Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Toulouse Métropole a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'État à lui verser la somme de 1 622 714,08 euros toutes taxes comprises assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, au titre des préjudices subis à raison des dégradations commises à l'occasion des manifestations B... " pendant plusieurs mois chaque samedi à partir du 17 novembre 2018, sur la commune de Toulouse
Par un jugement n° 1904448 du 21 avril 2022, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser la somme de 648 960,08 euros à Toulouse Métropole avec intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2019 et capitalisation des intérêts à compter du 7 mars 2020, et a rejeté le surplus de la demande de Toulouse Métropole.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 juin 2022, sous le n° 22TL21484, et des mémoires et des pièces, des 19 février, 2 avril et 16 septembre 2024, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1904448 du 21 avril 2022 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a condamné l'Etat à lui verser la somme de 648 960,08 euros au titre de la responsabilité fondée sur les dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ;
2°) de rejeter la demande de Toulouse Métropole.
Le préfet soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :
- le jugement est insuffisamment motivé dès lors qu'il se réfère aux dégradations commises chaque samedi au cours de la période allant de novembre 2018 à mars 2019, mais sans évoquer les dates précises des faits à l'origine des dommages commis lors des manifestations B... " ;
- les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L 211-10 du code de la sécurité intérieure ne sont pas réunies ; les préjudices invoqués se rattachent pour certains à des manifestations qui ne sont pas en relation directe avec les manifestations B... ", mais avec des groupes d'individus ultra-violents, tels que les " black blocs " ou de personnes issues des quartiers classés en zone de sécurité prioritaire qui ont infiltré les manifestations dans le seul but de commettre de manière préméditée des violences ; ces casseurs ont un mode opératoire précis et répété, et qui leur est particulier, et les dommages subis lors de ces journées de mobilisation résultent de délits qui n'ont pas été commis à l'occasion de manifestations ; dès lors qu'ils sont ainsi le fait de plusieurs groupes d'individus qui se sont constitués et organisés à la seule fin de commettre ces infractions, la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ;
- Toulouse Métropole ne justifie pas que les préjudices dont elle se prévaut seraient, au regard de l'article L 211-10 du code de la sécurité intérieure, en lien avec un attroupement au sens de ces dispositions, les photographies produites à cet égard n'étant pas probantes dès lors qu'elles ne montrent notamment pas des manifestants procédant à des dégradations de mobilier urbain, mais des petits groupes isolés d'individus, dont les visages étaient dissimulés, et munis d'armes par destination ; ces actions ont été le fait de " groupes commando ", animés d'une intention exclusivement délictuelle, sans lien direct avec la manifestation ;
- s'agissant des coûts de remise en état du mobilier urbain, des chaussées, des trottoirs et des matériaux naturels, les pièces produites par Toulouse Métropole, sous forme de photographies, ne permettent pas d'établir la réalité des préjudices subis ni leur rattachement à un attroupement ou à un rassemblement ; les documents produits ne permettent pas de déterminer la localisation exacte des travaux de remise en état devant être réalisés et donc de s'assurer qu'ils concernent l'un des secteurs de la manifestation ; par ailleurs, le tableau produit par Toulouse Métropole ne permet pas de déterminer le montant des sommes restées à sa charge, les pièces produites étant relatives à des prestations étrangères à la réparation de voirie ou du mobilier urbain ; les chiffrages répertoriés dans les pièces produites ne correspondent pas aux montants indiqués dans un tableau produit par ailleurs ; s'agissant du devis " Réparation dégradation Chaussée Camille Pujol , Acte 19 du 22 avril 2019 ", cette référence ne peut être retenue dès lors que le 22 avril 2019, qui n'est pas un samedi ne porte pas sur une journée de manifestation B... "; en outre, un certain nombre de photographies produites se rapportent à des manifestations, notamment de lycéens, dites " intermédiaires " et donc sans lien avec les manifestions B... " ; il n'est pas non plus possible, par ces photographies, d'identifier de façon exacte les lieux qui y sont représentés, alors que Toulouse Métropole n'a pas déposé plainte à raison de ces faits ;
