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01/10/2024 | FRANCE | N°22TL21878

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 01 octobre 2024, 22TL21878


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 8 juin 2020 par laquelle le maire de Montpellier a autorisé, à compter du 22 mai 2020 à 5 h 45, la fermeture du cercueil de son enfant A..., mort-né, et permis son inhumation, ainsi que la condamnation solidaire de la commune de Montpellier et du centre hospitalier universitaire de Montpellier à lui verser la somme totale de 19 500 euros à parfaire, en réparation des préjudi

ces subis du fait de la prise en charge fautive par la commune et le centre hospital...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 8 juin 2020 par laquelle le maire de Montpellier a autorisé, à compter du 22 mai 2020 à 5 h 45, la fermeture du cercueil de son enfant A..., mort-né, et permis son inhumation, ainsi que la condamnation solidaire de la commune de Montpellier et du centre hospitalier universitaire de Montpellier à lui verser la somme totale de 19 500 euros à parfaire, en réparation des préjudices subis du fait de la prise en charge fautive par la commune et le centre hospitalier du corps de son enfant.

Par un jugement n° 2101434 du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision prise le 8 juin 2020 par le maire de Montpellier, a condamné le centre hospitalier universitaire de Montpellier à verser à Mme C... la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral subi, et a rejeté le surplus des demandes de Mme C....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 août 2022, Mme C..., représentée par Me Guyon , demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 28 juin 2022 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il rejette, à hauteur de la somme totale de 17 500 euros ses conclusions tendant à la condamnation solidaire de la commune de Montpellier et du centre hospitalier universitaire de Montpellier ;

2°) de condamner solidairement la commune de Montpellier et le centre hospitalier universitaire de Montpellier à lui verser la somme totale de 17 500 euros à parfaire, au titre des préjudices subis ;

3°) d'annuler la décision du 8 juin 2020 du maire de Montpellier en retenant un moyen de légalité interne ;

4°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Montpellier et du centre hospitalier universitaire de Montpellier la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme C... soutient que :

-le jugement est insuffisamment motivé ;

-les premiers juges n'ont annulé la décision prise le 8 juin 2020 par le maire de Montpellier autorisant la fermeture du cercueil de son enfant mort-né et son inhumation, que pour un motif de légalité externe, et ont dès lors considéré qu'un tel motif d'annulation n'était pas de nature à entraîner la condamnation de la commune, alors qu'elle invoquait des moyens de légalité interne sur lesquels les premiers juges ne se sont pas prononcés ; il appartient dès lors à la cour de se prononcer sur ces moyens de légalité interne dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel ;

- la décision du 8 juin 2020, dont l'auteur n'était pas compétent pour la signer comme l'a jugé à bon droit le tribunal, est également entachée d'une rétroactivité illégale, dès lors qu'elle prend effet à compter du 22 mai 2020, ce qui contrevient aux principes posés par l'article L 221-4 du code des relations entre le public et l'administration et par les articles 4.3 et 5.1 de la circulaire interministérielle du 19 juin 2009 relative à l'enregistrement à l'état civil des enfants décédés avant la déclaration de naissance et de ceux pouvant donner lieu à un acte d'enfant sans vie, à la délivrance du livret de famille, à la prise en charge des corps des enfants décédés, des enfants sans vie et des fœtus ;

-par ailleurs, la décision du 8 juin 2020, doit au regard de l'article L 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, être considérée comme retirant illégalement une décision individuelle créatrice de droits dont elle bénéficiait, tenant à la possibilité de disposer du corps de son enfant jusqu'à ce que les conditions sanitaires lui permettent de rapatrier le corps au Maroc afin de lui offrir une sépulture conforme aux rites musulmans ;

-la décision du 8 juin 2020 porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par différentes décisions de la cour européenne des droits de l'homme, notamment quant au droit d'une mère à organiser l'inhumation de son enfant mort-né ; à cet égard, elle a eu un entretien avec une responsable du centre hospitalier universitaire de Montpellier au cours duquel elle a exprimé sans équivoque son souhait de prendre en charge les obsèques de son enfant , volonté que la commune n'a pas respectée en autorisant le centre hospitalier universitaire de Montpellier à procéder à l'inhumation du corps sans son consentement ;

