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01/10/2024 | FRANCE | N°22TL22418

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 01 octobre 2024, 22TL22418


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la commune d'Argens-Minervois à lui verser une somme de 67 017,60 euros correspondant aux 3/5ème du coût des travaux de confortement du mur de soutènement, situé sur la parcelle cadastrée ..., auquel elle a été condamnée par une ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Narbonne du 25 juin 2019.



Par un jugement n° 2005972 du 28 septembre 2022, le trib

unal administratif de Montpellier a condamné la commune d'Argens-Minervois à verser à Mme A... une s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la commune d'Argens-Minervois à lui verser une somme de 67 017,60 euros correspondant aux 3/5ème du coût des travaux de confortement du mur de soutènement, situé sur la parcelle cadastrée ..., auquel elle a été condamnée par une ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Narbonne du 25 juin 2019.

Par un jugement n° 2005972 du 28 septembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la commune d'Argens-Minervois à verser à Mme A... une somme correspondant au quart du coût des travaux de réfection du mur de soutènement et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2022, et un mémoire, enregistré le 2 juillet 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme A..., représentée par Me Gely, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 28 septembre 2022 en tant qu'il a limité la condamnation de la commune d'Argens-Minervois au versement d'une somme correspondant au quart du coût des travaux de réfection du mur de soutènement en litige ;

2°) de condamner cette commune à lui verser la somme de 67 017,60 euros correspondant aux 3/5ème du coût des travaux de réfection de ce mur ;

3°) de mettre à la charge de cette commune la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune engage sa responsabilité pour faute dès lors que les fragilités affectant le mur de soutènement en litige sont le résultat d'un usage abusif par cette dernière de son droit de passage conventionnellement consenti dans l'acte de vente du 25 février 1985 ; en méconnaissance de cet acte, elle fait fréquemment circuler et manœuvrer sur le chemin frappé de servitude des véhicules communaux lourds pour se rendre aux parcelles sur lesquelles est situé le château d'eau ;

- alors que cette commune est la principale utilisatrice du chemin longeant le mur de soutènement, elle doit prendre en charge les 4/5èmes de ce coût des travaux de confortement de ce mur ;

- l'absence d'entretien par la commune des arbres implantés sur la parcelle limitrophe au mur litigieux est à l'origine de l'effondrement de ce mur en octobre 2018 ; ce défaut d'entretien constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ; par les photographies qu'elle produit, elle démontre l'état d'abandon de cette parcelle communale.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 mai 2023 et le 2 juillet 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la commune d'Argens Minervois, représentée par Me Jaulin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'appelante la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sa responsabilité du fait de son prétendu usage abusif de la servitude de passage grevant la parcelle A 506 ne peut être engagée ; elle emprunte le chemin litigieux cinq fois par an pour accéder à la parcelle 502 sur laquelle est implanté un surpresseur ; pour accéder à la parcelle 499, elle utilise une autre servitude de passage ;

- ni le passage de véhicules lourds sur le chemin en litige ni le lien de causalité entre ce passage et les désordres affectant le mur de soutènement ne sont établis ;

- le droit de passage sur le chemin litigieux bénéficie également aux propriétaires dont les parcelles ne longent pas le chemin et aux propriétaires de la résidence les Arcades.

Par une ordonnance du 13 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 juillet 2024 à 12 heures.

En application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées, par lettre du 11 septembre 2024, que la cour est susceptible de soulever d'office l'incompétence de la juridiction administrative à connaître, d'une part, des conclusions en responsabilité de la commune d'Argens-Minervois du fait du non-respect de la clause contractuelle fixant les modalités d'usage de la servitude de passage consentie dans le contrat de vente, de droit privé, du 27 février 1985 dès lors que cette clause ne présente pas le caractère d'une clause exorbitante du droit commun, d'autre part, des conclusions tendant à engager la responsabilité de cette commune pour dommages de travaux publics dès lors que ni la servitude du passage qui constitue un accessoire indissociable du fonds servant que représente le chemin implanté sur la parcelle A 506, ni le mur de soutènement ne peuvent être regardés comme un accessoire indispensable de l'ouvrage public que constitue le château d'eau implanté sur la parcelle A 502, enfin, pour connaître des conclusions tendant à engager la responsabilité de cette commune pour défaut d'entretien de la parcelle A 691 qui appartiendrait au domaine privé de cette dernière.

Une réponse à ce moyen relevé d'office a été présentée le 14 septembre 2024 pour

Mme A... et le 16 septembre 2024 pour la commune d'Argens-Minervois.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Beltrami,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Sahel, substituant Me Gely, représentant Mme A... et celles de Me Jaulin, représentant la commune d'Argens-Minervois.

