Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 22 octobre 2021 par lequel le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2107214 du 21 septembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 28 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Dujardin, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 21 septembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral en litige ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour ; à défaut d'enjoindre au préfet de procéder à un nouvel examen de sa demande, dans les mêmes conditions de délai en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article 47 du code civil dès lors que les actes d'état civil qu'il produit attestent qu'il était bien mineur lors de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance ; ces documents bénéficient d'une présomption d'authenticité qui n'est pas renversée par le préfet ;
- la décision méconnait les dispositions des articles L. 423-22 et R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il a produit les éléments de nature à justifier de sa minorité et du respect des conditions légales pour la délivrance du titre de séjour sollicité ;
- la décision attaquée est entachée d'erreur de fait compte tenu du caractère probant des actes d'état civil produits qui confirment sa minorité lors de sa prise en charge ;
- elle méconnait enfin les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu des liens privés qu'il a tissés en France.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 mars 2024, le préfet du Tarn conclut au rejet de la requête.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par une décision du 31 mai 2024, le président du bureau de l'aide juridictionnelle a constaté la caducité de la demande de M. B... en l'absence de présentation des pièces exigées dans le délai imparti.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Faïck a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen, qui serait né le 11 mai 2004 déclare être entré irrégulièrement sur le territoire français en février 2019. Par une ordonnance du 22 février 2019, le procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Albi a placé provisoirement M. B... auprès du service de l'aide sociale à l'enfance du département du Tarn. Se prévalant de sa qualité de mineur isolé confié à l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans, M. B... a, en juillet 2021, déposé en préfecture du Tarn une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet du Tarn a rejeté cette demande par un arrêté du 22 octobre 2021 dont M. B... a demandé l'annulation au tribunal administratif de Toulouse. Il relève appel du jugement rendu le 21 septembre 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an (...) Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française.". Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité (...) ". L'article L. 811-2 du même code prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Ce dernier article dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. Les dispositions de l'article 47 du code civil posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Cependant, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
4. Il ressort des motifs de l'arrêté contesté que, pour rejeter la demande de titre de séjour sollicitée par M. B..., le préfet du Tarn s'est fondé sur l'absence de valeur probante des documents d'état civil présentés, et censés établir que l'intéressé était mineur lorsqu'il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance.
5. Pour justifier de son identité et de sa nationalité, M. B... a produit, avec sa demande de titre, un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu par le tribunal de première instance de Dubréka le 12 février 2019 et légalisé le 21 mai 2021, une transcription de ce jugement également légalisée, ainsi qu'une carte d'identité consulaire délivrée le 27 novembre 2020 par l'ambassade de Guinée en France.
6. Il ressort des pièces du dossier que, alors qu'en Guinée les jugements supplétifs sont délivrés deux ou trois semaines après le dépôt de la demande afin de permettre à l'autorité saisie de procéder à des recherches, et notamment sur la véracité des déclarations des témoins, celui produit par M. B... l'a été le jour même de sa requête. S'il est vrai que le jugement supplétif produit comporte une mention selon laquelle une enquête aurait été effectuée, il n'en demeure pas moins qu'aucun acte procédural particulier n'y est mentionné. Par ailleurs, si les affirmations du préfet selon lesquelles le jugement supplétif a été délivré à la demande de son père pourtant décédé en 2014 sont contestées par M. B..., celui-ci ne produit aucun élément permettant d'estimer que ce jugement aurait été rendu à la demande de son oncle, agissant au nom de son père, alors qu'aucune mention en ce sens ne figure sur le jugement. De plus, le rapport établi par la direction interdépartementale de la police de l'air et des frontières le 28 juillet 2021 a relevé, à la suite d'une comparaison avec un document de référence, certaines anomalies telles que le visa d'un article erroné du code civil guinéen et l'absence de sécurités de base, dès lors que faute d'utilisation de papier fiduciaire ou de l'offset, une simple imprimante avait suffi à éditer les actes produits par M. B.... Quant à la carte consulaire, qui n'est pas un acte d'état-civil, elle a été délivrée par le consulat de Guinée en France sur simple présentation du jugement supplétif et de l'extrait d'acte de naissance, et ne peut suffire ainsi à établir l'état civil de l'intéressé.
7. Ainsi qu'il a été dit au point 5, le jugement supplétif et la transcription de ce jugement ont bénéficié d'une légalisation de la part des services du consulat de Guinée à Paris. Toutefois, alors que la légalisation atteste seulement de la régularité formelle de ces actes, il ressort des pièces du dossier que le préfet a, le 27 août 2021, saisi le consul guinéen en France du cas de M. B... en lui demandant de vérifier l'authenticité des documents en cause. Il ressort également des pièces du dossier qu'il n'a pas été répondu à cette demande, les services de l'ambassade ayant seulement transmis au préfet une attestation selon laquelle l'auteur de la légalisation, membre du personnel diplomatique, est habilité à signer et légaliser tous documents d'état civil. Or, le préfet produit un courrier électronique émanant de l'auteur même de la légalisation indiquant que l'ambassade de Guinée en France ne dispose pas des moyens techniques lui permettant d'apprécier l'authenticité des documents d'état civil produits par les ressortissants guinéens ne disposant pas d'un passeport, d'une carte d'identité guinéenne, du récépissé ou de la carte de séjour en France.
8. Au regard de l'ensemble des éléments précités, le préfet du Tarn doit être regardé comme ayant renversé la présomption de validité des actes d'état-civil produits par M. B.... Et faute pour ce dernier d'établir par ailleurs son âge réel, le préfet du Tarn a pu légalement refuser de délivrer le titre de séjour sollicité sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les moyens tirés de l'erreur de fait, de la méconnaissance des dispositions de l'article 47 du code civil et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent, en conséquence, être écartés.
9. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) "
10. Si M. B... est présent en France depuis février 2019, et s'il a suivi d'octobre 2020 à août 2022 une formation destinée à l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle en menuiserie dans le cadre de laquelle il a signé un contrat d'apprentissage, il ressort cependant des pièces du dossier qu'il est célibataire et sans charge de famille et qu'il n'a pas noué en France des liens privés et familiaux d'une intensité particulière. En outre, aucun élément au dossier ne permet d'estimer que M. B... serait dans l'impossibilité de poursuivre son apprentissage dans son pays d'origine, où il conserve par ailleurs des attaches familiales dès lors que ses deux frères et sa sœur y demeurent. Dans ces conditions, le préfet n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales doit ainsi être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Par voie de conséquence ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur. Copie pour information en sera délivrée au préfet du Tarn.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2024.
Le président-assesseur,
P. Bentolila
Le président-rapporteur,
F. Faïck
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°23TL02788 2