- en ce qui concerne le surcoût de l'enlèvement des affiches sauvages, de leur collecte, et de leur traitement, au sujet duquel Toulouse Métropole n'a pas déposé de plainte alors que les rapports de police ne constatent aucun délit lié à des faits d'affichage sauvage, ce surcoût n'est pas en relation avec la commission d'un délit, le délit de destruction ou de dégradation d'un bien, réprimé par l'article 322-1 du code pénal, n'ayant pas vocation à s'appliquer dans la mesure où, selon la jurisprudence de la cour de cassation, lorsque le dommage est " léger ", la qualification délictuelle est exclue, et l'infraction constitue une simple contravention; en outre, certaines journées qui sont mentionnées dans les documents produits ne doivent pas être prises en compte dès lors qu'elles n'indiquent pas les lieux de manifestations ; de plus, il existe des discordances entre le tableau produit et les devis estimatifs auxquels le tableau renvoie ;
- pour ce qui est des pertes alléguées liées à l'absence de récupération du verre du fait de la neutralisation de certains containers, elles ne sont pas établies, dès lors qu'il existe 1859 containers de récupération de verre dans l'agglomération, et que ni les volumes de perte ni par voie de conséquence le préjudice financier ne sont établis, le lien avec les manifestations B... " n'étant pas davantage établi, alors que si Toulouse Métropole demande la somme de 51 161 euros au titre de ce chef de préjudice, le tableau émanant de ses services fait état d'une somme de 19 000 euros ;
- pour ce qui est du surcoût tenant à la collecte et au traitement des déchets déposés sur la voirie, il ne se rattache pas à un délit, mais, en vertu des articles R 632-1, R 633-6, R 644-2, R 635-8 du code pénal, à des contraventions, le déversement de ces déchets, ne pouvant par ailleurs être constitutif du délit d'entrave à la circulation routière au regard de l'article L 412-1 du code de la route ;
- pour ce qui est de la mobilisation alléguée d'agents métropolitains pour le nettoiement des lieux à la suite des dégradations commises, outre que ces dégradations ne résultent pas de rassemblements ou d'attroupements, Toulouse Métropole ne justifie pas de la nécessité d'avoir affecté dans le centre-ville de Toulouse treize agents, habituellement affectés sur d'autres secteurs ; le tableau produit par Toulouse Métropole ne précise pas les dates et les modalités d'intervention de ces agents ;
- en ce qui concerne les dégradations commises sur les caméras de gestion du trafic et des carrefours, les documents produits, et notamment les quatre photographies produites par Toulouse Métropole, ne permettent pas de justifier du lien de causalité entre le dommage allégué et les dégradations, qui sont l'œuvre d'actions répétées de sabotage, qui révèlent une action préméditée, et ne permettent pas de considérer qu'elle serait intervenue dans le prolongement de manifestations B... " ; Toulouse Métropole n'a, par ailleurs, pas porté plainte à raison de ces faits ; de plus, les factures relatives au remplacement de pièces détachées ne permettent pas d'établir les dates des dégradations ni la localisation exacte des caméras ; par ailleurs, certaines factures se réfèrent à des journées ne correspondant pas à des journées de manifestation et d'autres factures ne précisent pas la date à laquelle les caméras auraient été dégradées ; pour ce qui est des caméras de gestion des carrefours, si les bons d'intervention de la société de maintenance permettent d'établir les dates des dégradations, ce seul élément est insuffisant pour rattacher ces dégradations aux manifestations ;
- pour ce qui est des préjudices liés aux dommages causés aux routes départementales, les " opérations escargot " alléguées ne constituent pas des délits, aucune photographie ni constat d'huissier n'étant produits de nature à établir la commission d'un délit d'entrave à la circulation, et aucune plainte n'a été déposée.