-il a par ailleurs été porté atteinte à sa liberté religieuse, qui est garantie par l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, par l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'Etat, et par l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; cette liberté religieuse comprend la liberté d'accomplir des rites religieux ; en l'espèce, la religion musulmane prévoit des rites particuliers, lesquels n'ont pas été respectés compte tenu des circonstances dans lesquelles est intervenue l'inhumation le 10 juillet 2020 de son enfant mort-né ;

-la décision du 8 juin 2020 porte par ailleurs une atteinte au principe d'égalité des usagers devant le service public dès lors qu'elle a été privée de son droit de réclamer le corps de son enfant ;

-l'administration a délibérément méconnu sa volonté écrite de prendre en charge les funérailles, ainsi que sa bonne foi, qui se manifestait par les visites régulières à la morgue où le corps de son enfant est resté pendant des semaines, et ce dans l'attente de l'ouverture des frontières entre la France et le Maroc compte tenu de la situation sanitaire qui existait alors ;

-cette décision est à l'origine des préjudices subis, dès lors qu'elle a autorisé l'inhumation de son enfant ; en conséquence, cette décision est fautive, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il existe un lien direct de causalité entre la faute ainsi commise et les préjudices qu'elle a subis ;

-c'est à tort que les premiers juges ont considéré, sans en justifier, que le préjudice d'affection, constitué par la douleur de ne pas pouvoir donner une sépulture à un être qu'elle a porté, serait sans lien avec la faute retenue ;

-sa demande, tendant à la réparation du préjudice d'accompagnement, a été à tort rejetée, alors qu'elle a passé plusieurs semaines auprès de son enfant sans vie, jusqu'à ce que les mesures sanitaires lui permettent de rapatrier le corps au Maroc ;

-le " préjudice de culte " contrairement à ce que considère le tribunal, a vocation à être réparé, dès lors que si les sacrements ont pu être prononcés ultérieurement après le rapatriement du corps au Maroc, tel n'a pas été le cas lors de l'inhumation intervenue à Montpellier le 10 juillet 2020 sans qu'elle en ait été prévenue ;

-elle a également subi un préjudice lié à l'exhumation et au rapatriement du corps pour lequel elle produira ultérieurement des justificatifs.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2022, le centre hospitalier universitaire de Montpellier, représenté par Me Armandet, demande à la cour :

1°) à titre principal, par la voie de l'appel incident, à l'infirmation du jugement en tant qu'il le condamne à verser à Mme C..., la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral subi ainsi que la somme de 1 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner la commune de Montpellier à le garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

3°) à titre très subsidiaire, de retenir un partage de responsabilité entre la commune de Montpellier et le centre hospitalier universitaire de Montpellier dans la limite des sommes retenues par le tribunal administratif de Montpellier ;

4°) de mettre à la charge solidaire de toute partie perdante la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le centre hospitalier universitaire de Montpellier soutient que les premiers juges ont commis une erreur de droit en estimant qu'il avait commis une faute dans l'organisation du service alors même que le tribunal a constaté que le délai prévu par l' article R 1112-75 du code de la santé publique pour la conservation du corps était expiré et que Mme C... n'avait pas réclamé le corps ; le centre hospitalier universitaire de Montpellier a conservé le corps de l'enfant pendant près de deux mois, soit bien au-delà du délai qui lui était imparti par les textes applicables et donc sa responsabilité ne peut être engagée ; par ailleurs les premiers juges ont commis une erreur de droit en estimant que la commune n' avait pas commis de faute alors même qu'il a considéré que la décision du 8 juin 2020 par laquelle le maire de Montpellier autorisant la fermeture du cercueil de son enfant était illégale et qu'elle a permis l'inhumation qui est intervenue le 10 juillet 2020 ; sans nouvelle de la famille deux mois après l'accouchement, le centre hospitalier, destinataire d'une fiche opérationnelle délivrée par la commune, n'a fait qu'exécuter les décisions de la commune ; c'est la décision illégale de la commune de procéder à l'inhumation qui est à l'origine des préjudices moraux subis par Mme C... ;

-à titre infiniment subsidiaire, il conviendrait de retenir un partage de responsabilité entre la commune de Montpellier et le centre hospitalier de Montpellier dans les proportions retenues par le tribunal administratif.

