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10/10/2024 | FRANCE | N°22TL22240

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 10 octobre 2024, 22TL22240


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière Maisons et Décors a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016, de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamée au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 et de l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôt qui lui a été infligée au titre

de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016.



Par un jugement n° 2005430 du 3 o...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Maisons et Décors a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016, de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamée au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 et de l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôt qui lui a été infligée au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016.

Par un jugement n° 2005430 du 3 octobre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a intégralement fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 16 novembre 2022 et les 16 mars et 12 mai 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 octobre 2022 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de rejeter la demande de la société Maisons et Décors présentée devant le tribunal administratif de Montpellier ;

3°) de rétablir la société Maisons et Décors aux cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, à la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamée et à l'amende de l'article 1759 du code général des impôts qui lui a été infligée ;

4°) de mettre à la charge de la société Maisons et Décors la somme de 1 500 euros qui lui a été attribuée par le tribunal au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales dès lors que la société Maisons et Décors n'établit pas avoir adressé une demande de saisine de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;

- il renvoie, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, à ses écritures de première instance.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 février et 24 avril 2023, la société Maisons et Décors, représentée par Me Bertrand, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le moyen soulevé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé.

Une ordonnance du 31 octobre 2023 a prononcé la clôture de l'instruction à la même date en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Par un courrier du 19 septembre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de relever un moyen soulevé d'office tiré de l'inopérance du moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales, en l'absence de désaccord persistant sur une appréciation de fait relevant de la compétence de la commission départementale des impôts.

Des réponses au moyen d'ordre public présentées pour la société Maisons et Décors et pour le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ont été enregistrées respectivement le 24 septembre et le 25 septembre 2024 et ont été communiquées.

Un mémoire présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a été enregistré le 25 septembre 2024 et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chalbos,

- les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bertrand, représentant la société Maisons et Décors.

Une note en délibéré, présentée pour la société Maisons et Décors, a été enregistrée le 30 septembre 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière Maisons et Décors, qui s'est placée sous le régime d'imposition de l'article 8 du code général des impôts, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a considéré qu'elle avait exercé une opération immobilière caractérisant une activité de marchand de biens, entraînant son assujettissement à l'impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée. Par proposition de rectification du 18 décembre 2017, des cotisations d'impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée, assorties de pénalités, lui ont été notifiées respectivement au titre des exercices clos de 2014 à 2016 et au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016. L'amende pour non désignation des bénéficiaires des distributions prévue par l'article 1759 du code général des impôts lui a également été infligée au titre de la même période. Ses réclamations ayant été rejetées par l'administration fiscale, la société Maisons et Décors a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge de ces impositions et de cette amende. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique fait appel du jugement du 3 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a intégralement fait droit à la demande en décharge de la société.

Sur le moyen retenu par le jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis soit de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (...) ". Aux termes de l'article L. 59 A du même livre : " I.- La commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition ; (...) / II.- Dans les domaines mentionnés au I, la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit (...) ". Aux termes de l'article R. 59-1 de ce livre : " Le contribuable dispose d'un délai de trente jours à compter de la réception de la réponse de l'administration à ses observations pour présenter la demande prévue au premier alinéa de l'article L. 59 (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées que l'administration est tenue, à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition, de donner suite à une demande, formulée par le contribuable dans le délai de trente jours à compter de la réception de la réponse de l'administration à ses observations, tendant à la saisine de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires lorsque persiste entre elle-même et le contribuable, à cette étape de la procédure, un désaccord entrant dans le champ de compétence de cette commission.

