du département de la Haute-Garonne à compter du 24 janvier 1927, terme du contrat de concession précité et relèvent, en application des dispositions précitées du 2° de l'article L. 2111-10 du code général de la propriété des personnes publiques, du domaine public de cette collectivité. La seule circonstance que la partie cuvelée et maçonnée du canal soit incluse dans le domaine public, ce que les requérants ne contestent au demeurant pas, ne fait pas obstacle à ce que, le cas échéant, le syndicat intimé édicte un arrêté de délimitation du domaine public artificiel incluant, le cas échéant, une bande de terre située au-delà de ces ouvrages, mais qui en serait indissociable. Par suite, le syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " n'a pas méconnu les dispositions des articles L. 2111-10 et L. 2111-12 du code général de la propriété des personnes publiques en procédant, par l'arrêté en litige, à la délimitation du domaine public fluvial artificiel dont la gestion lui a été confiée.

10. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment des photographies et plans produits et du contrat de concession précité, que le méplat et le talus en bordure du canal de Saint-Martory forment un tout indissociable du cuvelage maçonné et constituent un ouvrage de défense de cette construction hydraulique dont ils contribuent à la solidité structurelle tout en facilitant son exploitation en y permettant la réalisation d'opérations d'entretien courant, lesquelles existent, contrairement à ce que soutiennent les appelants, indépendamment des opérations plus lourdes de curage et de remise en état des parties bétonnées nécessitant la mise en chômage du canal. Par suite, conformément aux dispositions précitées l'article L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques, le talus en litige doit être regardé comme une dépendance du domaine public fluvial artificiel du département de la Haute Garonne mis à disposition du syndicat mixte des eaux et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " pour l'exercice de ses compétences.

11. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux retenus aux points 6 à 9, les circonstances selon lesquelles, d'une part, le talus en litige ne serait pas utilisé pour assurer l'entretien du canal, lequel s'opère depuis de son cuvelage en béton, et, d'autre part, qu'il ne serait pas accessible à certains endroits en raison de la présence de portails, de clôtures et d'arbres implantés par les riverains, sans que l'autorité domaniale ait cru bon de faire cesser ces occupations, sont sans incidence sur la légalité de l'arrêté de délimitation en litige. Il en va ainsi dès lors que le canal et ses dépendances, au nombre desquelles figurent les talus, n'ont jamais cessé d'appartenir au domaine public du département de la Haute-Garonne depuis le 24 janvier 1927, et en application du code général de la propriété des personnes publiques, sans qu'importe le caractère licite ou non des occupations dont il fait l'objet par des tiers.

12. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment des actes authentiques qui y sont produits, que la parcelle cadastrée section BX n° 37, propriété des appelants, est grevée, sur toute sa longueur, d'une servitude de passage au profit du département de la Haute-Garonne destinée à permettre les opérations de gestion du canal de Saint-Martory. Toutefois, la seule circonstance selon laquelle cette parcelle n° 37 est implantée le long du canal de Saint-Martory ne suffit pas, à elle seule, à établir que le domaine public fluvial artificiel ne comprendrait pas le talus situé sur la parcelle n° 38. De même, les plans cadastraux dont se prévalent les appelants, qui n'ont qu'une portée fiscale, sont dépourvus de valeur probante pour remettre en cause la légalité des opérations de délimitation du domaine public fluvial en litige.

13. En cinquième lieu, en se bornant à soutenir, pour la première fois en appel, que la largeur de la parcelle cadastrée n° 38, délimitée par l'arrêté en litige, est excessive et que le plan parcellaire sur lequel s'est appuyé le géomètre-expert mandaté par l'administration est un plan photogrammétrique à la valeur probante limitée, Mme C... et M. A... ne produisent aucun élément précis et circonstancié de nature à établir que la délimitation opérée excéderait les limites factuelles du domaine public fluvial artificiel, les opérations de délimitation du domaine public étant en outre, par elles-mêmes, sans incidence sur la consistance du droit de propriété des riverains et le plan parcellaire précité n'étant que l'un des éléments sur lesquels s'est appuyée l'autorité gestionnaire du domaine public pour en délimiter la consistance. A cet égard, il ressort des pièces du dossier, notamment de la comparaison entre le plan établi par le géomètre-expert mandaté par Toulouse Métropole dans le cadre d'un projet de réalisation d'une " voie verte " et le plan annexé à l'arrêté en litige, que la parcelle n° 61, propriété des requérants, n'est pas contiguë à la partie maçonnée du canal de Saint-Martory, mais qu'elle est au contraire séparée de la partie cuvelée de cet ouvrage hydraulique par une bande de terre constitutive du talus du canal situé sur la parcelle n° 38 dont le département de la Haute-Garonne est propriétaire.

14. En sixième et dernier lieu, il appartient au juge administratif de se prononcer sur l'existence, l'étendue et les limites du domaine public, même en l'absence d'acte administratif délimitant ce domaine, sauf à renvoyer à l'autorité judiciaire la solution d'une question préjudicielle de propriété lorsque, à l'appui de la contestation, sont invoqués des titres privés dont l'examen soulève une difficulté sérieuse. Il résulte de tout ce qui précède que la délimitation du domaine public au droit de la propriété des appelants ne pose pas de difficulté sérieuse.

15. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer pour renvoyer une question préjudicielle au juge judiciaire, Mme C... et M. A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " du 5 juillet 2021 portant délimitation du domaine public fluvial au droit des parcelles cadastrées section BX n° 35, 36 et 61.

Sur les frais liés au litige :

16. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 ", qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme C... et M. A... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

17. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre solidairement à la charge de Mme C... et de M. A... une somme de 1 000 euros à verser au syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

18. Enfin, la recevabilité de conclusions présentées au titre du remboursement des frais non compris dans les dépens est subordonnée à la qualité de partie au litige. Doit être regardée comme une partie à l'instance la personne qui a été invitée par la juridiction à présenter des observations et qui, si elle ne l'avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre cette décision.

19. Dès lors qu'il a la qualité d'intimé dans le cadre de l'instance d'appel et qu'il aurait eu, à défaut d'être présent, qualité pour faire tierce-opposition au présent arrêt en sa qualité de propriétaire du domaine public fluvial en litige mis à disposition du syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 ", le département de la Haute-Garonne doit, par suite, être regardé comme une partie pour l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de cet article et de mettre à la charge de Mme C... et de M. A... une somme de 500 euros chacun à verser au département de la Haute-Garonne au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE:

Article 1 : La requête de Mme C... et M. A... est rejetée.

Article 2 : Mme C... et M. A... verseront, d'une part, solidairement au syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, d'autre part, une somme de 500 euros chacun au département de la Haute-Garonne au même titre.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., à M. D... A..., au syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de la Haute-Garonne " Réseau 31 " et au département de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22TL22497


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22497
Date de la décision : 05/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

24-01-01-01-01 Domaine. - Domaine public. - Consistance et délimitation. - Domaine public artificiel. - Biens faisant partie du domaine public artificiel.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: Mme Nadia El Gani-Laclautre
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : GRZELCZYK

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-05;22tl22497 ?
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