Considérant ce qui suit :

1. La commune d'Argens-Minervois (Aude) est propriétaire des parcelles cadastrées ..., qu'elle a acquises le 27 février 1985, sur lesquelles sont érigés un château d'eau et un surpresseur. Pour accéder à la parcelle ..., qui est enclavée, elle bénéficie d'un droit de passage consenti dans l'acte de vente du 27 février 1985 qui l'autorise à emprunter le chemin situé sur la parcelle ... appartenant à Mme A.... En contrepartie de cette servitude, l'acte de vente prévoit la participation de la commune à l'entretien du mur qui longe au Nord le chemin, en commun avec les vendeurs et un autre propriétaire. A la suite de l'effondrement d'une partie de ce mur en octobre 2018, la commune d'Argens-Minervois a pris le 29 novembre 2018, un arrêté de mise en péril grave et imminent portant sur cet ouvrage. Par une ordonnance de référé du 25 juin 2019, le juge du tribunal de grande instance de Narbonne a condamné, sous assignation de propriétaires voisins, Mme A... à réparer et à conforter le mur dans un délai de trois mois sous astreinte. Le 25 septembre 2020, Mme A... a demandé à la commune d'Argens-Minervois de lui verser une somme de 67 017,60 euros correspondant aux 3/5èmes du coût des travaux de confortement du mur de soutènement auxquels elle a été condamnée par le juge des référés judiciaire. Mme A... relève appel du jugement du 28 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a limité la condamnation de la commune à lui verser une somme correspondant au quart du coût des travaux de réfection du mur de soutènement.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Aux termes de l'article R. 771-1 du code de justice administrative : " Les difficultés de compétence entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire sont réglées par le Tribunal des conflits conformément aux dispositions de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits et du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ". Aux termes du second alinéa de l'article 32 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : " Lorsqu'une juridiction de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif a, par une décision qui n'est plus susceptible de recours, décliné la compétence de l'ordre de juridiction auquel elle appartient au motif que le litige ne ressortit pas à cet ordre, toute juridiction de l'autre ordre, saisie du même litige, si elle estime que le litige ressortit à l'ordre de juridiction primitivement saisi, doit, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours même en cassation, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et surseoir à toute procédure jusqu'à la décision du tribunal ".

En ce qui concerne la responsabilité de la commune pour non-respect des conditions d'usage d'une servitude conventionnelle :

3. Aux termes de l'article 686 du code civil : " Il est permis aux propriétaires d'établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n'aient d'ailleurs rien de contraire à l'ordre public. L'usage et l'étendue des servitudes ainsi établies se règlent par le titre qui les constitue (...) "

4. Mme A... recherche la responsabilité pour faute de la commune d'Argens Minervois au motif que les désordres affectant le mur de soutènement en litige, pour lequel elle a été condamnée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Narbonne à réaliser des travaux de confortement, sont dus à l'usage abusif par cette commune de la servitude de passage qui lui a été contractuellement consentie dans l'acte de vente du 27 février 1985. Dès lors que l'usage et l'étendue de cette servitude de passage sont réglés par les clauses de cet acte de vente, qui constitue un contrat de droit privé, et que la clause instituant cette servitude ne présente pas le caractère d'une clause exorbitante du droit commun, il apparaît que le juge judiciaire est seul compétent pour connaître des conclusions de Mme A... tendant à l'engagement de la responsabilité de la commune du fait du dommage causé au mur de soutènement par l'utilisation prétendument abusive que cette dernière aurait fait de cette servitude de passage.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune pour dommage de travaux publics :

5. Une servitude est un accessoire indissociable du fonds sur lequel elle porte, c'est à dire du fonds servant et non du fonds dominant. Dès lors que la servitude de passage litigieuse est instituée sur le fonds servant que constitue le chemin privé implanté sur la parcelle A 506, elle ne peut pas être l'accessoire de la parcelle A 502 appartenant au domaine public communal sur laquelle est édifié le château d'eau.

6. Si le château d'eau implanté sur la parcelle A 502 appartenant au domaine public communal constitue un ouvrage public, le chemin d'accès à cette parcelle, grevé par la servitude de passage en litige, laquelle est constitutive d'un droit réel immobilier, ne présente en lui-même aucun lien physique avec cet ouvrage. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la commune utilise le chemin environ cinq fois par an seulement pour accéder au surpresseur équipant le château d'eau afin d'y procéder à des réglages. Il résulte également de l'instruction que, pour l'entretien même du château d'eau, la commune utilise d'autres accès que le chemin de desserte précité. Il n'est pas établi au dossier que l'ouvrage public que constitue le château d'eau ne pourrait fonctionner sans l'utilisation de la servitude de passage eu égard à son utilité secondaire. Dès lors, en l'absence de lien physique ou fonctionnel entre le château d'eau et le chemin d'accès au surpresseur, il n'apparaît pas que ce chemin puisse être regardé comme un accessoire indispensable à l'ouvrage public, et donc comme étant lui-même un ouvrage public. Il n'apparaît pas davantage que ce chemin, situé sur un fonds appartenant à une personne privée, puisse être regardé comme relevant du domaine public communal.