4. Il résulte de l'instruction que, le 20 mars 2018, la société appelante a adressé à l'administration fiscale deux lettres recommandées avec demandes d'accusé de réception, l'une sous le numéro 1A 147 792 1709 5, l'autre sous le numéro 1A 147 792 1712 5. Il résulte encore de l'instruction, et en particulier de la preuve de distribution obtenue à l'occasion d'une réclamation auprès des services postaux, ainsi que d'une capture d'écran de l'historique du pli 1A 147 792 1712 5, que celui-ci a été distribué à l'administration fiscale le 21 mars 2018. Aucune preuve de distribution n'est en revanche produite s'agissant du pli 1A 147 792 1709 5, seule la preuve de son dépôt étant rapportée par la société, alors que l'administration fiscale soutient n'avoir reçu qu'une seule lettre datée du 20 mars 2018, dont elle n'a pas conservé l'enveloppe. Il résulte ainsi de l'instruction que l'administration n'a été destinataire que du pli 1A 147 792 1712 5, bien que la non distribution du pli 1A 147 792 1709 5 n'apparaisse pas imputable à la société. Selon cette dernière, le pli 1A 147 792 1712 5 contenait sa demande de saisine de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, l'autre pli contenant sa réponse à la demande de désignation des bénéficiaires des distributions. Faute d'avoir reporté sur ses lettres, pourtant datées du même jour et envoyées à la même adresse, les numéros des recommandés correspondants, elle n'est pas en mesure d'établir le contenu des deux plis. Il est toutefois constant que l'administration a expressément répondu à la lettre de la société faisant suite à la demande de désignation des bénéficiaires. Il s'en déduit que le pli parvenu à l'administration contenait nécessairement cette dernière lettre. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction qu'un pli contenant la demande de saisine de la commission serait effectivement parvenu à l'administration fiscale. Même en admettant que le pli envoyé mais non reçu par l'administration fiscale contenait la demande de saisine de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la société n'a, en dépit de l'absence d'accusé de réception de ce pli, ni interrogé les services postaux, ni relancé l'administration fiscale ou encore renouvelé sa demande. Ce n'est d'ailleurs qu'au mois de juin 2020, à l'occasion de sa troisième réclamation préalable, qu'elle s'est plainte pour la première fois de l'absence de saisine de la commission. Dans ces conditions, la société ne démontre pas avoir effectivement adressé à l'administration fiscale une demande de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Il s'ensuit qu'elle ne peut utilement se plaindre d'une irrégularité de la procédure tenant à la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier s'est fondé sur la méconnaissance d'une telle garantie pour décharger la société Maisons et Décors des impositions litigieuses.

6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Maison et Décors devant le tribunal administratif.

Sur les autres moyens de la société Maisons et Décors :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

7. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales que lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est en principe tenue de lui communiquer les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée.

8. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 4, la société Maisons et Décors ne peut être regardée comme ayant saisi l'administration fiscale d'une demande de communication de documents dès lors que celle-ci était contenue dans la même lettre que celle portant demande de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, dont il n'est pas établi qu'elle a été adressée à l'administration. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration fiscale aurait, dans le cadre des opérations de contrôle de la société Maisons et Décors, fait usage de son droit de communication et obtenu auprès de tiers des documents entrant dans le champ d'application de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales. Le moyen tiré de la méconnaissance de telles dispositions ne peut donc qu'être écarté.

9. En second lieu, en retenant que la société Maisons et Décors avait exercé une activité de marchand de biens, l'administration fiscale n'a pas entendu remettre en cause l'existence de la société ni le caractère authentique de ses actes d'achat et de vente de biens immobiliers. Elle n'a pas davantage affirmé ou laissé entendre que les opérations effectuées par la société auraient présenté un caractère fictif ou qu'elles auraient été réalisées dans le seul but d'éluder ou d'atténuer l'impôt. L'administration ne s'est donc pas placée, même implicitement, sur le terrain de l'abus de droit et n'a pas privé la société des garanties qui s'attachent à la procédure prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

S'agissant de l'application de la loi fiscale :

10. D'une part, aux termes du 2 de l'article 206 du code général des impôts, relatif au champ d'application de l'impôt sur les sociétés : " (...) les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt (...) si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 ". L'article 35 du même code auquel il est ainsi renvoyé vise notamment les : " (...) 1° bis Personnes qui, à titre habituel, achètent des biens immeubles, en vue d'édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre, en bloc ou par locaux (...) ". L'application de ces dispositions est subordonnée à la double condition que les opérations procèdent d'une intention spéculative et présentent un caractère habituel. La condition d'habitude s'apprécie en principe en fonction du nombre d'opérations réalisées et de leur fréquence. En outre, la circonstance qu'une société a procédé de manière habituelle à des opérations d'achat et de revente de biens immobiliers ne permet pas, en elle-même, de présumer que ces opérations aient été réalisées dans une intention spéculative, laquelle doit par ailleurs être recherchée à la date d'acquisition des immeubles ultérieurement revendus.