Par un mémoire, enregistré le 19 février 2024, et un mémoire complémentaire du 7 mai 2024, Toulouse Métropole, représentée par Me Banel, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;
2°) par la voie de l'appel incident de porter à 1 622 714,08 euros toutes taxes comprises la somme que le tribunal a mis à la charge de l'Etat, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Toulouse Métropole soutient, en ce qui concerne la recevabilité de certaines des conclusions d'appel, que :
- les conclusions présentées par le préfet dans son mémoire complémentaire du 19 février 2024, tendant à ce que le montant des condamnations soit réduit sont irrecevables dès lors qu'elles ont été présentées au-delà de l'expiration, le 26 juin 2022, du délai d'appel.
Elle soutient, au fond, que :
- les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L 211-10 du code de la sécurité intérieure, sont réunies ; le jugement du tribunal administratif est, à cet égard, suffisamment motivé ; le lien de causalité entre les préjudices subis par Toulouse Métropole et les délits allégués sont suffisamment établis par, notamment, les différents rapports de police produits par le préfet décrivant les manifestations qui ont eu lieu entre le 1er décembre 2018 et le 23 mars 2019 ; les rapports du préfet évoquent la présence de " black blocs ", sans référence à des groupes de " casseurs " ou de " pillards " qui auraient été à l'origine des dommages litigieux ; à supposer que les " black blocs " aient été exclusivement à l'origine des dommages, les circonstances dans lesquelles ces derniers ont accompli leurs actions ne permettent pas d'affirmer qu'elles sont sans lien direct avec les manifestations B... " ;
- c'est à bon droit que les premiers juges ont fait droit à ses conclusions indemnitaires concernant les coûts de remise en état du mobilier urbain, des chaussées, des trottoirs et des matériaux naturels, le coût de l'enlèvement des affiches sauvages, de leur collecte et de leur traitement, le surcoût de la collecte et du traitement des déchets déposés sur la voirie, la mobilisation accrue d'agents métropolitains pour nettoyer les dégradations commises, ainsi que les dégradations commises sur les caméras de gestion du trafic et des carrefours ;
- Toulouse Métropole entend par ailleurs former un appel incident contre le jugement du 21 avril 2022, en tant qu'il rejette, au titre de la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure une partie de ses conclusions et en tant qu'il rejette l'ensemble de ses conclusions présentées sur le fondement de la responsabilité de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques ;
- Toulouse Métropole demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 51 161 euros au titre des pertes liées à l'absence de récupération du verre déposé par les usagers, du fait de la destruction des containers lors des manifestations B... " et de l'absence de dépôt de verre dans les containers par ces mêmes usagers ; elle produit à cet égard un tableau établi par ses services justifiant des pertes subies à raison de l'absence de recyclage du verre ainsi qu'un document émanant d'une société spécialisée fixant, au 1er janvier 2019, à 31, 88 euros par tonne le prix d'achat du verre à recycler, ce qui correspond à une perte de 1604 tonnes ;
- Toulouse Métropole demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 33 270 euros, toutes taxes comprises, au titre du coût de remise en état des voies de plusieurs anciennes routes départementales désormais gérées par la Métropole ; contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, ces dégradations, ainsi que l'établissent différents rapports de police, sont en lien avec les manifestations B... " des 1er , 8 , et 15 décembre 2018 ; les tableaux qu'elle produit établissent la réalité des coûts exposés au titre du nettoyage de la voirie, et de la réparation des équipements des routes ;
- Toulouse Métropole demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 108 000 euros toutes taxes comprises correspondant à la part de recettes perdue par elle, en sa qualité d'autorité délégante, du fait de la baisse de fréquentation des parkings estimée par le concessionnaire entre 4 et 6 %, pour la période comprise entre novembre 2018 et avril 2019, du fait des manifestations B... " ;
- Toulouse Métropole demande, au titre de la responsabilité sans faute du fait d'une rupture d'égalité devant les charges publiques, la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 813 483 euros, toutes taxes comprises, au titre des préjudices subis du fait de la déviation de la route départementale 820 ordonnée pour la période du 19 au 23 novembre 2018 et le 4 décembre 2018 par les services de gendarmerie de la circulation ; il en est résulté une augmentation d'environ 1 427 % du trafic de poids lourds sur ces deux chemins, ce qui a entraîné d'importantes dégradations de la chaussée, ce dont Toulouse Métropole justifie par des pièces versées au dossier.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code pénal ;
- le code de sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bentolila, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,
- les observations de M. A..., représentant le préfet de la Haute-Garonne, et celles de Me Arnal substituant Me Banel pour Toulouse Métropole.
