Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Restomer a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2016 et 2017 et du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017, ainsi que des amendes fiscales qui lui ont été infligées au titre des exercices clos les 31 décembre 2016 et 2017 sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.
Par un jugement n° 2003313 du 7 novembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 janvier et 8 septembre 2023, Me Bernard Sanchez, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Restomer, représenté par Me Maurel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 novembre 2022 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Restomer a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2016 et 2017 et du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017, ainsi que des amendes fiscales qui lui ont été infligées au titre des exercices clos les 31 décembre 2016 et 2017 sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation et d'une dénaturation des pièces du dossier, dès lors qu'il contient une erreur matérielle, relative aux pourcentages de pertes retenus par le service vérificateur, ayant influencé la décision des premiers juges ;
- la procédure d'imposition est irrégulière, dès lors que la gérante de la société Restomer n'a pas reçu d'avis de vérification de comptabilité ;
- la reconstitution opérée par le service est exagérée.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 9 juin et 4 octobre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 8 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 juillet 2024.
Un mémoire complémentaire a été produit par Me Sanchez, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Restomer, le 27 août 2024, et communiqué au titre des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Des pièces complémentaires ont été produites par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le 28 août 2024, et communiquées au titre des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Par une lettre du 2 octobre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement attaqué en ce qu'il omet de prononcer un non-lieu à statuer à concurrence de la remise des intérêts de retard et amendes en litige, prononcée le 23 octobre 2020 à hauteur de 581 909 euros.
Par un mémoire, enregistré le 7 octobre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a présenté des observations en réponse à la mesure d'information du 2 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lafon,
- et les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Me Sanchez, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Restomer, fait appel du jugement du 7 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de cette société, placée en liquidation judiciaire le 7 octobre 2020, tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2016 et 2017 et du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017, ainsi que des amendes fiscales qui lui ont été infligées au titre des exercices clos les 31 décembre 2016 et 2017 sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts. Ces impositions et amendes procèdent de la reconstitution, après rejet de sa comptabilité, du chiffre d'affaires de l'activité de bar-restauration qu'elle exerçait à partir de deux établissements de restauration traditionnelle et d'hôtellerie exploités à Narbonne (Aude), au sein de la station balnéaire de Narbonne-Plage.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, si les premiers juges ont indiqué dans le jugement attaqué que le service avait admis, dans le cadre de la reconstitution du chiffre d'affaires de l'activité de bar-restauration de la société Restomer, un pourcentage de pertes s'élevant à 20 % pour le vin conditionné en vrac, alors que le vérificateur avait retenu à ce titre un taux de 5 %, il s'agit d'une erreur purement matérielle, dépourvue d'effet sur le raisonnement du tribunal. Par suite, cette erreur de plume, qui n'est d'ailleurs pas de nature à révéler une insuffisance de motivation du jugement, est sans incidence sur la régularité de ce dernier. Par ailleurs, l'appelant ne peut utilement se prévaloir, pour contester la régularité du jugement attaqué, de ce que les premiers juges auraient, compte tenu de l'erreur ainsi relevée, entaché leur jugement d'une dénaturation des pièces du dossier.
3. En second lieu, il résulte de l'instruction que le 23 octobre 2020, postérieurement à l'introduction de la demande de première instance, la remise a été prononcée, à la suite du placement en liquidation judiciaire de la société Restomer, en application des dispositions du I de l'article 1756 du code général des impôts et à concurrence de la somme totale de 581 909 euros, des intérêts de retard et amendes contestés, lesquels étaient dus à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective. Dans ces conditions, la demande présentée par la société Restomer était, dans cette mesure, devenue sans objet. Le jugement du tribunal administratif de Montpellier doit, dès lors, être annulé en tant qu'il n'a pas prononcé un non-lieu à statuer à concurrence de cette remise de 581 909 euros. Il y a lieu d'évoquer les conclusions de la demande ainsi devenues sans objet au cours de la procédure de première instance, de constater qu'il n'y a pas lieu d'y statuer et de se prononcer, par l'effet dévolutif de l'appel, sur le surplus des conclusions du liquidateur judiciaire de la société Restomer.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
4. Aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " (...) une vérification de comptabilité (...) ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification (...) / (...) / En cas de contrôle inopiné tendant à la constatation matérielle des éléments physiques de l'exploitation ou de l'existence et de l'état des documents comptables, l'avis de vérification de comptabilité et la charte des droits et obligations du contribuable vérifié sont remis au contribuable au début des opérations de constatations matérielles. L'examen au fond des documents comptables ne peut commencer qu'à l'issue d'un délai raisonnable permettant au contribuable de se faire assister par un conseil ".