Par un mémoire en défense du 22 juillet 2024, la commune de Montpellier, représentée par Me Rosier demande à la cour :

1°) à titre principal, la confirmation du jugement ;

2°) le rejet de la requête d'appel présentée par Mme C... à son encontre ;

3°) le rejet de l'appel incident présenté par le centre hospitalier universitaire de Montpellier et de son appel en garantie présenté à l'encontre de la commune ;

4°) de mettre à la charge de Mme C... et du centre hospitalier universitaire de Montpellier la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune soutient, en ce qui concerne le non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation :

-à titre principal, concernant les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 8 juin 2020 elles sont devenues sans objet, dès lors que le corps de l'enfant de Mme C... a été exhumé le 7 août 2020, puis transféré au Maroc ;

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions de première instance à fin d'annulation :

-à titre subsidiaire, les conclusions à fins d'annulation sont irrecevables, dans la mesure où la décision du 27 août 2020 par laquelle la commune a rejeté la demande indemnitaire présentée par Mme C... à raison de la décision du 8 juin 2020 était accompagnée de la mention des voies et délais de recours, et dans ces conditions, compte tenu de la connaissance acquise de ces voies et délais de recours, les conclusions en annulation de cette décision du 8 juin 2020 présentées le 23 mars 2021 étaient irrecevables.

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions indemnitaires de première instance :

- les conclusions indemnitaires présentées par Mme C... contre la commune sont irrecevables pour tardiveté dès lors qu'elles ont été présentées le 23 mars 2021, soit plus de deux mois après la notification le 27 août 2020 à Mme C... de la décision de rejet de sa demande préalable indemnitaire.

En ce qui concerne le fond :

-les conclusions à fins d'annulation, sont par ailleurs infondées dès lors que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte n'est pas accompagné de précisions suffisantes, alors qu'en tout état de cause, Mme D..., fonctionnaire territoriale de la commune, avait reçu délégation pour signer l'acte en litige, que la décision du 8 juin 2020 ne peut être regardée comme étant entachée de rétroactivité dès lors que c'est par une simple erreur de plume, que si elle indique qu'elle prend effet à compter du 22 mai 2020, cette même décision mentionne que la mise en bière et l'inhumation aura lieu le 10 juillet 2020 à 9h 05 , ce qui a d'ailleurs été reconnu par Mme C... ; par ailleurs contrairement à ce que fait valoir l'appelante, la décision du 8 juin 2020 ne peut être regardée comme procédant au retrait d'une décision créatrice de droits ; en ce qui concerne la légalité interne, le document du 22 mai 2020, " Attestation des parents " que Mme C... a rempli au centre hospitalier universitaire de Montpellier et dans lequel elle indiquait qu'elle demandait que le corps lui soit remis après l'examen pour la prise en charge des obsèques par ses soins , n'a jamais été transmis à la commune ;

- à titre subsidiaire, ces conclusions indemnitaires ne sont pas fondées dès lors que l'appelante ne démontre ni la faute de la commune, ni la réalité des préjudices invoqués, ni le lien de causalité entre la prétendue faute et les préjudices allégués ; en ce qui concerne les conclusions présentées par le centre hospitalier universitaire de Montpellier d'appel en garantie de la commune, elles sont irrecevables dès lors qu'elles sont nouvelles en appel ; à titre subsidiaire, ces conclusions doivent être rejetées dès lors qu'il appartenait seulement au centre hospitalier de donner à Mme C... une information suffisante quant au délai dont elle disposait pour procéder à l'inhumation du corps de son enfant.

Par un courrier du 10 septembre 2024, les parties ont été informées sur le fondement de l'article R 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de relever d'office l'irrecevabilité, pour défaut d'intérêt pour agir, des conclusions présentées par Mme C... tendant à l'annulation de la décision du 8 juin 2020 du maire de Montpellier, laquelle a fait l'objet d'une annulation totale par l'article 1er du jugement du 28 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bentolila, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique

- et les observations de Me Langlois, substituant Me Rosier pour la commune de Montpellier et de Me Armandet pour le centre hospitalier universitaire de Montpellier.