Une note en délibéré a été présentée pour Toulouse Métropole le 3 octobre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Toulouse Métropole a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 622 714,08 euros en réparation des préjudices résultant des dégradations commises sur divers biens immobiliers dont elle a la charge à l'occasion des manifestations dites B... " qui ont eu lieu chaque samedi entre le 17 novembre 2018 et le mois de juin 2019. Toulouse Métropole a fondé ses demandes sur la responsabilité sans faute qui pèse sur l'Etat, d'une part en vertu des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure pour des dommages contre les biens commis au cours de rassemblements et, d'autre part sur le fondement de la rupture du principe de l'égalité devant les charges publiques.
2. Le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement n° 1904448 du 21 avril 2022 en tant que celui-ci a condamné l'Etat, sur le fondement des seules dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, à verser la somme de 648 960,08 euros à Toulouse Métropole. Par la voie de l'appel incident, Toulouse Métropole demande la réformation du jugement du 21 avril 2022 en tant qu'il n'a fait droit que partiellement à ses conclusions indemnitaires fondées sur l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, et en tant qu'il a rejeté sa demande d'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat sur le terrain de la rupture du principe d'égalité devant les charges publiques. Elle demande ainsi à la cour de porter à 1 622 714,08 euros toutes taxes comprises le montant de la condamnation prononcée en première instance.
Sur l'appel principal du préfet :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
3. Contrairement à ce que soutient le préfet de la Haute-Garonne, les premiers juges, dans leur décision du 21 avril 2022, ont suffisamment motivé leur réponse en décrivant les éléments factuels qu'ils ont retenus pour condamner l'Etat sur le fondement de la responsabilité encourue à raison de dommages causés à l'occasion de rassemblements ou d'attroupements. En effet, dans le point 4 du jugement, les premiers juges mentionnent que Toulouse Métropole demande la condamnation de l'Etat pour une période de responsabilité comprise " ...entre le mois de novembre 2018 et le mois de juin 2019 ... " du fait des manifestations qui se sont produites chaque samedi au cours de cette période. Le jugement, dans ses points 5 et 8 relatifs aux préjudices liés aux coûts de remise en état du mobilier urbain, des chaussées, des trottoirs et de divers équipements, ainsi qu'au coût de l'enlèvement des affiches sauvages, de leur collecte et de leur traitement, retient une période d'engagement de la responsabilité de l'Etat comprise entre le mois de novembre 2018 et le mois de juin 2019, ce qui correspond, compte tenu de la durée du mouvement B... ", à l'existence de préjudices continus. Si aux points 9, 10 et 11 du jugement, relatifs aux surcoûts de la collecte et du traitement des déchets déposés sur la voirie, à la mobilisation accrue d'agents métropolitains pour nettoyer les dégradations commises et aux dégradations effectuées sur les caméras de gestion du trafic et des carrefours, les premiers juges n'ont pas indiqué les dates auxquelles ces dégradations ont été commises et les surcoûts exposés, la seule absence de ces précisions n'est pas de nature à entacher le jugement d'irrégularité pour motivation insuffisante. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement du 21 avril 2022, invoqué par le préfet de la Haute-Garonne, doit être écarté.
