Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 6 septembre 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Par un jugement no 2205321 du 13 septembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 janvier 2023, M. A..., représenté par Me Laspalles, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 septembre 2022 du préfet de la Haute-Garonne ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de procéder sans délai à la suppression du signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le jugement attaqué, en ce qu'il a procédé d'office à une substitution de base légale, est irrégulier dès lors qu'il ne ressort pas de l'instruction que le préfet aurait pu édicter l'arrêté en litige sur le fondement du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle ne répond pas à l'exigence de motivation imposée par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le préfet n'a pas respecté la procédure contradictoire prévue à l'article L. 121-1 du même code ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;
- elle méconnaît son droit d'être entendu ;
- le préfet a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation en estimant qu'il constituerait actuellement une menace pour l'ordre public ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
Sur la décision portant refus de délai de départ volontaire :
- elle est entachée d'un défaut de motivation en fait ;
- elle est dépourvue de base légale ;
- elle est entachée d'une erreur de droit, le préfet n'ayant pas examiné sa situation et s'étant estimé à tort en situation de compétence liée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors qu'il justifie qu'un délai supérieur à un mois devait lui être accordé ;
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans :
- la décision ne répond pas à l'exigence de motivation imposée par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le préfet n'a pas respecté la procédure contradictoire prévue à l'article L. 121-1 du même code ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;
- elle méconnaît son droit à être entendu ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2023, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que l'éloignement du requérant n'est pas contraire à l'intérêt supérieur de ses enfants et, pour les autres moyens, renvoie à ses observations formulées devant le tribunal administratif.
Par ordonnance du 19 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 11 juillet 2023.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 16 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Thierry Teulière, président-assesseur.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant sénégalais né le 14 octobre 1978 à Dakar (Sénégal), est entré sur le territoire français le 8 mai 2003, sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités consulaires françaises. Il a bénéficié d'un titre de séjour en qualité de conjoint de français valable du 24 novembre 2003 au 23 novembre 2004, puis d'un titre de séjour temporaire en qualité de parent d'enfant français du 24 novembre 2004 au 22 novembre 2007. Il a cependant fait l'objet d'un arrêté portant refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français pris par le préfet de la Haute-Garonne le 20 octobre 2008. Il a également fait l'objet d'un nouvel arrêté préfectoral portant reconduite à la frontière le 6 mars 2010, confirmé par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 21 octobre 2010. Il a sollicité son admission au séjour en tant que père de deux enfants de nationalité française. Le préfet de la Haute-Garonne a pris, le 11 juillet 2013, un arrêté portant refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, dont la légalité a été confirmée en dernier lieu par la cour administrative d'appel Bordeaux. M. A... a été condamné, le 25 novembre 2015, par la cour d'assises de la Haute-Garonne à une peine d'emprisonnement de dix ans pour des faits d'escroquerie, viol commis sous la menace d'une arme, viol commis en réunion et vol. Le tribunal judiciaire de Toulouse l'a également condamné le 7 avril 2021 à une peine de quatre mois d'emprisonnement pour recel de bien. Par un arrêté en date du 6 septembre 2022, le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Par un jugement no 2205321 du 13 septembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de cet arrêté. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; / (...) / 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public (...) ".
3. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.
4. En l'espèce, le premier juge a, au point 10 du jugement contesté, substitué d'office les dispositions précitées du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à celles du 5° du même article, fondement initial de la mesure d'éloignement en litige, après avoir constaté que le requérant avait fait l'objet d'un arrêté portant refus de séjour le 11 juillet 2013, confirmé par le tribunal administratif de Toulouse le 31 décembre 2013 et par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 22 juillet 2014, que l'administration disposait du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre des dispositions précitées et relevé que cette substitution de base légale ne privait l'intéressé d'aucune garantie. En procédant dans ces conditions, de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, à une telle substitution de base légale relevant de son office, le premier juge n'a pas entaché son jugement d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise le préfet de la Haute-Garonne dans l'application des dispositions précitées du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
6. M. A... reprend en appel, sans contestation utile du jugement attaqué, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation, du défaut d'examen de sa situation, du non-respect de la procédure contradictoire, et de la méconnaissance du droit d'être entendu. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par le magistrat désigné, aux points 3 à 7 du jugement attaqué.
