La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/10/2024 | FRANCE | N°24TL00336

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 17 octobre 2024, 24TL00336


Vu les procédures suivantes :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... B... a demandé au tribunal administratif de C... d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.



Par un jugement n° 2304901 rendu le 18 janvier 2024, le tribunal administratif de C... a annulé l'arrêté du 3 février 2

023, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai de de...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... B... a demandé au tribunal administratif de C... d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2304901 rendu le 18 janvier 2024, le tribunal administratif de C... a annulé l'arrêté du 3 février 2023, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédures devant la cour :

I - Par une requête enregistrée le 8 février 2024 sous le n° 24TL00336, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du 18 janvier 2024.

Il soutient que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté en litige, les premiers juges ont retenu que M. B... justifiait avoir été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize et l'âge de dix-huit ans alors que la chronologie de son parcours révélée par les vérifications menées par l'autorité préfectorale sur le fichier Eurodac démontrent le caractère erroné des éléments qui figurent sur ses documents d'identités, bien que leur authenticité formelle n'est pas contestée.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 juin 2024, M. B..., représenté par Me Soulas, conclut :

1°) au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué ;

2°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser au conseil du requérant.

Il fait valoir que :

- la requête n'est pas recevable en l'absence de délégation valablement consentie à sa signataire pour introduire un appel contre le jugement ;

- l'arrêté en litige est entaché d'un vice de procédure au regard des articles 1er, 14, 17, 19 et 20 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 dès lors que le fichier " Eurodac " n'a pas été consulté par l'administration dans un cadre légal ; à titre subsidiaire, les informations issues de la consultation de ce fichier devront être écartées ;

- l'arrêté en litige est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur de droit au regard de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que de l'article 47 du code civil dès lors qu'il a produit des documents établissant sa date de naissance, lesquels ont été reconnus authentiques, que sa minorité avait été retenue lors de son placement à l'aide sociale à l'enfance et que les informations issue du fichier " Eurodac " ne suffisaient pas pour contredire l'ensemble de ces éléments s'agissant de son âge ;

- l'arrêté en litige est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle dès lors qu'il satisfait à l'ensemble des conditions prévues par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par une ordonnance en date du 6 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 août 2024.

Par une décision du 31 mai 2024, M. B... a obtenu le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.

II - Par une requête enregistrée le 8 février 2024 sous le n° 24TL00337, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 18 janvier 2024 sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que, pour annuler l'arrêté en litige, les premiers juges ont retenu que M. B... justifiait avoir été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize et dix-huit ans ;

- ce moyen, sérieux, est de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions en annulation présentées par l'intéressé.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 juin 2024, M. B..., représenté par Me Soulas conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête comme irrecevable et, à titre subsidiaire, à son rejet au fond ;

2°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser au conseil du requérant.

Il fait valoir que :

- la requête n'est pas recevable en l'absence de délégation valablement consentie à sa signataire pour solliciter le sursis à exécution du jugement ;

- les moyens invoqués par le préfet de la Haute-Garonne au soutien de sa demande de sursis à exécution du jugement ne sont pas fondés.

Par une ordonnance en date du 6 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 août 2024.

Par une décision du 31 mai 2024, M. B... a obtenu le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Lasserre, première conseillère.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant camerounais, déclare être entré en France le 2 novembre 2020, sans toutefois en apporter la preuve. Par un jugement du 14 avril 2021 du tribunal pour enfants de C..., il a été placé auprès de l'aide sociale à l'enfance (ASE) de la Haute-Garonne jusqu'à sa majorité. Le 24 juin 2022, il a sollicité son admission exceptionnelle au séjour, en qualité d'étranger confié au service de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de 16 et 18 ans, sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 3 février 2023, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 18 janvier 2024, le tribunal administratif de C... a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de délivrer le titre de séjour sollicité à l'intéressé dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par la requête n° 24TL00336, le préfet de la Haute-Garonne relève appel de ce jugement et, par sa requête n° 24TL00337, il demande qu'il soit sursis à son exécution. Ces deux requêtes étant présentées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions en annulation présentées par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 24TL00336 :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :

2. L'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionne que : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ". L'article L. 811-2 du même code dispose que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Selon l'article 47 du code civil auquel il est ainsi renvoyé : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. (...) ".

3. La délivrance à un étranger d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est subordonnée au respect par l'étranger des conditions qu'il prévoit, en particulier concernant l'âge de l'intéressé, que l'administration vérifie au vu notamment des documents d'état civil produits par celui-ci. A cet égard, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit, par suite, se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. B... a communiqué aux services du préfet de la Haute-Garonne, d'une part, une attestation d'existence et de conformité de souche d'acte de naissance et un acte de naissance n°258/D/2004, mentionnant sa naissance le 23 juin 2004 à Douala, une carte d'identité consulaire délivrée le 9 novembre 2021 valable jusqu'au 8 novembre 2022 ainsi qu'un passeport camerounais valable du 24 décembre 2021 au 24 décembre 2026 et portant les mêmes date et lieu de naissance. Il ressort également des pièces du dossier que ces documents d'état civil ont été considérés comme authentiques par les services de la police aux frontières et que l'âge du requérant n'a pas été mis en doute lors de son placement à l'aide social à l'enfance.

5. Pour estimer que M. B... ne pouvait pas être regardé comme justifiant avoir été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans, le préfet de la Haute-Garonne s'est principalement fondé sur ce que la consultation du fichier européen " Eurodac " à partir du relevé des empreintes digitales de l'intéressé avait révélé qu'il était connu des autorités allemandes sous deux autres identités correspondant à des individus nés le 23 juin 2001. Si ces éléments confirment la présence de l'intimé en Allemagne avant son entrée sur le territoire français, ni la circonstance qu'il a déclaré plusieurs identités aux autorités de ce pays pendant son séjour, ni celle qu'il y serait arrivé dès l'âge de treize ans, ne sont suffisantes par elles-mêmes pour caractériser l'incohérence alléguée par l'autorité préfectorale entre son parcours migratoire et son âge et pour remettre ainsi en cause la valeur probante des pièces produites par l'intéressé pour justifier de son état-civil, alors que, ainsi qu'il a été dit au point précédent, ces pièces ont été reconnues comme authentiques par les services de la fraude documentaire.

6. Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal administratif de C... a estimé que M. B... justifiait remplir la condition d'âge posée à l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le refus de séjour opposé par l'arrêté en litige procédait, par suite, d'une erreur de fait et d'une erreur de droit au regard de cet article.

7. Il résulte de ce qui vient d'être exposé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par l'intimé, que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 23 janvier 2024, le tribunal administratif de C... a prononcé l'annulation de son arrêté du 3 février 2023, lui a enjoint de délivrer à M. B... un titre de séjour dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 24TL0337 :

8. Le présent arrêt statuant sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 18 janvier 2024, les conclusions du préfet tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement se trouvent dépourvues d'objet. Par conséquent et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense à ces dernières conclusions, il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés aux litiges :

9. M. B... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Soulas renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans les présentes instances, une somme de 1 200 euros à verser Me Soulas sur le fondement de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du préfet de la Haute-Garonne n° 24TL00336 est rejetée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 24TL00337.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à Me Soulas, avocat de M. B..., sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... D... B... et à Me Soulas.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Jazeron, premier conseiller,

Mme Lasserre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.

La rapporteure,

N. LasserreLe président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

Nos 24TL00336, 24TL00337


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24TL00336
Date de la décision : 17/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: Mme Nathalie Lasserre
Rapporteur public ?: M. Diard
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-17;24tl00336 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award