11. D'autre part, aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. -Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". L'article 257 du même code dispose que : " I. - Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (...) ". Pour l'application de ces dispositions, la livraison d'un bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation par une société civile immobilière, est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elle procède, non de la simple gestion d'un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu'elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique.

12. La société civile immobilière Maisons et Décors, constituée en 1994, a acquis, le 15 juillet 2009, une maison à usage d'habitation située sur un terrain de 1 472 mètres carrés, sis 1865 avenue de l'Europe à Castelnau-le-Lez (Hérault). La maison existante a été démolie et le terrain a été divisé en sept lots en vue de la construction de six maisons individuelles et d'un garage. Les travaux ont débuté en novembre 2009 et trois des quatre maisons achevées en mars ou en mai 2011 ont été vendues consécutivement, la quatrième ayant été vendue en avril 2015. Deux autres maisons ont été vendues, l'une en l'état de futur achèvement et l'autre en cours de construction, respectivement en juillet 2015 et en octobre 2016. L'opération d'acquisition d'un immeuble et sa revente en plusieurs lots ainsi décrite suffit, compte tenu du délai rapproché qui s'est écoulé entre l'achat du bien, le début des travaux et les premières cessions, à conférer un caractère habituel à l'activité immobilière de la société, laquelle a par ailleurs également revendu, entre 2010 et 2012, plusieurs biens immobiliers.

13. Il résulte de l'opération précédemment décrite que la division de la parcelle et le début des travaux sont intervenus quelques mois après l'acquisition de la société Maisons et Décors. À l'exception des lots correspondant à la maison occupée par la famille A... et à son garage, les autres ont été revendus, soit dès le mois de la livraison des maisons achevées en 2011, soit avant même leur achèvement. Le produit de ces ventes, une fois déduit le coût total de l'opération, auquel il convient d'intégrer le coût de l'emprunt, a permis à la société de réaliser une marge conséquente. Il résulte par ailleurs de l'instruction que M. A... exerçait une activité de promoteur lorsque la société a acquis l'ensemble immobilier. S'il est vrai qu'il n'était, à cette date, pas encore associé ni gérant de la société Maisons et Décors, il s'est impliqué dès l'origine dans l'opération de la société civile immobilière constituée par les membres de son foyer, en se portant caution du prêt contracté par elle. En outre, la société Maisons et Décors, dont l'objet social est, selon ses statuts, " l'acquisition, la propriété et la gestion d'immeubles bâtis ou non bâtis ", soutient que le projet de ses membres, à la date d'acquisition de l'ensemble immobilier le 15 juillet 2009, était d'y installer leur résidence principale et d'édifier cinq autres maisons individuelles à mettre en location afin de leur assurer la constitution d'un patrimoine familial. Il résulte cependant de l'instruction que les seuls baux présentés par la société Maisons et Décors ont été conclus avec la famille A... et l'entreprise A... et fils B.... Il résulte encore de l'instruction que la société n'a déclaré aucun loyer à raison de ses biens à Castelnau-le-Lez et n'a été en mesure de justifier que d'un versement ponctuel de 4 500 euros par la société A... et fils B.... Si la société soutient avoir été contrainte de vendre plusieurs maisons, en dépit de son projet initial, pour faire face aux travaux ainsi qu'à un manque de trésorerie, elle n'apporte aucun élément à l'appui de telles allégations. Elle n'établit pas davantage s'être heurtée à des difficultés pour mettre les maisons en location, aucune preuve de diligence en ce sens n'étant produite et le vérificateur ayant relevé la localisation recherchée de l'ensemble immobilier. Ainsi, et nonobstant la circonstance que la famille A... a occupé à titre d'habitation principale l'une ou l'autre des maisons individuelles au cours de l'opération, les caractéristiques du prêt contracté pour le financement de celle-ci ou encore le régime d'imposition pratiqué lors de l'acquisition, il résulte de l'ensemble de ces circonstances que l'administration a pu justement retenir l'intention spéculative de la société civile à la date de l'acquisition de l'immeuble le 15 juillet 2009. Contrairement à ce que soutient la société, la circonstance que les cessions réalisées en 2011 n'aient pas été inclues dans la période vérifiée n'est pas de nature à révéler une différence d'appréciation de l'administration fiscale sur les différentes ventes de l'opération immobilière.

14. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que, sur le terrain de la loi fiscale, l'administration fiscale a procédé à la requalification de l'activité de la société civile immobilière Maisons et Décors en retenant l'exercice d'une activité de marchand de biens, entraînant son assujettissement, en application des dispositions précitées aux points 10 et 11, à l'impôt sur les sociétés ainsi qu'à la taxe sur la valeur ajoutée.

S'agissant de l'interprétation administrative de la loi fiscale :

15. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration (...) ". Selon l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal (...) ".

16. À supposer que la société Maisons et Décors puisse utilement se prévaloir, pour contester les impositions litigieuses, de la prise de position formelle sur sa situation de fait qui résulte du rescrit du 27 mai 2011 rédigé par la directrice régionale des finances publiques de Languedoc-Roussillon, lequel ne concerne au demeurant que la taxe sur la valeur ajoutée, il résulte toutefois de l'instruction qu'elle ne s'est pas conformée à l'opération telle qu'elle l'a exposée et sur laquelle l'administration fiscale a été amenée à se prononcer. Le rescrit fait en effet expressément référence à l'indication, par la société, de la vente projetée de trois biens, à titre exceptionnel, ce qui diffère de l'opération finalement réalisée par la société qui a cédé l'ensemble des lots. De surcroît, l'administration a, dans sa réponse, exclu expressément l'hypothèse d'une vente en l'état futur d'achèvement. Dans ces conditions, la société Maisons et Décors ne peut se prévaloir d'une prise de position formelle de l'administration sur une situation de fait au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales précité.

En ce qui concerne les pénalités :

17. En premier lieu, la contestation, par la société Maisons et Décors, de la majoration pour défaut de déclaration prévue par le a. du 1 de l'article 1728 du code général des impôts est motivée par son désaccord avec le principe de son assujettissement à l'impôt sur les sociétés ainsi qu'à la taxe sur la valeur ajoutée. Elle doit donc être écartée par voie de conséquence de ce qui précède.

18. En second lieu, il résulte des dispositions des articles 117 et 1759 du code général des impôts que la circonstance que l'administration connaisse ou soit susceptible de connaître les bénéficiaires de sommes regardées comme des revenus réputés distribués n'est pas de nature à lui interdire d'inviter la société distributrice à désigner l'identité et l'adresse des bénéficiaires dans un délai de trente jours, dans les conditions prévues par l'article 117 du code général des impôts, et ne fait obstacle ni à ce qu'elle applique à cette société, à défaut de toute réponse, l'amende prévue par l'article 1759 du même code, ni à ce qu'une réponse tardive ou manifestement incomplète ou insuffisante soit assimilée à un défaut de réponse.

19. Pour contester l'application de l'amende pour absence de désignation des bénéficiaires des sommes regardées comme revenus distribués, la société Maisons et Décors se borne à soutenir que les bénéficiaires étaient parfaitement connus de l'administration fiscale. Eu égard à ce qui a été dit au point précédent, son moyen doit être écarté.

20. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par l'administration en première instance, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé la décharge des impositions et de l'amende litigieuses. Il y a donc lieu d'annuler le jugement attaqué et de rétablir la société Maisons et Décors dans ces impositions et cette amende.

Sur les frais liés au litige de première instance :

21. Il résulte de ce qui précède que la société Maisons et Décors n'était pas fondée à demander au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des impositions et de l'amende mises à sa charge. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font donc obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de l'État au titre des frais liés au litige de première instance. Par suite, le ministre est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a mis à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de ces dispositions.

Sur les frais liés au litige :

22. L'État n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par la société Maisons et Décors au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 3 octobre 2022 est annulé.

Article 2 : Les cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Maisons et Décors a été assujettie au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016, la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamée au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, les pénalités et l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts auxquelles elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016 sont remises à sa charge.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Maisons et Décors au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative devant la cour sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Maisons et Décors et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Lafon, président-assesseur,

Mme Chalbos, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2024.

La rapporteure,

C. Chalbos

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22TL22240


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