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée aux conclusions et aux moyens présentés par le préfet de la Haute-Garonne quant à l'évaluation des préjudices faite par les premiers juges :
4. La circonstance que, dans sa demande du 27 juin 2022 devant la cour, le préfet ait seulement contesté les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat pour des dommages causés à l'occasion d'attroupements ou rassemblements ne faisait pas obstacle à ce que, dans son mémoire du 19 février 2024, il conteste l'évaluation du préjudice faite par les premiers juges. Par suite, aucune irrecevabilité ne peut être opposée aux conclusions et aux moyens présentés à ce titre par le préfet de la Haute-Garonne.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'État au titre des rassemblements et attroupements :
5. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (...) ". L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés, commis par des rassemblements ou attroupements précisément identifiés.
6. Les dommages sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement des dispositions précitées s'ils ont été commis dans le prolongement immédiat des manifestations et si leurs auteurs n'étaient pas animés de la seule intention de commettre un délit sans lien direct avec la manifestation.
7. A cet égard, en l'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment des rapports de police qui ont été versés au dossier, que les dégradations dont Toulouse Métropole demande réparation, dont les lieux où elles ont été commises sont précisés dans les rapports précités, sont survenues concomitamment au passage des manifestations, à proximité ou dans leur prolongement, et se sont produites chaque samedi entre le mois de novembre 2018 et le mois de juin 2019 dans le centre-ville de Toulouse dans le cadre du mouvement dit " B... ".
8. Contrairement à ce que fait valoir le préfet, la circonstance que les actions violentes menées lors de ces journées de mobilisation aient pu être commises de manière préméditée et organisée, à l'appel de plusieurs initiateurs, notamment via les réseaux sociaux, et à l'aide d'armes par destination dont étaient munis certains manifestants, ne suffit pas, à elle seule, à exclure la responsabilité sans faute de l'Etat en application de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure dès lors qu'il est établi que les dommages résultent, de manière directe et certaine, de délits commis à force ouverte ou par violence dans le prolongement de la manifestation et ne sont pas le fait de groupes isolés spécifiquement constitués et organisés dans l'unique objectif de commettre une action délictuelle, sans lien avec la manifestation. Par suite, en l'absence d'éléments précis et circonstanciés, produits par le préfet, de nature à établir que les dommages auraient été le fait de groupes isolés et organisés dans le seul but de commettre des délits, et sans que puisse à lui seul, compte tenu de la nature particulière de ces manifestations, y faire obstacle le fait que ces individus auraient agi le visage dissimulé, munis de projectiles ou d'objets prohibés, la responsabilité sans faute de l'Etat, ainsi que l'ont considéré à bon droit les premiers juges, doit être engagée sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
S'agissant du coût de remise en état du mobilier urbain, des chaussées, des trottoirs et des matériaux naturels :
9. Il résulte de l'instruction, ainsi que l'ont considéré à bon droit les premiers juges, que les manifestations B... ", auxquelles ont participé plusieurs milliers de personnes chaque samedi entre le 17 novembre 2018 et le mois de juin 2019, ont été accompagnées d'importantes dégradations constatées, après le passage des manifestants, sur le mobilier urbain appartenant à Toulouse Métropole ainsi que sur les chaussées et trottoirs de la voirie dont la gestion et l'entretien incombent à Toulouse Métropole. Contrairement à ce que soutient le préfet, les nombreuses photographies produites au dossier, prises les jours mêmes des manifestations, montrent d'importantes dégradations de la voirie et des actes de destruction du mobilier urbain en train de se commettre dans le centre-ville de Toulouse lors de ces mêmes manifestations. Toutefois, ainsi que le préfet le fait valoir en appel, Toulouse Métropole, à l'appui de sa demande de réparation du chef de préjudice lié à la détérioration de la voirie et à la destruction du mobilier urbain, s'est bornée à se prévaloir d'un tableau établi par ses services, faisant état des coûts afférents à la réparation de la voirie et du mobilier urbain, mais sans produire de justificatifs plus probants tels que des factures établissant le paiement par ses services d'intervenants extérieurs ou d'achats de matériaux de remplacement. Si Toulouse Métropole fait valoir que ces réparations auraient été effectuées en régie par ses services, elle ne produit aucun élément, notamment d'ordre comptable, permettant d'évaluer le coût exact des réparations alléguées dont le montant retenu par les premiers juges est contesté par le préfet. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, en se fondant simplement sur le tableau produit par Toulouse Métropole, ont fait droit à la demande de cette dernière en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 332 977 euros, toutes taxes comprises, au titre des travaux de réparation de la voirie et du mobilier urbain, et à demander la réformation du jugement dans cette mesure.