Considérant ce qui suit :

1. Le 21 mai 2020, Mme C... a accouché au centre hospitalier universitaire de Montpellier d'un enfant mort-né dénommé A.... A la suite d'une déclaration dressée par un adjoint des cadres administratifs du centre hospitalier universitaire de Montpellier, l'officier d'état civil de la commune de Montpellier (Hérault) a délivré un acte d'enfant sans vie le 21 mai 2020 en application des dispositions de l'article 79-1 du code civil. Le 8 juin 2020, le maire de Montpellier a délivré une autorisation de fermeture du cercueil et d'inhumation, laquelle est intervenue le 10 juillet 2020 dans le cimetière Saint-Lazare.

2. Mme C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision précitée du 8 juin 2020, et la condamnation solidaire de la commune de Montpellier et du centre hospitalier universitaire de Montpellier à lui verser la somme totale de 19 500 euros, à parfaire, en réparation des préjudices résultant des différentes fautes commises, selon elle, par la commune et le centre hospitalier dans la prise en charge du corps de son enfant.

3. Mme C... demande la réformation du jugement du 28 juin 2022 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a annulé pour vice d'incompétence la décision du 8 juin 2020 en écartant ainsi les moyens de légalité interne soulevés à l'encontre de celle-ci, et en tant qu'il a seulement condamné le centre hospitalier universitaire de Montpellier à lui verser la somme de 2 000 euros au titre du seul préjudice moral subi.

4. Le centre hospitalier universitaire de Montpellier, par la voie de l'appel incident, demande l'annulation du jugement en tant qu'il le condamne à verser la somme de 2 000 euros à Mme C..., et à titre subsidiaire, appelle la commune de Montpellier à le garantir des condamnations prononcées à son encontre.

Sur l'appel principal de Mme C... :

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions aux fins annulation de la décision du 8 juin 2020 :

5. L'intérêt à faire appel s'apprécie en fonction du dispositif du jugement et non de ses motifs. Ainsi que les parties en ont été informées sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, par courrier du 10 septembre 2024, Mme C... est sans intérêt à demander l'annulation de l'article 1er du jugement du 28 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier lui a donné satisfaction en annulant dans sa totalité la décision du 8 juin 2020, et ce quels que soient les motifs retenus par les premiers juges pour annuler ladite décision.

En ce quoi concerne le surplus des conclusions de la requête d'appel :

S'agissant de la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Montpellier :

6. Aux termes de l'article R. 1112-75 du code de la santé publique : " La famille ou, à défaut, les proches disposent d'un délai de dix jours pour réclamer le corps de la personne décédée dans l'établissement. La mère ou le père dispose, à compter de l'accouchement, du même délai pour réclamer le corps de l'enfant pouvant être déclaré sans vie à l'état civil. ". Aux termes de l'article R. 1112-76 du même code : " I.- Dans le cas où le corps du défunt ou de l'enfant pouvant être déclaré sans vie à l'état civil est réclamé, il est remis sans délai aux personnes visées à l'article R. 1112-75./ II.- En cas de non-réclamation du corps dans le délai de dix jours mentionné à l'article R. 1112-75, l'établissement dispose de deux jours francs : (...) 2° Pour prendre les mesures en vue de procéder, à sa charge, à la crémation du corps de l'enfant pouvant être déclaré sans vie à l'état civil ou, lorsqu'une convention avec la commune le prévoit, en vue de son inhumation par celle-ci. / III. - Lorsque, en application de l'article L. 1241-5, des prélèvements sont réalisés sur le corps d'un enfant pouvant être déclaré sans vie à l'état civil, les délais mentionnés aux I et II du présent article sont prorogés de la durée nécessaire à la réalisation de ces prélèvements sans qu'ils puissent excéder quatre semaines à compter de l'accouchement. "

7. Il résulte des dispositions précitées que les parents d'un enfant déclaré sans vie à l'état civil disposent d'un délai de dix jours, ou, lorsque des prélèvements sont effectués sur le corps de l'enfant, de ce délai prorogé conformément aux dispositions citées ci-dessus du III de l'article R. 1112-76 du code de la santé publique, pour faire le choix de réclamer le corps de cet enfant. Pour l'application de ces dispositions, l'établissement de santé, qui doit respecter la volonté des parents, est tenu de conserver le corps de l'enfant pendant la totalité de cette durée et il lui appartient, de délivrer aux parents une information complète et appropriée leur permettant d'exercer dans le délai qui leur est imparti par les dispositions précitées le choix qui leur appartient. A ce titre, il doit porter à leur connaissance l'existence de ce délai et les conditions dans lesquelles le corps sera pris en charge s'ils ne le réclament pas.

