Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... B... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision en date du 24 septembre 2019 prise par le préfet de l'Hérault lui refusant la délivrance d'une carte nationale d'identité française et d'un passeport français à son enfant mineur français, E..., d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer les titres d'identité sollicités dans le délai de 15 jours suivant la notification du jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, à tout le moins, de procéder au réexamen de sa situation administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2ème de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
Par un jugement n°2001721 du 14 janvier 2022, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du préfet de l'Hérault du 24 septembre 2019, enjoint au préfet de lui délivrer la carte d'identité et le passeport au nom de son enfant dans un délai d'un mois et mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à son conseil, Me Ducos-Mortreuil, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2ème de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Procédure devant la cour :
Par un recours, enregistré le 14 avril 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001721 du 14 janvier 2022 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) de rejeter la demande de première instance de Mme B... D....
Il soutient que :
- la notification au seul préfet n'a pas pour effet de déclencher le délai d'appel à son égard de sorte que le délai d'appel ne lui est pas opposable ;
- le jugement contesté a retenu à tort que le refus du préfet de délivrer les titres demandés était entaché d'une erreur d'appréciation puisque le préfet s'est fondé sur un faisceau d'indices de faits précis et concordants pour considérer qu'il existait un doute suffisamment justifié sur la reconnaissance de paternité de M. C....
Par un mémoire en défense et une communication de pièces, enregistrés le 8 mars 2023 et 27 avril 2023, Mme B... D..., représentée par Me Ducos-Mortreuil, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) à titre principal, de rejeter la requête présentée par le ministre de l'intérieur comme irrecevable ;
3°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 14 janvier 2022 n°2001721 en toutes ses dispositions ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir que :
- le préfet représente l'Etat pour tout litige né de l'activité des administrations civiles, qu'aucun texte n'imposant une notification au ministre de l'intérieur, le préfet aurait dû interjeter appel dans les délais suite à la notification régulière du jugement contesté le 3 février 2022 ;
- c'est à bon droit que les premiers juges ont annulé la décision du préfet de l'Hérault, celle-ci étant entachée d'une erreur de droit.
Par une ordonnance du 12 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 mai 2023 à 12h.
Par décision du 6 décembre 2023, Mme B... D... a bénéficié du maintien de plein droit du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°55-1397 du 22 octobre 1955 modifié ;
- le décret n°2005-1726 du 30 décembre 2005 modifié ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Armelle Geslan-Demaret, présidente rapporteure,
- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... D..., ressortissante camerounaise, a sollicité, auprès des services de la mairie de Toulouse, la délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport pour son fils, E..., né le 7 janvier 2018 à Toulouse et reconnu, le 5 avril 2018, par M. F..., de nationalité française. Par une décision du 24 septembre 2019, le préfet de l'Hérault a refusé de délivrer à Mme B... D... les titres sollicités. Par un jugement du 14 janvier 2022, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 24 septembre 2019, enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer les titres sollicités dans un délai d'un mois et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article 37 alinéa 2ème de la loi du 10 juillet 1991. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Par décision du 6 décembre 2023, Mme B... D... a bénéficié du maintien de plein droit du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, sa demande d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire est dépourvue d'objet et il n'y a plus lieu de statuer.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. " et de l'article 30 du même code " La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause / Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants. ". Les articles 2 et 4 du décret susvisé du 22 octobre 1955 instituant la carte d'identité, dans leur rédaction applicable au présent litige, disposent respectivement que : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande. (...) " et " I.-En cas de première demande, la carte nationale d'identité est délivrée sur production par le demandeur : (...) / Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II. / II.-La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au c du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. / (...) / Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française ". De même, l'article 5 du décret susvisé du 30 décembre 2005 relatif aux passeports, dans sa version applicable au présent litige, dispose que : " I.-En cas de première demande, le passeport est délivré sur production par le demandeur : (...) / II.-La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au 4° du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. / (...) Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française ".
4. Pour l'application de ces dispositions, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement du titre demandé. Dans ce cadre, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre, qu'une reconnaissance de paternité a été souscrite frauduleusement, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance du titre sollicité.
5. Il ressort des pièces du dossier que l'enfant E..., fils de Mme B... D..., s'est vu délivrer, le 20 septembre 2019, par le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire de Toulouse, un certificat de nationalité française, lequel, à la date de la décision attaquée, n'a été contredit par aucune décision juridictionnelle et dont il n'est pas établi ni même allégué le caractère frauduleux. Pour refuser de procéder à la délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport à l'enfant mineur A..., le préfet de l'Hérault s'est fondé sur une suspicion de reconnaissance frauduleuse de paternité dans le but d'obtenir la régularisation de la mère, de l'absence de vie commune entre les parents, de l'existence de sept autres reconnaissances de paternité avec six mères différentes dont cinq de nationalité camerounaise, le fait que la dernière reconnaissance de paternité implique que M. C... aurait entretenu une autre relation que celle avec Mme B... D... sur la même période, le fait que le père ne participe pas à l'entretien et l'éducation de l'enfant, qu'il n'ait pas assisté à l'accouchement et ne l'ait reconnu que trois mois après sa naissance et le fait que Mme B... D... n'a pas été en mesure de préciser la date et les circonstances des rencontres avec le père.
6. Toutefois, ces éléments ne suffisent pas, dans les circonstances de l'espèce, à les faire regarder comme fondant un doute suffisant pour rejeter la demande de délivrance de carte nationale d'identité et de passeport présentée par la mère de l'enfant, dès lors qu'il est justifié que le père contribue, certes épisodiquement, à l'entretien de l'enfant, se rend aux consultations pédiatriques, au centre communal de l'action sociale et que les démarches entreprises par la mère ne caractérisent pas, par elles-mêmes, un comportement frauduleux mais s'inscrivent dans les possibilités offertes par le droit positif à l'étranger parent d'un enfant français. En particulier,
M. C... a toujours reconnu être le père de l'enfant, a entretenu des liens avec lui en venant le voir chez sa mère et en assumant quelques dépenses à son profit. L'examen des auditions des deux parents, versées au dossier de première instance par le préfet, ne fait pas ressortir de déclarations contradictoires, ni l'impossibilité de leur relation au moment présumé de la conception. Par ailleurs, les circonstances qu'une procédure de suspicion de reconnaissance de paternité frauduleuse ait été engagée par le préfet de police de Paris concernant un autre enfant de M. C... puis, que postérieurement à la décision attaquée, le préfet de la Haute-Garonne ait saisi aux mêmes fins le procureur de la République de Toulouse, le 10 février 2022, en ce qui concerne l'enfant A..., alors qu'au demeurant l'issue de cette procédure n'est pas précisée, sont sans incidence sur la légalité de la décision contestée.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du préfet de l'Hérault du 24 septembre 2019, lui a enjoint de délivrer à Mme B... D... la carte d'identité et le passeport sollicités au nom de son enfant,E..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à son conseil, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Sur les frais liés au litige :
8. Mme B... D... a obtenu le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Ducos-Mortreuil, avocat de Mme B... D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Ducos-Mortreuil de la somme de 1 000 euros.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Ducos-Mortreuil, avocat de Mme B... D..., la somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme G... B... D... et à Me Ducos-Mortreuil.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
M. Teulière, président assesseur,
Mme Dumez-Fauchille, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2024.
La présidente rapporteure,
A. Geslan-Demaret Le président assesseur,
T. Teulière
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22TL21013