S'agissant du coût de l'enlèvement des tags, graffitis, affiches sauvages, et de leur collecte et traitement :
10. En premier lieu, le préfet soutient en appel, concernant les surcoûts exposés pour la suppression de très nombreux tags, graffitis et affiches sauvages apposés sur différents bâtiments publics et privés lors des manifestations B... ", et à raison desquels le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à Toulouse Métropole la somme de 239 386 euros, que les faits à l'origine de ces dégradations ne constituent pas un délit au sens des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, et ne pouvaient en conséquence engager la responsabilité de l'Etat. Toutefois, les faits en cause constituaient bien un délit réprimé par l'article 322-1 du code pénal, qui figure dans le livre III de ce code, relatif aux " crimes et délits contre les biens ", aux termes duquel : " La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger. Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général lorsqu'il n'en est résulté qu'un dommage léger ".
11. En second lieu, en ce qui concerne la contestation par le préfet de la nature et de la consistance des préjudices subis, le tableau produit par Toulouse Métropole en première instance et intitulé " sous-détail des coûts de remise en état pour le Pôle Centre " fait apparaître, à propos de tâches de " désaffichage ", " collecte " " propreté " et " RTL ", accomplies entre le 2 décembre 2018 et le 25 mai 2019 et correspondant aux " Actes " 13 à 28 " B... ", les coûts des dégradations supportés par Toulouse Métropole. A ce titre, Toulouse Métropole produit en outre des fiches établissant, journée par journée, les coûts d'intervention de ses services. En revanche, ainsi que le fait valoir le préfet, la somme de 28 392 euros accordée à Toulouse Métropole n'est pas suffisamment justifiée par la production d'un simple tableau sans précision des dates auxquelles les dégradations auraient été commises ni des interventions des services de nettoyage, tandis qu'aucun autre justificatif n'est produit pour étayer davantage la réalité de ces dépenses. Il en va de même pour la somme de 1 707 euros correspondant à des dommages survenus lors de la journée du 18 mai 2019. Dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser à Toulouse Métropole la somme de 239 386 euros au titre de ces chefs de préjudice, et le préfet de la Haute-Garonne est fondé à demander la réduction du montant octroyé à ce titre à hauteur de 30 099 euros. Dès lors, il y a lieu de ramener la condamnation de l'Etat à la somme de 209 287 euros.
S'agissant du surcoût de la collecte et du traitement des déchets déposés sur la voirie :
12. Ainsi que le fait valoir le préfet en appel, au demeurant sans contestation de la part de Toulouse Métropole, le dépôt et le déversement de déchets et d'ordures sur la voirie constituent, en vertu des articles R. 632-1, R. 633-6, R. 644-2 et R. 635-8 du code pénal, des contraventions de 2ème à 5ème classe, et non des délits. Dans ces conditions, les faits en question ne peuvent engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement des dispositions précités de l'article L 211-10 du code de la sécurité intérieure, qui ne visent que les dommages résultant de crimes ou de délits commis lors de rassemblements ou d'attroupements. Le préfet de la Haute-Garonne est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont condamné l'Etat à verser à Toulouse Métropole une indemnité de 52 161 euros au titre des surcoûts exposés lors de la collecte et du traitement des déchets déposés sur la voirie. Le jugement doit, dès lors, être réformé à cette hauteur.
