Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de constater l'emprise irrégulière sur sa propriété, d'annuler la décision du 3 mars 2021 par laquelle le maire de la commune de Montbrun-des-Corbières a refusé de procéder à la dépose du compteur n° 82 R 100 1433 3932 relatif à l'alimentation en eau potable de sa voisine, et installé dans sa propriété, et d'enjoindre à la commune de Montbrun-des-Corbières de procéder à l'enlèvement de ce compteur dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2102423 du 3 novembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 décembre 2022, et un mémoire en réplique du 9 septembre 2024, Mme A..., représentée par Me Montepini, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 novembre 2022 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler la décision du 3 mars 2021 par laquelle le maire de Montbrun-des-Corbières a refusé de procéder à la dépose du compteur n° 82 R 100 1433 3932 installé dans le mur de sa propriété ;
3°) d'enjoindre au maire de Montbrun-des-Corbières de procéder à l'enlèvement de ce compteur dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Montbrun-des-Corbières la somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :
- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors que les premiers juges ont reconnu l'existence d'une emprise irrégulière, et estimé que la solution du litige pouvait être commandée par l'issue de la demande qu'elle a introduite devant le tribunal judiciaire de Narbonne aux fins de faire déplacer les canalisations d'eau potable implantées sans son autorisation sous son terrain et qui desservent la propriété voisine, et auxquelles correspond le compteur d'eau en litige ; il appartenait dans ces conditions au tribunal administratif de surseoir à statuer dans l'attente du jugement du tribunal judiciaire et de poser à celui-ci une question préjudicielle.
Elle soutient, au fond, que :
- le compteur d'eau qui a été implanté sur sa propriété, et qui dessert la propriété de sa voisine, doit être qualifié d'ouvrage public, et cette implantation procède d'une emprise irrégulière faute d'accord conclu avec le distributeur d'énergie, ou d'institution d'une servitude dans les conditions prévues par l'article L 323-4 du code de l'énergie, ou de l'intervention d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- aucune régularisation n'est possible dans la mesure où elle refuse de donner son accord à l'implantation de ce compteur sur sa propriété ;
- alors que l'article L 2224-7-1 du code général des collectivités territoriales prévoit l'élaboration d'un schéma de distribution d'eau potable, la canalisation d'eau potable traversant son jardin a été posée sans qu'aucune servitude n'existe sur son fonds et alors que le fonds voisin est plus apte à recevoir cette canalisation ;
- le déplacement du compteur en litige n'emporterait aucune charge excessive dès lors qu'elle n'induirait pas d'interruption du service public, et aucun motif d'intérêt général n'est susceptible d'y faire obstacle ; la pose du compteur d'eau sur la propriété de sa voisine ne pose aucune difficulté technique , contrairement à ce que fait valoir la commune en défense, dès lors que cette propriété est située dans le cœur du village et à une distance seulement de 20 mètres de la propriété de l'appelante ; le coût du déplacement du compteur s'élèverait pour le propriétaire concerné à la somme de 3 714,82 euros et pour la commune à la somme de 12 034, 72 euros pour la partie située sur le domaine public, selon les devis établis par la commune elle-même ; sa propriété connait par ailleurs une perte de valeur vénale de 28 000 euros selon l'estimation qu'elle a faite établir par un expert immobilier.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 avril 2023, la commune de Montbrun-des-Corbières, représentée par Me Castelbou, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme A... d'une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune soutient :
- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté dès lors qu'aucune demande de sursis à statuer ni aucune demande tendant à ce qu'une question préjudicielle soit posée au juge judiciaire n'a été présentée en première instance ; par ailleurs, les premiers juges n'ont évoqué que l'éventualité d'une appréciation différente dans l'hypothèse où le juge judiciaire viendrait à reconnaître l'irrégularité de l'implantation des canalisations privées, mais sans aucune certitude à cet égard ;
- Mme A... ne justifie de l'existence d'aucun préjudice qui serait afférent à la présence du compteur de sa voisine sur sa propriété, qui est sa résidence secondaire, et qui ne fait l'objet d'aucune dépréciation du fait de la présence de ce compteur ; par ailleurs le déplacement de ce compteur est techniquement impossible dès lors qu'il est situé en bout d'impasse, au sommet d'une pente, et que le compteur ne pourrait trouver comme point d'appui que les murs des propriétés environnantes ; le déplacement du compteur présenterait par ailleurs une atteinte excessive à l'intérêt général compte tenu des moyens techniques et financiers de la commune, qui ne compte que 319 habitants.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bentolila, président assesseur,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique
- et les observations de Me Montepini pour Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... qui est propriétaire, depuis le 3 juillet 2002, d'un bien immobilier situé 7 rue des remparts dans la commune de Montbrun-des-Corbières (Aude) a découvert, dans la trappe aménagée sur un mur de sa propriété, la présence d'un compteur d'eau, installé à côté du sien, enregistrant la consommation de sa voisine immédiate. Par lettre du 4 février 2021 Mme A... a demandé au maire de Montbrun-des-Corbières la dépose de ce compteur d'eau de sa voisine installé sur sa propriété sans son autorisation. Par une décision du 3 mars 2021, le maire de Montbrun-des-Corbières a refusé de faire droit à la demande de Mme A....
2. Mme A... relève appel du jugement du 3 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 3 mars 2021, et à ce qu'il soit enjoint à la commune de faire enlever le compteur d'eau.
