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15/10/2024 | FRANCE | N°23TL00307

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 15 octobre 2024, 23TL00307


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée Hugar a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le département de l'Hérault à lui verser la somme totale de 130 900 euros au titre des préjudices résultant de la privation du droit d'accès à ses parcelles cadastrées ...sur le territoire de la commune de Mauguio, et d'enjoindre au département de l'Hérault de procéder aux travaux nécessaires au rétablissement du droit d'accès à ses parcelles.



Par un jugement n° 2101044 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Hugar a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le département de l'Hérault à lui verser la somme totale de 130 900 euros au titre des préjudices résultant de la privation du droit d'accès à ses parcelles cadastrées ...sur le territoire de la commune de Mauguio, et d'enjoindre au département de l'Hérault de procéder aux travaux nécessaires au rétablissement du droit d'accès à ses parcelles.

Par un jugement n° 2101044 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de la société Hugar.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er février 2023, la société Hugar représentée par Me Rigeade demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 1er décembre 2022 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler les décisions de refus opposées les 30 janvier 2021 et 8 février 2021, par le département de l'Hérault, de façon implicite et expresse à ses demandes tendant à ce que soit rétabli l'accès à ses parcelles cadastrées ... ;

3°) d'enjoindre au département de l'Hérault de procéder aux travaux nécessaires au rétablissement du droit d'accès à ses parcelles dans le délai de trois mois à compter de l'arrêt de la cour à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de condamner le département de l'Hérault à lui verser la somme de 10 900 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi que celle de 120 000 euros au titre des préjudices résultant de la privation du droit d'accès à ses parcelles et au titre du trouble de jouissance subi, somme à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir, soit la somme totale de 130 900 euros ;

5°) de mettre à la charge du département de l'Hérault la somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Hugar soutient que :

- en vertu de l'article 682 du code civil, le libre accès des riverains à la voie publique constitue un accessoire du droit de propriété lequel a le caractère d'une liberté fondamentale, et toute mesure empêchant le libre accès d'un riverain à sa propriété est de nature à porter à l'exercice de cette liberté une atteinte grave et illégale ;

- en l'espèce, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la mise en place, qui n'est pas intervenue en 2006, de glissières de sécurité le long de la route départementale n°62 qui surplombe sa propriété, ce qui supprime l'accès à sa propriété depuis cette route départementale, ne constitue pas la conséquence de l'enclavement de leur propriété, mais sa cause ;

- c'est également de façon inexacte, que le tribunal a considéré que le chemin, permettant de rejoindre sa propriété, qui passait par une ancienne digue, n'était plus empruntable depuis 1996, alors qu'aucun élément n'est produit au dossier à cet égard et qu'en tout état de cause, cet abandon de l'entretien de la digue n'a pour cause que l'installation des glissières de sécurité qui a eu pour effet de supprimer l'accès au site par la route départementale n° 62 ;

- si les premiers juges ont également considéré que les documents versés au dossier ne mentionnaient pas de servitude conventionnelle de passage autorisant la société Hugar à traverser les parcelles section ..., aucun propriétaire des parcelles voisines n'a indiqué interdire un passage sur sa propriété ; par ailleurs, le chemin permettant d'accéder à sa propriété, empruntant la parcelle AY 17, était accessible antérieurement, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, ainsi que l'indique le rapport d'expertise ;

- ainsi que le montrent les photographies produites au dossier, et comme l'a relevé l'expert désigné par le tribunal judiciaire de Montpellier, avant l'installation des glissières de sécurité, il existait des chemins permettant d'accéder à sa propriété depuis la route départementale 62 ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, l'accès terrestre ne peut être regardé comme ayant disparu en 1996 du fait de l'impossibilité de pouvoir accéder à la digue pour l'entretenir ; le chemin d'accès était carrossable contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la maison ayant été habitée pendant sept ans, et son occupant s'y rendant avec son véhicule ; ce n'est donc pas la configuration naturelle des lieux qui entrave l'accès aux parcelles en litige mais le défaut d'entretien des lieux rendant impossible leur accès depuis la route départementale 62 ;

- le tribunal a également commis une erreur de droit en estimant que seuls des travaux d'intérêt général pouvaient être réalisés en zone NP du plan local d'urbanisme de la commune de Mauguio Carnon alors que les dispositions du règlement de zone n'interdisent pas l'aménagement d'un accès à sa propriété ;