S'agissant de la mobilisation accrue d'agents métropolitains chargés du nettoiement de la voirie :
13. Dès lors, ainsi qu'il est dit au point précédent, que le dépôt et le déversement de déchets et d'ordures sur la voirie n'est pas susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, il y a lieu, par voie de conséquence, de faire droit aux conclusions du préfet tendant à la réformation du jugement de première instance en tant qu'il condamne l'Etat à verser à Toulouse Métropole la somme de 7 320,60 euros au titre des coûts supplémentaires de rémunération des agents métropolitains chargés de la collecte et du traitement des déchets déposés sur la voirie.
S'agissant des dégradations commises sur les caméras de gestion du trafic et des carrefours :
14. Contrairement à ce que fait valoir le préfet de la Haute-Garonne en appel, il résulte suffisamment de l'instruction et notamment des photographies des pylônes supportant des caméras, qui montrent des câbles sectionnés, ainsi que des courriels échangés entre les agents de Toulouse Métropole et la société de maintenance de ces caméras, que les dégradations en cause résultent des débordements commis à l'occasion des manifestations B... ". En outre, Toulouse Métropole produit des factures suffisamment explicites. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont condamné l'Etat à verser à Toulouse Métropole une indemnité de 17 115,48 euros au titre des travaux de réparation des caméras et mâts dégradés par les manifestants.
Sur l'appel incident formé par Toulouse Métropole :
En ce qui concerne le montant de la réparation dû à Toulouse Métropole sur le terrain de la responsabilité sans faute de l'État au titre des rassemblements et attroupements :
S'agissant des pertes alléguées relatives à la récupération du verre déposé par les usagers :
15. Toulouse Métropole fait valoir l'existence d'un préjudice à hauteur de la somme de 51 161 euros au titre des pertes résultant de ce que les usagers ont été contraints de cesser de déposer leurs verres dans les containers mis à leur disposition et de la destruction de certains de ces containers. Toutefois, Toulouse Métropole, en se bornant à produire un tableau établi par ses services internes ainsi qu'un document émanant d'une société spécialisée fixant au 1er janvier 2019 à 31, 88 euros par tonne le prix d'achat du verre à recycler, n'établit pas de manière suffisamment probante la réalité de son préjudice. Elle ne le justifie pas davantage en se bornant à faire valoir que la somme de 51 161 euros demandée correspondrait à une perte de 1 604 euros par tonne traitée, faute notamment de justifier de la contenance des containers, leur nombre, les volumes de verre normalement recyclés et vendus au cours des périodes précédant les manifestations. Dans ces conditions, Toulouse Métropole, qui n'établit pas le caractère certain du préjudice invoqué, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à la réparation de ce chef de préjudice.
S'agissant des préjudices liés au coût de remise en état des voies des routes départementales gérées par Toulouse Métropole :
16. Ainsi que l'ont considéré à bon droit les premiers juges, les préjudices invoqués à cet égard par Toulouse Métropole n'entrent pas dans le champ d'application de la responsabilité sans faute de l'État au titre des rassemblements et attroupements dès lors qu'il résulte de l'instruction que les actions à l'origine des dommages invoqués, résultant d'opérations " escargots " exécutées les 1er, 8 et 15 décembre 2018, ont été préméditées et concertées, quand bien même elles ne seraient pas sans liens avec le mouvement B... ".