8. Mme C..., dans le document du 22 mai 2020 intitulé " Attestation des parents et expression de leur volonté en cas de naissance d'un enfant pouvant être déclaré sans vie ", qu'elle a rempli au centre hospitalier universitaire de Montpellier, a indiqué de façon expresse qu'elle désirait que le corps lui soit remis, après l'examen foetopathologique le cas échéant, afin que la prise en charge des obsèques soit assurée par ses soins. Ce faisant, Mme C... a expressément exclu que le corps de son enfant soit pris en charge par le centre hospitalier. Le document indiquait par ailleurs que Mme C... pouvait " ... revenir sur (sa) décision au cours du délai de 10 jours à compter de la date d'accouchement, pendant lequel le corps de (son) enfant sera conservé à la chambre mortuaire de l'hôpital de Lapeyronie ". Mme C..., qui n'a pas fait savoir qu'elle revenait sur sa décision, soutient même, sans être contredite, avoir eu un entretien en tête à tête avec un responsable du centre hospitalier universitaire de Montpellier au cours duquel elle a confirmé sans équivoque sa volonté de prendre en charge les obsèques de son enfant même si, durant cette période, les règles sanitaires interdisaient les transports de corps au Maroc, où elle souhaitait que son enfant soit inhumé.

9. Il résulte de l'instruction que le centre hospitalier universitaire de Montpellier a fait procéder à l'inhumation du corps de l'enfant le 10 juillet 2020 sans respecter le choix que Mme C... avait clairement exprimé dans le document du 22 mai 2020 et sans même en avoir informé cette dernière. Par ailleurs, même si l'inhumation est intervenue seulement le 10 juillet 2020, il ne résulte pas de l'instruction que le centre hospitalier aurait cherché à reprendre contact avec Mme C... avant de procéder à cette opération, dont l'intéressée n'a pas non plus été informée a posteriori. Dans ces conditions, c'est à bon droit les premiers juges ont estimé que le centre hospitalier universitaire de Montpellier a commis des fautes dans l'organisation du service de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis de Mme C....

S'agissant de la responsabilité de la commune de Montpellier :

10. Aux termes de l'article L. 2223-42 du code général des collectivités territoriales : " L'autorisation de fermeture du cercueil ne peut être délivrée qu'au vu d'un certificat, établi par un médecin, attestant le décès. / Ce certificat, rédigé sur un modèle établi par le ministère chargé de la santé, précise la ou les causes de décès (...) ". Aux termes de l'article R. 2213-1-1 du même code : " Le certificat prévu par l'article L. 2223-42 comprend : 1° Un volet administratif comportant : a) La commune de décès ; b) Les date et heure de décès ; c) Les nom, prénoms, date de naissance, sexe et domicile du défunt ; d) Les informations nécessaires à la délivrance de l'autorisation de fermeture du cercueil et à la réalisation des opérations funéraires ; 2° Un volet médical relatif aux causes de décès, qui ne comporte ni le nom ni le prénom de la personne décédée. ". Aux termes de l'article R. 2213-17 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " La fermeture du cercueil est autorisée par l'officier d'état civil du lieu de décès ou, en cas d'application du premier alinéa de l'article R. 2213-7, par l'officier d'état civil du lieu de dépôt du corps, dans le respect des dispositions de l'article L. 2223-42./ L'autorisation, établie sur papier libre et sans frais, est délivrée sur production d'un certificat du médecin chargé par l'officier d'état civil de s'assurer du décès et attestant que celui-ci ne pose pas de problème médico-légal. ".