- c'est également à tort que les premiers juges ont retenu que ses parcelles n'étaient pas enclavées dès lors qu'elles avaient vocation à être desservies par voie maritime ; au contraire, l'accès par un véhicule automobile correspond à l'usage normal d'un fonds destiné à l'habitation ;

- le refus opposé par le département de l'Hérault est illégal, et il convient d'enjoindre au département de l'Hérault de rétablir son droit d'accès à sa propriété et de se référer à cet égard à la proposition de tracé n°1 établie par l'expert dont le coût de réalisation s'élève à la somme de 1,8 million d'euros ;

- par ailleurs, la responsabilité sans faute du département de l'Hérault doit être engagée à raison de la qualité de la société appelante, qui est tiers à un ouvrage public et subit à ce titre des dommages permanents qui lui causent un préjudice anormal et spécial résultant de la privation de son droit d'accès à sa propriété ; les préjudices sont constitués par un préjudice de jouissance à hauteur de 120 000 euros, correspondant à 1 000 euros par mois pendant dix ans à la date de la réclamation préalable, cette somme devant être actualisée au jour de l'arrêt à intervenir, ainsi qu'à hauteur de la somme de 10 900 euros toutes taxes comprises au titre des frais de l'expertise ordonnée par le juge judiciaire qui ont été mises à sa charge ;

- la responsabilité du département de l'Hérault doit aussi être engagée sur le terrain de la faute en raison de son refus illégal de rétablir le droit d'accès à ses parcelles.

Par un mémoire en défense du 9 août 2024, le département de l'Hérault, représenté par Me Pilone conclut :

1°) au rejet de la requête de la société Hugar ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que la condamnation du département soit limitée à la somme de 1 000 euros au titre du préjudice de jouissance ;

3°) à ce que soit mise à la charge de l'appelante la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le département soutient que la requête de la société Hugar est irrecevable, dès lors qu'elle n'a pas intérêt à agir, compte tenu de ce qu'elle a acquis les parcelles litigieuses par acte notarié du 11 février 2009, soit à une date à laquelle les barrières de sécurité sur la route départementale 62 avaient déjà été installées, et dès lors, elle ne peut faire valoir l'existence de préjudices du fait de la suppression de l'accès à sa propriété par ladite route départementale. Subsidiairement, aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de la voirie routière ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bentolila, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique

- et les observations de Me Rigeade pour la société Hugar et de Me Ortial pour le département de l'Hérault.

Considérant ce qui suit :

1. La société Hugar a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le département de l'Hérault à lui verser la somme totale de 130 900 euros en réparation des préjudices résultant de la privation de l'accès à ses parcelles cadastrées ..., situées sur le territoire de la commune de Mauguio, résultant de la mise en place de glissières de sécurité le long de la route départementale n° 62, et d'enjoindre au département de l'Hérault de procéder aux travaux nécessaires au rétablissement de l'accès à ses parcelles.

2. La société Hugar relève appel du jugement du 1er décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Sur la responsabilité du département de l'Hérault :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

3. Aux termes de l'article 682 du code civil : " Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner. ".

4. Il ne résulte pas des dispositions précitées du code civil, invoquées par l'appelante, qu'existerait, pour les propriétaires privés, un droit inconditionnel d'accès à la voie publique ainsi qu'une interdiction pour les personnes publiques de procéder à la suppression d'un accès à une telle voie publique. Ces dispositions permettent seulement à un propriétaire privé, pour l'exercice de certaines activités, ou pour des opérations de construction, de réclamer un accès sur les fonds voisins. Dans ces conditions, les conclusions de la société Hugar fondées sur la responsabilité pour faute du département, au motif que ce dernier aurait méconnu les dispositions précitées du code civil, doivent être rejetées, alors même que les parcelles lui appartenant devraient, à supposer encore qu'il serait possible d'y accéder par la voie maritime dès lors qu'elles sont bordées par un étang, être regardées comme enclavées.

5. Par ailleurs, sauf dispositions législatives contraires, les riverains d'une voie publique ont le droit d'accéder librement à leur propriété, et notamment, d'entrer et de sortir des immeubles à pied ou avec un véhicule, sous réserve de motifs tirés de la conservation et de la protection du domaine public ou de la sécurité de la circulation sur la voie publique. Toutefois, la société Hugar, dont la propriété est séparée de la voie publique départementale par différentes parcelles, ne peut être regardée comme ayant la qualité de riveraine directe de cette voie. En tout état de cause, elle ne conteste pas les motifs, tenant à la sécurité de la circulation sur la voie publique, ayant conduit à l'installation de barrières de sécurité le long de la route départementale, ce qui a entraîné de fait la suppression de l'accès au chemin menant à sa propriété.