S'agissant des préjudices liés à de la perte de redevances résultant de la baisse de fréquentation des parkings :
17. Contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la fréquentation des parkings du centre-ville de Toulouse a bien été affectée par les manifestations B... " tous les samedis, entre le 17 novembre 2018 et le mois de juin 2019 inclus, compte tenu en particulier de la fermeture à la circulation de plusieurs voies principales du centre-ville. Il résulte de l'instruction que la société Indigo, concessionnaire du parc de stationnement, a enregistré une baisse de fréquentation comprise entre 4 et 6 % entre le 17 novembre 2018 et juin 2019, ce qui correspond à une perte nette d'exploitation de 534 295 euros. Toulouse Métropole, qui percevait en sa qualité d'autorité délégante 19,7 % des recettes enregistrées par l'exploitant, est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'indemnisation de ce chef de préjudice. Par suite, il y a lieu de condamner l'Etat à verser à Toulouse Métropole la somme de 108 000 euros au titre de ce chef de préjudice, et de réformer le jugement du tribunal administratif sur ce point.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat du fait d'une rupture d'égalité devant les charges publiques :
18. Les mesures légalement prises, dans l'intérêt général, par les autorités de police peuvent ouvrir droit à réparation sur le fondement du principe de l'égalité devant les charges publiques au profit des personnes qui, du fait de leur application, subissent un préjudice anormal et spécial. Ces préjudices doivent faire l'objet d'une indemnisation lorsque, et dans la mesure où, excédant les aléas inhérents à l'activité en cause, ils revêtent un caractère grave et spécial et ne sauraient, dès lors, être regardés comme une charge incombant normalement aux intéressés.
19. Il résulte de l'instruction que, dans le cadre du blocage d'un dépôt pétrolier situé sur le territoire de la commune de Lespinasse, les services de gendarmerie ont ordonné à plusieurs reprises la déviation de la circulation de la route départementale 820 vers le chemin Ladoux, situé à Saint-Jory, et vers le chemin du Parc situé sur la commune de Lespinasse.
20. Toutefois, il résulte de l'instruction que la route départementale 820 a été déviée du 19 au 23 novembre 2018 et le 4 décembre 2018, soit pendant une durée de six jours seulement. Toulouse Métropole soutient que l'augmentation très importante du nombre de poids lourds circulant sur les deux voies précitées, au cours de ces six journées, a entraîné une détérioration accélérée de ces voies l'ayant conduite, dans le cadre de son obligation d'entretien, à faire procéder à des travaux de reprise pour un montant de 813 483 euros. Toutefois, elle ne justifie pas plus en appel qu'en première instance du lien de causalité entre les travaux qu'elle a été contrainte d'engager, alors que les voies concernées présentaient des signes de dégradations antérieures au mouvement B... ", et la circulation supplémentaire de véhicules poids-lourds enregistrée au cours des six journées en cause. En outre, il résulte de l'instruction que le mauvais état présenté par les routes concernées résulte également des mauvaises conditions météorologiques observées au cours de l'hiver 2018-2019. Dans ces conditions, la responsabilité de l'Etat, du fait de la rupture d'égalité devant les charges publiques, ne peut pas être engagée.
21. Il résulte de tout ce qui précède, que le montant de 648 960,08 euros que le tribunal administratif de Toulouse a mis à la charge de l'Etat par le jugement attaqué du 21 avril 2022 doit être ramené à la somme de 334 402,48 euros. Le jugement attaqué doit être réformé dans cette mesure. Enfin, le surplus des conclusions de la requête du préfet, et l'appel incident de Toulouse Métropole, doivent être rejetés.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
22. Toulouse Métropole a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 334 402,48 euros à compter du 7 mars 2019, date de réception par le préfet de la Haute-Garonne de la demande préalable. En application de l'article 1343-2 du code civil, Toulouse Métropole a également droit à la capitalisation des intérêts à compter du 7 mars 2020, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
23. Faute pour l'Etat d'être partie essentiellement perdante dans le présent litige, les conclusions présentées par Toulouse Métropole sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le montant de 648 960,08 euros que le tribunal administratif de Toulouse a mis à la charge de l'Etat est ramené à la somme de 334 402, 48 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2019. Les intérêts échus au 7 mars 20120 seront capitalisés à compter cette date et à chaque échéance annuelle.
Article 2 : Le jugement n° 1904448 du 21 avril 2022 du tribunal administratif de Toulouse est reformé en ce qu'il est contraire à ce qui précède.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du préfet de la Haute-Garonne et de l'appel incident présenté par Toulouse Métropole est rejeté ainsi que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Toulouse Métropole.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2024
Le président-assesseur,
P. Bentolila
Le président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22TL21484 2