11. Il résulte de l'instruction, qu'à la suite d'une déclaration d'un adjoint des cadres administratifs du centre hospitalier universitaire de Montpellier, l'officier d'état civil de la commune de Montpellier a délivré un " acte d'enfant sans vie " le 21 mai 2020. Il résulte encore de l'instruction que c'est à la demande du centre hospitalier universitaire de Montpellier, lequel est resté taisant sur le fait que Mme C... avait expressément indiqué dans l'attestation précitée du 22 mai 2020 qu'elle désirait que le corps lui soit remis pour la prise en charge des obsèques, qu'est intervenue la décision du 8 juin 2020 par laquelle le maire de Montpellier a délivré une autorisation de fermeture du cercueil et d'inhumation. Dans ces conditions, et alors que l'officier d'état civil était tenu de délivrer l'autorisation en application de l'article R. 2213-17 du code général des collectivités territoriales, le lien de causalité directe entre les préjudices invoqués par Mme C... et la décision du 8 juin 2020 n'est pas établi, ces préjudices résultant des fautes commises par le centre hospitalier décrites aux points 8 et 9 du présent arrêt.

12. Dans ces conditions, Mme C... est seulement fondée à demander la condamnation du centre hospitalier universitaire de Montpellier à l'indemniser de ses préjudices.

En ce qui concerne les préjudices :

13. En premier lieu, concernant la réparation du préjudice d'accompagnement sollicité à hauteur de la somme de 5 000 euros, Mme C... ne justifie pas de la réalité des déplacements qu'elle allègue avoir régulièrement effectués à la morgue pour se rendre auprès du corps de son enfant. Dans ces conditions, les conclusions tendant à l'indemnisation de ce chef de préjudice ne peuvent être que rejetées.

14. En deuxième lieu, si l'appelante allègue avoir exposé des frais pour l'exhumation, le 10 juillet 2020, du corps de son enfant ainsi que des frais pour le transport et l'inhumation au Maroc, elle n'en justifie pas, alors qu'en tout état de cause de tels frais auraient nécessairement été assumés par Mme C..., compte tenu de sa volonté que son enfant soit inhumé au Maroc.

15. En troisième lieu, Mme C... subit un préjudice moral du fait des conditions, rappelées au point 9, dans lesquelles le centre hospitalier universitaire de Montpellier a fait procéder à l'inhumation du corps de son enfant. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, compte tenu de ce que Mme C... a pu finalement faire procéder à l'inhumation de l'enfant au Maroc après une cérémonie religieuse, en condamnant le centre hospitalier universitaire de Montpellier à verser à Mme C... la somme totale de 5 000 euros. Le jugement du tribunal administratif de Montpellier doit en conséquence être réformé en ce qu'il a limité à 2 000 euros le montant du préjudice de Mme C....

Sur l'appel incident présenté par le centre hospitalier universitaire de Montpellier :

16. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier universitaire de Montpellier n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à indemniser Mme C....

Sur l'appel en garantie formé par le centre hospitalier universitaire de Montpellier à l'encontre de la commune de Montpellier :

17. Ainsi que l'oppose en défense la commune de Montpellier, les conclusions présentées par le centre hospitalier universitaire de Montpellier tendant à ce que la commune le garantisse des condamnations prononcées à son encontre sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.

18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est seulement fondée à demander que la somme de 2 000 euros que le tribunal administratif de Montpellier a mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Montpellier pour l'indemnisation de son préjudice moral soit portée à 5 000 euros. Les conclusions d'appel incident et d'appel en garantie présentées par le centre hospitalier universitaire de Montpellier doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Mme C... n'étant pas, dans la présente instance, partie perdante les conclusions présentées à son encontre par le centre hospitalier universitaire de Montpellier sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être que rejetées. En application de ces dispositions, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Montpellier une somme de 1 500 euros au profit de Mme C.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions au bénéfice de la commune de Montpellier.

DECIDE :

Article 1er : Le centre hospitalier universitaire de Montpellier est condamné à verser à Mme C... la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts.

Article 2 : Le jugement du 28 juin 2022 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Montpellier versera la somme de 1 500 euros à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., à la commune de Montpellier et au centre hospitalier universitaire de Montpellier.

Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Faïck,président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2024.

Le rapporteur,

P. Bentolila

Le président,

F.Faïck

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de l'accès aux soins, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°22TL21878


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21878
Date de la décision : 01/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: M. Pierre Bentolila
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : GUYON

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-01;22tl21878 ?
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