5. Il résulte de l'instruction que la société Restomer a fait l'objet, le 11 octobre 2018, d'un contrôle inopiné tendant à la constatation matérielle des éléments physiques de son exploitation, ainsi que de l'existence et de l'état de ses documents comptables. Le ministre produit la copie d'un avis de vérification de comptabilité daté du même jour, fixant la date de la première présentation du vérificateur au jeudi 18 octobre 2018 à 9 heures 30 et comportant les mentions manuscrites " Remis en main propre ce jour accompagné de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ", ces dernières étant suivies de la signature de la gérante de la société Restomer. Dans ces conditions et à défaut de critique de cette production, l'avis de vérification de comptabilité doit être regardé comme ayant été remis au contribuable dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales. Par suite, le moyen tiré de ce que la représentante de la société Restomer n'a pas reçu d'avis de vérification de comptabilité manque en fait et doit être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
6. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable au présent litige : " Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité (...) ".
7. Il résulte de l'instruction que la société Restomer n'avait pas comptabilisé au cours de deux exercices vérifiés un nombre important de références de boissons alcoolisées. Ces éléments caractérisent l'existence de graves irrégularités entachant la comptabilité de cette société. Toutefois, cette dernière ayant contesté les rehaussements qui lui ont été notifiés selon la procédure de rectification contradictoire et la commission visée au deuxième alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales n'ayant pas été saisie, la charge de la preuve de l'insuffisance des bases d'imposition déclarées incombe à l'administration fiscale.
8. Pour reconstituer le chiffre d'affaires de l'activité de bar-restauration exercée par la société Restomer dans chacun de ses deux établissements, le service vérificateur a pris en compte les boissons alcoolisées achetées par l'établissement. À cet effet, le vérificateur a reconstitué les recettes totales en établissant, dans un premier temps, les recettes tirées de la vente des boissons alcoolisées, dont le taux de taxe sur la valeur ajoutée est de 20 %, à partir du dépouillement exhaustif des factures d'achat de ces produits et de la saisie des stocks, en tenant compte des dosages et des tarifs pratiqués, des offerts enregistrés en caisse et de pourcentages de 10 % et de 5 % représentant les pertes inhérentes aux achats de bières en fûts et de vins en " bib ", ainsi que de 8 % pour tenir compte des pertes et de la consommation du personnel, en déterminant, dans un deuxième temps et à partir des données comptables de l'entreprise en fonction de la différenciation par taux de taxe sur la valeur ajoutée opérée, un coefficient représentant la part des recettes liées aux boissons alcoolisées dans le total des ventes et en appliquant, dans un troisième temps, ce coefficient au chiffre d'affaires reconstitué. L'appelant n'apporte aucun élément justifiant que le service, qui a pris en compte les conditions réelles de l'exploitation, aurait sous-évalué les pertes et les offerts, ces derniers ayant d'ailleurs été déterminés à partir des enregistrements en caisse réalisés par la société. Dans l'ensemble de ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve du bien-fondé de la reconstitution du chiffre d'affaires de l'activité de restauration exploitée par la société Restomer.
9. Il résulte de ce qui précède que Me Sanchez, liquidateur judiciaire de la société Restomer, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté le surplus de la demande de cette société.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2003313 du 7 novembre 2022 du tribunal administratif de Montpellier est annulé en tant qu'il n'a pas prononcé un non-lieu à statuer à concurrence de la remise de 581 909 euros.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par la société Restomer devant le tribunal administratif de Montpellier à concurrence de la remise de 581 909 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Me Sanchez, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Restomer, est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Me Bernard Sanchez, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société à responsabilité limitée Restomer, et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, où siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2024.
Le rapporteur,
N. Lafon
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23TL00032 2