6. Il résulte de ce qui précède que la société appelante n'est pas fondée à soutenir que le président du conseil départemental de l'Hérault aurait entaché d'illégalité fautive sa décision de refus de rétablissement d'une bretelle d'accès au droit des chemins conduisant à sa propriété.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

7. En premier lieu, si, en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant soit de changements effectués dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies publiques, soit de la création de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique.

8. Toutefois, ainsi qu'il est indiqué au point 5, la société Hugar ne peut être regardée comme riveraine de la route départementale n° 62, et ne peut se prévaloir d'un régime de responsabilité sans faute du fait de la suppression de l'accès au chemin menant à sa propriété depuis cette route.

9. En second lieu, le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers doivent établir le lien de causalité avec les dommages invoqués et le caractère anormal et spécial de leur préjudice. Les appelants, qui sont tiers par rapport à l'ouvrage public, doivent donc établir le lien de causalité entre les désordres allégués et le fait de l'ouvrage, et justifier de l'existence d'un préjudice anormal et spécial.

10. Il résulte de l'instruction que l'installation de glissières de sécurité le long de la route départementale n° 62, ayant eu pour effet de supprimer l'accès au chemin qui menait à la propriété de la société Hugar, est intervenue, comme l'indique l'expert désigné par le tribunal de grande instance de Montpellier dans son rapport déposé le 11 mai 2018, vers 1996 et au plus tard en 2006, ainsi que l'affirme le directeur de l'agence technique du département dans son attestation du 9 novembre 2017. Ainsi à la date du 11 février 2009, à laquelle la société Sefiteg aux droits et obligations de laquelle est venue la société Hugar a fait acquisition de ses parcelles, l'accès au chemin conduisant à cette propriété avait été supprimé par la pose des glissières de sécurité le long de la route départementale. De plus, si l'appelante fait valoir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'à partir de la route départementale que le chemin permettant de rejoindre la propriété n'était plus empruntable dès 1996, elle n'apporte aucun élément à cet égard, alors que l'expert a estimé que la brèche dans la digue, située sur la parcelle cadastrée section EM n°5, ayant rendu le chemin impraticable apparaissait sur des photographies de 1996, 2001 et 2005, soit à des dates antérieures à l'installation en 2006 de barrières de sécurité le long de la route départementale et à l'acquisition de la propriété en 2009. Par ailleurs la société Hugar ne peut utilement faire valoir que le caractère impraticable des chemins d'accès à sa propriété depuis la route départementale n° 62 aurait pour cause leur absence d'entretien dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que cette charge incomberait au département de l'Hérault. Dans ces conditions, il n'existe pas de lien de causalité entre la privation d'accès à ses parcelles dont se plaint la société Hugar et l'opération de travail public ayant consisté en l'installation en 2006 de barrières de sécurité le long de la route départementale.

11. Il résulte de ce qui précède que la société Hugar n'est pas fondée à demander l'engagement de la responsabilité du département de l'Hérault sur le terrain de la responsabilité sans faute.

En ce qui concerne les conclusions en injonction :

12. Compte tenu du rejet des conclusions indemnitaires, les conclusions en injonction présentées par la société Hugar ne peuvent être que rejetées.

13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le département de l'Hérault, que la société Hugar n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Le département de l'Hérault n'étant pas, dans la présente instance, partie perdante, les conclusions présentées par la société Hugar sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être que rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Hugar une somme de 1 500 euros au profit du département de l'Hérault sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Hugar est rejetée.

Article 2 : La société Hugar versera la somme de 1 500 euros au département de l'Hérault au

titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Hugar et au département de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Faïck,président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2024.

Le rapporteur,

P. Bentolila

Le président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL00307


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00307
Date de la décision : 15/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

135-02-03-02-02-02-02 Collectivités territoriales. - Commune. - Attributions. - Police. - Police de la sécurité. - Immeubles menaçant ruine. - Charge des travaux et responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: M. Pierre Bentolila
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : PILONE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-15;23tl00307 ?
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