7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
8. M. A... persiste en appel à soutenir qu'étant entré en France le 8 mai 2003, il peut se prévaloir d'une ancienneté de séjour significative et que, père de deux enfants français nés respectivement en 2003 et 2006, avec lesquels il entretient des liens affectifs, sa vie privée et familiale se situe désormais en France. Toutefois, le requérant, qui n'a précédemment pas exécuté plusieurs mesures d'éloignement prises à son encontre, est célibataire et n'établit pas, par la seule production de quelques lettres non datées écrites par ses filles, entretenir des liens stables et intenses avec elles. Par ailleurs, ainsi que l'a relevé le magistrat désigné, M. A... a été condamné le 25 novembre 2015 pour des faits d'escroquerie, de vol, de viol sous la menace d'une arme et de viol en réunion par la cour d'assises de la Haute-Garonne ainsi que, le 7 avril 2021, pour des faits de recel de bien par le tribunal judiciaire de Toulouse. Son comportement, nonobstant les éléments avancés par l'intéressé sur son travail et son état d'esprit en détention, doit être regardé comme constitutif d'une menace à l'ordre public. M. A... ne démontre pas qu'il aurait fixé le centre de ses intérêts privés en France et il n'est pas dépourvu d'attaches personnelles et familiales dans son pays d'origine. Par suite, la décision en litige n'a pas porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas davantage commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de M. A... ou quant aux conséquences de sa décision.
9. Aux termes des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Ces stipulations sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
10. Dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... entretiendrait des liens stables et intenses avec ses enfants dont l'un est, au demeurant, majeur, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :
11. M. A... reprend en appel, sans contestation utile du jugement attaqué, les moyens tirés du défaut de base légale, du défaut de motivation, du défaut d'examen de sa situation et de ce que le préfet s'est cru à tort en situation de compétence liée. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le magistrat désigné, aux points 15 à 17 du jugement attaqué.
12. M. A... soutient qu'un délai de départ supérieur à un mois devait lui être accordé. Toutefois, il a fait l'objet d'une mesure d'éloignement sans délai. Il ressort des pièces du dossier qu'il s'est soustrait à l'exécution de plusieurs mesures d'éloignement antérieures et qu'il ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes. Par suite et eu égard aux motifs exposés au point 8, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas commis d'erreur d'appréciation en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire sur le fondement des dispositions du 3° de l'article L. 612-2 et des 5° et 8° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour un durée de trois ans :
13. M. A... reprend en appel, sans contestation utile du jugement attaqué, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation, du défaut d'examen de sa situation, du non-respect de la procédure contradictoire et de la méconnaissance du droit d'être entendu. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le magistrat désigné, aux points 19 à 22 du jugement attaqué, le point 22 renvoyant lui-même au point 7 de ce jugement.
14. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (... )". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
15. Ainsi qu'il a été dit précédemment, les faits pour lesquels M. A... a été condamné à deux reprises sont constitutifs d'un comportement représentant une menace pour l'ordre public. Il est constant que trois précédentes mesures d'éloignement ont été prises à l'encontre du requérant les 20 octobre 2008, 6 mars 2010 et 11 juillet 2013. Le requérant, célibataire, ne justifie pas entretenir des liens stables et intenses avec ses enfants et n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. En l'absence de circonstances humanitaires qui justifieraient que l'autorité administrative s'abstienne d'édicter une telle décision, le préfet de la Haute-Garonne, a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, prononcer à l'encontre de l'intéressé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 septembre 2022 du préfet de la Haute-Garonne portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de renvoi et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Sa requête doit donc être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles relatives aux frais liés au litige.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... A..., à Me Laspalles, et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président de chambre,
M. Teulière, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
Le rapporteur,
T. Teulière
Le président,
D. Chabert La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23TL00060