7. Par ailleurs, s'agissant de la portion du mur de soutènement qui s'est effondré et à la réparation duquel Mme A... a été condamnée par le juge des référés judiciaires, il ressort du rapport d'expertise que ce mur sert à soutenir des parcelles privées tandis que les parcelles A 499 et 502 appartenant à la commune d'Argens-Minervois, sur lesquelles sont implantés le château d'eau et le surpresseur, ne se trouvent pas en bordure du mur litigieux. Dès lors, la portion de ce mur, érigé il y a plusieurs siècles, ne peut être regardée comme ayant pour fonction de maintenir les terres sur lesquelles sont érigés le château d'eau et le surpresseur, mais est en réalité destinée à soutenir des parcelles privées. La portion de mur en litige ne peut donc être regardée comme constituant un accessoire des parcelles communales A 502 et A 499 ni comme un accessoire indispensable du château d'eau. Par suite, il apparaît que le mur concerné ne constitue pas un ouvrage public.

8. Il résulte de ce qui précède que la juridiction administrative n'apparaît pas compétente pour connaître des conclusions de Mme A... tendant à l'engagement de la responsabilité de la commune pour dommage de travaux publics.

9. Toutefois, saisi par un tiers d'une demande tendant à ce que Mme A... soit condamnée à faire réparer d'urgence la portion du mur endommagé, le juge des référés du tribunal de grande instance de Narbonne, s'est déclaré, dans son ordonnance du 25 juin 2019 qui n'est plus susceptible d'aucun recours, incompétent pour connaître des conclusions de Mme A... tendant à ce qu'elle soit garantie par la commune d'Argens Minervois des condamnations prononcées à son encontre. Pour motiver son jugement d'incompétence, le juge des référés judiciaires a retenu que la servitude de passage en litige ainsi que l'obligation d'entretien du mur sont soumises à un régime de domanialité publique par accessoire.

10. Il convient, dans ces conditions et par application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et de surseoir à toute procédure jusqu'à la décision de ce Tribunal.

Sur la responsabilité pour faute de la commune :

11. Il résulte de l'instruction et en particulier du diagnostic géotechnique réalisé par l'entreprise Terrefort Ingénierie que le mur de soutènement en litige, qui est un mur périssant par excès de poussée hydrostatique vis-à-vis de son dimensionnement initial, est affecté par des désordres liés au vieillissement. Si l'appelante soutient que l'absence d'entretien par la commune d'Argens-Minervois des arbres implantés sur la parcelle communale A 691, située immédiatement en contrebas du mur litigieux, est constitutive d'une faute à l'origine de l'effondrement de ce mur en octobre 2018, elle n'apporte toutefois aucun élément de nature à établir cette allégation. Dès lors que l'existence du lien de causalité entre les désordres affectant le mur de soutènement et le défaut d'entretien par la commune de la parcelle A 691 n'est pas rapportée par l'appelante, la responsabilité pour faute de la commune d'Argens Minervois ne peut être engagée.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande indemnitaire fondée sur le défaut d'entretien fautif de la parcelle A 691.

DÉCIDE:

Article 1er : Les conclusions de Mme A... recherchant la responsabilité, d'une part, pour faute de la commune d'Argens Minervois du fait de l'usage abusif par cette commune de la servitude conventionnellement consentie sur le chemin d'accès à la parcelle A 502 et, d'autre part, pour dommages de travaux publics causés par un ouvrage public, sont renvoyées au Tribunal des conflits.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur les conclusions visées au point 1 jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour statuer sur ces conclusions.

Article 3 : Les conclusions de Mme A... tendant à engager la responsabilité de la commune d'Argens Minervois sur le terrain de la faute sont rejetées.

Article 4 : Tous autres droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué par la présente décision sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à la commune d'Argens Minervois et au tribunal des conflits avec les conclusions des parties.

Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2024.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

F. Faïck

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au préfet de l'Aude, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL22418


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22418
Date de la décision : 01/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Procédure - Tribunal des conflits - Saisine sur renvoi d'une juridiction - Prévention des conflits négatifs.

Responsabilité de la puissance publique - Problèmes d'imputabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: Mme Karine Beltrami
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : SCP PECH DE LACLAUSE & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-01;22tl22418 ?
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