Sur la régularité du jugement :
3. Les branchements particuliers au réseau public d'eau potable, ainsi que le compteur afférent à cette alimentation en eau potable, constituent des dépendances du réseau public de distribution d'eau potable et par suite des ouvrages publics, ce qui entraîne la compétence du juge administratif pour que soit ordonné, le cas échéant, le déplacement ou la suppression de tels ouvrages. A cet égard, aux termes de l'article 4-1 du règlement du service d'eau de la commune de Montbrun-des-Corbières, approuvé par délibération du 3 juin 2009 en application de l'article L. 2224-12 du code général des collectivités territoriales : " Le branchement fait partie du réseau public et comprend : / 1°) la prise d'eau sur la conduite de distribution publique, et le robinet de prise d'eau sous bouche à clé, / 2°) la canalisation située tant en domaine public qu'en domaine privé, / 3°) le dispositif d'arrêt (...) / 4°) le système de comptage (...) ". Aux termes de l'article 4-2 du même règlement : " Les branchements sont réalisés par la collectivité. / Le branchement est établi après acceptation de la demande par la collectivité et après accord sur l'implantation et la mise en place de l'abri du compteur. Les travaux d'installation sont alors réalisés par la collectivité (ou l'entreprise qu'elle a missionnée et sous sa responsabilité/ (...) ". Enfin, aux termes de l'article 5-1 de ce règlement : " Les compteurs d'eau sont la propriété de la collectivité (...) ".
4. Au cas d'espèce, le litige que Mme A... a porté en première instance, comme d'ailleurs en appel, concernait une emprise irrégulière sur sa propriété à raison de la présence d'un compteur d'eau enregistrant la consommation de sa voisine. Il appartenait au juge administratif de se prononcer sur la demande de Mme A.... Ainsi, la circonstance que Mme A... a informé le tribunal administratif qu'elle avait assignée sa voisine devant le tribunal judiciaire de Narbonne pour qu'elle procède à la dépose d'une canalisation d'eau potable traversant sa propriété n'est pas de nature à entacher le jugement d'irrégularité au motif que les premiers juges se sont abstenus de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure juridictionnelle engagée, ou d'avoir posé une question préjudicielle à la juridiction judiciaire. Il résulte de ce qui précède que le moyen d'irrégularité du jugement invoqué par Mme A... doit être écarté.
Sur le fond du litige :
5. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition ou le déplacement d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
6. Il résulte de l'instruction et notamment des procès- verbaux de constat d'huissier des 10 novembre 2021 et 1er juin 2022 produits au dossier, ainsi que des photographies qui y sont jointes, que le compteur d'eau de la voisine de Mme A... est bien installé dans la propriété de cette dernière. Il résulte des points 3 et 4 que ce compteur constitue une dépendance du réseau public de distribution et par suite un ouvrage public.
7. Il est constant que le compteur d'eau relevant du branchement particulier d'un tiers, implanté sur la propriété de Mme A..., a été posé sans qu'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique ait été mise en œuvre et sans qu'une servitude n'ait été instituée dans les conditions prévues par l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime. Par ailleurs, aucun accord amiable avec Mme A... n'a été conclu en vue de régulariser l'implantation du compteur. Dans ces conditions, l'ouvrage public constitué par le compteur d'eau appartenant au branchement particulier de la voisine de Mme A... est irrégulièrement implanté. Une telle implantation constitue une emprise irrégulière.
8. Faute d'accord donné par Mme A... à l'implantation sur sa propriété du compteur relevant du branchement particulier de la propriété de sa voisine, aucune régularisation n'est envisageable.
9. Mme A... produit une expertise établie par un agent immobilier évaluant à 24 000 euros la perte de valeur vénale de sa maison au motif que la présence d'une canalisation d'eau potable alimentant le fonds de son voisin ne lui permet pas de procéder à la construction d'une piscine sur le devant de sa maison. Toutefois, cette situation se trouve sans rapport avec l'emprise irrégulière dont Mme A... se plaint à raison de la seule présence, dans sa propriété, du compteur d'eau relevant de l'alimentation en eau potable du fonds voisin. Il ne résulte dès lors pas de l'instruction que l'installation du compteur litigieux entraînerait, à elle seule, une diminution sensible de la valeur vénale de la propriété.
10. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le coût qui serait supporté par la commune de Montbrun-des-Corbières pour le déplacement du compteur hors de la propriété de Mme A... s'élève à 12 034,72 euros selon un devis produit au dossier. Cette somme est particulièrement importante pour la commune de Montbrun-des-Corbières, qui ne compte que 319 habitants. En outre, la présence d'un compteur d'eau dans une trappe aménagée sur le mur de Mme A... constitue une atteinte limitée à la propriété privée de cette dernière. Dans ces conditions et alors même que la commune de Montbrun-des-Corbières ne justifie pas des difficultés techniques qu'entraînerait le déplacement du compteur hors de la propriété de l'appelante, le déplacement de cet ouvrage public entraînerait, dans les circonstances particulières de l'espèce, une atteinte excessive à l'intérêt général. Par suite, il n'y a pas lieu d'enjoindre à la commune d'y procéder.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
12. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Montbrun-des-Corbières qui n'est pas en l'espèce la partie perdante, la somme que demande Mme A... sur le fondement de ces dispositions. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions au profit de la commune de Montbrun-des-Corbières.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Montbrun-des-Corbières sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Montbrun-des-Corbières
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Faïck,président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2024.
Le rapporteur,
P. Bentolila
La greffière,
M.M-Maillat
Le président,
F.Faïck
La République mande et ordonne au préfet de l'Aude, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°22TL22606 2